PASSE D'ARMES
Le Centre ainsi que les personnages de Jarod, Miss Parker, Sydney... sont la propriété des producteurs du Caméléon. Le reste est à moi. Merci de ne pas archiver et de ne pas emprunter les personnages "originaux" sans mon autorisation.
L'histoire se déroule durant la saison 2, entre Gigolo et Cadeau Surprise.
Bonne lecture :-)
* * * * * * * * * * * * * * * *
CHAPITRE 11
Sam fit un pas vers le milieu du couloir lorsque Parker émergea de l'ascenseur en compagnie de Sydney, de façon à se trouver sur son chemin sans lui bloquer le passage. Lorsqu'elle arriva à sa hauteur, il lui présenta simultanément une corbeille de fleurs et une boîte adressée à Mlle Parker - Le Centre - Blue Cove, Delaware.
"Ca vient d'arriver, mademoiselle."
Elle sentait le regard railleur et pénétrant de Sydney peser sur sa nuque.
Les fleurs étaient des orchidées. Les dents serrées, elle chercha la petite enveloppe qui accompagnait immanquablement de tels bouquets, la trouva accrochée à une délicate tige et la décacheta. "La Fourchette d'or, ce soir vingt heures? M. Alexander", lut-elle. Ses lèvres se retroussèrent en un rictus qui aurait difficilement pu passer pour un sourire et elle tendit la carte à Sam sans un mot.
Puis elle prit la boîte et renvoya le balayeur. La boîte, elle, n'était pas expédiée par M. Alexander, elle en aurait mis sa tête à couper. Elle avait reconnu l'écriture à l'instant où Sam lui avait tendu le paquet.
Elle attendit de se trouver à l'abri relatif du laboratoire de simulation, Sydney surveillant discrètement ses réactions, pour découper l'adhésif qui fermait la boîte, soulever le carton, écarter les billes de polystyrène servant de rembourrage. Jarod n'avait pas pris la peine de joindre de carte à son envoi, contrairement à Alexander, mais le cadeau en lui-même était assez explicite pour se passer de tout message ou précision.
Un gant d'escrime reposait dans le paquet - elle l'enfila - exactement à sa taille. Elle leva la main à hauteur des yeux, fit jouer ses doigts. Très confortable.
Elle n'en grinça pas moins des dents, exaspérée au plus haut point. Sydney ne disait rien, il était trop occupé à ne pas sourire pour dire quelque chose.
"Connaissez-vous l'expression "jeter le gant"? lui demanda-t-elle.
- Vous avez sauvé la vie à Jarod," attaqua le psy, peu intéressé, une fois n'était pas coutume, par l'interprétation à donner au cadeau de son poulain.
Elle enleva le gant, le fit sauter dans sa main. C'était un objet souple, luxueux, avec ses initiales, ou plus exactement les lettres M.P. pour Mlle Parker, brodées à l'intérieur. Ca avait dû coûter un max à d'Artagnan.
"Uniquement parce qu'il détient des réponses que je veux obtenir. Ne vous faites pas d'idées, Syd. Une fois que j'aurai ces réponses, la Tour pourra faire de lui ce qu'elle voudra."
Elle tourna les talons et monta les marches métalliques qui menaient à la sortie du labo.
"Où allez-vous? lui demanda le docteur Frankenstein. Nous devions étudier..."
Elle ne le laissa pas terminer et leva le gant à hauteur de ses yeux. "Quelqu'un doit payer pour ça. Vous avez envie d'être cette personne?"
Elle s'était inscrite à l'académie la plus proche du Centre afin de pouvoir continuer de pratiquer régulièrement, et il s'agissait d'une petite salle si bien que lorsqu'elle voulait un véritable combat, elle était obligée de pousser jusqu'à Dover, Newark ou même Wilmington. Mais pour aujourd'hui, le petit club de Blue Cove lui suffirait. Elle s'était mise en tenue dans les vestiaires élégants et démodés des dames et avait rejoint la piste, le gant grand luxe offert par Superboy coincé sous le coude.
