14 octobre

Action ou Vérité / Le jeu des 20 questions (Truth or Dare / 20 Questions)


« Je m'étonne que tu ne sois pas encore allé le submerger de questions sur son passé, Chrétien. »

Robin observait son frère, un peu plus loin, qui attachait un solide fagot de branchages devant servir au toit de la cabane qu'il reconstruisait après l'invasion de l'armée celte du Shérif. Aux mots d'Azeem, il se retourna lentement et admit d'un ton préoccupé :

« C'est que je n'ose pas.

-Tu n'oses pas ? s'étonna le Maure.

-Je ne veux pas être trop intrusif. Il a vécu des temps très difficiles et ça ne doit pas être évident d'en discuter.

-Robin de Locksley qui redoute de poser des questions indélicates aux gens. On aura vraiment tout vu, le taquina son ami en lui donnant une petite tape sur la jambe du bout de l'ustensile qu'il était en train de tailler, assis à même le sol. »

Robin sourit.

« Tu parles comme si je me mêlais toujours des histoires des autres, protesta-t-il affablement.

-C'est un peu l'idée ! se moqua Azeem. Chrétien, si tu veux que la chose paraisse naturelle, pourquoi ne pas l'initier par un jeu des 20 questions ?

-Le jeu des 20 questions ?

-C'est un amusement qu'on pratique dans mon pays. Tu lui poses une question et il obtient le droit de t'en poser une en retour. Vous alternez ainsi jusqu'à ce que 20 questions aient été posées.

-Hum… L'idée ne me semble pas mauvaise. Pourquoi pas ? Je vais lui en parler. »

Le soir venu, le feu déclina rapidement dans le foyer autour duquel Robin, Gilles, Azeem et quelques autres hors-la-loi s'étaient réunis. Le Maure profita de ce que son ami s'était levé un instant pour encourager discrètement tous les autres, à l'exception du jeune voleur vêtu de rouge, à quitter les lieux sous divers prétextes. Ils se levèrent tous et Gilles se retrouva seul près du feu. Au bout de quelques instants de silence, seulement troublé par le crépitement des flammes, Robin réapparut près de lui et il leva les yeux pour croiser son regard.

« Du lait chaud, sourit son frère en lui tendant un gobelet en bois. Pour toi.

-Merci, répondit son cadet avec un sourire en acceptant le breuvage.

-Gilles ?

-Oui ?

-J'aimerais bien… te connaître un peu mieux. Azeem a suggéré que nous jouions à un jeu, au cours duquel nous nous poserions 20 questions à tour de rôle. Tu serais d'accord ?

-Hum… Je me demandais quand tu allais te décider à venir me parler de toutes ces choses qui… de toutes ces choses, avoua le jeune homme. Alors c'est d'accord. Mais, ajouta-t-il avec un sourire malicieux, puisque tu viens de me poser une question et que j'y ai répondu… c'est mon tour.

-Tu es vraiment une crapule ! s'exclama Robin en éclatant de rire. »

Il s'assit juste à côté de son frère, sur le même arbre renversé, et déplia une grosse couverture de laine pour l'enrouler autour de leurs épaules.

« Est-ce que…, murmura Gilles en fixant le fond de son gobelet de lait, est-ce que Père a déjà évoqué mon existence ? À mots couverts que tu n'aurais pas compris ?

-Ah…, souffla Robin en interrompant son geste. Non… Non, je suis désolé.

-Je vois… »

Le cœur lourd, l'archer termina de rabattre bien comme il faut la couverture autour de son frère et s'appuya contre lui pour demander :

« Quand l'as-tu confronté ?

-Un jour, quand tu n'étais pas au château. J'avais treize ans, je pense. Est-ce que tu n'as pas voulu de ma mère uniquement parce qu'elle était paysanne ?

-Non. J'aurais rejeté quiconque Père aurait eu l'audace de me présenter. J'aimais tellement ma mère et elle me manquait tant – elle me manque toujours tellement. Comment s'appelle le village où tu as grandi ?

-Je n'en ai aucune idée. Je ne suis même pas certain qu'il en ait un. C'était un endroit pauvre et très semblable aux autres villages. Pourquoi Robin ?

-Pourquoi quoi ?

-Ton prénom. Pourquoi Père t'a-t-il nommé Robin ? Est-ce que ça a un rapport avec une histoire familiale ? »

L'archer tourna la tête contre les cheveux de son frère et sourit.

« Tu as de drôles de questions, Gilles l'Écarlate, répondit-il, amusé. Je ne te pensais pas si précautionneux de ce genre de détail. Robin n'a aucune signification précise, pas du tout, même; je crois qu'il aimait simplement ce prénom. »

Son cadet hocha la tête. Robin profita de cette pause pour passer un bras autour de sa taille sous la couverture et le rapprocher un peu de lui.

« As-tu beaucoup pensé à moi, durant ces années où tu savais à qui tu devais ton malheur sans que moi, je le sache ? s'enquit-il doucement, le cœur serré.

-Plus souvent que je l'aurais voulu, admit Gilles en soupirant. J'aurais aimé faire comme si tu n'existais pas, mais c'était loin d'être facile. Tu es – tu as toujours été – mon frère aîné, que je le veuille ou non à l'époque.

-Pourras-tu jamais me pardonner pour tout ce que j'ai fait ?

-Question idiote, sourit le jeune voleur en rouge, le visage enfoui contre l'épaule de son frère. Je t'ai pardonné.

-Merci…

-Ce que je commence à me demander, surtout, c'est pourras-tu te pardonner, toi ?

-Je ne sais pas… Savoir que je t'ai laissé mourir de froid et de faim pendant toutes ces années me serre le cœur…

-Tu ne peux plus changer ça. »

Mû par un élan soudain, Robin se tourna pour saisir le visage de son frère dans ses mains et lever son regard vers le sien.

« Je te promets, jura-t-il, que je ne te laisserai plus avoir faim et froid.

-C'est gentil mais ça risque d'être difficile, sourit Gilles, taquin. L'hiver approche et je ne sais pas si ces cabanes isolent vraiment du vent.

-Mais nous avons une couverture.

-Nous avons une couverture. »

Après une pause, durant laquelle Robin lui lâcha le visage uniquement quand il le poussa doucement du bout des doigts, le jeune voleur reprit :

« En as-tu terminé avec tes serments ? C'est à ton tour de poser une question et j'aimerais pouvoir soumettre la mienne.

-Mais tu prends même ce jeu plus au sérieux que moi ! s'exclama Robin en le saisissant par la nuque.

-C'est que moi aussi, j'ai envie d'en apprendre davantage sur toi. J'ai passé des mois à t'observer mais ça ne me renseigne pas sur… ton plat préféré. Qu'est-ce que tu préfères manger ?

-M'observer ? Je ne sais pas si ça m'émeut ou si ça m'inquiète. »

Les deux frères avaient largement passé les 20 questions quand Gilles commença à s'endormir. Alors, Robin ôta la couverture de ses épaules, l'enroula dedans, s'arracha au tronc d'arbre et se pencha ensuite pour le soulever dans ses bras. Il le porta jusqu'à sa hutte en cours de reconstruction, pleine de trous, et s'allongea avec lui sur la paillasse. Il était soulagé de se sentir un peu plus le frère de Gilles maintenant qu'il avait appris toutes ces choses.