1ère Epoque : Chapitre II

Echec et mat, ma Reine !

1ère Epoque: Chapitre 2

Soins

Dalamar venait de s'asseoir, enfin de se vautrer, dans son fauteuil favori, une horreur vaguement grisâtre, aussi laide que confortable, lorsqu'une formidable poussée d'énergie à l'état brute provenant du haut de la Tour le jeta à bas de son siège. Sa tête porta contre le guéridon placé à côté de lui. Sa dernière pensée avant de sombrer dans l'inconscience fut pour râler : "- Mais qu'est ce que c'est encore que ce bordel !"

Lorsqu'il repris péniblement ses esprits, ce fut pour se voir entouré des dizaines d'âmes-en-peine qui hantaient la Tour, se serrant frileusement les unes contres les autres, l'incompréhension et l'inquiétude se le disputant avec la panique dans leurs regards. S'appuyant lourdement sur le bras du fauteuil, l'elfe se releva mais dut s'asseoir lorsqu'une vague de vertige le submergea. Portant la main à son crâne, il fut surpris de la retirer couverte de sang.

"- Autant pour ceux qui disent que les mages ont la tête dure." Grommela-t-il

Attentif à ne pas démultiplier la migraine qui lui labourait le cerveau par des mouvements incongrus, le mage se servit une potion à l'odeur écœurante qui eut tôt fait de le soulager dès qu'il l'eut avalée.

Se tournant vers les âmes-en-peine qui ne l'avaient pas décollé d'un millimètre, il s'enquit des nouvelles.

"- Qu'est ce que c'était encore ? Un dragon c'est crashé sur le sommet de la tour, Le Temple de Paladine nous déclare la guerre ou, plus simplement, la Reine a éternué ?" Demanda-t-il avec lassitude, sirotant le fond de potion.

L'un des fantômes s'avança :

"- Ca venait du laboratoire du Maître, Apprenti. Il semblerait que quelque chose s'y soit produit. On a tous eut très peur. ON VEUT PAS Y ALLER !" Pleura le mort-vivant.

Dalamar haussa un sourcil. Mis à part lui-même et son défunt maître, personne n'était en mesure de faire du mal aux Gardiens.

D'un mot, le Maître des Robes Noires se matérialisa devant la porte du labo. Instantanément le Gardien se montra.

"- Maître, y a un truc !" Glapit-il

"- Je sais, laisse moi entrer."

"- Je peux pas..."

Avec agacement, l'elfe retourna dans ses quartiers et invoqua une Vision de la pièce.

Balayant le labo du regard, il ne vit pas tout de suite la forme immobile dans le fauteuil.

"- Maître ?" Commença timidement l'un des fantômes par-dessus son épaule.

"- Quoi ?"

"- C'est quoi ca ?" Questionna-t-il encore montrant d'un doigt impalpable le corps endormi.

Dalamar focalisa la Vision magique sur ce que lui indiquait le Gardien, et sentit sa mâchoire s'affaisser de plusieurs centimètres.

"- Rais…Raistlin ! "

Les âmes en peine s'agitèrent furieusement.

"- Le Maître, le Maître est de retour ???" La nouvelle fut bientôt connu de tous, morts, vivants, ou entre les deux...

L'elfe mit plusieurs minutes à reprendre son sang froid. D'une pensée, il appela le Gardien du labo et lui tendit un anneau.

"- Va poser ca sur Raistlin !" Ordonna-t-il

Continuant à observer la scène, il vit le fantôme poser l'anneau et partir. Respirant lourdement, il tendit son esprit vers l'artefact et actionna le sort de téléportation qu'il contenait. Un mince corps emmitouflé dans les lourdes tentures poussiéreuses apparut sur le sol près de lui.

Dalamar ne savait comment réagir. Comment diable son maître avait-il put revenir ? Le portail ne s'était pas ouvert, de cela il était sûr. L'Archimage marmonna quelque chose dans son sommeil et s'étira un peu, laissant voir la jambe brisée, plus violette que dorée, qui avait presque doublée de volume pendant son sommeil.

