27. Lintzgarth
"Henry." Tout en conduisant vers la maison, je jetais un œil dans le rétroviseur pour m'assurer qu'il m'écoutait. "Ces balles de fusil que Grand-Papa t'a données, combien est-ce que tu en as apporté à l'école ?"
"Zuste une, pour James," me dit-il. "Pac'que James c'est mon copain, et que c'est gentil de partager, t'as dit !"
C'était vrai, je lui répétais toujours qu'il était bon de partager, mais c'était quand il refusait de laisser sa sœur jouer avec ses jouets.
"Quand est-ce que tu lui as donné ?"
"À la récré ce matin. Et Mademoiselle elle m'a pas vu l'faire," ajouta-t-il fièrement, démontrant un niveau de prévoyance et de sournoiserie qui m'inquiéta passablement.
"Pourquoi tu ne voulais pas que Mademoiselle te vois le faire ?" Je posais simplement la question pour voir si mes soupçons étaient fondés.
"Si elle l'avait vue, elle l'aurait constipée !"
Malgré mon agacement, je dus me retenir de rire. "Je pense que tu veux dire confisquée, Henry."
"Confisquée, d'accord," dit-il pensivement. "Mais c'est quoi constipé, alors ?"
"Tu ferais mieux de demander à ton père," lui dis-je, ne souhaitant pas m'embarquer dans cette conversation. "C'est lui l'expert des grands mots."
J'aurais dû le réprimander, lui dire que donner une douille à son ami n'était pas une bonne idée, mais je ne le fis pas. Il y avait beaucoup à faire à la maison et le disputer aurait probablement abouti à des larmes tout le trajet du retour. Je ne dis rien à Henry au lieu de ça, je prenais la résolution d'avoir un mot avec mon père, et avec Mike.
Quand nous arrivâmes à la maison, je collais les enfants devant la télé, allumais la chaîne des dessins animés et les laissais là. Pendant que je m'affairais à préparer Lintzgarth pour recevoir des visiteurs, je me demandais pourquoi j'avais laissé Ginny changer mes plans. J'avais prévu de passer toute la journée du mardi à rendre la maison présentable pour sa visite. Au lieu de ça, je n'avais que quelques heures.
Par chance, Henry et Annie étaient relativement sages. Je parvins à effectuer la majorité des tâches essentielles sans interruption et sans que cela me coûte plus cher que de chantonner constamment 'Que se passe-t-il à Balamory, ne voudriez-vous pas le savoir ?'
Quand Mike rentra, la fichue chanson tournait encore dans ma tête, mais c'était un petit prix à payer, car la maison –hormis la cuisine– était propre et rangée. Après qu'il eut cajolé les enfants et m'ait embrassé rapidement pour me saluer, nous eûmes une conversation à voix basse à propos des balles de fusil et de la constipation. Il riait toujours lorsqu'il monta se changer de son costume de travail. Les enfants étaient assis à table et j'avais commencé à servir les spaghettis bolognaises quand il revint.
"Je croyais que tu allais inviter Ginny ici mercredi, pas demain," dit-il en saupoudrant du parmesan sur le dessus de sa bolognaise.
"Qu'est-ce qui te fait croire que les plans ont changé ?" demandais-je.
Il rit. "C'est évident à l'odeur, Jacqui." Il renifla et secoua la tête. "La Bolognaise l'a atténué ici, mais le reste de la maison sent l'eau de javel, la cire et le désodorisant. Tu as de nouveau atomisé cet endroit, ce qui est bien évidemment ta prérogative." Il pouvait me voir me hérisser, il leva donc les mains en un geste d'apaisement. "Je suppose que tu vas aller les chercher à Drakeshaugh. Est-ce que tu veux emprunter la grosse voiture ?"
J'étudiais sa proposition. Le Freelander n'était pas une voiture que j'aimais conduire, car je m'inquiétais toujours de la garer. Elle était tellement grande et je n'étais jamais certaine d'où était l'arrière. Ma Micra était bien plus maniable et bien plus amusante à conduire. Cependant, c'était une proposition raisonnable puisque le Freelander était bien plus spacieux. Après un moment d'hésitation, j'acceptais.
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Il me fallut longtemps pour nettoyer la sauce bolognaise d'Annie. Ce qui était collé sur son visage était dû à sa technique enthousiaste pour manger et aux spaghettis. J'aurais dû cuisiner des pennes à la place. Elle ne pouvait pas expliquer comment de la sauce avait terminé sur le haut de sa nuque. C'était simplement un de ces autres mystères de la vie.
