PASSE D'ARMES

Le Centre ainsi que les personnages de Jarod, Miss Parker, Sydney... sont la propriété des producteurs du Caméléon.

L'histoire se déroule durant la saison 2, entre Gigolo et Cadeau Surprise.

Bonne lecture :-)

CHAPITRE 2

*Académie d'escrime Anton Delawey, San Francisco, Californie*

Jarod saisit le poignet de la jeune femme et lui indiqua la posture correcte.

"Vous devez être plus ferme sur vos appuis...," lui dit-il.

Elle modifia sa position, l'améliorant considérablement, et il pensa que si elle n'avait pas fait davantage de progrès plus tôt, c'était que les moniteurs n'avaient guère trouvé d'intérêt à l'entraîner.

"Voilà. Et lorsque vous vous mettez en garde, votre coude ne doit pas être collé à votre corps comme ça."

Il passa derrière elle pour corriger son attitude.

"C'est parfait, Mme Darnell. L'heure est terminée, nous poursuivrons la prochaine fois."

Il retira son masque et son gant, et se plaça en face d'elle pour lui serrer la main.

"J'ai fait plus de progrès en trois cours avec vous qu'en trois mois avec les autres instructeurs, Jarod.

- Merci, répondit-il. Tout est dans la persévérance."

Son masque sous le bras, elle partit en direction des vestiaires des dames.

"Jarod?"

Anton Delawey, le directeur de la salle, fondit sur lui à l'instant où Mme Darnnell quittait la piste.

"Comment s'est passée la leçon? lui demanda-t-il avec une intonation moqueuse.

- Très bien.

- Je sais qu'il peut sembler rébarbatif de s'occuper de certains élèves, mais c'est la politique de la maison: même nos meilleurs instructeurs doivent avoir leur quota de débutants et d'épéistes du dimanche.

- Je n'y vois aucun inconvénient."

Ils s'installèrent à une table dans le bar de l'académie et Delawey commanda deux jus de fruits vitaminés sans consulter son nouvel employé. Le club était un endroit accueillant, où les élèves et les instructeurs se remettaient de leurs heures d'entraînement. Il y avait de profonds fauteuils, des tables en acajou, et au mur des photos des élèves de la maison qui avaient participé à des compétitions.

"Votre CV est assez impressionnant, releva Delawey en sirotant son jus de fruits. Vous avez étudié en Italie, en France, en Hongrie. Ce sont les meilleurs, vous auriez pu postuler pour un emploi dans une académie bien plus importante que la nôtre.

- Je ne voulais pas me retrouver noyé dans une grosse structure. Et votre salle est très intéressante." Il désigna les clichés sur les murs. "Vous avez formé plusieurs champions régionaux et même nationaux."

Il s'attarda sur la photographie d'une jeune femme, dont le cadre était drapé de crêpe noir. Lorsqu'il avait vu le visage de la fleurettiste pour la première fois, il avait éprouvé un choc, le sentiment de se trouver projeté des années en arrière.

Delawey suivit son regard et soupira lourdement.

"Maxine Ambruster. Une véritable tragédie, et un beau gâchis. Kali était terriblement fière d'elle, elle l'entraînait pour les qualifications des Jeux de 2000." Il agita la paille dans son verre empli d'un liquide rouge orangé. "Sa sœur cadette était également très douée.

- Etait? demanda Jarod.

- Depuis... depuis l'accident, elle ne vient pour ainsi dire plus, et jamais pour s'entraîner."

Plusieurs articles avaient été découpés avec soin et collés dans le cahier rouge, certains illustrés de photographies, parfois en couleurs, de Maxine Ambruster et de sa famille.

La jeune femme avait succombé à un arrêt cardiaque, trois mois et demi plus tôt, en plein tournoi d'escrime. Elle s'était effondrée alors qu'elle menait trois touches à deux, à la grande terreur de Jess Stregger, son adversaire et amie de longue date. Mlle Stregger avait repoussé son masque, jeté son fleuret et s'était précipitée auprès de sa concurrente, affolée par sa soudaine perte de conscience. Rien de ce qui avait été tenté n'avait permis de faire redémarrer le cœur.

