Valeur et vigueur tout le monde,

J'espère que vous allez bien ! La fin du chapitre précédent a été très lourde, j'espère que tout le monde a pu s'en remettre. Voir un personnage à qui on est attaché et qu'on suit depuis longtemps subir de telles choses n'est jamais facile.

Merci beaucoup à Sarah MAES, LaPalatine, Fatia Obisesan, Fleur d'Ange, Lestrange-maria et plinchy pour vos reviews !

Un petit récap utile des chapitres précédents :

Narcissa a demandé à Draco de mettre un terme à sa relation avec Ginny après avoir découvert la vérité. (c45, c47)

Hermione est tenue prisonnière à l'Ambrosia, une maison close dirigée par Vivienne Van Detta, une associée des Lestrange (c33) Sous l'influence d'une drogue puissante, elle est forcée de se prostituer contre son gré (c47)

Isaac Carrow, un membre de la religion (ou de la secte) du Clan des Derniers Jours, a une obsession malsaine des femmes de sang impur et a tué plusieurs d'entre elles. Il a violemment attaqué Tracey Davis, la petite amie de Luna Lovegood, avant de s'enfuir. Le Prophète Adamus Carrow s'est chargé d'effacer toute preuve de son crime. (chap.31)

Warning – violence physique décrite

N'oubliez pas de jeter un coup d'oeil au montage et à la playlist de ce chapitre, dont les liens sont dispo sur mon profil d'auteur.

Bonne lecture !

XLVIII. Filles de Joie

« Une autre tournée, les amis ? » proposa Ginny d'un ton joyeux.

Elle repoussa les nombreux verres vides qui jonchaient la table branlante sur laquelle ils étaient installés. Neville Londubat, assis à ses côtés, secoua fermement la tête. Son visage joufflu était rougi, signe de son état d'ivresse avancée.

« Je vais vomir si je bois encore la moindre goutte d'alcool. » admit-il avec une grimace. « Comment fais-tu, Ginny ? »

Ginny esquissa un sourire en coin, feignant un air mystérieux. Depuis qu'elle fréquentait Pansy Parkinson, sa tolérance à l'alcool avait augmenté de manière exponentielle. Pansy était une buveuse de compétition. Elle semblait avaler l'hydromel comme de l'eau. Toutes les occasions étaient bonnes pour ouvrir une bouteille.

« Luna ? » demanda Ginny en se tournant vers son amie.

Cette dernière secoua la tête.

« C'est la saison des abeilles détraqueuses et leurs piqûres sont terribles. Elles attaquent davantage les personnes qui ont de l'alcool dans le sang. » expliqua Luna d'un ton rêveur, semblant plus absente qu'à l'accoutumée.

Ginny n'avait jamais entendu parler des abeilles détraqueuses et elle se demanda si ces créatures sortaient de l'imagination foisonnante de son amie. Elle s'abstint toutefois de poser la question.

« En revanche, je mangerais bien un morceau pour faire passer tout ça. » admit Neville. « Je suis barbouillé. »

« Comme vous voulez, les amis. » céda Ginny avant de sauter de son tabouret.

Elle dût se raccrocher au rebord de la vieille table en bois pour ne pas chuter après ce geste trop brusque. Lorsqu'elle retrouva son équilibre, elle saisit ses amis par les bras et ils se dirigèrent vers la sortie du pub.

Ils avaient passé la soirée au Chaudron Baveur - le pub de prédilection des Sang-Impurs. Ginny ne se souvenait pas de la dernière fois qu'elle avait passé du temps avec ses amis. Elle s'était volontairement éloignée durant ces derniers mois, tandis qu'elle naviguait dans les sphères mouvementées des Sang-Purs. Cela avait été un moyen de ne pas avoir à constamment mentir sur ses activités.

Le sentiment de mener une double vie avait été compliqué à gérer et une source évidente de culpabilité. Ce sentiment avait toutefois fini par se dissiper depuis qu'elle avait décidé de se montrer plus transparente sur certains aspects de sa vie.

Ses amis et ses proches étaient désormais tous au courant qu'elle travaillait pour Pansy et pour la gouverneure Warrington. Ils savaient également qu'elle avait déménagé dans les beaux quartiers de la ville. Elle avait prétendu qu'il s'agissait d'un appartement de fonction.

Mentir continuellement était épuisant et l'avait mené à des situations difficiles. La fin de son amitié avec Hermione lui avait prouvé à quel point ses décisions avaient des répercussions sérieuses.

Sa relation avec Draco était la seule information qu'elle gardait toujours secrète pour des raisons évidentes. Malgré sa frustration de ne pas pouvoir vivre son amour au grand jour, Ginny était bien consciente des dangers qu'ils encourraient si cela venait à s'apprendre.

Le fiasco de la relation d'Hermione et Théodore l'avait forcé à relativiser sur sa propre situation. Voir l'issue dramatique de leur mariage lui avait prouvé que se montrer publiquement n'était pas la bonne solution. Le rejet et le mépris qu'avait subis Hermione de la part de l'élite conservatrice du régime l'avaient poussée à prendre la fuite.

De son côté, et pour une raison obscure, Draco semblait lui aussi se montrer plus précautionneux au sujet de leur relation. Ginny se demandait si les risques récents qu'ils avaient pris lors du GAGE, avaient conduit à ce retour à la discrétion absolue.

Leurs rendez-vous étaient désormais prudemment organisés. Elle ne se rendait plus à l'Augurey Magistral et Draco ne venait pas la chercher sur ses lieux de travail en diligence comme il avait pris l'habitude de le faire au cours des derniers mois. Leurs visites étaient strictement restreintes à son appartement ou à celui de Pansy. En dehors de ces murs, ils n'avaient aucun contact.

En temps normal, Ginny aurait ressenti une once d'insécurité du fait de l'attitude un peu distante de Draco. Ce n'était toutefois pas le cas. Depuis la mort de son grand-père, elle avait observé un changement certain chez lui. Il s'était montré vulnérable et avait laissé la jeune femme être un soutien pour lui. Elle savait que cela lui coûtait énormément. Après tout, il était toujours celui qui gardait le contrôle en toute situation.

Ginny se demandait si sa déclaration était également une raison de ce changement. Elle lui avait avoué ses sentiments profonds pour lui, formulant enfin ces trois mots plein de signification.

Et même si Draco ne les avait pas prononcés en retour, Ginny ne s'en était pas formalisée. Elle connaissait sa réserve à verbaliser ses émotions et son attitude envers elle lui prouvait déjà énormément de choses. Il était davantage un homme d'action.

Ginny, elle, n'avait jamais eu de difficultés à exprimer ses sentiments. Elle avait grandi auprès de personnes qui n'avaient aucun mal à exprimer verbalement et physiquement leur affection. L'environnement dans lequel avait été élevé Draco était bien différent.

Ginny et ses amis quittèrent finalement le pub, traversant les avenues du Chemin de Traverse, bondées en raison du weekend, afin de rejoindre le Quartier des Embrumes.

Ils arrivèrent à la Frite du Colosse, le restaurant-snack qu'ils avaient pris l'habitude de fréquenter après leurs longues soirées arrosées. Passer du temps en compagnie de ses amis lui fit grand bien. Elle était résolue à se montrer plus présente dans leurs vies. Elle avait l'impression d'avoir tant manqué. Bien qu'elle ait tenté de se montrer présente pour Luna après la disparition de Tracey Davis, sa petite-amie, Ginny avait le sentiment que son aide avait été plus superficielle qu'autre chose. Après quelques mois particulièrement difficiles, Luna semblait reprendre une vie plus ou moins normale, même si elle était toujours affectée par le drame. Ginny surprenait parfois une expression affligée dans les yeux de son amie.

Sa situation familiale n'arrangeait pas les choses. Sa mère avait de nouveau été internée à Sainte-Mangouste après un autre épisode de dépression psychotique. Quant à son père, Xenophilius, les conséquences de son traumatisme suite à la compétition sanglante du Jour de la Victoire étaient toujours bien présentes. Il ne quittait quasiment jamais leur grenier et souffrait toujours de cauchemars terribles et de crises d'angoisse. Selon Luna, une longue thérapie serait nécessaire – chose à laquelle il ne semblait pas disposé.

Neville, lui, avait pris ses distances avec Ginny pendant un temps. Lors d'une discussion à cœur ouvert, il lui avait finalement déclaré ses frustrations : elle n'avait pas été l'amie qu'il connaissait et son absence inexpliquée l'avait blessé. Ginny s'était excusée et avait admis ses manquements, lui promettant de faire des efforts pour se montrer plus présente.

A son grand soulagement, après cette discussion, les choses étaient retournées à la normale entre eux. Neville avait toujours été un ami proche pour elle et l'idée de le perdre avait été angoissante. Ils avaient repris leur tradition d'un déjeuner ensemble par semaine et Ginny lui avait même demandé de l'accompagner au mariage de Cédric Diggory.

Après un repas nocturne particulièrement gras à la Frite du Colosse, les trois amis se séparèrent pour rejoindre leurs domiciles respectifs. Ginny traversa son ancien quartier d'une démarche chancelante, observant les rues familières. Cela faisait des mois qu'elle n'était pas revenue dans les environs.

Marcher dans les rues du Quartier des Embrumes lui rappelait une autre période de sa vie, peu lointaine mais pourtant tellement différente. L'époque où elle partageait encore un appartement modeste avec Hermione et qu'elle travaillait chez Burke, s'efforçant de joindre les deux bouts. A cette époque, la vie lui avait semblé tellement simple, sans grands enjeux et sans perspectives intéressantes pour l'avenir.

Les choses avaient tant évolué, depuis. Ginny avait l'impression de pouvoir aspirer à bien plus. Les limites qu'on lui avait fixées toute sa vie du fait de son statut ne lui semblaient plus aussi infranchissables. Elle aussi avait beaucoup changé. Toutes les péripéties de l'année passée l'avaient fait mûrir et elle posait désormais un regard nuancé sur le monde qui l'entourait.

Ginny s'arrêta brusquement devant la Thérapie de l'Âme. Elle ouvrit la bouche de stupeur en apercevant la façade complètement détruite et carbonisée, créant un contraste choquant avec les boutiques contiguës.

'A VENDRE' indiquait une pancarte.

Ginny resta perplexe devant ce spectacle. Où se trouvait désormais Sibylle Trelawney ? Et pourquoi avait-elle décidé de vendre son établissement ? s'interrogea-t-elle avec confusion. Des petits feuillets contenant des coordonnées pendaient sous la pancarte et Ginny tira l'un d'eux avant de le fourrer dans la poche de sa cape. Elle contacterait la personne afin d'obtenir davantage d'informations. Des bruits de pas derrière elle la ramenèrent à la réalité et elle reprit sa route vers le poste de cheminées publiques le plus proche.