Son adversaire avait remplacé sans prévenir, avec seulement un petit salut du buste, le maître d'armes qui venait d'être appelé au téléphone. Et, avait-elle constaté dès la première reprise, elle avait gagné au change. Il était vif, rapide, ne se laissait pas déstabiliser ni surprendre par ses attaques et il la contraignit même à deux ou trois reprises à réellement battre en retraite. Elle n'en menait pas moins par quatorze touches à treize. Elle n'avait rien contre un concurrent à sa hauteur, à condition qu'elle finisse par remporter la partie.
Elle n'avait pas vu le visage de son adversaire, elle ne lui avait pas demandé son nom, et elle s'en moquait. La dernière chose qu'elle lui demandait était d'être une personne. Elle voulait un adversaire, un adversaire à sa hauteur susceptible de lui servir de défouloir. Il remplissait cette fonction à merveille.
Elle souriait sous son masque. Ses muscles chauffaient, se contractaient et de décontractaient harmonieusement, faisant la preuve de leur efficacité et de leur entraînement, la transpiration coulait sur son front et ses tempes, mouillait ses cheveux, dévalait son dos entre les omoplates. Ce genre de dépense physique était exactement ce qu'il lui fallait pour oublier ses ennuis, lesquels consistaient pour l'essentiel en Jarod. Ainsi qu'elle l'avait dit un jour à Sydney, elle avait d'autres centres d'intérêt que Jarod, des centres d'intérêt qui lui permettaient de se défouler. Les voyages et le sexe, par exemple. Le réducteur de tête avait jugé intéressant - son terme favori - qu'elle mentionne le sexe au cours d'une conversation portant sur Jarod. Pour sa part, elle trouvait plutôt que c'était la partie sur les voyages qui était révélatrice de leurs relations.
Le fleuret, quoi qu'il en soit, représentait un autre centre d'intérêt auquel même Sydney ne pouvait rien trouver d'ambigu. A moins qu'il ne se lance dans les interprétations baroques sur la symbolique des épées et des fourreaux que les psychanalystes et autres analystes affectionnaient.
Ce type bougeait d'une façon plus ou moins familière songea-t-elle distraitement, trop prise par l'assaut pour y prêter plus d'attention que cela n'en méritait. Elle prépara son attaque suivante, la projetant dans son esprit, tout en continuant à déjouer et esquiver les coups de son adversaire. Il faillit la toucher à l'estomac et elle eut juste le temps de s'effacer pour éviter la touche qui aurait permis l'égalité. Enveloppement. Les lames frottèrent l'une contre l'autre mais il n'essaya pas de se dégager pour profiter de son allonge supérieure. Elle l'imagina souriant, les yeux brillants derrière le fin treillis du masque, se voyant déjà vainqueur - ce en quoi il avait tort.
Il lui échappa brusquement, rompit, lui permettant d'avancer sur plusieurs mètres presque sans rencontrer de défense. Puis il repartit vers l'avant, à toute allure, abaissa son fleuret, et les réflexes de Parker, parfaitement au point, se laissèrent abuser par la feinte. Elle baissa sa garde pour parer, se trouva à découvert, et il en profita pour se fendre. La mouche du fleuret la frappa en plein cœur. Le tableau marqua une double touche en faveur de son adversaire, qui remportait de ce fait la partie.
Elle retira son masque et son gant et s'essuya le front avec la manche de sa veste rembourrée.
"Félicitations," dit-elle avec sincérité.
A l'encontre de toute convention, il n'avait pas relevé son masque. Haletante et enchantée par le match, elle serra cependant sans réfléchir la main qu'il lui tendait.
Et elle se figea.
La forme des doigts, la texture et la chaleur de la peau, l'odeur même qui émanait de lui, tout lui était familier, terriblement, atrocement familier. Le cœur battant soudain la chamade, elle lui enfonça les ongles dans la main.
"Jarod, lâcha-t-elle presque dans un chuchotement. Je te tiens, cette fois.
- Tu portes le gant, remarqua-t-il. Je suis très flatté."
Il lui tenait toujours la main. Ca lui convenait tout à fait, elle n'avait pas l'intention de le lâcher non plus. Elle sentait son pouls qui battait, juste à la pliure du poignet, rapide et régulier. De sa main libre, il la délesta de son fleuret, le poussa hors de la piste, puis il retira son masque et lui apparut souriant qu'elle-même devait l'être, chacun d'eux étant convaincu de sa victoire. Ils se fixèrent, immobiles au milieu de la piste.
