Echec
et mat, ma Reine !
1ère
Epoque : Chapitre 5
Désespérance
Palanthas,
Grande Bibliothèque, coucher du soleil :
Raistlin
se téléporta directement dans la Bibliothèque et se mit en quête d'un esthète
ou d'Astinus lui-même.
Bertrem époussetait tranquillement l'un des nombreux
rayonnages lorsqu'un bruit de bottes sur le parquet ce fit entendre.
Les pas se rapprochèrent et s'arrêtèrent derrière
lui.
Pensant avoir à faire à un de ses subordonnés, il se
prépara à lui passer un savon monumental, les bottes n'étaient pas de mises en
ces lieux.
Prenant son temps, il finit de nettoyer la rangée
qu'il venait d'entamer avant de se retourner. Son engueulade lui resta coincée
dans la gorge lorsqu'il tomba nez à nez avec l'Archimage.
"- Mzrthmjf ??!!"
"- Content de te voir également Bertrem.
Puis-je voir ton maître ?"
"-
Azrgtnklr !?!"
"- Raistlin Majere !" Fit une voix
derrière les deux hommes. "Je me doutais bien que vous finiriez par me
rendre une petite visite. Plutôt que de terroriser mes esthètes, si vous veniez
avec moi… Entre les apparitions impromptues de Dalamar et les vôtres, ils vont
finir par me lâcher…ou par me demander une prime de risque."
Le mage sourit et suivit l'homme immortel dans son
bureau. Sur son invitation, il s'assit dans le fauteuil qui lui fut désigné.
Tapotant la couverture du premier livre d'une pile
somme toute conséquente, Astinus la désigna ainsi que sa jumelle, posée sur une
desserte près du mage.
"- Voilà ce que tu cherches. J'ai marqué les
pages qui te concernent."
"- Merci."
"- Es-tu sur de vouloir les lire ?"
Le thaumaturge soupira.
"- Je le dois."
"- Loin de moi l'idée d'intervenir dans le
cours des événements." Le mage ne put retenir un sourire sardonique.
"Mais ce n'est peut-être pas une très bonne idée."
"- Pitié, pas vous aussi ! Où puis-je
m'installer ?" Coupa Raistlin avec irritation.
"- Tu peux rester ici…Si Dalamar te cherche, je
m'en occuperai."
Il remercia et ouvrit le premier ouvrage de la pile.
**************
Sud de Leynav, crépuscule.
La créature évoluait à pas lourds et maladroits. Son
maître ne l'avait pas conçue pour une marche bipède et les jambes qu'il lui
avait greffées n'étaient pas articulées correctement pour cela et elle
souffrait de devoir rester sur ses postérieurs.
Sans se plaindre, elle suivit les instructions
reçues.
Nul ne devait soupçonner qu'elle n'était pas
humaine.
Avisant l'odeur d'humains, la bête s'arrêta un
instant et tendit l'oreille à la recherche du sifflement significatif de
l'acier sur l'acier.
Rassurée, elle reprit sa marche et finit par tombée
sur ce qu'elle cherchait : une ferme isolée.
Deux enfants jouaient au bord de la rivière, sautant
dans l'eau comme de jeunes chiots, s'amusant à éclabousser leur mère lavant du
linge légèrement en amont. D'une voix grondeuse mais affectueuse, la femme
tentait tant bien que mal de faire régner un semblant de discipline dans sa
marmaille, sachant d'avance que c'était peine perdue.
Le père des enfants n'était en vue nulle part, ce
qui arrangeait bien le monstre.
Sortant des sous-bois qui l'avaient masqué aux vues
de la petite famille jusque-là, La bête se mit à quatre pattes et galopa
jusqu'à ses proies.
La mère n'eut même pas le temps de hurler.
D'un coup de griffes presque négligent, elle arracha
la tête de la femme qui roula au loin.
Un geyser de sang jaillit de la plaie béante.
Sortant une trompe improbable de l'orifice dentu qui
lui servait de gueule, la créature aspira le fluide carmin jusqu'à dessécher
complètement le cadavre.
Le plus jeune des deux enfants cria lorsque l'assassin
de sa mère se tourna vers lui.
Son aîné pris la fuite.
En vain.
Utilisant la pointe effilée de sa queue, le monstre
transperça le dos de l'enfant avant d'embrocher le cadet.
Les deux enfants moururent instantanément.
Portant très haut la queue pour que les corps ne
traînent pas par terre, la créature ramassa la tête de la femme puis retourna
dans la forêt. Son maître serait content. Avec un peu de chance, il serait
nourri avant de repartir en chasse pendant la nuit.
Alors qu'elle s'était éloignée depuis plusieurs
minutes, un hurlement de douleur et de désespoir absolu atteignit ses oreilles.
Oui, décidément, le maître serait content…
Au bord de la rivière, Talion venait de découvrir
les lieux du carnage. Assis sur les talons, il berçait le corps sans vie de sa
femme. Sur ses lèvres, un seul mot eu droit de citer : rétribution.
A l'Ouest, les derniers rayons du soleil moururent.