Le lendemain, Ginny s'autorisa une grasse matinée. Le dimanche était le seul jour de la semaine où elle pouvait vraiment se le permettre. Pansy la laissait généralement tranquille car elle prenait le brunch au domaine de ses parents. Ginny en profita donc pour se reposer et lézarder, profitant de ce rare moment d'accalmie pour récupérer d'une énième semaine chargée et d'une soirée trop arrosée.

En début d'après-midi, la sonnerie de l'appartement retentit bruyamment. Sûrement Pansy qui venait lui rendre visite à l'improviste, comme elle en avait pris l'habitude. Pansy semblait détester être seule ou inoccupée. Lorsque Ginny ouvrit la porte, son regard tomba toutefois sur un visage différent.

Narcissa Malfoy, la mère de Draco, se trouvait face à elle.

« Pur soit le sang. » la salua-t-elle d'une voix courtoise.

Ginny ne répondit pas. Elle était tellement prise au dépourvu que les mots lui manquaient.

« Navrée pour cette visite impromptue, Miss. Weasley. Puis-je entrer ? J'aimerais m'entretenir avec vous. » demanda Narcissa d'un ton neutre.

Médusée, Ginny s'effaça pour la laisser entrer, sans énoncer la moindre parole. Entendre Narcissa Malfoy prononcer son nom la laissa bouche bée. Aussitôt, une multitude de questions défila dans son esprit, et un sentiment de nervosité s'empara d'elle.

Narcissa pénétra dans l'appartement, le bruit de ses escarpins élégants résonnant dans toute la pièce. Ginny avait rarement vu une femme aussi élégante. Elle portait une robe fourreau d'une teinte pourpre qui taillait parfaitement sa silhouette sans défauts. Elle dégageait une classe et un raffinement indéniables. Elle posa ses yeux d'un bleu profond sur Ginny qui l'observait toujours avec un mélange d'admiration et de choc.

« Je suis Narcissa Malfoy mais j'imagine que vous le savez déjà, Miss Weasley. » dit Narcissa en levant un sourcil. « Nous nous sommes rencontrées par le biais de votre ancien employeur, monsieur Burke. »

Ginny acquiesça lentement, ouvrant un peu plus les yeux. Narcissa se souvenait d'elle alors qu'elles s'étaient croisées brièvement à deux reprises durant l'année précédente. Elle n'arrivait pas à croire que la mère de Draco, et accessoirement l'épouse d'un Gouverneur – se trouvait face à elle, dans son living room. Elle se donna une claque mentale pour s'efforcer de se reprendre.

« Valeur et vigueur, Mrs Malfoy. Puis-je vous proposer quelque chose à boire ? » demanda-t-elle d'un ton un peu hésitant, ne sachant pas vraiment comment agir.

« Ça ne sera pas nécessaire, je serai brève. » répondit Narcissa, l'air impérieux.

Elle jeta un regard à ses alentours, observant avec intérêt le séjour chaleureusement décoré. C'était la décoratrice d'intérieur de Pansy qui l'avait aidé à meubler l'appartement. Ginny avait dû lutter pour faire entendre ses propres envies par rapport aux suggestions incessantes de Pansy qui agissait comme si c'était son appartement qu'on décorait. Ginny était contente de ne pas l'avoir laissée prendre le contrôle des choses.

Grâce à cela, l'appartement correspondait à ses goûts et ses préférences – coloré, chaleureux, lumineux. Il ne perdait néanmoins rien de sa sophistication et de son essence grâce au mobilier onéreux et délicat que la décoratrice avait choisi. Draco avait tout pris en charge et n'avait même pas sourcillé face aux coûts de l'aménagement.

« Je vois que mon fils n'a épargné aucune dépense. » commenta finalement Narcissa, une once de dédain audible dans sa voix.

Son commentaire confirma les craintes de Ginny. Une partie d'elle – manifestement naïve - avait espéré que la présence de Narcissa soit liée à Pansy et non à Draco. Elle avait désormais sa confirmation.

Comment était-elle au courant ? se demanda Ginny, sentant la panique s'insinuer en elle. Devait-elle démentir ? Elle craignait de se trahir par erreur. Narcissa avait peut-être seulement des doutes et cherchait à les confirmer. Mettant aux tribulations internes de Ginny, Narcissa lança :

« Ne perdez pas votre temps à nier. Je suis au courant de votre… aventure avec mon fils. Il me l'a déjà confirmé. » annonça Narcissa avec lassitude, comme si elle avait lu les pensées de la jeune femme.

Ginny écarquilla les yeux, les bras ballants, désemparée face à l'annonce de Narcissa. Elle n'arrivait pas à croire ce qu'elle entendait. Et surtout, elle craignait la raison de sa venue. Pourquoi l'épouse d'un gouverneur prenait-elle la peine de s'entretenir directement avec une sorcière de rang inférieur ?

La perspective que Narcissa puisse sonder son esprit lui provoqua une angoisse certaine et elle se concentra pour bloquer son esprit, comme lui avait enseigné Draco. Elle avait fait des progrès notables depuis leurs premières leçons et elle parvenait désormais à vider son esprit sans grandes difficultés.

« Je veux que vous cessiez de voir mon fils. » annonça Narcissa d'un ton ferme, qui n'admettait aucun refus. « Les circonstances et les détails de votre aventure ne m'intéressent pas et je ne vous en tiendrai pas rigueur. Mais pour le bien de toutes les parties impliquées, il est impératif que vous cessiez tout contact avec Draco. »

Sans lui laisser le temps de répondre, Narcissa plongea sa main dans la pochette qu'elle portait et en extirpa un petit carnet ainsi qu'une plume à encre intégrée. Ginny reconnut immédiatement le calepin. Il contenait les mêmes bons bancaires que Pansy utilisait pour payer en différé lorsqu'elle faisait du shopping pour des montants élevés. Cela lui permettait de ne pas transporter des sommes d'argent importantes. Elle fournissait cette promesse de paiement écrite au marchand et la transaction était ensuite gérée par Gringotts.

« Combien voulez-vous ? » demanda Narcissa tandis qu'elle tournait les pages du carnet, d'un ton plat et transactionnel.

« P… Pardon ? » bredouilla Ginny, interloquée.

Narcissa releva la tête et ses yeux bleus fixèrent Ginny.

« Cinq mille gallions ? Dix mille ? Nommez votre prix. » demanda-t-elle, levant un sourcil parfaitement dessiné.

« Vous pouvez garder votre argent. » répliqua Ginny d'une voix glaciale. « Je n'en veux pas. »

« Que voulez-vous dans ce cas ? Garder cet appartement ? Nous pouvons négocier la prise en charge du loyer pendant un certain temps. » insista Narcissa d'une voix calme même si son impatience était audible.

« Vous ne comprenez pas, Miss Malfoy. Je ne veux rien de vous. » répliqua Ginny.

Sa nervosité l'avait quittée, laissant place à une autre émotion - la contrariété.

« D'ailleurs, je me pose une question… Draco est-il au courant de votre présence ici ? » demanda-t-elle en croisant les bras, d'un ton inquisiteur.

Narcissa sembla prise de court par l'attitude de Ginny. Dans ses yeux bleus, la jeune femme aperçut une lueur courroucée, comme si elle n'appréciait pas le ton employé.

« Non et cette conversation a tout intérêt à rester privée. » répondit Narcissa d'une voix pourtant calme, ne laissant transpirer aucun agacement.

« Et pourquoi le lui cacherais-je ? » demanda Ginny d'une voix froissée.

Narcissa sembla se défaire de sa fausse amabilité. Une lueur sombre s'installa dans son regard. Ginny aurait sans doute été intimidée si elle n'était pas aussi contrariée.

« J'ai déjà demandé à mon fils de prendre ses distances avec vous, Miss Weasley. Ce qu'il n'a pas fait, à mon grand mécontentement. Il se contente de faire preuve de plus grande discrétion pour me duper, visiblement. C'est évidemment inutile compte tenu des moyens que j'ai déployés pour le vérifier. » expliqua Narcissa, visiblement agacée. « Comme il semble réticent à honorer ma requête, je viens m'adresser directement à vous. »

« Et avant de venir me faire cette demande, vous êtes-vous demandée une seule fois pourquoi Draco n'a pas cessé de me voir, même après votre requête ? » demanda Ginny d'une voix consternée, tentant de garder le contrôle de ses émotions, même si la conversation la mettait dans un état de mécontentement évident.

Elle se fichait désormais de l'identité de la personne qui se trouvait face à elle - son nom, son statut et son influence au sein du régime n'avaient aucune importance. Lorsqu'on s'attaquait à elle au sujet d'une personne chère à son cœur, Ginny sortait immédiatement les griffes, en dépit des conséquences.

« Draco veut être avec moi. C'est pour cette raison qu'il n'a pas cessé de me voir. » assura Ginny d'un ton impérieux. « Et ce ne sont pas vos gallions qui vont m'empêcher de le voir. »

Pendant un bref instant, Narcissa parut stupéfaite, comme si elle ne s'attendait pas à un tel élan d'impertinence de la part d'une femme qu'elle considérait sans doute comme inférieure. On ne lui refusait probablement rien à cause de son statut dans la pyramide du régime. L'expression de son visage prouva à Ginny qu'elle ne prendrait pas cet affront à la légère et qu'il ne serait pas dénué de conséquences. Ginny ignora sa propre nervosité et soutint le regard sondeur de Narcissa, son cœur battant à toute allure dans sa poitrine.

Contre toute attente, un sourire cryptique s'étira sur les lèvres de Narcissa. Cette réaction déstabilisa Ginny.

« Croyez-moi, j'entends votre situation, Miss Weasley. Vous avez visiblement des sentiments pour mon fils et je ne doute pas qu'il ait lui aussi une certaine… affection à votre égard mais rassurez-moi…Vous ne pensez pas un seul instant que cette… aventure a un quelconque avenir ? »

Narcissa avait posé cette question avec une certaine hilarité dans la voix, comme si elle s'empêchait d'éclater de rire. Elle observait désormais Ginny avec la même condescendance d'un parent qui expliquait une information des plus basiques à un enfant.

« Vous êtes jeune, je le comprends. Vous avez encore beaucoup à apprendre des hommes, Miss Weasley. Malgré ce que vous pensez, et l'impression qu'il vous donne, vous ne serez jamais plus qu'une distraction dans la vie de Draco. » déclara Narcissa, d'un air presque navré. « Mon fils a un nom, un statut, un héritage. Pensez-vous vraiment qu'il va mettre cela en péril pour une liaison sans avenir ? »

Ginny ne répondit pas.