"Tu ne m'échapperas pas.
- Attrape-moi si tu peux, Mlle Parker."
Il lui souriait, à la fois sarcastique et complice. C'était là, songea-t-elle, que l'expression jeter le gant prenait toute sa signification, son ampleur véritable.
Il lui enfonça tout à coup son masque sur le visage, lui arracha sa main et l'expédia sur le sol d'une prise de jiu-jitsu qui n'avait, certes, pas sa place dans une salle d'armes, mais la mit bel et bien hors combat. Elle parvint à amortir sa chute, mais elle perdit de précieuses secondes à se rétablir, se débarrasser de ce maudit masque, se défaire du cordon qui la reliait au tableau de touches. Lorsqu'elle fut venue à bout de cela, il était déjà loin. Bien sûr.
Abandonnant gants, fleurets et masques sur la piste, elle traversa la salle en courant, bousculant d'autres combattants qui poursuivaient leurs assauts, déboucha dans la réception toute en boiseries et cuir et ne découvrit, bien entendu, que la porte béante et le jeune homme de l'accueil qui considérait la scène d'un œil ébahi. Puis elle remarqua quelque chose sur le battant en bois travaillé.
Le fleuret avait été débarrassé de sa mouche, la pointe enfoncée dans le bois sur plusieurs centimètres et la lame vibrait encore de l'impact, clouant une affichette. Hors d'haleine, moins sous l'effet de la fatigue que de la fureur, Parker arracha la feuille de papier. Il s'agissait de la reproduction d'un avis de recherche tels qu'on les concevait au XIXème siècle, avec le portrait dessiné du fuyard. Le portrait, bien sûr, était celui de Jarod, l'emplacement dévolu à la spécification du montant de la récompense avait été rempli par un point d'interrogation. Mais le plus insultant, jugea Parker dont les lèvres se réduisirent à une mince ligne blême, était le fait que le mort de la mention recherché mort ou vif avait été rayé d'un grand trait de feutre. En lettres bien assurées, le petit monstre avait écrit en dessous merci dans un rouge sang agressif et offensant.
Sydney se tenait sur le seuil de l'académie, la dévisageant avec de grands yeux étonnés. Elle lui rendit son regard, d'un air furieux, et explosa: "Qu'est-ce que vous fabriquez ici, vous?
- J'ai reçu un appel au Centre me demandant de venir ici de toute urgence. Est-ce que tout va bien?
- Jarod, cracha-t-elle. Je suppose que vous ne l'avez pas croisé dans le parking? Inutile de me répondre, ajouta-t-elle aussitôt, vous ne me le diriez pas, si vous l'aviez vu.
- Mlle Parker, ça n'a pas l'air d'aller."
Elle lui balança l'affichette au visage; il l'étudia avec soin et ses sourcils se soulevèrent d'un air amusé.
"Il me semble évident qu'il a eu vent de votre petite... intervention auprès de Brigitte.
- Il était ici." Elle se passa la main dans les cheveux, au comble de l'exaspération. Puis elle pivota vers le réceptionniste qui aurait aimé se trouver ailleurs, n'importe où ailleurs. "Vous, là! Je croyais qu'il s'agissait d'un club privé. Vous laissez entrer n'importe qui sans vérifier?
- Absolument pas, mademoiselle, répondit-il respectueusement. Ce monsieur est un de nos membres depuis quelques jours.
- Un de vos membres? Qui l'a parrainé?
- Mais... mais..." Le jeune homme se mit à bafouiller et se tassa derrière son comptoir. Il vit approcher le moment où Mlle Parker allait l'attraper par le col de sa chemise amidonnée et le secouer comme un prunier. "Mais vous, mademoiselle."
Elle en resta sans voix.
"Ce doit être une erreur," dit Sydney, volant à son secours.
Le réceptionniste reprit son souffle. L'ami de Mlle Parker semblait bien plus calme et patient que la jeune femme.
"Je ne pense pas, monsieur. Nous avons bien sûr conservé la lettre de parrainage de M. Parker, elle doit se trouver..."
La jeune femme ne le saisit pas par le col de sa chemise, mais par les revers de sa veste à écusson, le soulevant presque du sol ciré.
"Monsieur qui? aboya-t-elle. Sortez-moi votre registre."