Quand nous réussîmes finalement à mettre les enfants au lit, je me rendis directement dans la quatrième chambre – celle que nous appelons la chambre de l'ordinateur – et commençais à chercher un cadeau pour James. Il ne me fallut pas longtemps avant de trouver quelque chose, mais la livraison allait poser problème. Redescendant sur la pointe des pieds pour ne pas réveiller les enfants, je fis sursauter Mike en entrant dans la cuisine. Il avait rempli le lave-vaisselle et l'avait lancé et s'occupait d'essuyer la table.
"Merci," dis-je.
Il entendit la surprise dans ma voix et sourit. "Je ne vis que pour servir," me dit-il, l'œil brillant. "Tu as trouvé quelque chose ?"
"Le camion de pompier Lego, douze livres, c'est pas trop ?" demandais-je anxieusement.
Il secoua la tête. "Ça ira bien, Jacqui. Est-ce qu'ils l'ont en stocks chez Peters ?"
Je haussais les épaules. "Aucune idée leur site internet est atroce, donc j'ai laissé tomber. La Boutique Catalogue l'a. Est-ce que tu peux passer le chercher demain ?" demandais-je.
"Il n'y a pas de Boutique Catalogue à Mortpeth," me rappela-t-il.
"Je sais, c'est pour ça que je suis là. Je suis toujours connectée : Ashington, Blyth ou Cramlington, je dois choisir l'option de boutique pour la récupération. Lequel ? À toi de me dire."
"Ashington est le plus simple," commença-t-il. Il ouvrit la bouche, secoua la tête et m'offrit l'un de ses airs simplets. "Non, c'est pas le plus simple !" s'exclama-t-il. "J'ai un rendez-vous dans un bureau d'avocats à Cramlington demain. J'ai une réunion pour une cession de propriété à treize heures, donc je serais au centre commercial de toute façon. Je pourrais le récupérer là-bas sans problème."
"Merci," dis-je.
Remontant précipitamment, je passais ma commande et l'imprimais.
Après avoir donné ses instructions à Mike et l'avoir menacé de terribles conséquences s'il oubliait de récupérer le cadeau d'anniversaire de James, je commençais les préparatifs pour le déjeuner du lendemain et nettoyais rigoureusement la cuisine. Mike alla s'installer dans le salon et me laissa tranquille.
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J'avais installé Henry dans sa classe et revenais vers le Freelander quand je vis Harry et James. Annie, qui se sentait bien mieux que je ne l'aurais espéré, marchait lentement à côté de moi. Elle les vit également.
"Dames !" annonça Annie en agitant le bras. Elle semblait toujours un peu congestionnée, mais elle était presque revenue à son état normal. "Ah Uh, Dames."
"Salut Annie," dit James. "Bonjour, Maman de Henry."
"Bonjour Annie, bonjour Jacqui," dit poliment Harry.
Le sourire sur ses lèvres ne s'étendit pas à ses yeux. C'était le sourire de quelqu'un qui n'avait aucune raison de se réjouir. Il ne faisait aucun doute que Harry était à cran j'étais certaine que son affaire lui pesait toujours. Bien que je veuille lui demander, je m'abstins. Cela ne paraissait pas être le bon moment et, de plus, je savais que je pourrais demander à Ginny.
Bien que je ne dise rien de plus que bonjour, j'essayais de lui montrer un peu de soutien par mon expression. Cela dut fonctionner car, pendant un instant, un vrai sourire éclaira son visage.
"Je te souhaite une bonne journée," dit-il. "Ginny t'attend."
"Éalélily," suggéra avec espoir Annie.
"Oui, Annie, Al et Lily t'attendent toi." Se penchant, il ébouriffa les cheveux de ma fille et lui sourit.
"Je te souhaite aussi une bonne journée, Harry," dis-je.
Il haussa les épaules d'un air abattu. "Je vais essayer," répondit-il. Se retournant, il poursuivit son chemin vers l'école, James à ses côtés.