« Vous ne semblez pas stupide, Miss Weasley. Plus vite vous comprendrez comment les choses fonctionnent, plus vite vous vous épargnerez une déception inévitable. Nous ne sommes pas dans un conte mais dans la réalité. Et dans notre réalité, vous n'avez rien à faire avec un homme de la stature de mon fils. » indiqua Narcissa.

Elle l'observait avec un mélange de pitié et de dédain.

« Vous prétendez vraiment avoir des sentiments envers mon fils, n'est-ce pas ? Dans ce cas, comment pouvez-vous prendre le risque de lui faire subir les conséquences ? Avez-vous une seule idée des retombées, si jamais on venait à apprendre qu'il vous fréquente ? » insista Narcissa, d'une voix plus sévère cette fois.

Immédiatement, Ginny sentit ce mal-être familier et anxiogène surgir de nouveau.

« Draco vient de perdre son grand-père. Il est dans un état vulnérable. Votre présence, vos bras et vos jambes ouvertes lui offrent très probablement un réconfort éphémère mais tout ça n'est que temporaire, Miss Weasley. Il est grand temps pour Draco de penser à son futur, désormais. » indiqua Narcissa d'une voix ferme. « Une vraie union, digne de son statut, l'attend. Et votre présence ne fait que le distraire et l'éloigner de ses responsabilités. »

Les mots de Narcissa étaient difficiles à entendre car ils faisaient écho à cette réalité que Ginny tentait à tout prix d'ignorer, même si elle était chaque jour plus imminente et menaçante. Elle avait toujours su qu'ils finiraient par se retrouver confrontés à la réalité de leurs situations respectives.

Malgré tout, et sûrement à cause de sa personnalité indocile, Ginny ne voulait pas laisser à Narcissa l'occasion de l'intimider et de la rabaisser ainsi. Ses mots témoignaient d'un dédain et d'une non-considération insultante envers elle. En la traitant de fille de passage, et en sous-entendant que Draco cherchait uniquement une relation charnelle avec elle, Narcissa essayait de décrier leur relation. Ginny n'avait aucune intention de la laisser faire.

Elle pouvait comprendre que Narcissa soit opposée à leur relation à cause du statut de Draco. Ginny ne pouvait toutefois pas accepter qu'on rabaisse leur lien en la faisant passer pour une amourette sans importance. Pas après ce qu'ils avaient vécu durant ces derniers mois. Elle savait qu'elle représentait bien plus qu'une simple aventure pour Draco. Plus important encore – Narcissa en était également consciente. C'était pour cette raison qu'elle se trouvait dans son living room et lui proposait une somme d'argent astronomique pour l'écarter de la vie de son fils.

« Une vraie union, vraiment ? C'est ce que vous voulez pour votre fils ? Le forcer à épouser une femme qu'il n'aime pas ? » demanda Ginny en levant un sourcil. « Vous ne voulez pas que votre fils soit avec quelqu'un qu'il aime vraiment ? »

Narcissa lui adressa un regard plein de commisération.

« Ma chère enfant, croyez-moi, vous avez encore beaucoup de choses à apprendre. Une union solide n'est pas basée sur l'amour. Cette idée n'est qu'un leurre qu'on a mis dans la tête des gens comme vous pour les maintenir au bas de l'échelle car ils ne saisissent pas le potentiel et les avantages d'une union stratégique. » répliqua Narcissa avec lassitude. « L'amour n'est pas un élément essentiel. Ce n'est jamais suffisant pour faire prospérer une union. Le mariage demande très souvent des sacrifices. »

Elle avait dit cela d'un ton profond, comme si ses paroles la touchaient directement.

« Dans nos sphères, le mariage est une étape cruciale. Ces choses sont soigneusement réfléchies et négociées. Ce sera également le cas pour mon fils et contrairement à vous, il en a pleinement conscience. » rappela Narcissa.

Elle observa Ginny avec un élan de mansuétude.

« Vous pensez pouvoir agir comme bon vous semble. Croyez-moi, vous êtes aveuglée par une illusion de liberté. Malgré ce qu'on essaie de vous faire croire, vous n'en possédez aucune. » lui assura Narcissa.

Elle ferma son carnet d'un geste sec et fixa Ginny avec intensité.

« Pensez-vous que quelqu'un comme moi, malgré mon statut supérieur et ma place privilégiée dans la société, a la possibilité de jouir de cette liberté de choisir ? » demanda Narcissa d'un ton entendu.

Ginny hésita quelques secondes avant de secouer lentement de la tête.

« Dans ce cas, Miss Weasley, pourquoi pensez-vous que quelqu'un comme vous l'auriez ? » insista Narcissa.

Sa question ébranla Ginny plus qu'elle ne voulut le laisser paraître. Cette conversation prenait une tournure qu'elle n'aurait jamais imaginée. Elle avait le sentiment que cette femme essayait de lui faire passer un message et d'une manière plus que douteuse – de l'aider. Ginny avait toujours cru que les gens comme Narcissa Malfoy possédaient tous les droits et jouissaient d'une liberté et d'avantages que le commun des mortels n'aurait jamais. Et pourtant, elle réalisait que plus le statut d'une personne était élevé dans cette pyramide, plus les responsabilités qui lui incombaient étaient importantes. Même une femme comme Narcissa Malfoy, qui avait tout en apparence, devait subir les limites et les impératifs de sa position.

Ginny n'était pourtant pas de celles qui s'avouaient vaincues facilement. Ces derniers mois, elle avait entrevu un avenir meilleur et avait réalisé qu'elle pouvait aspirer à mieux si elle était prête à lutter. Elle ne comptait pas vivre comme ses pairs qui restaient à leur place sans faire de vagues et qui n'avaient ni ambitions ni rêves pour eux-mêmes.

Si elle devait se résoudre à accepter le statu quo et la défaite au sujet de sa relation avec Draco, ce serait seulement après avoir tenté sa chance.

« Si vous écoutiez davantage Draco au lieu de constamment vouloir dicter sa vie, vous vous rendriez compte qu'il fait tout pour vous satisfaire et vous rendre fière, Mrs Malfoy. Au détriment de ses propres désirs. Et pourtant, vous voulez lui ôter la seule chose qui lui apporte un tant soit peu de bonheur. » déclara Ginny avec déconvenue.

Elle savait qu'elle dépassait les limites en dévoilant une frustration personnelle que Draco lui avait partagée dans la confidence. Elle devait toutefois faire comprendre à cette femme qu'elle n'était pas qu'une simple distraction pour son fils. Leur relation était assez intime et profonde pour qu'il puisse s'ouvrir à elle et lui révéler les dessous de leur famille d'apparence parfaite.

« Merci pour votre visite, Mrs Malfoy, mais je n'ai pas de prix et mes sentiments pour Draco ne sont pas négociables. » acheva Ginny d'une voix déterminée.

Devant le regard médusé de Narcissa, elle se dirigea vers la porte d'entrée et l'ouvrit. Narcissa sembla immédiatement comprendre sa requête et rangea son carnet dans son sac avant de rejoindre la porte d'entrée. Une fois dans l'encadrement, elle jaugea longuement Ginny. Son visage était désormais impassible et Ginny ne put déceler une quelconque émotion dans ses yeux bleus. Même si elle s'efforça de le dissimuler, ce calme soudain de la part de Narcissa ne fit qu'accroître son propre malaise. Elle venait de tenir tête à cette femme et elle avait le pressentiment que cet affront ne serait pas si aisément pardonné.

« Ce caractère rebelle et insubordonné… » commenta Narcissa d'un ton pensif. « Il est évident que vous n'êtes pas une jeune femme docile. Je commence à comprendre pourquoi mon fils est tombé sous votre charme. »

Ginny la fixa avec surprise, prise au dépourvu par ce compliment soudain après l'échange houleux et hostile qu'elles venaient de partager.

« Espérons que cette attitude ne vous mènera pas à votre perte, Miss Weasley. » assura Narcissa d'un ton grave. « Et surtout, qu'elle ne mènera pas mon fils à sa ruine. »

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Tout au long de sa vie, Hermione s'était persuadée qu'agir selon ses valeurs personnelles lui permettrait de tout affronter, même les situations les plus dramatiques. C'était avec cette conviction qu'elle avait navigué dans son quotidien angoissant et incertain dans le régime de Voldemort.

Cette certitude l'avait toutefois quittée. Elle n'avait plus foi en rien. Sa motivation, sa volonté et ses espoirs lui avaient été arrachés. Elle traversait une crise identitaire qui l'avait profondément ébranlé. Elle ne se reconnaissait plus. Tout ce qu'elle voyait désormais dans le miroir était une femme brisée qui n'était plus que l'ombre d'elle-même. La vue de son reflet lui provoquait même un profond dégoût.

Un seul mot décrivait les semaines qu'elle avait passées à l'Ambrosia. L'enfer. Et chaque jour qui passait la plongeait davantage dans cet abysse infernal, la détruisant à petits feux. Chaque jour, elle perdait un peu plus un fragment de sa personne. Elle n'était plus qu'une coquille vide, un corps son âme, un emballage sans substance dont on pouvait disposer comme on l'entendait.

Elle n'avait pas tenté de se rebeller ou de se défendre contre les abus infligés. L'idée de prendre la fuite effleurait à peine son esprit. Elle avait abandonné. Un comble pour quelqu'un qui avait toujours tenté de survivre.

Au lieu de ça, elle était tombée dans la facilité. Elle vivait désormais pour une seule chose – cette potion du bonheur qui lui ôtait toute pensée néfaste et malheureuse. Dès que les gouttes de l'élixir mystérieux touchaient sa langue, tout n'était qu'oubli et euphorie. Le dégoût, la peur, la culpabilité – tout se dissipait pour la laisser sur un nuage de bien-être profond. Le cercle était des plus vicieux. C'était cette drogue qui lui permettait de supporter son calvaire. Et c'était également elle qui la plongeait plus profondément dans son tourment.

Toutes ses pensées et ses actes tournaient autour de son addiction. C'était la première chose à laquelle elle pensait à son réveil. La seule préoccupation qui l'assaillait pendant la journée. La dernière pensait qui traversait son esprit avant de s'endormir.

Plus Hermione s'enfonçait dans les méandres sans fond de la dépendance, plus elle se perdait. Sa seule préoccupation était d'obtenir sa prochaine dose – et elle faisait tout pour y parvenir. Et entre les murs dépravés de l'Ambrosia, tout avait une signification bien obscure.