***************
Sud de Leynav, crépuscule.
Dans la petite grotte que le jeune thaumaturge avait
aménagée, une délicieuse odeur de viande rôtie embaumait l'atmosphère.
Un feulement rauque se fit entendre près de la
"porte". Le propriétaire des lieux leva le sort environnemental qui
maintenait l'ouverture scellée et invisible de l'extérieur. Un énorme fauve
entra, portant le produit de sa chasse et le déposa sur la table, tout fier de
lui, puis vint de frotter contre son maître.
Il lui caressa la tête pour lui prouver sa
satisfaction.
"- Et ton frère, tu l'as abandonnée dans les
bois ?" Questionna une voix mélodieuse en voyant le fauve repartir en
chasse.
Un grondement irrité lui répondit et l'autre
prédateur franchit le seuil.
Boitillant, il déposa au sol une masse de chaînes et
de plaques métalliques.
"- Un piège à loup ? Tu as été blessé ?"
Un gémissement plaintif et une patte levée lui
apprit que oui.
Choisissant un onguent parmi les nombreux pots qui
encombraient les étagères, la plaie fut rapidement enduite du produit curatif
et bandée avec de longues lanières de lin blanc.
Baissant la tête pour parfaire le nœud, une longue
mèche de flamme s'échappa du capuchon de la robe et tombât sur la fourrure
d'argent du prédateur.
******************
Palanthas, milieu de la nuit.
Raistlin était assis au bureau d'Astinus. Incapable
de détourner les yeux des pages qu'il lisait.
Plusieurs fois dans la nuit, Astinus était venu le
voir.
A chaque fois, il avait trouvé le jeune homme plus
livide, plus horrifié et atterré de ce qu'il lisait que la fois précédente.
L'Archimage parvint enfin à repousser les livres.
Le regard vide, les yeux écarquillés et injectés de
sang, il se leva et s'approcha de la fenêtre. S'appuyant lourdement contre le
montant, il laissa son regard dériver dehors.
La Tour occupait la plus grande partie du panorama.
Malgré la noirceur de la nuit, elle était plus
sombre encore.
Abîme de néant au sein de l'obscurité nocturne,
dressée vers le ciel comme un phallus obscène, la Tour Noire semblait le
narguer.
Pour la première fois, son "foyer" lui
apparu sous son vrai jour, écrin monstrueux protégeant la folie des mages,
matrice d'incalculables atrocités commises, vivier d'effroyables erreurs…
Alors que sa vie lui apparaissait enfin dans toute
son horreur, la Tour ne lui renvoyait que le reflet de ses propres erreurs, de
toutes ses infamies.
Ses jambes refusèrent de la porter plus longtemps.
Il glissa à terre avec un gémissement de bête
blessée.
Effondré, il se recroquevilla, tentant dans un
futile effort de retenir les six semaines d'innocence et de bonheur qu'il
venait de vivre.
La petite dague d'argent qu'il conservait dans un
fourreau de cuir sur son avant-bras
tomba au sol avec une résonance cristalline.
***************
Sud de Leynav, milieu de la nuit.
Le mage fit le tri dans les prises que lui avaient
rapporté ses Chasseurs.
Ravi, il y avait là de quoi poursuivre les
expériences et intensifier leur fréquence jusqu'à une cadence satisfaisante
pour les quatre semaines à venir.
La Reine serait contente.
Un seul de Chasseurs avait été blessé et la blessure
était des plus bénigne. Quelques soins avaient suffit pour qu'elle retourne en
quête.
Avec un rire chaud, il se servit un grand bol de la
mixture qui mijotait sur le feu et y fit tremper quelques restes de pain dur.
Il allait devoir se rendre en ville pour faire quelques achats.
Posant son bol sur la table de pierre, il sortit sa
Robe d'un coffre à vêtement et la secouant pour en déloger la poussière, il
alla l'accrocher à l'extérieur de la grotte. L'air de la nuit serait suffisant
pour défroisser l'habit de cérémonie qu'il arborait.
Un grognement s'échappa de l'enclos des Chasseurs.
Ses bébés avaient faims.
Rentrant dans la grotte, il saisit un sceau remplit
de viande.
****************
Palanthas, Tour de Haute Sorcellerie, Aurore.
Dalamar se réveilla en sursaut, certain que quelque
chose n'allait pas. Son sommeil avait été trop lourd pour être naturel.
Emergeant des couvertures, il s'assit sur le bord du
lit et prononça quelques mots à voix basse en direction de la bouteille de vin
qu'il gardait sur sa table de nuit. L'alcool brilla d'une lueur verdâtre, malsaine.
Avec un juron, il saisit ses vêtements au vol et
s'habilla en courant.
Gravissant les marches de pierre quatre à quatre, il
ouvrit à la volée la porte de Raistlin.
La chambre
était vide, le feu de cheminée éteint depuis longtemps. Le lit, vide et froid,
n'avait même pas été ouvert.
L'elfe se décomposa.
- Il
n'a pas fait ça !? Gémit-il plaintivement.
Copyright Asrial 1999-2000