Il s'empressa d'obéir. Il avait déjà eu affaire avec Mlle Parker, et si elle était impatiente, jamais elle ne s'était montrée brutale comme aujourd'hui. Il lui tendit le registre d'une main qui tremblait, soulignant le nom du dernier adhérent au club.
"Jarod Parker. Vous figurez sur le registre comme étant sa marraine, mademoiselle."
Elle considéra le livre, un sourire incrédule aux lèvres.
"Et puis-je savoir quel est mon lien de parenté avec Jarod Parker? demanda-t-elle.
- Il est..." Le réceptionniste réfléchit à la réaction de Mlle Parker et à la façon dont elle avait formulé sa question, et il se décida pour une autre approche. "Il s'est présenté comme étant votre frère, mademoiselle.
- Mon frère." Elle rejeta la tête en arrière, les yeux clos, puis elle les rouvrit et braqua un regard glacial et accusateur sur le psychiatre. "Mon frère, répéta-t-elle, paraissant rendre Sydney personnellement responsable du discutable sens de l'humour de Jarod.
- Il vous avait prévenue, dit-il tranquillement.
- Pardon?" Les sourcils noirs de Parker se relevèrent, lui donnant un air scandalisé.
"L'académie d'escrime à Columbus. Il a dit à M. D'Amato qu'il aimerait se livrer à un assaut d'armes contre vous. Il vous avait prévenue.
- Moi aussi, je vous préviens: j'aurai la peau de ce petit salaud, Sydney."
Elle claqua brutalement la couverture du registre et fila en direction des vestiaires des dames d'un pas raide. Le réceptionniste la regarda s'éloigner, si soulagé qu'il pensa un instant qu'il allait en pleurer. Il risqua un coup d'œil dans la direction du dénommé Sydney. Au contraire de Mlle Parker, il paraissait beaucoup s'amuser.
"Ce monsieur n'était pas le frère de Mlle Parker, n'est-ce pas?" Sydney secoua la tête, les lèvres avancées en une petite moue attristée. "Elle n'a pas de frère du tout, devina-t-il.
- Si j'étais vous, j'éviterais de lui reparler même vaguement de cette journée," conseilla gentiment le psychiatre.
Le Centre ainsi que les personnages de Jarod, Miss Parker, Sydney... sont la propriété des producteurs du Caméléon. Le reste est à moi. Merci de ne pas archiver et de ne pas emprunter les personnages "originaux" sans mon autorisation.
L'histoire se déroule durant la saison 2, entre Gigolo et Cadeau Surprise.
Bonne lecture :-)
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CHAPITRE 11
Sam fit un pas vers le milieu du couloir lorsque Parker émergea de l'ascenseur en compagnie de Sydney, de façon à se trouver sur son chemin sans lui bloquer le passage. Lorsqu'elle arriva à sa hauteur, il lui présenta simultanément une corbeille de fleurs et une boîte adressée à Mlle Parker - Le Centre - Blue Cove, Delaware.
"Ca vient d'arriver, mademoiselle."
Elle sentait le regard railleur et pénétrant de Sydney peser sur sa nuque.
Les fleurs étaient des orchidées. Les dents serrées, elle chercha la petite enveloppe qui accompagnait immanquablement de tels bouquets, la trouva accrochée à une délicate tige et la décacheta. "La Fourchette d'or, ce soir vingt heures? M. Alexander", lut-elle. Ses lèvres se retroussèrent en un rictus qui aurait difficilement pu passer pour un sourire et elle tendit la carte à Sam sans un mot.
Puis elle prit la boîte et renvoya le balayeur. La boîte, elle, n'était pas expédiée par M. Alexander, elle en aurait mis sa tête à couper. Elle avait reconnu l'écriture à l'instant où Sam lui avait tendu le paquet.
Elle attendit de se trouver à l'abri relatif du laboratoire de simulation, Sydney surveillant discrètement ses réactions, pour découper l'adhésif qui fermait la boîte, soulever le carton, écarter les billes de polystyrène servant de rembourrage. Jarod n'avait pas pris la peine de joindre de carte à son envoi, contrairement à Alexander, mais le cadeau en lui-même était assez explicite pour se passer de tout message ou précision.
Un gant d'escrime reposait dans le paquet - elle l'enfila - exactement à sa taille. Elle leva la main à hauteur des yeux, fit jouer ses doigts. Très confortable.