Dans les rares moments où son esprit retrouvait une once de lucidité, et qu'elle n'était pas encore traversée par les sensations de manque, ses pensées se tournaient toujours vers une seule chose.

Théodore.

Une tristesse et une culpabilité immenses l'assaillaient alors, et elle était presque soulagée qu'il ne soit pas au courant de son sort. L'idée qu'il puisse voir à quoi elle en était désormais réduite était déchirante.

Théodore pensait probablement qu'elle l'avait quitté volontairement. Ses ravisseurs avaient soigneusement préparé leur plan pour s'en assurer. Hermione savait que Théodore n'y croirait pas immédiatement. Toutefois, lorsqu'il lirait cette lettre, le doute se dissiperait lentement. Et même s'il contactait Oscar Sleezer pour vérifier l'authenticité de la missive, il obtiendrait la confirmation qu'elle avait été rédigée par Hermione. Enfin, le souvenir de leur dernière dispute et de son supposé regret de leur union serait suffisant pour enterrer les doutes de Théodore, une bonne fois pour toutes.

Même si cette pensée lui fendait le cœur, Hermione se demandait si les choses n'étaient pas plus simples, ainsi. Elle préférait désormais qu'il ne se lance pas à sa recherche. Même s'il aurait le cœur brisé par son rejet fictif, Théodore n'aurait pas à souffrir davantage en apprenant la vérité sur sa nouvelle condition. Hermione ne voulait pas lui infliger cette peine supplémentaire. Elle savait qu'il ne s'en remettrait pas et se blâmerait.

Après ce qu'elle avait vécu, elle n'avait plus la force de se relever. Comment pourrait-elle reprendre une vie ordinaire après de tels traumatismes ? L'espoir et la joie de vivre l'avaient quittée. Même si, par miracle, elle parvenait à fuir ce calvaire, elle ne serait plus jamais la femme qu'elle avait été - celle que Théodore aimait. Pourrait-il encore aimer quelqu'un comme elle ? Elle était complètement brisée, souillée, dépossédée.

L'Ambrosia était un enfer sur terre.

Un purgatoire qui punissait inlassablement des dizaines d'autres femmes, comme elle.

Chaque jour, Hermione assistait au spectacle tragique de ces femmes oubliées, complètement sous l'emprise d'une femme perverse et malveillante, forcées d'offrir leur corps à des inconnus dans l'espoir vain de repayer une dette imaginaire, rendues dociles par une euphorie factice et destructrice.

L'ironie ultime dans ce système vicieux était qu'il leur donnait l'impression d'avoir le choix.

« Si ça te ne plaît pas, tu peux prendre tes affaires et quitter ma maison. » affirmait parfois Vivienne van Detta.

Elle avait conscience de l'emprise totale qu'elle avait sur ses employées. En s'assurant de les soumettre à sa drogue, et de créer une dépendance immédiate, elle réduisait considérablement les risques de fugue et de désobéissance.

La soumission chimique n'en était désormais plus une, remplacée par une prise volontaire et sollicitée de la part d'Hermione et des autres.

Puis, en leur dérobant toute once de dignité et en les forçant à commettre des actes dégradants, Vivienne van Detta s'assurait de leur ôter l'envie de revenir à une vie normale. Ses victimes se considéraient désormais comme salies et sans valeur. Dans les rues du régime, elles seraient considérées au bas de l'échelle et vouées à être rabaissées et marchandées. Ces raisons étaient suffisantes pour les persuader de rester dans l'établissement.

Cette manipulation par la peur était parfaitement organisée. Bien que la plupart des travailleuses soient conscientes d'être manipulées et exploitées, peu d'entre elles avaient le courage de quitter l'endroit.

« Nous sommes au milieu de nulle part. » lui avait affirmé Sissy, la jeune femme qui partageait sa chambre. « Toutes les filles qui ont tenté de partir n'ont jamais été revues ou sont revenues dans des sales états. »

Selon Sissy, l'Ambrosia se trouvait en plein milieu d'une large forêt, truffée de dangers en tout genre – notamment des créatures magiques féroces et sanguinaires. Les chances de pouvoir y survivre des heures sans baguette magique, étaient extrêmement faibles.

Elles avaient beaucoup parlé depuis l'arrivée d'Hermione, trouvant en l'autre une confidente. Sissy était à l'Ambrosia depuis près de deux ans et semblait avoir perdu tout espoir quant à l'avenir.

« Je vais probablement mourir ici. » avait-elle dit gravement à Hermione. « De toute façon, je n'ai rien d'autre à retrouver dehors. Personne ne m'attend. »

Hermione avait senti son cœur se serrer à ces mots. Et une peur nouvelle c'était créée en elle – celle de devenir aussi désabusée que Sissy. Elle ne voulait pas arriver à cette étape où elle accepterait son sort. Pourtant, elle avait peur qu'il soit déjà trop tard.

« Tu sais, au début, quand tu prends cette potion, c'est pour chasser le plaisir et l'euphorie qu'elle te provoque. Mais après un moment, l'euphorie disparait et tu en prends uniquement pour ne plus te sentir mal et pour éviter la sensation horrible de manque. C'est à ce moment-là que tu es vraiment dépendante et que toute tentative pour t'arrêter sera difficile et même mortelle. Quand tu arrives à ce stade, tu as alors deux choix. Tu peux augmenter les doses pour retrouver les mêmes sensations du début, ce qui fonctionnera temporairement. Du moins jusqu'à ce ton corps s'habitue à la nouvelle dose. Ce sera le retour à la case départ. C'est un cercle vicieux car tu prendras toujours des doses de plus en plus élevées. La deuxième solution est de te forcer à réduire tes doses graduellement pour baisser ta tolérance. Jusqu'à réussir à ne plus rien prendre. Mais ça prend du temps et ça demande une force mentale gigantesque. Sans compter les risques constants de rechute. » expliqua Sissy avec un soupir.

Elle parut plongée dans ses pensées. Elle parlait visiblement d'expérience.

« Je te laisse deviner ce que la plupart d'entre nous a choisi… » ironisa Sissy avec un rire sans joie.

Elle se tourna vers Hermione, une lueur sérieuse dans ses yeux fatigués.

« Tu es encore au début, tu sais. Tu peux encore t'arrêter si tu le veux vraiment. Avant d'arriver à mon stade. » chuchota-t-elle avant de se glisser dans ses draps et d'éteindre la bougie qui éclairait la pièce.

Chaque jour se ressemblait pour Hermione. L'Ambrosia ouvrait ses portes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et mettait à la disposition de sa clientèle un large 'catalogue' de femmes – et d'une poignée d'hommes.

Le profil des clients variait. On y voyait tous les âges et tous les physiques. Nombreux étaient mariés. Une sélection à l'entrée se faisait automatiquement à cause des prix des prestations, particulièrement élevées. La plupart des clients semblaient avoir une bonne situation sociale et financière. Vivienne van Detta prétendait que son établissement était haut de gamme et semblait vouloir créer une ambiance exclusive.

Le profil des travailleuses était tout aussi diversifié. Elles venaient d'horizons et statuts de sang variés. Hermione avait été particulièrement choquée par l'âge de certaines. Une jeune fille prénommée Ruby qu'elle voyait occasionnellement paraissait singulièrement jeune. Hermione la soupçonnait de ne pas être majeure. Ruby s'empressait de démentir lorsque la question lui était posée, jetant des regards nerveux autour d'elle, comme pour s'assurer que Van Detta ou Krista ne se trouvaient pas à proximité. Ruby semblait particulièrement plébiscitée par les clients - probablement à cause de son apparence d'adolescente - ce qui rendait Hermione profondément mal à l'aise.

C'était dans cet endroit qu'Hermione avait réalisé le niveau de perversité des hommes. La plupart des clients mariés prétendaient ne pas pouvoir remplir leurs besoins sexuels avec leurs épouses. D'autres payaient des sommes exorbitantes pour pouvoir assouvir leurs fantasmes dégoûtants et inavoués. Aucune demande n'était irréalisable tant que la somme d'argent était adéquate, assurait la patronne.

A chaque fois qu'elle devait 'gérer' un client, Hermione replongeait dans cette apathie. Elle forçait son esprit à quitter son corps. Tous ses gestes et ses paroles étaient machinaux et absents - un mécanisme de défense nécessaire pour supporter son supplice.

Même si son dégoût pour l'acte n'avait pas décru – elle était parvenue à dissocier son esprit plus facilement avec le temps. Dans ces moments, elle était totalement déconnectée de la réalité. Tout devenait alors flou. Ses yeux étaient ouverts mais elle voyait à peine. Son corps était présent mais elle ne ressentait plus grand chose. Elle devenait une spectatrice externe. Une poupée amorphe et passive. A chaque fois, elle gardait le regard résolument fixé vers la fenêtre enclavée du mur, regardant la lune lorsqu'elle apparaissait à travers.

Avec cette méthode et l'effet débilitant de la drogue, Hermione arrivait parfois à se convaincre - de manière mensongère, elle le savait – que ce qui se passait n'était pas réel.

Elle ignorait combien de personnes elle avait dû 'servir' depuis son arrivée. Elle agissait de manière robotique et détachée. Elle évitait de discuter avec les clients, se contentant du minimum syndical. Certains semblaient plus vouloir être entendus qu'autre chose. Elle restait alors silencieuse tandis qu'ils s'épanchaient sur leurs problèmes maritaux ou professionnels et qu'ils donnaient une justification à leur présence dans l'établissement.

Hermione était devenue plus renfermée qu'auparavant. Elle avait toujours été méfiante et réservée à cause de ses expériences de vie, mais cela s'était intensifié depuis son arrivée.

Elle avait rapidement dû apprendre qu'elle ne pouvait pas faire confiance à la plupart de ses 'collègues', hormis Sissy. Vivienne encourageait un climat de compétition et de méfiance parmi ses employées pour limiter tout risque de rébellion. Les femmes qui généraient le plus d'argent étaient avantagées par Van Detta et bénéficiaient de privilèges, y compris des doses illimitées de son fameux cocktail du bonheur.

Hermione avait parfois l'impression d'être de retour dans le même climat nocif qu'aux Grandes Archives des Macmillan, avec ces anciennes collègues. Être confrontée aux mêmes problématiques lui paraissait si irréaliste.