Avec un soupir, l'elfe le débarrassa des tentures sales, le souleva dans ses bras et l'emporta dans sa chambre. Faisant attention à ne pas meurtrir davantage la jambe blessée, il posa son maître sur le lit et le déshabillât avant de refermer les draps de coton sur lui.

Le jeune humain répondit d'un soupir détendu et s'enfonça davantage sous l'édredon.

L'elfe se redressa, soupira à son tour et entreprit d'examiner le corps mince.

Des dizaines de coups, de brûlures et de coupures avaient laissé leur empreinte indélébile sur la chair fragile, mais aucune lésion n'était véritablement grave. Avec un antiseptique léger, il désinfecta toutes les plaies ouvertes, les banda, puis s'occupa de la jambe du mage. La fracture, double, du péroné et du tibia, nette, n'avait pas bougé. Avec quatre baguettes de bois et quelques linges, il fabriqua une attelle de fortune puis, une fois son travail de raccommodage terminé, il prépara une potion antalgique et la fit avaler à son maître.

Enfin, il tira un fauteuil près du lit, s'assit et tenta de remettre un peu d'ordre dans ses idées.

"- Il est impossible qu'il se soit évadé seul des Abysses, sinon la Reine l'aurait fait depuis longtemps…il n'est guère plus probable qu'Elle ait décidé de le relâcher, Elle le hait trop…"

Le mage poussa un soupir d'exaspération. Il lui était impossible de connaître la vérité sur ce retour impromptu, tout au moins jusqu'au réveil de son Maître.

L'elfe se leva et se dirigea vers la fenêtre.

"- J'irai demander une explication à Astinus dès demain, il ne peut qu'être au courant…Et il sera le seul. Le Conclave ne doit pas savoir. Ils ne chercheraient qu'à le détruire sans même réfléchir une seconde. "

Ce rasseyant, il saisit un grimoire et ce prépara à veiller son maître la nuit durant.

L'aube se levait à peine qu'un rayon de soleil particulièrement vicieux donna en plein sur les yeux du plus vieux des deux mages. Avec un grognement mécontent, Dalamar ouvrit les paupières et se pencha vers son Maître.

La peau de l'humain était brûlante sous ses doigts, la sueur perlait sur le front pâle et sa respiration rauque rappelait plus le râle d'un mourant que l'efficace vigueur d'un homme en pleine santé. Otant les bandages placés la veille, L'elfe demeura muet d'horreur devant le spectacle répugnant des plaies purulentes qui s'étendaient en place des griffures bénignes de la veille.

Aussi doucement qu'il put, il souleva le corps torturé et l'emporta dans la salle de bain, remplit la somptueuse baignoire de marbre d'eau froide et plongea Raistlin dedans. Le mince corps se convulsa de protestation à la nouvelle épreuve qu'il lui était infligé et Dalamar eut toutes les peines du monde à l'empêcher de se noyer. Avec un juron, il retroussa ses robes et sauta dans l'eau près de l'humain.

Après de longues minutes d'immersion, la température du malade étant suffisamment descendue au gré de l'elfe, il se sortit de l'eau puis se débarrassa de ses vêtements mouillés après avoir remis l'humain au lit.

Saisissant un flacon d'antiseptique, il nettoya profondément chaque blessure sourd aux protestations incohérentes de l'Archimage qui c'était en partie réveillé.

"- Par la Reine, ca sert à rien, plus je nettoie et plus ça s'étend ! "

Il resta un moment plongé dans l'expectative la plus complète. Laissant son regard dérivé par la fenêtre, ses yeux tombèrent sur le Temple de Paladine.

"- Crysania ! Si la Reine est derrière tout ça, elle pourra faire quelque chose !"

Se dépêchant comme si une vie était en jeux, ce qui était probablement le cas, l'elfe borda soigneusement l'homme, appela un des Gardiens en lui donnant mission de surveiller le Maître, puis s'habilla et bondit dehors, attrapant au passage un vieux charme qu'Elistan lui avait donné des années auparavant.