Faire faire demi-tour à la voiture de Mike était un peu difficile pour moi, mais j'y parvins sans heurter quoi que ce soit et quelques minutes plus tard je me garais dans la cour de graviers de Drakeshaugh. Les Potter avaient dû m'entendre arriver, car ils m'attendaient à la porte. Ginny avait les sièges auto des enfants à côté d'elle. Elle ne me fit pas de signe pour m'accueillir, mais c'était parce qu'elle tenait Al d'une main et Lily de l'autre, s'assurant qu'ils ne se précipitent pas dans mon passage.
Il nous fallut du temps pour installer les sièges dans la voiture, partiellement parce que nous discutions du rhume d'Annie –et d'à quel point il était passé rapidement– mais surtout parce qu'aucune de nous deux n'avait la moindre idée de ce que nous faisions. Nous réussîmes finalement à installer les sièges et à avoir les enfants solidement attachés et nous nous mîmes en route pour Lintzgarth. Tout en roulant le long de la vallée, je m'inquiétais d'avoir oublié de ranger la cuisine. Avais-je mis la vaisselle du petit-déjeuner dans le lave-vaisselle ?
Ginny tourna la tête pour me regarder et vit mon expression. "Est-ce que tout va bien, Jacqui ?" demanda-t-elle.
"Harry semblait un peu abattu quand je l'ai vu à l'école," dis-je, me sentant légèrement honteuse de l'utiliser comme excuse de l'inquiétude qu'elle avait vu sur mon visage.
"C'est l'affaire," dit Ginny. "Il est frustré. Ils n'ont pas eu de chance pour faire revenir la mémoire à Frances et ils sont certains qu'elle détient des informations vitales."
"J'ai toujours pensé que l'amnésie était un tour de passe-passe médiocre utilisé par les auteurs," dis-je. "Un truc utilisé pour aguicher le lecteur. Mais elle a vraiment oublié, n'est-ce pas ? On pouvait le voir dans ses yeux."
"Harry a été impliqué dans des affaires de pertes de mémoire à quelques reprises," dit Ginny. "Dans un cas, les souvenirs d'un homme étaient modifiés au point où il a confessé un crime qu'il n'avait pas commis." Elle s'arrêta, pensive. "Et Harry a réussi à résoudre cette affaire-là au final, donc il n'y a aucune raison de douter qu'il trouvera la clef de celle-ci à la fin."
J'étais fascinée par le scénario qu'elle décrivait. J'étais sur le point de la questionner à ce sujet, mais avant que je ne puisse parler, une voix féminine tonna depuis le sac à main de Ginny. "Ginny… Ginny… Ginny…" La voix se répéta comme un écho et me semblait vaguement familière. Pendant que j'essayais de l'identifier, Ginny fouilla dans son sac et sortit un téléphone exactement comme celui de Harry. Alors que je m'étonnais de cette curieuse sonnerie, Ginny parla.
"Salut Lavande," dit-elle.
Lavande Lune ! L'experte en loups-garous de Harry, la femme à la robe en dentelle rose qui était arrivée en retard à la pendaison de crémaillère des Potter. C'est pour cela que j'avais reconnu sa voix !
"Où es-tu ? On vient juste de Transp…"
"Je suis dans la voiture de Jacqui, les enfants et moi passons la journée avec elle, dans sa maison."
"Ah, on vient d'arriver à Drakeshaugh."
"On ?" Ginny semblait surprise. Elle regardait le téléphone et j'avais l'impression qu'elle regardait vraiment Lavande.
"J'ai amené Parvati et Padma avec moi," dit la femme. "On voulait te parler, enfin Padma le voulait." Lavande s'interrompit. "C'est à propos de Michael." Ce nom fut accompagné d'un soupir 'évidemment que c'est ça.' "C'est compliqué et… Est-ce que Jacqui écoute ?" demanda-t-elle avec suspicion.
"Oui," dis-je sèchement, énervée par le ton de voix de Lavande. "Ginny est assise juste à côté de moi et son téléphone semble être en mode haut-parleur. C'est impossible pour moi de ne pas entendre tout ce que vous dites." Réalisant que je commençais à paraître un peu garce, je la bouclais. Il y avait quelque chose en cette femme qui m'agaçait suffisamment pour me rendre hargneuse j'essayais de trouver ce que c'était.
"Est-ce que vous pouvez repasser cet après-midi ?" suggéra Ginny.