Toutes les personnes qui ne se soumettaient pas aux règles de la maison étaient sévèrement réprimandées par Vivienne et sa garde rapprochée. La punition la plus vicieuse était le sevrage forcé de sa drogue. La victime était enfermée dans une pièce isolée pendant des jours et ne recevait aucune dose. Rapidement, les symptômes du manque se faisaient ressentir. Physiques d'abord - avec des fièvres horribles, des courbatures et des convulsions incessantes, des vomissements et des insomnies terribles. Le plus dur était l'aspect toutefois psychologique. La victime devenait désorientée, angoissée, paranoïaque. La drogue agissait sur les récepteurs opiacés - leur faisant oublier toutes leurs émotions négatives. Sous son effet, on se sentait heureux, extatique, et capable de tout faire. Lors du sevrage, la personne tombait dans une dépression si profonde qu'elle entraînait des hallucinations et même des pensées suicidaires, comparable à l'effet des Détraqueurs.

« C'est de la torture. La fille dont tu as pris la place dans cette chambre n'a pas supporté. Elle a réussi à trouver un moyen de se pendre pendant son sevrage forcé. » admit un jour Sissy à Hermione.

Cette dernière l'avait interrogée sur les cris et les pleurs désespérés qu'on entendait parfois dans la nuit. Ils provenaient apparemment des femmes punies par Van Detta.

Hermione frissonna tandis qu'elle reposait sa tête sur son oreiller. Elle avait constaté à quel point il était inconfortable d'attendre une dose plus longtemps que prévu. Même après quelques heures, elle ressentait déjà un mal-être difficile à gérer. Elle ne voulait pas imaginer être sevrée de force. Le pire dans la situation était qu'une fois les femmes totalement sevrées, après des jours passés à souffrir le martyr, Van Detta les forçait à consommer de nouveau sa drogue, s'assurant de reproduire ce cycle infernal et sans fin.

Et tandis qu'elle fermait les yeux, l'esprit toujours rempli des récits tragiques de Sissy, Hermione décida dans un bref élan de lucidité qu'elle devait trouver un moyen de s'en sortir avant de sombrer totalement.

/

« Partez, mes fidèles, et continuez à répandre la parole sacrée de notre sauveur et protecteur, Lord Voldemort. » déclara le prophète Adamus Carrow d'une voix solennelle et puissante, qui résonna dans tout le sanctuaire.

Il croisa les bras sur son torse, exécutant le signe de Voldemort devant son assemblée, constituée de plus de cinq cents personnes. Tous les fidèles présents dans la salle l'imitèrent.

« Que Voldemort vous accompagne. Puisse sa vigueur vous guider en tout instant. » pria Adamus. « La pureté sera la clef. »

Après avoir salué l'assemblée, il quitta l'autel dressé au milieu de la salle et disparut derrière un épais rideau opalin, suivi par sa garde rapprochée, formée de ses plus loyaux fidèles.

Peu à peu, le sanctuaire se désemplit, tandis que les fidèles se dirigeaient vers la sortie dans un bavardage joyeux et inspiré. Comme d'habitude, le comité d'organisation du culte - uniquement composé des membres de la famille Carrow - attendit que les lieux soient vides pour remettre de l'ordre au sanctuaire, préparant le culte du lendemain.

Comme chaque jour, les prédications du prophète Adamus Carrow attiraient des centaines de personnes. Le sanctuaire était plein à craquer, si bien que certaines personnes étaient forcées de rester aux portes, espérant pouvoir entendre un fragment des enseignements du Prophète.

Isaac Carrow se tenait à l'écart, derrière une colonne et observait les membres de sa famille s'activer dans la pièce, vacant à leurs devoirs respectifs. Il vit la seconde femme d'Adamus récupérer le récipient creux contenant les offrandes du jour.

Pendant le culte, les fidèles étaient conviés à déposer leurs dons, destinés à l'essor du Clan des Derniers Jours. Comme à l'accoutumée, le bocal était rempli à ras-bord. Les dons foisonnaient et pourtant, Adamus en réclamait toujours plus, indiquant qu'ils étaient primordiaux pour accroître l'œuvre de Voldemort et pour attirer chaque jour davantage de fidèles.

Isaac savait que la majorité de cet argent servait en réalité à enrichir Adamus et les familles les mieux placées du clan Carrow. Près de vingt branches différentes formaient le clan et une hiérarchie évidente s'était instaurée à travers les années. Malgré l'appartenance de la famille Carrow aux Treize sacrés, certaines branches étaient considérées comme plus importantes et méritantes que les autres, selon des critères obscurs et arbitraires. Ces familles bénéficiaient de privilèges tandis que les autres étaient reléguées à une position inférieure, vouées à la servitude.

Isaac ne jouissait pas d'un statut élevé car il était considéré comme un bâtard. Sa mère ne l'avait pas enfanté dans le cadre d'un mariage - et l'identité de son père n'était pas connue par le clan, officiellement. Issac soupçonnait Adamus d'avoir eu une liaison avec sa cousine - la mère d'Isaac - mais n'avait jamais pu le prouver. Et il n'aurait jamais osé prononcer de telles paroles au sujet du Prophète. Cela serait considéré comme un blasphème.

Malgré la basse stature d'Isaac, le Prophète semblait lui vouer une affection particulière. Une relation qui contrariait certains membres issus des meilleures branches de la famille. Ils passaient leur temps à insulter et rabaisser Isaac et ne voyaient pas d'un bon œil l'indulgence qu'Adamus lui accordait.

Ce dernier s'efforçait de raser les murs et ne pas faire de vagues. Après l'incident avec Tracey Davis, il avait été enfermé dans la Tour des Châtiments pendant trois mois, un endroit sombre et isolé placé sous terre, sans lumière du soleil et dans le silence complet. Ce temps de pénitence l'avait forcé à réfléchir à ses erreurs et aux fantasmes déshonorants qui l'avaient poussé à fléchir. Pendant sa punition, Isaac avait voulu s'ôter la vie à plusieurs reprises. Bien qu'il ait toujours eu l'habitude d'être rejeté par ses pairs et de vivre en ermite, il avait toujours bénéficié d'une liberté de mouvements. Vivre terré dans des conditions si extrêmes avait toutefois été insupportable, même pour un paria dans son genre. A la fin de son châtiment, il s'était juré de tout faire pour ne plus se retrouver dans une situation similaire.

Sa soif pour les femmes impures était un vice qu'il avait développé pendant son adolescence. Au début, cela n'avait été qu'une attirance vague et singulière qu'il pouvait facilement ignorer. Cet intérêt s'était pourtant transformé en une obsession qui l'obnubilait nuit et jour. Une compulsion qu'il ne parvenait désormais plus à contrôler et qui devenait plus intense à mesure qu'il vieillissait, comme un monstre affamé dont l'appétit ne tarissait jamais.

Tracey Davis n'avait pas été la première femme avec qui il avait perdu son sang-froid. Son nom était simplement le plus récent sur une longue liste morbide. Isaac avait toujours fait en sorte de couvrir ses traces en s'assurant qu'aucune preuve de ses méfaits ne pourrait être retrouvée. Les choses avaient été différentes, ce soir-là. Il avait paniqué car il se trouvait dans un lieu public, avec des témoins potentiels. Effrayé à l'idée d'être reconnu et attrapé, il avait pris la fuite, laissant son corps sans vie dans cette ruelle lugubre. Heureusement pour lui, le Prophète Adamus s'était assuré de dissimuler les preuves de son péché, envoyant ses neveux Gareth et Guido pour se débarrasser du corps.

Lorsqu'il rentra à Whitehaven, le village exclusivement occupé par les Carrow, Isaac remarqua un attroupement de personnes devant l'une des maisons. Il se rapprocha d'un pas lent, gardant de la distance par rapport au groupe, comme il le faisait toujours. Il interagissait peu avec les autres. On lui réservait généralement de l'indifférence et des regards de dégoût dans le meilleur des cas et des insultes et des moqueries vicieuses dans le pire. Il était surnommé la ''Bête'' au sein du clan, à cause de l'imposante tâche de naissance qui couvrait la moitié de son visage et de son torse, tavelé de poils. Son physique disgracieux effrayait ses pairs.

« Alvera vient d'accoucher de triplés. Deux garçons et une fille. Tous bien portants, arrivés à terme. » commenta une femme avec excitation à l'attention d'une autre.

« Quel miracle ! Rendons grâce à Voldemort. » s'extasia l'autre d'un ton rempli de bonheur.

Isaac les observa tandis qu'elles rejoignaient la longue queue qui s'était formée devant la maison. Les nouvelles naissances étaient toujours accueillies avec de grandes célébrations. Le village entier se succédait pour rendre visite aux parents et aux nouveau-nés. Adamus encourageait de manière soutenue ses fidèles à faire des enfants. Selon lui, la famille était le pilier du régime de Voldemort et faire des enfants contribuait à accroître son message de pureté et d'abondance. La famille Carrow était la plus assidue dans cette mission, montrant l'exemple aux autres familles du Clan des Derniers Jours. La naissance de ces triplés serait considérée comme un miracle. Une preuve de la gloire et des bénédictions de Voldemort envers les Carrow, les dignes messagers de sa parole.

Isaac, lui, préféra poursuivre sa route. Il rejoignit sa petite maison, éloignée des autres, près de la lisière des bois. Il n'aimait pas se retrouver parmi les foules et les regards désagréables le rendait anxieux. Il évitait notamment la présence des enfants, parfois plus vicieux que les adultes dans leurs paroles et dans leurs attitudes.

Arrivé chez lui, Isaac retira la cape épaisse qu'il revêtait à l'occasion des cultes et la rangea soigneusement dans son armoire avant de rejoindre son fauteuil bancal devant la cheminée. Il saisit son livre qui explicitait les grands principes pour une vie dévote et pure, et s'efforça de lire et relire les passages que lui avait conseillés Adamus.

Il devait apprendre à être plus pieux, lui avait répété le Prophète. C'était le seul moyen de se défaire de ses pulsions dégoutantes qui le rendaient esclave et qui l'empêchait d'être élevé à un rang supérieur au sein du clan.

Depuis sa sortie, Isaac avait réussi à se contrôler. Il n'avait même pas mis les pieds au Quartier des Embrumes. Pourtant, plongé dans son manuscrit, son esprit divagua dangereusement vers des souvenirs risqués. Ils lui revenaient par flashs. Les visages de ces femmes impures. Leurs gestes désespérés lorsqu'elles tentaient d'échapper à son emprise, sans succès. Leurs respirations fugaces. La peur dans leurs yeux tandis que ses mains serraient leurs nuques exposées de toutes ses forces. Leurs corps qui cessaient de bouger alors qu'il leur arrachait leur dernier souffle.

