PASSE D'ARMES


Le Centre ainsi que les personnages de Jarod, Miss Parker, Sydney... sont la propriété des producteurs du Caméléon. Le reste est à moi. Merci de ne pas archiver et de ne pas emprunter les personnages "originaux" sans mon autorisation.

L'histoire se déroule durant la saison 2, entre Gigolo et Cadeau Surprise.

Bonne lecture :-)

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CHAPITRE 7


"Ne le dites pas à M. Delawey pour l'instant, mais je pense que j'ai convaincu Emma Ambruster de reprendre l'entraînement, et la compétition."

Le docteur Fuller était assis derrière son bureau, dans la salle de soins vide et silencieuse, occupé à mettre ses dossiers à jour. Il leva les yeux de son ordinateur et considéra Jarod avec perplexité.

"Pourquoi venir m'en parler à moi? C'était Delawey lui-même qui s'occupait de la petite Ambruster. Il acceptera peut-être de vous la confier, mais c'est avec lui que vous devez en discuter."

Jarod abandonna sa posture nonchalante, appuyé d'une épaule au chambranle; il entra tout à fait dans le bureau et ferma la porte derrière lui.

"En réalité, ce n'est pas aussi simple. Je pense qu'elle serait capable de disputer les prochains championnats régionaux. Elle est aussi douée que sa sœur, vous savez?

- De façon différente, néanmoins. Maxine avait l'escrime dans le sang. La petite est une technicienne, et de ce point de vue, elle était sans doute bien supérieure à sa sœur, mais Max avait vraiment..."

Il s'interrompit, le regard perdu dans le vide.

"Le feu sacré? lui suggéra Jarod.

- Oui, le feu sacré." Fuller se secoua pour se tirer de ses pensées. "Alors quel est le problème avec Emma?

- Elle a arrêté l'entraînement depuis un moment. Elle est en bonne santé, mais pour une athlète de ce niveau, ça ne suffit pas. Elle aurait grand besoin de vos cocktails."

Joe Fuller hocha la tête d'un air entendu et revint à son écran d'ordinateur.

"Très bien, pas de problème. Je vais lui prescrire des analyses et on verra ce qui lui faut."

Jarod se laissa tomber sur le siège en face du médecin. Celui-ci se redressa en commençant à manifester un certain agacement.

"Je ne crois pas que ce sera suffisant. Vous voyez, elle a interrompu toute pratique sportive depuis trois mois et demi, et elle n'a rien trouvé de mieux que de se gaver de nourriture grasse et riche, alors autant dire les choses comme elles sont: elle est dans un état lamentable.

- Eh bien, si Delawey vous confie son entraînement, il vous appartiendra de la remettre en forme. Je pense que vous dramatisez un peu la situation, Jarod. Je la vois ici presque tous les vendredis, elle n'a pas pris un gramme. Trois mois sans entraînement, ce n'est pas la mort.

- Ca serait plus facile pour elle si vous lui donniez un petit coup de pouce."

Fuller tressaillit. Il ramassa un crayon qui traînait devant lui et se mit à jouer avec, nerveusement.

"Je ne suis pas sûr de comprendre?

- Comme à sa sœur. Max avait le feu sacré, mais vous l'aidiez à l'entretenir. Avec un peu d'aide, Emma pourrait sans doute faire aussi bien qu'elle, ça serait dommage de l'en priver. Elle n'a même pas besoin d'être au courant."

Fuller secouait la tête sans comprendre, buté.

"Je ne vois pas où vous voulez en venir," dit-il.

Le ton de Jarod changea, devint froid et cassant. Le soigneur se renfonça dans son fauteuil en cuir.

"Bien sûr que si. Max prenait de l'EPO et vous étiez la seule personne à pouvoir la lui injecter assez discrètement pour qu'elle-même n'en soit pas consciente.

- Ecoutez, je ne sais pas qui...

- Aucune enquête n'a été ouverte parce que son taux de globules rouges restait en-deça du taux maximum autorisé, mais j'ai discuté avec le légiste qui a procédé à l'autopsie. Maxine Ambruster était dopée. Son hématocrite était trop élevée pour être naturelle. Tout comme la cause de sa mort n'a rien de naturelle. Un arrêt cardiaque à vingt-trois ans?"

Il ouvrit la mince chemise qu'il avait apportée, feuilleta les documents et lança une photo de Max à l'issue d'une compétition, épuisée et heureuse, riant. Puis atterrit devant le médecin un autre cliché, celui pris juste après l'autopsie, à la morgue; le corps blafard de la jeune femme marqué par une cicatrice en Y, les chairs flasques, reposait sur la table en acier poli, les yeux grands ouverts, vitreux.

"Un arrêt cardiaque à vingt-trois ans, répéta-t-il. Tout ça pour quoi, une hypothétique sélection pour les JO? Une sélection dont Maxine n'aurait pas voulu si elle avait su comment elle l'avait obtenue."

Fuller fixait les deux photographies, figé, blême.

"Je ne voulais pas le faire. Je lui ai dit que c'était dangereux, que Maxine n'aurait pas été d'accord, mais elle ne voulait rien savoir.

- Elle? demanda Jarod.

- Kali." Le médecin eut un ricanement. "Vous n'aviez pas compris ça, hein? Kali a commencé à la doper en 93, juste après les championnats nationaux. Elle voulait l'envoyer aux JO d'Atlanta. Elle savait qu'elle prenait un risque, mais il faut être lucide: Max était sa chance de faire une belle carrière.

- Elle prenait un risque? Non, c'est à Max qu'elle a fait courir tous les risques."

Fuller haussa les épaules.

