Season Of The Witch - Lana Del Rey

Dandelions - slowed + reverb - Ruth B., slater

TW : agression sexuelle


Ploc, ploc, ploc, ploc, ploc, ploc.

Les gouttes décomposaient la phrase qui tournait en boucle dans sa tête.

Bon. Bah. C'é. Tait. Sym. Pas.

Le toit était en train de fuir.

Où avait-elle égaré son écharpe préférée ?

Susan Bones avait beau la chercher depuis des heures, elle qui ne perdait jamais rien, ne la trouvait pas du tout. Elle fit le tour de son petit appartement, situé à Glasgow. Elle avait déménagé, deux semaines auparavant et la plupart de ses affaires étaient encore dans de grands cartons, contenant ses meubles, ses photographies, ses diplômes, ses livres, ses plantes et ses vêtements. Elle prenait ce dont elle avait besoin en lançant des accio à tout va, elle mangeait des céréales à même la boîte et dormait roulée en boule sur le canapé-lit qu'elle avait tout même pris le temps de sortir.

Susan ne supportait plus Londres.

Parce que tout là-bas, la ramenait à lui.

OOO

Elle habitait le dernier étage.

Sa tête était dans le brouillard pourtant.

Le toit était en forme de V inversé dans sa chambre. On voyait les poutres, le bois et les velux offraient une lumière grise qu'elle aurait arrangé en temps normal avec de beaux rideaux et des guirlandes de fleurs séchées.

Elle voyait le sommet des arbres qui perdaient leurs couleurs.

Susan adorait l'automne.

Mais à celui-ci, tout semblait vouloir mourir.

OOO

Susan était une fille nunuche. Une fille de l'automne. Une fille qui avait plus de cinquante-deux bougies parfum « un automne au canada » ou « pecan pie ». Une fille qui mangeait de la soupe de citrouille. Une fille qui aimait le vent et la pluie. Une fille qui se voulait artiste mais abandonnait le scrapbooking, le tissage, le crochet, la couture, la peinture, l'écriture, quand le résultat ne la satisfaisait pas. Une fille qui avait un bouquet de sauge dans chaque pièce de sa maison. Une fille ronde. Une fille qui avait une collection de gilets - des gilets bleus, marrons, beiges, roses, violets, verts ou jaunes avec des fraises, des oranges, des cœurs, des abeilles, des trèfles, des chats ou des fleurs brodés dessus. Une fille tranquille, studieuse, sage. Une fille gentille. Une fille polie, réservée, presque timide. Une fille douce, qui faisait tout pour le paraître encore plus auprès de ses amis. Une fille sans famille.

Susan avait grandi avec un oncle décédé pendant la guerre et qui hantait les Bones. Des grands-parents malades. Une tante juriste, admirable, mais absorbée par son travail, sa passion. Une mère trop occupée à se soigner pour prendre soin de sa fille, un père... Un père qui aurait mieux fait d'être absent, voir même d'être seulement négligeant, plutôt que de faire autant de mal en si peu de temps.

Susan avait longtemps été seule.

Susan était une fille de l'automne. Lorsqu'elle s'enroulait dans ses plaids, elle se sentait en sécurité. Lorsqu'elle allumait une bougie, la flamme la rassurait. Lorsqu'elle entendait la pluie battre les carreaux comme à l'instant, elle sentait l'harmonie.

Il pleuvait vraiment beaucoup dehors.

Il pleuvait vraiment beaucoup aussi à l'intérieur.

Le toit fuyait.

Ses yeux pleuraient.

Putain. Mais où était donc passée cette foutue écharpe ?

OOO

Susan aimait écrire.

Elle tenait une sorte de journal intime, pas vraiment journalier, parce qu'elle ne l'ouvrait que lorsqu'elle ressentait quelque chose de fort ou de trop intense.

La première fois que son père l'avait frappée.

La première fois que sa grand-mère lui avait dit qu'elle était bien trop grosse.

La première fois qu'elle avait ri avec Lisa.

La première fois qu'elle avait dormi à Poudlard, dans la salle commune des Poufsouffle.