Encore une fois, une chaleur intense lui traversa le corps. Il ressentit ce plaisir immense et coupable qui l'assaillait à chaque fois qu'il y repensait. Parfois, il avait l'impression de revivre ces scènes. C'était d'ailleurs ses souvenirs, si vifs, qui lui permettaient parfois de contrôler ses pulsions. La plupart du temps, ils étaient suffisants pour faire passer l'envie de recommencer. Cela lui permettait de patienter plusieurs mois avant que le besoin de recommencer soit trop intense et impossible à résister. Isaac jura intérieurement. Mauvais signe, pensa-t-il en serrant les dents. Il tenta de se calmer, se plaçant devant la cheminée.

« Voldemort, accorde-moi la force de suivre tes enseignements. Puisse ta vigueur m'accompagner dans ces moments de faiblesse. » implora-t-il devant les flammes.

Il essuya son visage plein de sueur, serrant ses poings si forts que ses ongles meurtrissaient ses paumes. Il décida de sortir prendre l'air, espérant que cela l'aiderait à se calmer. L'air frais qui heurta son visage lui fit du bien. Il s'avança dans les bois désormais obscurs. Au bout de quelques instants, des gloussements étouffés lui parvinrent à l'oreille. Il s'approcha lentement, s'appliquant à ne pas faire de bruit.

Il s'arrêta finalement lorsqu'il aperçut deux silhouettes près d'un arbre. Une sphère de lumière lévitait près d'eux, assez intense pour éclairer leurs visages. Il reconnut l'un de ses cousins, Gareth, en compagnie d'une jeune fille, dans une position compromettante. Probablement une autre cousine ou une nièce.

Isaac resta dissimulé derrière son arbre, tandis qu'il les observait s'embrasser et se toucher de manière inappropriée. Il tendit la nuque pour mieux voir et saisit une branche pour garder son équilibre. La branche se rompit soudainement, provoquant un craquement bruyant. Isaac se figea. Le bruit sembla les alarmer et ils s'interrompirent immédiatement. Gareth remonta hâtivement son pantalon.

« Il y a quelqu'un ? » demanda-t-il d'un ton paniqué.

Isaac resta silencieux, et commença à reculer.

« Là-bas ! » s'exclama la voix de la jeune fille, désignant l'arbre où se cachait Isaac.

La lumière aveuglante d'une baguette magique se pointa sur le visage d'Isaac. Il leva un bras devant ses yeux pour se protéger du jet.

« Tu nous espionnes, la Bête ? » hurla Gareth d'une voix furibonde. « Putain de pervers. »

Isaac tourna les talons et se mit à courir à toute vitesse vers la direction opposée, s'empressant de sortir des bois. Il passa sa cabine sans s'arrêter. Il savait que c'était le premier endroit où Gareth se rendrait pour le retrouver. Il ne pouvait pas rentrer.

Il avait l'habitude d'être brutalisé par ses cousins - particulièrement par Guido et son frère Gareth. Si ce dernier pensait qu'il avait assisté à une scène qu'il n'aurait pas dû voir, il ferait tout pour le faire taire.

Les hommes du clan ne pouvaient pas toucher aux femmes qui ne leur étaient pas promises. C'était le Prophète seul qui assignait les unions. Lui désobéir entraînait une union conséquente.

Isaac poursuivit alors sa course folle, courant à perdre haleine, pour semer son cousin. Il n'était même pas certain d'être toujours suivi mais il ne voulait pas prendre de risques. Il arriva aux abords du village et s'arrêta finalement, le souffle court, épuisé par sa course.

Il resta immobile pendant de longues minutes, désorienté et paniqué. Il ne pouvait pas rentrer chez lui maintenant. Il n'avait aucun endroit où se cacher.

Une idée lui vint à l'esprit et il commença à se sentir nerveux. C'était ce qu'il avait voulu échapper à tout prix.

Pourtant, l'appel fut trop puissant et il décida d'y répondre. Bientôt, Isaac retrouva les rues familières du Quartier des Embrumes. Il fut surpris de les voir aussi animées. Lors de sa dernière expédition, le jour de l'incident avec Tracey Davis, les lieux avaient été quasiment vides en raison du couvre-feu. Son retrait et le retour des beaux jours avaient manifestement ramené la foule. Il croisa principalement des jeunes fêtards, ivres pour la plupart.

Isaac rabattit la capuche de sa cape sur sa tête pour ne pas qu'on aperçoive son visage.

Il fixa d'un air envieux les groupes d'amis qui discutaient joyeusement et riaient aux éclats. C'était une expérience qu'il n'avait jamais connue. Il n'avait jamais eu d'amis. Même sa famille, y compris sa propre génitrice, le méprisait. Personne ne voulait être en sa compagnie.

Il erra longtemps dans les rues, s'enfonçant dans les allées qu'il savait moins fréquentées, sans but particulier. Il ne se leurrait pas. Inconsciemment, il cherchait quelque chose - ou plutôt quelqu'un.

Une femme seule, ou isolée de son groupe.

Ce fut au détour d'une rue qu'il aperçut une jeune femme aux longs cheveux roux soyeux. Elle s'arrêta devant la façade détruite boutique et l'observa longuement. Immédiatement, Isaac s'arrêta, la fixant au loin. Lorsqu'elle se remit en route, il l'imita, s'appliquant à garder sa distance. La jeune femme ne semblait pas avoir remarquer sa présence, et sa démarche était titubante. Elle était probablement ivre, ce qui lui rendrait la tâche plus facile, pensa-t-il. Immédiatement, son instinct prédateur refit surface. Il sentit sa gorge s'assécher et ses yeux se rétrécir, toujours fixés sur elle.

Il continua de la suivre et jeta des regards successifs aux alentours. Il ne vit personne d'autre. S'il se mettait à courir, il pourrait facilement la prendre par surprise et l'attirer de force dans l'allée sombre la plus proche. Il connaissait bien les lieux.

Malheureusement pour lui, la jeune femme prit un nouveau virage et se retrouva sur une avenue plus fréquentée et éclairée. Il l'observa avec déception tandis qu'elle s'approchait du poste de cheminées publiques.

Trop tard, pensa-t-il avec dépit. Il ne pourrait plus rien faire ainsi.

Il fit marche arrière et se décida à rentrer. C'était sans doute mieux ainsi, tenta-t-il de se convaincre. En quelques secondes seulement, il avait oublié les promesses qu'il s'était faites. Il avait oublié le calvaire qu'il avait vécu dans la Cage aux Châtiments. La compulsion avait été tellement forte, prenant le dessus sur tout le reste – sa culpabilité, sa foi, sa peur d'être surpris.

« Sois pur, Isaac. » se répéta-t-il à maintes reprises, d'une voix désespérée, sur le chemin du retour.

Lorsqu'il rentra de nouveau chez lui, il aperçut immédiatement de la lumière dans sa cabine. La panique l'envahit. Gareth l'attendait-il en compagnie de ses sbires pour lui donner une leçon ?

Une partie de lui réalisa qu'il avait envie d'être corrigé. Il avait encore capitulé à ses pulsions et s'était retrouvé dans une situation délicate, dans laquelle il aurait pu céder une nouvelle fois et commettre une grave erreur.

Peut-être était-ce la manière de Voldemort de le punir. Il inspira profondément et entra dans la maisonnée, prêt à recevoir sa correction.

A sa grande surprise, ce ne fut pas sa brute de cousin qu'il trouva mais un autre homme.

« P… Prophète ? » balbutia Isaac, prise au dépourvu.

« Pur soir le sang, Isaac. » répondit Adamus, l'observant d'un air impérieux. « Où étais-tu ? »

Isaac garda le silence, sentant de nouveau ce sentiment de honte le traverser.

« Réponds-moi, Isaac. » insista Adamus.

« Je… J'étais en ville, Prophète. » confessa finalement Isaac d'une voix tremblante.

Une lueur de lassitude traversa le regard d'Adamus, comme s'il comprenait ce que la réponse d'Isaac signifiait.

« Sais-tu pourquoi je prêche chaque jour à nos fidèles, Isaac ? » demanda Adamus d'une voix calme, en se tournant vers la cheminée, dans laquelle un feu discret crépitait.

Issac secoua la tête.

« Parce que mes fidèles ont besoin d'être guidés. Parce que sans ces enseignements, ils ne sont pas capables de vivre dans le droit chemin. L'humain a besoin qu'on lui dicte comment se comporter. Sans règles et sans direction, il ferait uniquement des mauvais choix et passerait sa vie à poursuivre des desseins insensés et sordides. » expliqua Adamus avec gravité.

Isaac écouta son récit avec surprise. Il avait toujours pensé que ses propres obsessions provenaient de sa faiblesse et de son manque de discipline.

« Dans la plupart des cas, ces enseignements, ainsi que l'ordre et la structure, suffisent pour les garder sur le droit chemin. » poursuivit Adamus. « Pour d'autres, en revanche, c'est la peur de la punition qui les force à se contrôler. »

Il parut pensif pendant un bref instant.

« Et pourtant, j'ai remarqué que chez certaines personnes - une minorité heureusement - cela ne fonctionne pas. Ces personnes peuvent recevoir tous les meilleurs enseignements du monde, bénéficier de la meilleure structure qui existe et vivre sous l'ordre et l'harmonie parfaits, ça ne suffit pas. » indiqua Adamus. « Ces personnes ont des troubles tellement profonds qu'ils résistent aux méthodes traditionnelles. Alors, dans ce cas, il faut utiliser d'autres… procédés. »

Isaac déglutit. Adamus allait-il encore le punir ? songea-t-il avec effroi. L'idée de se retrouver à nouveau enfermé dans la Tour aux Châtiments le terrifiait.

« Par pitié Prophète, je n'ai rien fait, cette fois. Je vous le jure. Je n'ai pas cédé à la tentation. » plaida-t-il d'une voix implorante.

Adamus leva la main, comme pour l'interrompre. Isaac se tut immédiatement.

« Tant que tu ne contrôleras pas tes penchants, jamais tu ne pourras être prêt pour la mission providentielle que notre Lord te réserve, mon enfant. » déclara Adamus d'une voix grave.

Il pointa sa baguette vers le feu de l'âtre, l'éteignant complètement. Il se dirigea ensuite vers la porte, sa longue cape élégante virevoltant derrière lui.

« Suis-moi. » ordonna-t-il à l'attention d'Isaac.

Ce dernier s'exécuta, nerveux face à ce qui l'attendait. La tête baissée, il suivit Adamus tandis qu'ils remontaient le chemin menant aux maisons principales du village. Alors qu'Isaac s'apprêtait à emprunter la direction de la Tour des Châtiments, il fut déconcerté de voir Adamus se diriger vers la sortie du village.