Lintzgarth et Drakeshaugh sont relativement proches l'une de l'autre, à peine plus d'un kilomètre et demi. Mais elles sont éloignées de toute ville importante. Nous étions à environ une demi-heure d'Alnwick et près d'une heure de Newcastle, et j'étais certaine que les visiteuses de Ginny vivaient même bien au-delà de Newcastle. Pendant un instant, je m'interrogeais sur l'heure à laquelle elles s'étaient mises en route pour lui rendre visite et pourquoi elles n'avaient pas appelé auparavant. Cela n'avait pas d'importance, elles étaient à Drakeshaugh je fis la seule chose que je pouvais.
"Elles ont dû faire une longue route juste pour découvrir que tu étais absente, Ginny," rappelais-je à mon amie. "Je présume qu'elles pensaient que tu serais à la maison avec les enfants. Ça doit être urgent." Je tournais sur notre allée. "Elles peuvent venir ici." Je haussais la voix pour m'assurer d'être entendue. "Si vous continuez de rouler un kilomètre et demi en remontant la vallée et prenez à gauche à la pâte d'oie – je crois que le panneau indique Blindburn – nous sommes à Lintzgarth. C'est la première maison sur la droite après la bifurcation le nom est gravé au-dessus de la porte d'entrée, vous ne pouvez pas la rater."
"Ce n'est pas la peine, Jacqui," protesta Ginny.
"C'est assez urgent, Ginny," dit Lavande.
"Elles ont dû faire au moins une heure de route pour venir ici tu ne peux pas simplement les renvoyer," rappelais-je à Ginny en serrant le frein à main. "Je vais mettre la bouilloire en route pour le thé."
"Avez-vous goûté le thé des Anglais ? Tous les thés sont bons," chanta Annie.
Je ris. "Tout à fait," dis-je.
"D'accord," dit Ginny assez à contrecœur. "On vous verra dans dix minutes, Lavande."
"Qu'est-ce que c'était que ça ?" demandais-je tandis que nous détachions les enfants de leurs ceintures et les libérions dans le jardin.
Ginny haussa les épaules, indiquant sa perplexité. "Si ce n'était que Lavande, ce pourrait n'être qu'une lubie," dit-elle.
Al, Annie et Lily se précipitèrent vers le toboggan en plastique tout au fond du jardin. Bien que Ginny regarde dans leur direction, elle ne les regardait pas vraiment, elle était confuse et inquiète.
"Mais elle est avec Parvati et Padma et elles veulent parler de Michael ?" s'interrogea Ginny à haute voix. "Pourquoi moi ? Pourquoi à la maison ? Pourquoi n'être pas simplement allé voir Harry ?"
"Je vais mettre la bouilloire," dis-je. "Du thé ? Et pour Lavande, Parvati et… Padma ? Est-ce que c'est une amie de Parvati ? Qu'est-ce qu'elle boiront ? Est-ce que du thé leur ira ? On peut surveiller les enfants de la fenêtre de la cuisine. Est-ce que tu veux aller sur la route ? Je ne pense pas que tes amies nous rateront, mais…"
"Elles nous trouveront, Jacqui, ne t'en fais pas," me dit Ginny en me suivant dans la cuisine. "Padma et Parvati sont sœurs, des jumelles."
Alors que nous entrions, je regardais avec anxiété tout autour de la pièce, mais hormis mon mug de petit déjeuner que j'avais laissé sur l'égouttoir, l'endroit était bien assez propre. Soulagée, je mis le mug dans le lave-vaisselle, remplis la bouilloire et l'allumais.
"Impeccable," m'assura-t-elle. Son commentaire me perturba. À cause de la remarque de Mike la première fois qu'ils étaient venus, elle semblait penser que j'étais une sorte de maniaque de la propreté. Je ne le suis pas. Je ne nettoie pas tout tous les jours.
"J'ai du thé classique, de l'Earl Grey, du Darjeeling de l'Himalaya, de l'Assam et j'ai du Jasmin, si tu penses qu'elles préfèrent du thé vert," jacassais-je. Pour essayer de masquer mon embarras, j'agitais la main en direction de l'étagère remplie de boîtes de thés. "J'ai aussi du café quelque part. Je ne sais pas ce que j'ai au niveau des biscuits non plus. J'allais faire des brioches au chocolat, aujourd'hui."
"Du thé suffira bien," m'assura Ginny.
J'ouvris la porte du placard et pris ma plus grosse théière sur l'étagère du haut. Elle ne sert que rarement, comme nous n'avons que rarement des visiteurs. J'allais attraper les tasses quand la sonnette retentit.