Elle n'en grinça pas moins des dents, exaspérée au plus haut point. Sydney ne disait rien, il était trop occupé à ne pas sourire pour dire quelque chose.
"Connaissez-vous l'expression "jeter le gant"? lui demanda-t-elle.
- Vous avez sauvé la vie à Jarod," attaqua le psy, peu intéressé, une fois n'était pas coutume, par l'interprétation à donner au cadeau de son poulain.
Elle enleva le gant, le fit sauter dans sa main. C'était un objet souple, luxueux, avec ses initiales, ou plus exactement les lettres M.P. pour Mlle Parker, brodées à l'intérieur. Ca avait dû coûter un max à d'Artagnan.
"Uniquement parce qu'il détient des réponses que je veux obtenir. Ne vous faites pas d'idées, Syd. Une fois que j'aurai ces réponses, la Tour pourra faire de lui ce qu'elle voudra."
Elle tourna les talons et monta les marches métalliques qui menaient à la sortie du labo.
"Où allez-vous? lui demanda le docteur Frankenstein. Nous devions étudier..."
Elle ne le laissa pas terminer et leva le gant à hauteur de ses yeux. "Quelqu'un doit payer pour ça. Vous avez envie d'être cette personne?"
Elle s'était inscrite à l'académie la plus proche du Centre afin de pouvoir continuer de pratiquer régulièrement, et il s'agissait d'une petite salle si bien que lorsqu'elle voulait un véritable combat, elle était obligée de pousser jusqu'à Dover, Newark ou même Wilmington. Mais pour aujourd'hui, le petit club de Blue Cove lui suffirait. Elle s'était mise en tenue dans les vestiaires élégants et démodés des dames et avait rejoint la piste, le gant grand luxe offert par Superboy coincé sous le coude.
Son adversaire avait remplacé sans prévenir, avec seulement un petit salut du buste, le maître d'armes qui venait d'être appelé au téléphone. Et, avait-elle constaté dès la première reprise, elle avait gagné au change. Il était vif, rapide, ne se laissait pas déstabiliser ni surprendre par ses attaques et il la contraignit même à deux ou trois reprises à réellement battre en retraite. Elle n'en menait pas moins par quatorze touches à treize. Elle n'avait rien contre un concurrent à sa hauteur, à condition qu'elle finisse par remporter la partie.
Elle n'avait pas vu le visage de son adversaire, elle ne lui avait pas demandé son nom, et elle s'en moquait. La dernière chose qu'elle lui demandait était d'être une personne. Elle voulait un adversaire, un adversaire à sa hauteur susceptible de lui servir de défouloir. Il remplissait cette fonction à merveille.
Elle souriait sous son masque. Ses muscles chauffaient, se contractaient et de décontractaient harmonieusement, faisant la preuve de leur efficacité et de leur entraînement, la transpiration coulait sur son front et ses tempes, mouillait ses cheveux, dévalait son dos entre les omoplates. Ce genre de dépense physique était exactement ce qu'il lui fallait pour oublier ses ennuis, lesquels consistaient pour l'essentiel en Jarod. Ainsi qu'elle l'avait dit un jour à Sydney, elle avait d'autres centres d'intérêt que Jarod, des centres d'intérêt qui lui permettaient de se défouler. Les voyages et le sexe, par exemple. Le réducteur de tête avait jugé intéressant - son terme favori - qu'elle mentionne le sexe au cours d'une conversation portant sur Jarod. Pour sa part, elle trouvait plutôt que c'était la partie sur les voyages qui était révélatrice de leurs relations.
Le fleuret, quoi qu'il en soit, représentait un autre centre d'intérêt auquel même Sydney ne pouvait rien trouver d'ambigu. A moins qu'il ne se lance dans les interprétations baroques sur la symbolique des épées et des fourreaux que les psychanalystes et autres analystes affectionnaient.