Une athlète de vingt-trois ans succombant à un arrêt cardiaque: ce n'était pas sans précédent, mais l'accident était pour le moins troublant. Les journaux en avaient fait leurs choux gras pendant plusieurs semaines, évoquant le recours à des substances illicites sans jamais prononcer le mot fatidique, puisque l'autopsie n'avait rien révélé d'anormal.

Il tourna la page.

L'article était sec et précis, purement factuel: Maxine Ambruster vivait chez ses parents avec sa sœur Emma, seize ans, et son frère Jeremy, sept ans; elle était fiancée à un étudiant, qu'elle aurait dû épouser quelques jours plus tôt. Elle comptait poursuivre l'entraînement jusqu'en 2000, dans l'espoir de participer aux Jeux de Sydney, après quoi elle n'avait pas de projets précis, hésitant encore entre tenter de nouveau sa chance en 2004 ou ouvrir une salle d'escrime avec son futur mari. Le côté impersonnel du reportage était quelque peu gommé par les témoignages des personnes qui s'entraînaient avec elle et la décrivaient comme une jeune femme agréable et dotée des moyens de ses ambitions.

"Max était la meilleure élève que j'ai jamais eue, et que j'aurai sans doute jamais."

Kali Everbert n'avait à première vue rien d'une escrimeuse. Elle était tout en rondeurs, une disposition génétique que vingt-cinq ans de fleuret et d'épée n'avaient pu contrecarrer, et relativement petite, ce qui aurait pu être néfaste à son allonge si elle n'avait eu de longs bras musclés. Jarod avait failli en faire les frais.

Ils s'assirent sur un banc, côte à côte, et Kali s'essuya le visage dans la serviette blanche que venait de lui tendre un prévôt d'armes.

"Nous ne sommes pas en Europe ou en Russie, ce sont eux qui ont les meilleurs fleurettistes, après tout. Mais on avait vraiment fondé de grands espoirs sur Max. Elle est passée à deux doigts des JO d'Atlanta, si nous avions pu envoyer une deuxième fille, ç'aurait été elle.

- Quand avez-vous commencé à vous occuper d'elle? s'enquit Jarod.

- En 92, juste après qu'elle a remporté le championnat de Californie. Ses parents arrivaient de Fresno, nous avons eu de la chance qu'elle vienne s'inscrire ici. Ca nous a valu une bonne dizaine de nouveaux adhérents.

- J'ai entendu dire que sa sœur s'entraînait aussi." Il ramassa la bouteille d'eau sous le banc. Kali était une redoutable adversaire, et l'assaut l'avait plus fatigué qu'il s'y était attendu. L'effort physique était presque négligeable en comparaison de la maîtrise et de la concentration requises par un combat. Il commençait à comprendre pourquoi Mlle Parker appréciait cette discipline.

"Oui, Emma venait régulièrement, elle travaillait avec Anton, lui disait Kali. Elle a même remporté des compétitions chez les juniors, notamment le championnat de Californie. Elle avait de jolies perspectives devant elle. Mais on ne l'a plus jamais vue avec un fleuret à la main du jour où Max est morte, et il est difficile de lui en faire le reproche."

Kali poussa un lourd soupir navré, attrapa une serviette propre sur la pile près du banc et la lui lança. Puis elle lui désigna le jeune homme en tenue grise et blanche qui entrait dans la salle d'un pas hésitant.

"Votre leçon de quatre heures, lui indiqua-t-elle. Doué et gentil, mais trop gentil. Il a tendance à oublier que l'escrime, comme tout autre sport, est l'art de canaliser et d'utiliser son agressivité."