"C'était rapide !" m'exclamais-je avec surprise. "Je ne vois pas comment elles ont possiblement pu arriver ici aussi vite."
"Peut-être qu'elles étaient déjà sur la route quand elles ont appelé," dit Ginny. Elle essayait de paraître indifférente, mais elle ne parvenait pas à masquer l'agacement dans sa voix. "Est-ce que tu veux que j'ouvre la porte pour toi ?" Elle se dirigeait déjà vers le salon, je la laissais donc y aller, mais coupais la bouilloire pour pouvoir entendre ce qui se disait.
"B'jour nénette." La voix était masculine, et confuse je la reconnus immédiatement. "M'chand de thé."
J'attrapais mon sac à main, qui était caché sous les manteaux accrochés à la porte de derrière, et cherchais mon porte-monnaie.
"Le marchand de thé ?" demanda Ginny. C'était comme si ces mots ne faisaient aucun sens pour elle.
"Ouaip, c'est ce, me ch'tite dame." l'entendis-je dire. Sa voix était lente et légèrement suspicieuse. Je trouvais enfin mon porte-monnaie et me précipitais à travers la maison pour les rejoindre à la porte d'entrée.
Ginny dévisageait avec perplexité le joyeux petit homme assez rondelet aux joues roses qui se tenait sur mon palier, panier en main. Il regardait Ginny en retour, chacun se demandant qui était l'autre. Mon marchand de thé avait l'une des couleurs de cheveux les plus improbables que j'aie jamais vu. Durant toutes les années où il était passé, elle n'avait jamais changé. Plus noire que les cheveux les plus noirs que j'aie jamais croisés, la couleur artificielle aurait semblé déplacée chez un homme bien plus jeune, et Darren avait la soixantaine passée. La couleur paraissait absurde au-dessus de son visage marqué par les éléments. Son apparence me faisait toujours sourire, mais c'était un homme adorable.
"Bonjour Darren, vous êtes en avance," dis-je.
"Personne din les derniers stops, nénette," me dit-il. Il regardait toujours Ginny, je décidais donc de ne pas le faire s'interroger plus longtemps.
"Voici Ginny Potter elle a emménagé à Drakeshaugh. Je suis étonnée que vous ne soyez pas passé la voir."
Ses yeux s'illuminèrent. "J'oublie tout l'tin, d'solé, chou," lui dit-il avec un sourire. Levant son panier, il lui montra son contenu coloré et commença son argumentaire de vente. "Thé et plus, à vot' porte. J'viens là t'les quat'ièmes jeudi. S'qu'vous voulez un d'pliant ? On a d'thé, vrac ou s'chets café, m'lu ou s'luble biscuits…"
"Elle peut voir ça, Darren," lui dis-je. "Laissez-lui simplement un dépliant. Je prendrais comme d'habitude, s'il vous plaît. Et comme j'attends plus de visiteurs, je ferais bien de prendre un paquet de croquants au gingembre et un peu de ces biscuits aux fruits et aux citrons. Je vais aussi prendre quelques guimauves au chocolat."
Tandis que je parlais, il me tendit ma commande habituelle et sortit les biscuits que je lui demandais de son panier.
"Et voilà, chou," dit-il en tendant un dépliant à Ginny.
Pendant qu'elle l'examinait, il tapota sur la petite machine qu'il avait décrochée de sa ceinture. "Ça fait onze liv' et dix pence," me dit-il. Je fouillais dans mon porte-monnaie et réussit à en sortir le montant exact pour lui.
"Merci b'coup, nénette," dit-il avec gratitude. Il se tourna alors vers Ginny. "S'vous voulez qu't'chose, chou, l'téléphone d'bureau est derrière. App'lez l'bureau et j'viendrai l'prochaine fois qu'suis par là." Il se tourna à nouveau vers moi. "J'vous r'vois dans quat' s'maines, nénette."
Nous offrant un hochement de tête joyeux, il se retourna et redescendit l'allée.
"Nénette ?" me demanda Ginny alors que nous regardions Darren ouvrir l'arrière de sa camionnette et réapprovisionner son panier pour sa prochaine visite.
"C'est un terme affectueux," lui dis-je. "Comme chou et petite dame, et plus simple que d'essayer de se souvenir du prénom de tous ses clients. Darren ne manque jamais une opportunité de trouver de nouveaux clients. Je suis surprise qu'il ne soit pas passé chez toi. Il connaît aussi tous les ragots de tous les clients de la vallée."