Ce type bougeait d'une façon plus ou moins familière songea-t-elle distraitement, trop prise par l'assaut pour y prêter plus d'attention que cela n'en méritait. Elle prépara son attaque suivante, la projetant dans son esprit, tout en continuant à déjouer et esquiver les coups de son adversaire. Il faillit la toucher à l'estomac et elle eut juste le temps de s'effacer pour éviter la touche qui aurait permis l'égalité. Enveloppement. Les lames frottèrent l'une contre l'autre mais il n'essaya pas de se dégager pour profiter de son allonge supérieure. Elle l'imagina souriant, les yeux brillants derrière le fin treillis du masque, se voyant déjà vainqueur - ce en quoi il avait tort.
Il lui échappa brusquement, rompit, lui permettant d'avancer sur plusieurs mètres presque sans rencontrer de défense. Puis il repartit vers l'avant, à toute allure, abaissa son fleuret, et les réflexes de Parker, parfaitement au point, se laissèrent abuser par la feinte. Elle baissa sa garde pour parer, se trouva à découvert, et il en profita pour se fendre. La mouche du fleuret la frappa en plein cœur. Le tableau marqua une double touche en faveur de son adversaire, qui remportait de ce fait la partie.
Elle retira son masque et son gant et s'essuya le front avec la manche de sa veste rembourrée.
"Félicitations," dit-elle avec sincérité.
A l'encontre de toute convention, il n'avait pas relevé son masque. Haletante et enchantée par le match, elle serra cependant sans réfléchir la main qu'il lui tendait.
Et elle se figea.
La forme des doigts, la texture et la chaleur de la peau, l'odeur même qui émanait de lui, tout lui était familier, terriblement, atrocement familier. Le cœur battant soudain la chamade, elle lui enfonça les ongles dans la main.
"Jarod, lâcha-t-elle presque dans un chuchotement. Je te tiens, cette fois.
- Tu portes le gant, remarqua-t-il. Je suis très flatté."
Il lui tenait toujours la main. Ca lui convenait tout à fait, elle n'avait pas l'intention de le lâcher non plus. Elle sentait son pouls qui battait, juste à la pliure du poignet, rapide et régulier. De sa main libre, il la délesta de son fleuret, le poussa hors de la piste, puis il retira son masque et lui apparut souriant qu'elle-même devait l'être, chacun d'eux étant convaincu de sa victoire. Ils se fixèrent, immobiles au milieu de la piste.
"Tu ne m'échapperas pas.
- Attrape-moi si tu peux, Mlle Parker."
Il lui souriait, à la fois sarcastique et complice. C'était là, songea-t-elle, que l'expression jeter le gant prenait toute sa signification, son ampleur véritable.
Il lui enfonça tout à coup son masque sur le visage, lui arracha sa main et l'expédia sur le sol d'une prise de jiu-jitsu qui n'avait, certes, pas sa place dans une salle d'armes, mais la mit bel et bien hors combat. Elle parvint à amortir sa chute, mais elle perdit de précieuses secondes à se rétablir, se débarrasser de ce maudit masque, se défaire du cordon qui la reliait au tableau de touches. Lorsqu'elle fut venue à bout de cela, il était déjà loin. Bien sûr.
Abandonnant gants, fleurets et masques sur la piste, elle traversa la salle en courant, bousculant d'autres combattants qui poursuivaient leurs assauts, déboucha dans la réception toute en boiseries et cuir et ne découvrit, bien entendu, que la porte béante et le jeune homme de l'accueil qui considérait la scène d'un œil ébahi. Puis elle remarqua quelque chose sur le battant en bois travaillé.
Le fleuret avait été débarrassé de sa mouche, la pointe enfoncée dans le bois sur plusieurs centimètres et la lame vibrait encore de l'impact, clouant une affichette. Hors d'haleine, moins sous l'effet de la fatigue que de la fureur, Parker arracha la feuille de papier. Il s'agissait de la reproduction d'un avis de recherche tels qu'on les concevait au XIXème siècle, avec le portrait dessiné du fuyard. Le portrait, bien sûr, était celui de Jarod, l'emplacement dévolu à la spécification du montant de la récompense avait été rempli par un point d'interrogation. Mais le plus insultant, jugea Parker dont les lèvres se réduisirent à une mince ligne blême, était le fait que le mort de la mention recherché mort ou vif avait été rayé d'un grand trait de feutre. En lettres bien assurées, le petit monstre avait écrit en dessous merci dans un rouge sang agressif et offensant.