Ils arrivèrent devant les diligences - réservées aux grandes branches du clan - toutes tirées par des larges créatures décharnées. Un Mangemort ouvrit la porte dès l'arrivée du Prophète et ce dernier monta à bord, Isaac sur ses talons. Il observa l'intérieur luxueux de la diligence, un peu intimidé.

Le véhicule commença à rouler dans l'obscurité avant de s'envoler dans les airs. Isaac resta silencieux pendant tout le trajet, n'osant pas poser de questions. Adamus ne parla pas non plus.

Ce fut une heure plus tard que la diligence commença finalement à amorcer sa descente. Lorsqu'elle fut complètement immobilisée, la porte s'ouvrit et Adamus descendit. Issac l'imita.

Ils se trouvaient devant un imposant bâtiment, entouré par une vaste forêt. L'endroit semblait complètement perdu dans la nature. Isaac observa Adamus avec appréhension. Tandis qu'ils s'avançaient devant la bâtisse, une femme de grande taille vint à leur rencontre. Jamais Isaac n'avait vu une femme aussi imposante. Ses longs escarpins et sa robe de sorcière d'une teinte bordeaux soulignaient sa silhouette plantureuse. Elle dépassait même le Prophète.

« Pur soit le sang, Prophète Adamus. » l'accueillit-elle avec un plaisir non dissimulé, s'inclinant profondément. « Quel honneur et plaisir de vous revoir. »

Isaac était habitué à voir les gens se pâmer ainsi devant le Prophète. Son charisme et son influence étaient indéniables. Être l'Élu et le seul receveur de la parole de Voldemort lui-même l'élevait à un rang supérieur et nombreux étaient ceux qui le vénéraient.

« Victorieuse soit sa venue, Madame van Detta. » salua Adamus d'une voix polie. « Merci pour votre accueil. Je suis accompagné de mon neveu, ce soir. »

La dénommé Madame van Detta salua Isaac avec la même révérence – chose qui le laissa pantois. Il n'était pas habitué à être traité avec une telle déférence.

Ils suivirent la femme à l'intérieur de la bâtisse et Issac observa les lieux avec intérêt. Une atmosphère intime et suave se dégageait des lieux. Ils furent conduits à ce qui ressemblait à un bar privé. La pièce était luxuriante avec son mobilier sophistiqué. Il vit une pancarte avec l'inscription 'Salon du Privilège'

« Comment puis-je vous servir, ce soir ? » demanda la femme, étirant ses lèvres d'un rouge vif, montrant une rangée de dents parfaitement blanches.

Adamus se pencha vers la femme et murmura quelques paroles qu'Isaac n'entendit pas. Les yeux de la femme s'agrandirent un peu, visiblement surprise par la requête mais elle hocha la tête avec politesse.

« Entendu. En attendant, puis-je vous proposer quelques rafraîchissements ? » suggéra-t-elle en faisant signe à un employé installé derrière le bar.

Isaac saisit d'un geste hésitant le verre qu'on posa devant lui quelques instants plus tard. Du whisky pur feu. Il n'était habituellement pas autorisé à consommer de l'alcool à cause de la perte de contrôle qu'il entraînait - un principe important selon les enseignements du Clan des Derniers Jours qui préconisait la retenue à toute épreuve.

Isaac était choqué d'être dans cet endroit. Il était rare que les Carrow soient autorisés à fréquenter les endroits 'du monde' – comme les surnommait le Prophète. Trop de distractions et de tentations, affirmait-il. Les Carrow restaient entre eux, vivant un mode de vie reclus et pieux, loin du monde externe. Pourtant, il était évident que ce n'était pas la première visite d'Adamus dans cet endroit, à en voir la manière dont la femme le traitait.

Le whisky pur feu lui brûla un peu la gorge. Les seules fois qu'il en avait consommé était en cachette, après avoir volé un fond de bouteille chez l'un de ses oncles, connus pour être un ivrogne. Isaac savait pourtant que lui et l'alcool ne faisaient pas bon ménage à cause de ses pulsions. Sous l'influence de l'alcool, les choses seraient pires pour lui, il en avait conscience.

Quelques minutes plus tard, sous les yeux ébahis d'Isaac, la porte du salon s'ouvrit et une demi-douzaine de femmes entrèrent à l'intérieur. Elles étaient toutes vêtues de tenues révélatrices qui le rendirent mal à l'aise. Par réflexe, il détourna le regard. Les femmes du clan étaient toujours habillées de manière modeste pour ne pas provoquer les tentations. Ce n'était pas une vision qu'il avait l'habitude de voir. Gêné, il sentit sa gorge s'assécher et jeta un regard nerveux vers le Prophète qui regardait droit devant lui, l'air impassible.

« Que… Que faisons-nous ici, Prophète ? » demanda Isaac dans un chuchotement.

« Je t'ai dit que certaines personnes étaient incapables de suivre les enseignements. Que leurs troubles étaient trop puissants pour pouvoir être gérés de manière traditionnelle. Ces personnes nécessitent d'autres méthodes. » répéta calmement Adamus. « Et c'est précisément ton cas, Isaac. »

« C…Comment ça ? » bredouilla Isaac, désormais alarmé.

« Ton obsession est allée trop loin. Aujourd'hui, nous allons t'en purger. Mais cette fois, tu seras autorisé à t'y laisser succomber. »

Issac observait le Prophète la bouche ouverte, choqué par ce qu'il entendait. Le prophète était-il en train de l'autoriser à laisser libre court à ses pulsions ?

« Toutes ces femmes sont impures. » indiqua Adamus en désignant les femmes en ligne devant eux. « Choisis celle qui est à ton goût. »

Isaac, toujours médusé, jeta des regards successifs vers le groupe de femmes et Adamus, n'en croyant pas ses oreilles. Il était dans un songe, pensa-t-il. C'était encore sa perversion qui le forçait à imaginer cette situation incongrue.

« Toutes mes employées sont prêtes à vous offrir un moment de divertissement inoubliable. » indiqua Madame van Detta en désignant les femmes d'un geste gracieux. « Dites-nous simplement laquelle vous ferait plaisir. »

« Lève-toi, Isaac, et choisis. » ordonna Adamus d'une voix plus ferme, cette fois.

Isaac se leva, l'air incertain et se rapprocha des femmes. Il reçut des regards séducteurs et des sourires charmeurs, ce qui l'intimida. Jamais de sa vie, il n'avait vu une femme le regarder ainsi. Il en perdit ses moyens.

« V…Valeur et vigueur. » balbutia-t-il d'un air un peu stupide, ne sachant pas comment agir.

« Je dis toujours que mes filles ne sont pas très causantes car elles ont le plus souvent la bouche pleine. » indiqua Mrs van Detta à son oreille, dans une tentative évidente d'humour.

Elle lâcha un grand rire, semblant trouver sa propre plaisanterie particulièrement hilarante. Isaac observa toutes les femmes, nerveux. Certaines étaient extrêmement jolies, d'autres un peu plus banales. Elles étaient néanmoins toutes jeunes et correspondait au profil des femmes qu'il traquait habituellement lors de ses escapades nocturnes.

« Nous avons soigneusement sélectionné toutes nos filles impures, comme vous l'avez réclamé. » indiqua Mrs Van Detta d'un ton assuré, comme si elle tentait de lui vendre quelque chose.

Après plusieurs minutes d'hésitation, l'attention d'Isaac se tourna vers une femme aux cheveux bouclés. Contrairement aux autres, elle semblait éviter son regard et ne partageait pas l'air aguicheur des autres. C'était comme si elle était peu intéressée à l'idée d'être choisie. Isaac devait admettre que les autres l'intimidaient. Cette femme semblait plus réservée. Il pointa le doigt vers elle. Van Detta sembla un peu surprise de son choix mais força un sourire hypocrite sur son visage.

« Le client est roi. » dit-elle avec un sourire. « Lila, on dirait que tu es notre heureuse élue, ce soir. »

La dénommée Lila leva la tête, comme si elle sortait de sa léthargie. Elle croisa le regard d'Isaac avant de le détourner immédiatement. Il ressentit de nouveau de la honte. Il savait qu'elle était probablement dégoutée par son apparence disgracieuse. Elle s'avança toutefois devant lui.

« Valeur et vigueur. » salua-t-elle d'une voix plate. « Suivez-moi. »

Isaac lui emboîta le pas et ils se dirigèrent vers un long couloir, remplis de portes identiques, toutes closes. Ils s'arrêtèrent finalement devant l'une d'elles et la jeune femme ouvrit la porte, lui faisant découvrir une chambre.

Elle se retourna vers lui, le regard absent. Isaac, lui, resta figé, ne sachant pas comment agir. Un silence pesant s'installa dans la pièce et il observa la jeune femme. Son visage semblait pâle, mais d'une pâleur qui n'était pas naturelle. Comme quelqu'un qui n'avait pas vu le soleil depuis longtemps.

Sur ses bras, il remarqua de nombreuses traces. Elle était différente des autres femmes qu'on lui avait présentées. Elle semblait être une intruse dans ce cadre. C'était le sentiment qu'Isaac avait toujours eu parmi sa famille.

Isaac devait pourtant admettre que c'était exactement cela qui l'avait attiré chez elle. Cette femme lui donnait l'impression d'être comme lui, de pouvoir le comprendre. Pas comme ces femmes sophistiquées qui le prenaient de haut derrière leurs regards séducteurs hypocrites. Malgré leur sourire en façade, Isaac avait aperçu sur leurs visages le dégoût qu'elles nourrissaient véritablement envers lui. Il y était tellement habitué qu'il le reconnaissait toujours. Dans le regard de la dénommée Lila, en revanche, il n'y avait tout simplement rien. Juste un vide incommensurable.

« Y'a-t-il un problème ? » demanda-t-elle, parlant pour la première fois depuis qu'ils étaient entrés dans la pièce.

Elle l'observait avec impatience, visiblement décontenancée devant son manque d'action. La vérité était qu'Isaac ne savait pas comment agir. Il ne s'était jamais retrouvé dans une situation pareille.

Sa maladresse et sa malhabileté dans les rapports humains s'étaient toujours amplifiées devant les femmes. Et bien que cette femme soit payée et consentante, il était intimidé.

« N… Non. » bafouilla Isaac.

Il fit quelques pas hésitants, se rapprochant d'elle. Il sentait ses mains devenir moites tellement il était nerveux. Comme si elle voyait qu'il ne comptait pas faire le premier pas, Lila esquissa un geste vers la robe qu'elle portait, la retirant lentement, faisant découvrir ses épaules nues.