"Peut-être qu'il ne savait pas que nous avions emménagé," suggéra Ginny.
"Il le savait," dis-je. "Je lui ai dit moi-même la dernière fois qu'il est venu, mais j'aurais pu m'en dispenser. Il l'avait déjà appris de certains autres clients. Comme je dis, il connaît tous les potins et maintenant il va en avoir encore plus à colporter." Je lançais un regard significatif vers la route de l'autre côté de la pelouse.
Alors que je parlais, une VW New Beetle Cabriolet rouge vif s'était garée directement devant la camionnette de Darren. La portière conducteur de la New Beetle s'ouvrit et Lavande Lune en sortit et nous fit signe. Elle portait un pull en cachemire bleu pâle très moulant, une jupe cloche bleu marine et des bottines à hauts talons en daim bleu. C'était, à mon avis, une tenue inutilement sexy pour une visite à une amie.
Les deux femmes avec elle se ressemblaient beaucoup, sans être parfaitement identiques. Elles étaient habillées très différemment de Lavande et l'une de l'autre. Le Docteur Rathod – Parvati – portait un costume noir élégant et un chemisier vert, tandis que sa jumelle était en jean avec un pull-over assez déformé. Je décidais instantanément que j'apprécierais Padma. Ginny, dont la tenue était assez similaire tant à la mienne qu'à celle de Padma, semblait savoir ce que je pensais.
"Elle est juste comme ça," murmura Ginny à mon oreille. "C'est simplement Lavande !"
Alors que je regardais, Darren parla aux trois nouvelles venues, hocha poliment la tête et monta dans sa camionnette.
"Bienvenue à Lintzgarth, mesdames," dis-je quand le trio remonta l'allée vers ma porte d'entrée.
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J'étais assise dehors sur le banc à côté de la porte de derrière et j'étais encadrée par Lavande et Parvati. Nous buvions du thé Darjeeling et mangions les biscuits que j'avais achetés à Darren. Padma et Ginny étaient dans mon salon pour 'une discussion au calme' et j'étais convaincue que Lavande et Padma étaient assises à l'extérieur avec moi uniquement pour s'assurer que je n'entende pas des choses que je ne devrais pas.
Durant vingt minutes, nous avions observé les enfants jouer sur le toboggan puis au ballon. J'avais laissé le bavardage de Lavande me passer au-dessus de la tête. J'avais entendu que son mari, 'adorable Emmsy', avait emmené leur 'craquante petite Violette' jusqu'à Kirkcudbright pour voir sa mère, ainsi que tout de son trajet depuis sa maison dans la Baie de Robin des Bois. La femme était un vrai moulin à parole. Je ne pouvais pas en placer une et Parvati n'essaya même pas.
Plutôt que d'écouter Lavande, j'écoutais ma fille qui essayait d'expliquer les règles du football à Al et Lily. Quand j'avais offert des biscuits aux enfants, Al avait demandé ce qu'était la guimauve. Sous bien des aspects, les enfants de Ginny étaient étonnamment ignorants.
Annie avait décidé d'expliquer également pour les gâteaux. Elle avait annoncé à Al que c'était 'du cocolat 'vec le dedans blanc qui colle' et en avait fait la démonstration en en déballant un et le croquant en deux. Au passage elle était parvenue à s'étaler du chocolat et de la guimauve blanche molle sur toute la figure.
Alors qu'elle passait en courant devant moi, pourchassant le ballon, je remarquais que, malgré tous mes efforts, elle était toujours sale. Je ne réagis pas, parce qu'elle jouait joyeusement avec Al et Lily et que je ne voulais pas interrompre leur jeu.
Quand Annie rattrapa la balle, elle manqua son tir et tomba. Se relevant, elle essuya ses mains boueuses sur son short. À côté de moi, Lavande frémis et je décidais immédiatement de ne pas lui faire de remontrance.
"Ce n'est que de la saleté," dis-je. "Ça partira au lavage."
"Je ne pense pas que je laisserai Violette devenir aussi sale et… collante," dit Lavande en frémissant.
Je me hérissais mais serrais les dents.
"Ne fais pas attention à elle, Jacqui," me dit Parvati, souriant malicieusement. "Lavande est persuadée qu'elle parviendra à exercer un contrôle total sur son bébé, mais je suis certaine que je ne suis pas la seule à espérer que Violette devienne un vrai petit garçon manqué dépenaillé comme Dominique Weasley."