La première fois qu'elle avait eu peur pour un ami, en deuxième année.

La période la plus dense en écriture avait bien évidemment été celle de sa septième année. Entre les tortures, la révolte, les actions qu'ils avaient mené avec les autres membres de l'Armée de Dumbledore, la guerre, la mort de sa tante qu'elle aimait tant...

Un jour, Susan se disait que ses morceaux de vie seraient peut-être lus d'une façon ou d'une autre par les prochaines générations.

Elle chercha à écrire ce qui lui était arrivé. Ce qu'il lui avait fait. Ce qu'elle s'était fait.

Elle n'y parvint pas.

Et ce fut à ce moment-là qu'elle réalisa que c'était plus grave qu'elle ne le pensait, parce que Susan avait toujours su écrire.

Le beau et le laid. Le doux et le dur. L'horreur et la beauté.

Toujours.

OOO

- Alors votre semaine ? les interrogea Hannah d'une petite voix.

- Pas aussi terrible que celle d'avant, grommela Terry.

- Théodore ne va pas très bien en ce moment et ça m'inquiète.

Susan tiqua, comme à chaque fois que le prénom de Théodore sortait de la bouche de Lisa.

La jalousie s'infiltra partout en elle.

Il était en train de lui voler sa meilleure-amie.

- Qu'est-ce que Nott a ?

- Il a reçu plusieurs menaces dernièrement, grimaça l'ancienne Serdaigle.

- Il a demandé une protection à Potter, confirma Wayne. La Gazette m'a demandé de surveiller ça de près.

- Et ? l'interrogea Padma avec son éternel visage indéchiffrable.

- Qu'est-ce que tu veux qu'ils y fassent ? Les aurors ne vont pas protéger un Mang...

- Il n'en a jamais été un, claqua sèchement la langue de Lisa.

Hannah but une longue gorgée de sa boisson.

Depuis que Lisa était amie avec Théodore, parce que Lisa était le genre personne qui devenait amie avec tout le monde, même avec l'homme le moins bavard de cette planète, il était interdit de prononcer un mot de travers sur les Nott.

- Lisa..., commença Terry. On sait tous que...

- On ne sait rien. Affirmer une telle chose sans preuve relève de la diffamation et est punissable d'une amende de quinze mille gallions, récita Susan d'une voix forte pour venir en aide à sa meilleure-amie.

Susan n'aimait pas Théodore Nott.

C'était un homme qui ne traitait les autres qu'avec désinvolture et condescendance.

Il n'avait jamais bronché, jamais rien fait, dit contre les Carrow lors de leur septième année à Poudlard. Il n'avait jamais adressé un regard à Susan. Jamais. Pas même quand il était avec Lisa et que Susan les croissait dans les couloirs du Ministère de la magie. C'était comme si elle n'existait pas.

- On a eu un nouveau cas intéressant à Sainte-Mangouste, reprit Terry en changeant de sujet.

- Je repars avec Sue en Chine la semaine prochaine, annonça Justin.

Ils finirent leurs boissons dans un silence pesant, mais étrangement loin d'être gênant. Hannah, Padma, Lisa, Wayne, Terry, Justin et Susan avaient appris à parler de ce qui n'allait pas, de ce qui allait bien et à ne pas parler quand leurs pensées partaient trop loin.

Ils avaient une belle amitié.

Ils avaient une merveilleuse relation.

Ils se remettaient juste de la guerre, chacun à leur façon.

Susan baissa la tête pour regarder ses pieds, caressant au passage ses cheveux ni brun, ni roux, ni blonds, mais un peu des trois à la fois. Ils étaient trop longs. Elle plongea son regard gris dans son verre. Elle le serra contre son coeur.

Elle travaillait en tant que juriste au département de la justice magique du Ministère. Autant dire qu'elle avait énormément de travail et peu de temps pour elle. Mais Susan ne s'en plaignait pas. Elle aimait être occupée. Elle aimait ne pas penser. Elle aimait le droit et la raison, la logique et le syllogisme.