"Je ne voulais pas le faire, répéta-t-il.

- Mais Kali savait que vous aviez eu des ennuis en Europe et elle a menacé de vous faire renvoyer.

- Comment êtes-vous au courant? demanda-t-il, puis il ajouta: Aucune importance, au fond. Elle m'a dit que si je refusais, c'était la porte et qu'elle raconterait ce qu'elle savait, bien sûr. Beaucoup de gens dans le milieu sportif ont recours au dopage, mais ils n'aiment pas tellement ceux qui se sont fait coincer." Il regarda les deux clichés. "Elle ne méritait vraiment pas ça. Max avait plus de talent dans son petit doigt que Kali dans toute sa personne.

- Vous seriez prêt à témoigner contre elle?"

- Si vous voulez. Mais ce sera ma parole contre la sienne, et j'ai déjà eu ce genre d'ennuis alors ma parole ne vaudra pas grand chose." Le médecin hésita un instant, les yeux rivés sur les photos. Maxine Ambruster lui souriait, et Maxine Ambruster était morte. "J'ai mieux à vous offrir: j'ai enregistré certaines de mes conversations avec Kali."


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Broots enfonça plusieurs fois la touche d'annulation du distributeur, mais rien ne se produisit. La machine ne lui rendit pas son dollar et ne fit pas davantage descendre son paquet de chips. Un comble! songea-t-il. Le prix des chips avait augmenté et en plus, cet engin ne fonctionnait pas correctement. Il appuya sur les boutons de commande sans parvenir au moindre résultat. C'était humiliant. Il était plusieurs fois ingénieur, et il ne parvenait pas à faire fonctionner un stupide distributeur. C'était vraiment humiliant. Son travail au Centre, cela dit, se résumait parfois à une longue et douloureuse humiliation: être le souffre-douleur de tout un tas de personnes en général, et de Mlle Parker en particulier.

"Puisque vous avez quitté votre bureau, j'en déduis que vous avez les renseignements que je voulais sur Alexander." La voix de Parker était proche de lui, bien trop proche.

Il sursauta et se demanda si le simple fait de penser à la jeune femme, à l'instar d'une invocation, pouvait suffire à la faire apparaître. Il pivota jusqu'à se trouver en face d'elle et s'efforça de trouver les mots pour lui apprendre qu'il n'avait pas le moindre indice.

"Je fais seulement une pause, finit-il par bafouiller. Mais je pense avoir une réponse d'ici environ une heure.

- Débrouillez-vous pour trouver, Broots: je veux savoir qui est ce type."

Elle leva le bras et, l'espace d'une seconde, Broots crut qu'elle allait le frapper. Son poing s'abattit sur le distributeur, et la machine cliqueta, la pièce d'un dollar retomba, suivie dans le bac par plusieurs paquets de chips.

"Ca vous fera un os à ronger," commenta-t-elle avant de s'éloigner.

Elle partit à la recherche de Sydney tout en remâchant ses inquiétudes. Elle était arrivée au Centre une heure plus tôt pour découvrir un énorme bouquet de roses blanches dans son bureau, accompagné d'une carte portant seulement la signature élégante d'Alexander. Il faisait partie de l'équipe de Brigitte, avait-elle raisonné, et son seul but était de la déstabiliser. La nettoyeuse devait préparer quelque chose, elle ne voulait pas que l'on soit sur son dos.

"Chère Mlle Parker..."

Le bimbo la rattrapa sur le seuil du labo de simulation, ouvrit la porte et s'effaça pour la laisser passer, le tout accompli avec une galanterie d'autant plus exquise qu'elle paraissait parfaitement naturelle.

"Comment se fait-il que je tombe sur vous où que j'aille? lança-t-elle.

- Je vous cherchais, simplement. J'ai constaté avec regret que vous aviez refusé mes fleurs. Peut-être n'aimez-vous pas les roses blanches. J'ai hésité entre celles-ci et des orchidées, ce qui vous aurait mieux convenu, il est vrai."

Sydney observait une paire de jumeaux qui jouaient aux échecs, à l'abri d'un panneau vitré; et il jouait contre lui-même, avançant successivement les blancs et les noirs. Elle décida qu'elle ne voulait pas savoir à quel genre d'expérience complètement absurde il se livrait.

"Je ne veux pas de roses, je ne veux pas d'orchidées et, plus important que tout, je ne veux plus vous trouver sur mon chemin."

M. Alexander quitta le laboratoire à contrecœur.

"Les roses, observa Sydney sans lever les yeux de son échiquier, sont réputées pour être les plus belles des fleurs, mais elles ont des épines. Quant aux orchidées, elles sont splendides et envoûtantes, mais elles inspirent souvent un sentiment de crainte."

Parker le foudroya du regard.

"Vous êtes une jeune femme tout à fait charmante, Parker, et redoutablement intelligente de surcroît. Ne pensez-vous pas que l'intérêt que M. Alexander vous porte pourrait être personnel et des plus sincères? Je sais que Michael Patrick travaillait pour Raines, ajouta-t-il gentiment, mais il n'est..."

Il fut contraint de s'interrompre. Parker venait de se pencher sur son bureau, et sur son échiquier sans prêter grand soin aux rois, reines, et autres fous. Dans son mouvement, elle expédia au sol noirs et blancs qui roulèrent sous la table et le fauteuil. Deux heures de travail gâchées, songea-t-il sans trop de regret. Il recommencerait.

Parker approcha son visage du sien, si près que leurs nez se touchèrent presque.

"Avez-vous la moindre idée de ce que vous pouvez faire de vos opinions, Syd?" siffla-t-elle.

Il en avait une assez bonne idée à présent, oui.