"Je ne le permettrais pas !" Lavande était scandalisée par la suggestion de son amie.
"Tu crois vraiment que Fleur l'a permis ?" demanda Parvati.
"Henry pensait que Dom était un garçon," dis-je, me joignant à Parvati pour taquiner son amie.
"Pareil pour Rani," dit Parvati. Elle se pencha en avant pour mieux voir Lavande et, le visage impassible, dit : "Mark pourrait même l'encourager à être un garçon manqué. Je suis sûre que lui ne voudra pas vivre ce que tu as fait vivre à ton père."
"Oh, tais-toi," craqua Lavande. "Tu es censée être ma meilleure amie.
"Et c'est pour ça que je peux te dire ce que je pense !" ricana Parvati. Lavande ne sembla pas touchée.
"Nous inquiétons toutes nos pères à une période ou une autre," dis-je, essayant de détourner la conversation. "Et aussi nos mères. Maman détestait l'idée que je fasse de la moto." Je jetais un coup d'œil vers les enfants, qui jouaient toujours au foot. "Je me demande ce que ces trois-là feront quand ils seront grands."
"Qui sait ?" dit Parvati.
"Violette sera…" commença Lavande, se penchant pour prendre un autre biscuit au gingembre sur l'assiette que j'avais laissée sur la table de la terrasse.
"Violette sera ce qu'elle voudra," interrompit Parvati, prenant l'un des gâteaux aux fruits et au citron. "C'est vraiment bon, ça, Jacqui."
"C'est vraiment dommage que vous ayez vu le marchand de thé alors," dis-je. "Maintenant je ne peux plus prétendre les avoir cuisinés moi-même." les deux femmes rirent.
Voyant les adultes manger suffit aux enfants. Ils s'arrêtèrent de jouer et coururent jusqu'à la table.
"Est-ce que je peux avoir une autre guimauve au chocolat, s'il vous plaît ?" demanda Al.
"É pis moi aussi," dit Annie.
"É moi," ajouta Lily.
"Bien sûr que vous pouvez." Je les aidais à déballer les guimauves et les observais déguerpir à nouveau.
"Les enfants, hein ?" demandais-je. "La chose la plus étrange quand on est parent, c'est que soudainement on réalise qu'un jour on devra faire face à nos enfants faisant quelque chose qu'on approuve pas. Et pire, que c'est quelque chose qu'on a fait nous-même quand on était jeune."
Lavande me fixa, bouche bée. "J'espère que Violette ne fera jamais…" Elle regarda dans le vide. "Ou… Oh !"
Parvati éclata de rire. "Bienvenu dans la vie de mère, Lavande. Je suis heureuse que ça te touche enfin. Merci pour ça, Jacqui."
Nous jacassions toujours quand Padma et Ginny terminèrent enfin leur discussion et sortirent dans le jardin. Je proposais aux amies de Ginny de rester pour le déjeuner, mais elle refusèrent poliment.
Nous bavardâmes pendant un moment, mais un peu plus de deux heures après leur arrivée impromptue, nous saluions leur départ d'un geste. J'avais à peine parlé avec Padma.
Bien que je veuille désespérément savoir ce qui se passait, je n'osais pas demander à Ginny. De toute façon, les enfants demandaient toute notre attention. Ce ne fut pas avant midi et demi passé, pendant que je préparais les sandwichs pour le déjeuner, que j'abordais le sujet des visiteuses.
"Padma n'est pas mariée," dis-je. J'avais déduit ce peu d'information lors de ma discussion avec Lavande et Parvati.
"Non," confirma Ginny.
"Elle a le temps," dis-je. "Elle a quoi ? Vingt-neuf, trente ans ? Elle ne peut pas être bien plus âgée que ça."
"Trente," me dit Ginny.
"Largement assez de temps pour trouver Monsieur parfait," dis-je. Ginny me regarda curieusement. "Ou Mademoiselle parfaite, ou même rester célibataire, si c'est son choix," ajoutais-je précipitamment.
Ginny rit. "Tu devrais prendre exemple sur Lavande, Jacqui," conseilla Ginny. "Elle dit ce qu'elle pense et elle se moque bien de ce que les autres pensent d'elle."