Elle se battait pour que des crapules comme Lucius Malefoy terminent leurs jours à Azkaban et y pourrissent de la racine des cheveux jusqu'à l'ongle de leurs petits orteils.

Susan se voulait bienveillante.

Vraiment.

Elle voulait qu'on dise d'elle qu'elle était gentille, adorable et aimable.

Mais au fond d'elle, brûlait un sentiment de vengeance destructeur. Elle voulait que ces gens, ces Mangemorts, souffrent. Elle voulait qu'ils paient pour les morts de sa famille.

Susan n'était plus que la seule Bones encore saine d'esprit et vivante dans ce monde.

Il n'y avait que des morts autour d'elle.

Elle avait grandi avec des fantômes. Des morts dont on parlait tout le temps lors des repas de familles.

Elle avait été élevé par une mère instable, un père violent, une tante absente, un oncle merveilleusement mort...

Susan n'était pas quelqu'un de bien.

Elle n'était pas aussi juste qu'elle se plaisait à le croire ou à le montrer aux autres.

Susan releva la tête et prit la main de Lisa dans la sienne. Elle s'y accrocha, presque persuadée que si elle venait à la lâcher, elle se noierait.

Susan n'était pas tactile. Elle avait peur des mains. Elle avait peur de ce qu'elle pouvait lui faire comme mal. Lisa fut surprise, mais ne rompit pas le contact.

- Oh Susan..., murmura-t-elle avec des larmes dans la voix et dans les yeux.

Lisa ressentait la détresse de Susan et lorsque la brune pleura, Susan fut heureuse que quelqu'un soit enfin capable de verser des larmes à sa place.

Car Susan elle-même, n'y parvenait pas.

Elle avait besoin de retrouver son écharpe.

OOO

Si Susan avait été un parfum de glace, elle aurait été du goût de personne.

Du moins, c'était ce qu'elle avait longtemps pensé. Une partie d'elle le pensait encore, même maintenant qu'elle avait des amis. Des gens qui lui disaient « je t'aime », à elle, qui ne l'avait jamais entendu avant eux. Des gens qui lui faisaient des câlins, à elle, qui n'avait connu que la violence et les morsures des mains qui auraient dû l'adorer.

Lisa Turpin était son opposée en tout. Une extravertie qui exprimait ses sentiments comme un phare dans la nuit. Susan avait été un bateau égaré et elle s'était arrimée à la terre ferme grâce à Lisa. Elle l'avait défendue. Elle l'avait protégée. Lisa s'en serait prise au monde entier pour le sourire de Susan et quand elle y pensait, la jeune femme se disait qu'elle ne le méritait pas. Elles s'étaient rencontrées à Poudlard et autour de Lisa, Susan avait gravité, rencontrant d'autres satellites.

Hannah. Padma. Terry. Wayne. Justin.

Ses amis.

Ils avaient vécu mille aventures à Poudlard et après.

Les mois qui s'étaient écoulés n'avaient pas été faciles. Susan avait pensé que la dernière année du vingtième-siècle serait belle. Et elle l'avait été. Ils se soignaient de la guerre. Doucement.

Lisa ne se remettait de sa lâcheté, d'avoir fui le pays lors de la guerre.

Wayne buvait un peu moins, enfin toujours trop, mais c'était déjà ça.

Justin faisait moins de cauchemars, il parvenait parfois à chasser les Rafleurs de ses nuits.

Padma avait arrêté de se noyer dans le travail, préférant oublier l'horreur de ce qu'elle avait vu.

Terry ne pensait plus que leur génération serait brisée à tout jamais, maudite pour toujours.

Dehors, il continuait de pleuvoir, et les ploc réguliers des gouttes qui tombaient dans le bocal d'une ancienne bougie fondue donnaient un rythme aux sanglots de Susan.

Elle aurait voulu en parler à Lisa.

Sa sœur. Sa moitié. Sa confidente.

Susan aurait voulu lui dire ce qui lui était arrivé. Ce qu'il lui avait fait. Ce qu'elle s'était fait.

Susan avait honte.

Susan se sentait dégoûtante.

Susan voulait que la douleur s'arrête.