Sydney se tenait sur le seuil de l'académie, la dévisageant avec de grands yeux étonnés. Elle lui rendit son regard, d'un air furieux, et explosa: "Qu'est-ce que vous fabriquez ici, vous?
- J'ai reçu un appel au Centre me demandant de venir ici de toute urgence. Est-ce que tout va bien?
- Jarod, cracha-t-elle. Je suppose que vous ne l'avez pas croisé dans le parking? Inutile de me répondre, ajouta-t-elle aussitôt, vous ne me le diriez pas, si vous l'aviez vu.
- Mlle Parker, ça n'a pas l'air d'aller."
Elle lui balança l'affichette au visage; il l'étudia avec soin et ses sourcils se soulevèrent d'un air amusé.
"Il me semble évident qu'il a eu vent de votre petite... intervention auprès de Brigitte.
- Il était ici." Elle se passa la main dans les cheveux, au comble de l'exaspération. Puis elle pivota vers le réceptionniste qui aurait aimé se trouver ailleurs, n'importe où ailleurs. "Vous, là! Je croyais qu'il s'agissait d'un club privé. Vous laissez entrer n'importe qui sans vérifier?
- Absolument pas, mademoiselle, répondit-il respectueusement. Ce monsieur est un de nos membres depuis quelques jours.
- Un de vos membres? Qui l'a parrainé?
- Mais... mais..." Le jeune homme se mit à bafouiller et se tassa derrière son comptoir. Il vit approcher le moment où Mlle Parker allait l'attraper par le col de sa chemise amidonnée et le secouer comme un prunier. "Mais vous, mademoiselle."
Elle en resta sans voix.
"Ce doit être une erreur," dit Sydney, volant à son secours.
Le réceptionniste reprit son souffle. L'ami de Mlle Parker semblait bien plus calme et patient que la jeune femme.
"Je ne pense pas, monsieur. Nous avons bien sûr conservé la lettre de parrainage de M. Parker, elle doit se trouver..."
La jeune femme ne le saisit pas par le col de sa chemise, mais par les revers de sa veste à écusson, le soulevant presque du sol ciré.
"Monsieur qui? aboya-t-elle. Sortez-moi votre registre."
Il s'empressa d'obéir. Il avait déjà eu affaire avec Mlle Parker, et si elle était impatiente, jamais elle ne s'était montrée brutale comme aujourd'hui. Il lui tendit le registre d'une main qui tremblait, soulignant le nom du dernier adhérent au club.
"Jarod Parker. Vous figurez sur le registre comme étant sa marraine, mademoiselle."
Elle considéra le livre, un sourire incrédule aux lèvres.
"Et puis-je savoir quel est mon lien de parenté avec Jarod Parker? demanda-t-elle.
- Il est..." Le réceptionniste réfléchit à la réaction de Mlle Parker et à la façon dont elle avait formulé sa question, et il se décida pour une autre approche. "Il s'est présenté comme étant votre frère, mademoiselle.
- Mon frère." Elle rejeta la tête en arrière, les yeux clos, puis elle les rouvrit et braqua un regard glacial et accusateur sur le psychiatre. "Mon frère, répéta-t-elle, paraissant rendre Sydney personnellement responsable du discutable sens de l'humour de Jarod.
- Il vous avait prévenue, dit-il tranquillement.
- Pardon?" Les sourcils noirs de Parker se relevèrent, lui donnant un air scandalisé.
"L'académie d'escrime à Columbus. Il a dit à M. D'Amato qu'il aimerait se livrer à un assaut d'armes contre vous. Il vous avait prévenue.
- Moi aussi, je vous préviens: j'aurai la peau de ce petit salaud, Sydney."
Elle claqua brutalement la couverture du registre et fila en direction des vestiaires des dames d'un pas raide. Le réceptionniste la regarda s'éloigner, si soulagé qu'il pensa un instant qu'il allait en pleurer. Il risqua un coup d'œil dans la direction du dénommé Sydney. Au contraire de Mlle Parker, il paraissait beaucoup s'amuser.
"Ce monsieur n'était pas le frère de Mlle Parker, n'est-ce pas?" Sydney secoua la tête, les lèvres avancées en une petite moue attristée. "Elle n'a pas de frère du tout, devina-t-il.
- Si j'étais vous, j'éviterais de lui reparler même vaguement de cette journée," conseilla gentiment le psychiatre.