D'un mot il fut aux portes des Jardins du Temple, causant la peur de sa vie au jeune novice qui filtrait les entrées. Aidant le jeune homme à reprendre une position plus verticale et plus digne de son état de prêtre, il exposa sa demande.

"- Je suis Dalamar, Maître de la Tour de Haute Sorcellerie de Palanthas et Maître du Conseil des Robes Noires. Je veux voir La Révérée Prêtresse Crysania, c'est une question de vie ou de mort."

"- Ha…heu…, je suis désolé, mais les robes noires ne sont pas autorisés à …hé ! Mais revenez, vous ne pouvez pas entrer, le Voile… "

"- …Est sans effet sur le porteur d'un charme offert par un Révéré Prêtre, jeune homme. Cria l'elfe en s'enfonçant rapidement vers les bâtiments. "

Courant presque, le mage gagna le Temple, sous le regard horrifié ou ébahi des prêtres qui arpentaient les allées. Arrêtant le premier porteur de robe qui lui tomba sous la main, il se fit menaçant

"- Crysania, où est-elle ?" Gronda-t-il

"- Les… les appartements du fond, après la po…porte de bronze." Bafouilla le gars

"- Merci…Mais c'était pas la peine de faire sous toi, je ne mange pas d'humain…mauvais arrière goût." Ne put s'empêcher de badiner l'elfe avec un sourire carnassier.

Le prêtre s'enfuit en courant. Il se dirigea vers la porte que lui avait désignée son guide, s'arrêta devant le temps de se donner une contenance et frappa au lourd ventail. Un "entrez" très calme lui répondit.

Ouvrant la porte, il se glissa dans la pièce puis referma pour se trouver nez à nez avec un énorme tigre blanc.

"- Révérée Prêtresse…commença-t-il, peut-être vous souvenez-vous de moi ? Je suis Dalamar…"

"- L'apprenti de Raistlin, oui, je me souviens de vous. Que faites-vous ici, et que puis-je faire pour vous ? Ce doit être vraiment urgent pour que vous osiez débarquer ici et créer une panique digne des plus belles heures des draconiens. "

La porte s'ouvrit en coup de vent.

"- Révéré Prêtresse, un Mage noir a pénétré au Temple et nous…" commença le garde avant d'apercevoir Dalamar.

"- Tout va bien, Farol, retourne à ton poste, Dalamar et moi sommes de vieux amis…" Sourit la femme.

"- Bien Prêtresse." Obéît l'homme, un peu abasourdit quand même.

"- Merci." Souffla le mage en s'asseyant dans le fauteuil le plus proche

"- Je doute que vous soyez là pour une visite de courtoisie…" Introduit prudemment la jeune femme.

L'elfe la regarda longuement.

"- Pardonnez-moi de vous demandez ça, mais vous devez me jurer de n'en parler à personne, c'est vraiment très important. "

Interloquée, elle "l'observa" un instant à son tour

"- Bien, vous avez ma parole, qu'y a-t-il de si grave que je ne puisse en parler à mon clergé ? "

"- Raistlin, il est vivant, vivant, à la Tour, mais agonisant. Je crois qu'il a réussi d'une manière ou d'une autre à fausser compagnie à la Reine, mais Elle se venge, Elle le tue à distance. Les blessures qu'il a récoltées en fuyant sont en train de tourner à la gangrène ou à la septicémie, je ne sais pas, à une vitesse effrayante. A ce rythme, il sera mort d'ici un jour ou deux… "

La prêtresse était paralysée dans la stupeur la plus totale. Raistlin, vivant, c'était trop de souvenirs douloureux qui remontaient à sa mémoire ; son amour malheureux pour le mage, la chute de ce dernier, puis son sacrifice… Avec une résolution implacable, elle se ferma aux souvenirs pour répondre à l'elfe.

"- Tu veux que je le soigne…" constata-t-elle en passant au tutoiement.

"- Oui, je ne te demande pas moins que de le sauver."