Susan voulait seulement être aimée et vivre sa belle histoire, être la priorité de quelqu'un. Au moins une fois dans sa vie...

Alors elle lui avait dit « oui ».

Susan avait besoin de cette écharpe.

OOO

Justin avait appuyé ses mains sur ses épaules et Susan avait bondi.

Des images lui revenaient.

Elle s'excusa auprès de ses amis et se dirigea vers les toilettes du Chaudron Baveur, où ses amis et elle se retrouvaient au moins une fois par semaine.

Elle vomit tout ce qu'elle n'avait pourtant pas mangé depuis cinq jours. Quand elle en ressortit, Lisa l'attendait :

- Que fais-tu pour la fête de la samain cette année ?

- Rien.

Lisa croisa les bras sur sa poitrine.

- Mais enfin, Susan ... C'est ta fête préférée !

Plus maintenant.

OOO

Susan déchirait tout ce qu'elle pouvait déchirer. Au début, c'étaient ses cuticules qu'elle rongeait. Après, elle était passée à la peau de ses doigts. Elle tirait sur celle-ci, jusqu'à saigner. Elle grattait et les plaies se rouvraient. Cela lui faisait mal. Mais elle le faisait inconsciemment, nerveusement.

Quand elle s'en rendit compte, elle se mit à déchirer les serviettes en papier du Chaudron Baveur. Elle en fit des confettis. De tout petits bouts blancs, qu'elle entassait en une pile qui grossissait.

Ses amis la regardaient faire sans rien dire.

Susan avait toujours été nerveuse.

Mais jamais au point de faire une si grande pile de si petits bouts de serviettes en papier.

OOO

Son écharpe favorite n'était pas vraiment la sienne. C'était celle de Lisa en fait. Elle la lui avait donnée, en échange de la sienne lorsqu'elles étaient en première année. Lisa l'avait fait pour apaiser le chagrin et la jalousie de Susan qui avait peur que Lisa ne soit plus son amie, étant si solaire, si aimée de tous... Susan était persuadée qu'elle l'abandonnerait. Alors Lisa lui avait dit que jamais elle ne ferait une chose pareille. Depuis ce jour, Susan avait porté le bleu et le bronze des Serdaigle, et Lisa, le jaune et le noir des Poufsouffle. Lors de sa septième année à Poudlard, Susan ne s'était jamais séparée de son écharpe. Lisa avait été avec elle, même si elle s'était enfuie au Texas pour échapper aux Rafleurs et aux Mangemorts.

Puis Lisa était rentrée de sa fuite au Texas.

Susan avait laissé échapper sa colère. Lisa l'avait abandonnée. Lisa, l'éternelle optimiste, qui allait si bien alors qu'elle... Elle allait si mal. Toujours si mal. Susan ne supportait plus d'être la gentille fille sage et grognon. Susan ne supportait plus d'être triste. Sa tante était morte. Son père était un connard qui l'avait frappée pendant huit ans. Sa mère était une lâche qui n'avait jamais assumé son rôle de parent. Certains Mangemorts, des assassins, étaient encore en liberté et fanfaronnaient dans les rues de Londres et partout dans le monde. Susan voulait tout casser.

La justice.

Il n'y avait que ça, qui comptait.

Leur faire payer à tous, pour tout le mal qu'ils faisaient aux gens innocents, comme elle.

Susan était devenue juriste. Elle avait décidé de faire honneur au nom des Bones, ces magistrats connus pour leur impartialité et leur droiture.

Susan était quelqu'un de bien.

Alors pourquoi avait-il fallu que cela lui arrive ?

Susan éclata en sanglots et le tonnerre gronda, camouflant pendant cinq petites secondes le bruit des pluies diluviennes d'automne.

Elle décida que demain non plus, elle n'irait pas travailler.

Elle sentait encore trop ses mains derrière sa tête qui appuyaient. Elle sentait son odeur. Elle sentait sa chair entre ses lèvres. Elle entendait encore ses râles, ses soupirs érotiques, ses grognements de plaisir et le glas.

« Bon bah... C'était sympa ».