*Le Centre, Blue Cove, Delaware*

Parker avait fait chou blanc à Columbus, ce qui était bien suffisant pour la mettre de mauvaise humeur, et comme si ce n'était pas assez, elle venait de croiser Brigitte dans le grand hall. La responsable de la Décontamination était en conciliabule avec un type semblant sortir d'un numéro de Vogue hommes: yeux bleu cobalt, cheveux bruns en brosse, mâchoires carrées, barbe de deux jours soigneusement négligée et costume Armani conçu pour dissimuler le holster qu'il portait à l'épaule - Parker avait dirigé la Sécurité de ce trou, elle savait à quoi ressemblait des vêtements spécialement coupés pour camoufler une artillerie plus ou moins lourde. Tous les employés de la nettoyeuse semblaient du reste taillés sur le même modèle, et elle se demanda de quelle façon la blonde utilisait exactement leurs compétences. C'était une pensée basse et mesquine, et qui lui fit le plus grand bien.

Elle entra dans le labo de simulation, laissa tomber son attaché-case sur le fauteuil des visiteurs et s'alluma une cigarette. Sydney, qui était encore en train de faire Dieu seul savait quoi à une paire de jumeaux, continua d'étudier son écran de surveillance, mais Broots, moins placide, se mit à s'agiter. Elle tourna légèrement la tête pour éliminer l'informaticien de son champ de vision.

"Est-ce que vous savez qui est le bimbo boy qui traîne avec Brigitte?" demanda-t-elle au psychiatre.

Il consentit à lever les yeux de son moniteur. Broots l'empêcha cependant de répondre, bafouillant sa question.

"Brigitte est ici?

- Ne vous faites pas dessus," le rembarra-t-elle. Elle était raisonnablement convaincue que la nettoyeuse ne ferait rien à Broots, ni à Sydney d'ailleurs, tant qu'elle se trouverait dans le coin. Pas si la cervelle de moineau de la blonde avait assimilé le fait qu'elle pouvait y laisser sa peau. Elles avaient conclu, plus ou moins volontairement, un compromis à ce sujet.

"Je n'ai aucun renseignement sur l'identité du jeune homme qui accompagne Brigitte," répondit Sydney sur un ton que l'exquise politesse rendait pénible.

Parker secoua sa cigarette dans la direction approximative d'un cendrier.

"Permettez-moi de me présenter, mademoiselle." La voix, grave et bien timbrée, résonna dans son dos.

Elle pivota sur elle-même avec vivacité et se retrouva nez à nez avec le bimbo, qui se tenait bien plus près d'elle que les conventions sociales permettaient à un parfait inconnu de le faire. Il la dépassait d'une tête, et elle était pourtant grande et juchée sur de hauts talons. Elle se refusa néanmoins à céder un pouce de terrain et elle resta campée face à lui.

"Je m'appelle Alexander. Et, dans la mesure de mes moyens, ajouta-t-il, ses yeux bleus parcourant Parker d'un air appréciateur, je me ferai un plaisir de satisfaire vos requêtes."

La jeune femme sourit.

"Veuillez reculer d'un pas, pour commencer." Elle attendit qu'il se fût exécuté. "Alexander... est-ce votre nom ou votre prénom?

- Comme il vous plaira.

- Alexander, si vous vous avisez une deuxième fois d'approcher de moi en catimini, comme vous venez de le faire, je vous garantis qu'il n'existera pas de troisième fois. Suis-je assez claire?

- C'est limpide, mademoiselle. Vous désirez sans doute que je vous laisse en compagnie de vos assistants?

- Exactement."

D'un geste élégant, il cassa le buste, saisit la main de Parker et l'effleura des lèvres sans réellement la toucher. Puis, sur un signe de tête en direction de Sydney et Broots, il tourna les talons et quitta le laboratoire.

Sydney écouta le bruit des pas du jeune homme décroître dans le couloir.

"Voilà quelqu'un que vous ne terroriserez pas aussi aisément, Parker," remarqua-t-il.

Elle se tourna vers lui, les yeux luisants.

"Ne me mettez pas au défi."