"Tout comme ton amie Luna," dis-je en ouvrant le frigo. Tout en prenant le bol de garniture de sandwichs que j'avais préparé de son étagère, je paniquais à nouveau. Je soulevais le bol, permettant à Ginny de voir son contenu. "Avec la confusion de nos visiteuses, j'ai oublié de demander pour le déjeuner. Est-ce que thon-maïs-mayonnaise ira pour les sandwichs des enfants ?"
"Impeccable, j'en suis sûre," m'assura Ginny avant de revenir à l'autre sujet de conversation. "Tu es une bonne personne, Jacqui. Tu nous as fait nous sentir bienvenus et tu ne devrais pas avoir peur de dire le fond de ta pensée, comme tu l'as fait hier."
"Hier ?" je me demandais ce que j'avais pu dire.
"J'ai parlé à Harry des invitations à la fête. Tu avais raison, essayer de les récupérer auprès de tout le monde causerait encore plus de problèmes et simplement encore plus de discussions à notre sujet. Il n'y a aucune raison de penser que votre invitation, ou celle de n'importe qui, finira entre de mauvaises mains."
"Elle était invitée, n'est-ce pas ?" demandais-je en tranchant la miche de pain complet.
Ginny hocha la tête. "Je savais qu'elle ne viendrait pas," me dit-elle. "Elle a trouvé Monsieur parfait il y a des années. Mais il l'ignore et a épousé quelqu'un d'autre. Il était, et est toujours, complètement aveugle de ses sentiments. Il ne la remarque même pas. Elle pourrait porter une cape d'invisibilité, pour ce que ça changerait."
"C'est une expression curieuse," observais-je. "C'est une formule du West Country ?"
Ginny haussa les épaules et ce fut son tour de sembler un peu gênée. "C'est quelque chose que Maman a l'habitude de dire. Je tiens ça d'elle."
Pendant qu'elle parlait, je repensais à l'appel initial de Lavande.
"Michael," dis-je. "C'est Michael, je me trompe ?"
Ginny hocha la tête. "Continue comme ça et je vais finir par te recommander pour un poste dans le bureau de Harry." Elle semblait presque sérieuse, mais je savais qu'elle plaisantait.
"Il plaît à Padma depuis l'école, mais il ne l'a jamais, absolument jamais remarquée. Pour une raison inconnue, elle n'a jamais été capable de passer à quelqu'un d'autre. Mais maintenant elle est persuadée qu'il y a quelque chose qui ne va pas en lui elle dit qu'il n'est pas lui-même, qu'il a changé. Elle pense que quelqu'un le… le contrôle."
"Le contrôle ? Comment ?"
"Je n'en ai aucune idée," dit Ginny. Je n'étais pas sûre qu'elle soit entièrement honnête avec moi, mais je n'insistais pas.
"Sa femme l'aurait certainement remarqué ?"
"C'est exactement ce que j'ai dit !" Ginny avait l'air triomphant. "J'ai dit à Padma que, si quelque chose n'allait pas, Trudi l'aurait remarqué. Mais Padma pense que Trudi est derrière tout ça. Après tout, qui ça pourrait être d'autre ? Michael passe toutes ses nuits à la maison avec sa femme et toutes ses journées dans son… laboratoire. Il travaille seul, il l'a toujours fait. Padma dit qu'il ne laisse entrer personne, même pas elle ou Terry, dans la salle HASARD quand il fait tourner une prédiction. Terry et Michael sont amis depuis toujours et Padma et Terry sont les seuls qui comprennent complètement le système de Michael."
"C'est pour ça qu'elle t'a parlé à toi," dis-je alors que les événements de la matinée prenaient enfin un sens. "Elle ne veut pas contacter directement Harry parce qu'elle ne veut pas que Trudi sache qu'elle a des soupçons."
Ginny hocha la tête. "Je pense que ce ne sont que des illusions, mais je vais en parler à Harry dès qu'il rentrera à la maison ce soir."
"Mais pourquoi Trudi interférerait avec une affaire sur laquelle elle travaille, à moins qu'elle…" je m'interrompis, incapable de croire ce que je suggérais.
"Exactement," dit Ginny. "C'est absurde. C'est forcément des absurdités. Harry a recommandé Trudi pour cet emploi."
"Quand c'est qu'on mange ? J'ai faim !" annonça Annie depuis la porte de la cuisine. Al et Lily étaient avec elle, Ginny et moi n'eûmes donc aucune alternative que de clore notre discussion.