"- Alors qu'il a faillit me tuer, détruire le monde. "

"- Oui. "

"- Peux-tu nous transporter directement d'ici à la Tour ? "

"- Pas à moins que Paladine ne soit d'accord…" Sa réponse contenait un monde de non-dit

La prêtresse baissa un instant la tête en effleurant l'amulette de platine qui ornait sa gorge.

"- Tu peux incanter." Conclue-t-elle, répondant à toutes ses interrogations.

L'elfe leva une main, saisit doucement la jeune femme de l'autre, la sentant frémir sous son étreinte, puis lança son sort. Un flou lumineux joua autour d'eux, la matière et l'espace ondulèrent sous les doigts mentaux du mage et ils se retrouvèrent dans la chambre. Les gémissements de douleur du blessé les accueillant de bien sinistre façon.

Crysania se rapprocha du lit aussi aisément que si elle n'était pas aveugle. Ses doigts se rapprochèrent du visage de Raistlin mais elle les retira avec un petit cri de douleur aussitôt après l'avoir effleuré.

"- Tu avais raison Dalamar, c'est Takhisis qui le tourmente, elle veut le tuer à force de souffrances… "

"- Peux-tu l'aider ? "

"- Je vais essayer. Approche-moi un siège." Ordonna-t-elle d'un ton péremptoire.

L'elfe obéit sans ce faire prier puis recula un peu, "butant" au passage sur les Gardiens qui ne voulaient pas perdre une miette de la scène.

La jeune femme s'assit et posa une main sur le front brûlant. De l'autre, elle saisit son amulette et commença à prier.

"- Paladine, Dieu de Lumière, aide cet homme à fuir l'influence de la Reine, sauve-le de ses griffes. Paladine, Dragon de Platine, pardonne à cet homme et protège-le de plus de souffrances… "

"- C'est ce que tu veux ma fille ? Questionna une voix dans le secret de son esprit. Toi-même, lui as-tu réellement pardonné ? Penses-tu qu'il mérite vraiment une seconde chance ?"

"- Non, je ne lui ai pas complètement pardonné, mais je voudrais le faire fasse à lui…et lui demander pardon, moi aussi…Il mérite une seconde chance, tout le monde y a droit… Vous avez eux la bonté de m'en accorder une, faites de même pour lui… "

"- L'aimes-tu toujours ? "

"- Ce n'est pas lui que j'aimais, mais mon ambition et le reflet de moi-même qu'il me permettait de contempler. C'est mon ego que je nourrissais. "

"- Bien ma fille, j'aime que tu sois honnête avec toi-même. Puisque tu y tiens tellement, je vais l'aider… "

"- Merci mon Seigneur. Remercia-t-elle avec chaleur comme la voix et la présence de son Dieu s'estompaient. "

Ouvrant les yeux, elle contempla le travail de Paladine sur le corps mince. Les plaies avaient toutes disparues, la fièvre était tombée, Dalamar s'était rapproché et ôtait l'attelle devenue inutile, même les cicatrices qui constellaient le torse fin s'étaient estompées. La respiration sifflante était plus claire et plus profonde, preuve la plus éclatante que Takhisis avait reculé devant la puissance du Dieu-Dragon.

Elle se laissa aller en arrière avant de jeter un petit cri. Ses yeux, ils étaient guéris, eux aussi.

"- L'aveuglement n'est plus de mise il me semble, puisque tu t'es ouverte à toi-même, il est normal que tes yeux se tournent vers l'extérieur désormais." Souffla une dernière fois la voix divine.

"- Crysania ? Commença l'elfe. Ca va ? "

"- Oui, parfaitement, Paladine a répondu à mon appel, il a rendu la santé et une seconde chance à Raistlin. Puis, tournant ses yeux d'azur vers le mage. Et il m'a rendu mes yeux !" Finit-elle dans un sourire.

Dalamar lui rendit un sourire tout aussi éclatant, puis se tourna vers son maître qui ouvrait les yeux en gémissant.

"- Shalafi, content de te revoir parmi les vivants… "

L'archimage observa la prêtresse blanche et le mage noir puis questionna.

"- Certainement, mais qui êtes-vous…et qui je suis ! ?" Conclut-il avec un rien de panique dans la voix.

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