Issac l'observa avec fascination. Elle retira complètement sa robe, qui tomba à ses pieds et comme par réflexe, croisa les bras sur sa poitrine, pour se cacher. Elle se dirigea ensuite vers le lit.

Prenant son courage à deux mains, Isaac la rejoignit. Il prit place à ses côtés, au bord du lit. D'un geste un peu fébrile, il avança sa main sur son épaule découverte et caressa sa peau duveteuse.

Tellement douce, pensa-t-il.

Elle frémit au contact de sa main sur sa peau et détourna le regard, fixant la direction opposée.

Un peu vexé par ce geste, Isaac attrapa son visage un peu plus fermement, pour le tourner vers le sien, la forçant à lui faire face. Elle n'opposa aucune résistance au geste. Leurs regards se croisèrent pendant quelques secondes avant que la jeune femme ne ferme les yeux.

Lorsqu'il caressa son visage, elle resta complètement immobile, telle une poupée.

Il fronça les sourcils, un peu frustré. N'était-elle pas supposée l'accueillir à bras ouverts ? songea-t-il. Après tout, c'était ce qu'on attendait généralement des femmes comme elles - les professionnelles.

Isaac n'avait jamais fait appel à une prostituée mais il avait toujours entendu qu'elles étaient disposées à offrir du plaisir à ces hommes qui ne trouvaient pas satisfaction dans leur vie ordinaire.

Isaac était toutefois déçu. L'expérience n'était pas ce qu'il attendait. Pas ce qu'il le stimulait.

Il retira ses mains de son visage, d'un geste un peu dépité, ne trouvant pas le plaisir qu'il cherchait. Lila ouvrit de nouveau les yeux, visiblement désemparée par son interruption.

Isaac commença à se balancer d'avant en arrière, les dents serrées.

Adamus était allé à l'encontre d'un de ses principes en l'amenant dans ce lieu de décadence et en lui offrant la présence d'une femme impure, directement sur un plateau, connaissant les fantasmes inavoués qui l'habitaient.

Et pourtant, il était incapable de faire quoi que ce soit, songea-t-il avec dépit. Il ne ressentait pas l'excitation habituelle que les autres situations lui avaient procuré. Pourquoi ? pensa-t-il avec fureur.

Il croisa de nouveau le regard de Lila. Elle l'observait désormais avec cet air qu'il ne connaissait que trop bien. Celui que toute sa famille et même les inconnus lui réservaient. Un mélange de dégoût et de crainte. Comme un monstre de foire avec qui on ne voulait pas se retrouver trop longtemps. Une bête curieuse. Jusqu'à quel point serait-il aussi humilié ? Il se retrouvait même à être rabaissé par une femme de mauvaise vie. Même une putain impure et sans valeur, qui ne méritait aucun respect, osait le prendre de haut. Son regard lui rappelait à quel point il était méprisé et répugnant.

Et ce regard déclencha quelque chose en Isaac. Une fureur monstre, liée à sa frustration de ne pas pouvoir agir. Et de nouveau, cette rage distinctive lui traversa le corps, comme une décharge violente. Il ne pouvait plus supporter d'être traité de la sorte. Il ne pouvait plus se supporter.

Avec un cri enragé, presque bestial, Isaac se jeta sur la femme, la poussant brutalement sur le lit et enserra sa nuque à l'aide de ses mains. Elle écarquilla des yeux, visiblement choquée par cette attaque soudaine.

Il serra de plus en plus fort, enfonçant ses doigts dans les veines qu'il sentait pulser sous la peau. Et enfin, il ressentit cette excitation qu'il recherchait. Ce sentiment de toute puissance qui le stimulait. L'adrénaline commença à monter.

Il n'avait aucun désir sexuel ordinaire envers ces femmes. En réalité, il ne désirait que les dominer physiquement et voir la peur dans leurs yeux pendant qu'il les brutalisait. Voir la vie quitter leurs yeux terrifiés. Les punir pour l'impureté qu'elles représentaient. Les fustiger pour l'obsession qu'elles causaient chez lui pour une raison inexplicable.

Et il n'en avait plus rien à faire. Il ne voulait plus chercher à la comprendre. Il voulait tout simplement y succomber, encore une fois. Une vague d'excitation le traversa tandis qu'il serrait la nuque de sa victime de plus en plus fort, ses yeux fous rivés sur elle.

Et pourtant au fil des secondes, il réalisa que quelque chose n'allait pas.

Elle ne se débattait pas, constata-t-il avec confusion.

Elle ne cherchait pas à s'échapper de son emprise. Ses yeux devenaient rouges à cause de la suffocation mais ils étaient vides. Comme si elle attendait qu'il termine. Comme si elle attendait la mort à bras ouverts.

Issac la secoua violemment, faisant taper sa tête sur le lit, tentant d'extirper une quelconque réaction de sa part. Et pourtant, rien n'y fit. Elle resta impassible. Comme si elle avait déjà abandonné depuis longtemps et qu'elle attendait son sort final sans aucune peur.

Isaac lâcha un grognement furieux.

Ce n'était pas ce qu'il voulait. Pourquoi réagissait-elle ainsi ? pensa-t-il avec fureur.

Pourquoi ne le suppliait-elle pas comme les autres l'avaient fait avant qu'il ne leur ôte la vie ? Avant qu'il arrache brutalement leur dernier souffle ?

Isaac la relâcha avec un cri furibond. Il se releva et posa ses mains sur le haut de sa tête, en proie à une véritable transe, ses dents serrées. Ses mains empoignèrent ses propres cheveux, les serrant avec une telle violence qu'il parvint à en arracher.

Il s'approcha du mur le plus proche et envoya violemment son poing dans sa direction. La violence du coup créa une cavité dans la tapisserie. Il ignora la douleur et continua de frapper. Il envoya ensuite sa tête contre le mur, tapant à répétition, sans cesser de hurler.

« Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? » répéta-t-il avec une rage incontrôlable.

Isaac commença à briser tout ce qui se trouvait autour de lui, incapable de contenir la rage primitive qu'il le consumait depuis trop longtemps et qui avait besoin d'émerger d'une manière ou d'une autre.

Ce fut un cri étouffé, provenant d'une voix cassée derrière lui qui le fit sortir de sa transe. Isaac se retourna vivement et vit Lila l'observer d'un air terrifié, la main sur sa nuque violacée, visiblement terrorisée devant son excès de rage. Il se demanda si son instinct de survie était enfin réapparu. Peut-être que finalement, il pourrait avoir ce qu'il voulait, pensa-t-il.

Avant qu'il ne puisse esquisser le moindre mouvement, Lila se releva d'un bond et se rua vers la porte qui s'ouvrit à la volée, avant de s'enfuir dans le couloir.

Issac ne la suivit pas. Il resta immobile. Son regard se tourna vers un miroir qu'il n'avait pas remarqué et il croisa son reflet.

C'était la première fois qu'il voyait son visage dans cet état. Lors de ces transes précédentes, il n'avait jamais vu à quoi il ressemblait.

Ses yeux avaient changé de couleur, désormais recouverts par un voile sombre. C'était comme si toute humanité l'avait quitté, faisant place à quelque chose d'obscur et dangereux. Son front était contusionné à cause des coups répétés qu'il avait donnés contre le mur.

Quelques secondes plus tard, il entendit des pas et plusieurs personnes surgirent en trombe dans la pièce. Des hommes inconnus en uniforme - probablement des gardes de l'établissement. Le seul visage qu'il regarda vraiment fut celui du Prophète Adamus qui le fixait avec un mélange de déception et de fureur.

Isaac ne fit aucun geste pour se défendre lorsque les gardes le saisirent fermement, le forçant à quitter la pièce, le tenant comme s'il était un fou furieux. Et c'était exactement ce qu'il était, réalisa-t-il en se rappelant de son reflet dans le miroir.

Lorsqu'il passa devant le petit salon dans lequel on les avait accueillis, Isaac aperçut Lila, visiblement sous le choc, assise sur un sofa, entourée des autres femmes qu'on avait présentées à Isaac. Elles affichaient toutes des airs horrifiés. A ses côtés, Madame van Detta inspectait sa nuque. Adamus se dirigea vers elles.

Honteux, Isaac détourna le regard, pendant qu'on le forçait à s'éloigner en direction de la sortie. Il fut surpris de constater qu'on le guidait vers la diligence qu'ils avaient empruntée plus venir. Il s'attendait à être conduit ailleurs après ce qu'il avait fait. A être enfermé à Azkaban. C'était le seul endroit qu'un dérangé comme lui devait rejoindre. Après tout, cette fois, des personnes avaient été témoins de ses actes. Ni lui ni sa famille n'avait pu dissimuler les preuves de ses crimes, comme les fois précédentes.

Finalement, Isaac fut rejoint par Adamus qui entra à son tour dans la diligence, claquant la porte derrière d'un geste sec, sans lui adresser le moindre regard. Par le passé, Adamus avait toujours couvert ses dérapages. Cela avait été plus simple, car Isaac n'avait pas laissé de preuves ou de témoins derrière lui. Pourtant, cette fois, c'était différent. Les choses avaient trop mal tourné. Il s'était laissé aller en public, devant des témoins. La réputation de son clan - et par extension celle du Prophète - serait menacée.

Isaac savait que l'influence et le statut du Prophète étaient immenses. Il était Gouverneur au sein du Coven Sacré. Il avait des amis bien placés. Peut-être qu'il arriverait à étouffer un scandale public ?

Une chose fut pourtant certaine pour Isaac lorsqu'il vit le regard d'Adamus.

C'était la dernière fois que ce dernier protégeait ses incartades. Et tandis que la diligence s'envolait dans les airs, Isaac eut le pressentiment que ce serait bientôt à son tour de recevoir le sort qu'il avait infligé à ses victimes.


Un long chapitre assez pesant aujourd'hui.

Nous avons eu la première confrontation entre Narcissa et Ginny et cette dernière a décidé de ne pas se laisser faire. Narcissa a probablement réalisé que cette relation est plus sérieuse qu'elle ne le pensait…

La pauvre Hermione est au fond du gouffre après ce qu'elle traverse. Ça me fait mal au cœur d'écrire ces passages mais il faut toucher le fond avant de remonter vers la lumière. Et je vous promets que le rebond sera épique.

Quant à Isaac et aux Carrow, je pense que le chapitre est assez explicite et que je n'ai pas besoin d'expliquer à quel point ils sont glauques.

Je vous dis à la prochaine fois pour le prochain chapitre dans lequel on retrouvera Ivo (comme on me pose souvent la question)

J'attends vos avis !

Fearless