Echec
et mat, ma Reine !
1ère
Epoque : Chapitre 7
Conseils
de guerre
Leynav,
début de l'été, salle du conseil, dans la soirée
Talion
entra dans la salle du conseil, une masse de chair encore fumante sur l'épaule.
Il la jeta sur le sol devant la table derrière laquelle trônaient les notables
du village.
"-
"Voilà" ce qui ravage la région. Ces choses grouillent de plus en
plus nombreuses. Elles en oublient toute prudence. J'ai tué celle-là cette
nuit, alors qu'elle s'en prenait aux chèvres de Tamasin. Cette chose n'est pas
naturelle, aucun dieu n'aurait eu la folie de créer une horreur pareille. "
Le
bourgmestre et ses administrés s'approchèrent prudemment de la carcasse de la
bête. Grande comme un poney, il lui manquait toute la moitié droite du corps.
La tête était celle d'un chien, mais le mufle était celui d'un cochon. Une
longue trompe partant du fond de la gorge pendouillait sur le torse couvert
d'une fourrure argentée. Les hanches étaient celles d'un lézard verdâtre et les
pattes de derrières étaient des jambes humaines. Les pattes avant rappelaient
celles d'un gorille et une longue queue écailleuse bougeait encore
convulsivement sur le sol. Le dard acéré qui la terminait dégouttait d'un venin
noir et acide. Le tout émettait une odeur pestilentielle.
Le
jeune mage qui assistait ce soir à la réunion accusa durement le coup à la vue
de la bête.
"-
Magnifique n'est-ce pas ?" Ironisa l'ancien fermier. "Cette bête est
conçue pour tuer. Je n'avais jamais vu ça. Cette chose à tuée ma famille, j'ai
bien reconnu ses empreintes." Gronda Talion.
Un
silence de mort plana sur l'assistance
"-
Ca ne peut plus durer. La nuit est devenue aussi dangereuse que Sanxion sous la
coupe des draconiens. Il y a de plus en plus de mort. Hier s'était Dovell et sa
famille, il y a deux jours les troupeaux de Maxin ont été massacrés… !"
Explosa le ferronnier
"-
Tout ça c'est la faute de cette fille, là, la robe noire. Les meurtres ont
commencé peu après son arrivé." Commenta le forgeron.
"-
Il faut ce débarrasser d'elle." Gronda le premier
"-
La brûler." Cria un homme.
"-
Réduire ses créations en charpie."
"-
La crucifier serait plus efficace." Grinça la sage-femme.
Une
voix douce s'éleva au milieu des cris.
"-
Allons, mes amis. Cette femme est une magicienne de talent. Elle vous
transformerait en navet avant que vous ayez eut le temps de dire ouf ! De plus
si elle n'est pas totalement innocente des troubles qui se produisent, je ne la
crois pas coupable des meurtres et des enlèvements." Expliqua Valoran
"-
Ha oui ? Et vous pouvez peut-être nous expliquer sur quoi vous vous basez, robe
blanche, nous aimerions bien savoir. Qui nous dit que vous ne la protégez pas
par pur corporatisme ? Les mages ne sont pas tellement appréciés en général et
nous en avons deux à moins d'une demi-journée de marche. Pour un village de
moins de deux cents âmes, ça fait beaucoup, non ?" Siffla un homme.
"-
Je sais que votre famille a fait partie des premières victimes, Talion, mais ne
mettez pas ma parole en doute. Comment vous expliquer…Tous les mages émettent
une "vibration" qui claironne leur présence ou l'utilisation d'un
sort auprès de leurs confrères aussi sûrement que s'ils allumaient un fanal
dans la nuit. Elle ne permet pas de dégager l'identité du mage, mais on peut en
déduire quelques indices et la signature magique n'est pas celle d'une femme…
Sauf erreur bien sur…"
"-
Vous devez faire quelque chose." Gémit le bourgmestre. "Nous sommes impuissants devant de telles
forces occultes…"
"-
Je ne suis qu'un apprenti." S'excusa Valoran. "Toutefois, il serait
peut-être plus sage de faire intervenir un mage de plus haut rang, il sera
certainement capable de découvrir le fin mot de cette histoire…Je partirais dès
demain pour la Tour de Wayreth et demanderait l'aide du Conclave. La situation
est suffisamment sérieuse pour que les vieux croûtons qui nous guident interviennent
et…"
"-
Tu ne bouges pas d'ici, le mage." Coupa Talion
"-
Mais…"
"-
Nous enverrons quatre hommes vers cette foutue forêt. Toi tu restes ici et tu
te débrouilles comme tu veux pour protéger le village. Tu as des pouvoirs
utilise-les !"
Un
grondement d'approbation s'éleva parmi les villageois.
"-
Vous ne comprenez pas, aucun non-mage ne pourra mettre les pieds à Wayreth, la
Tour est protégée par un puissant sort…"
"-
Et bien débrouilles-toi pour fournir un talisman, une amulette, n'importe quoi,
mais tu resteras ici."
Valoran
parus sur le point de protester mais il se fendit d'un sourire un peu idiot et
accepta la motion.
"-
Je ne connais pas grand chose au gouvernement d'un village, mais si ma présence
permet de calmer les esprits, ce sera avec plaisir que je ferais de mon mieux pour
accomplir la tache que vous me confiez."
Il
eut un sourire étrange.
"-
Oui, je fais de mon mieux pour obéir aux ordres…toujours…" Ajouta-t-il à
voix basse.
Les
villageois désignèrent rapidement leurs envoyés. Le morose Talion fut introduit
chef de la mission à l'unanimité et il fut décidé qu'il serait accompagné des
fils de trois autres fermiers. Les quatre hommes mirent à profit le reste de la
nuit pour fourbir leurs armes pendant que les villageois leur préparaient
nourritures et montures.
Valoran
regagna son antre pour y concevoir un charme capable de les guider jusqu'à la
Tour.
***********************
Leynav,
début de l'été, salle du conseil, le lendemain matin
"-
Voilà mes enfants. Faites votre devoir. Tout le village compte sur vous.
Ramenez-nous un mage capable de venir à bout de ces créatures."
Valoran
s'approcha comme les hommes se mettaient en selle et leurs tendit plusieurs
objets.
"-
Ceci, est une pierre de focalisation. Elle permettra d'annoncer votre présence
lorsque vous approcherez de Wayreth. Gardez là simplement dans votre poche. Ce
petit objet est un sort de garde. Ainsi vous n'aurez pas à monter la garde le
soir. Il s'en chargera." Expliqua le mage en désignant le bout de bois
bizarrement torturé que Talion observait avec suspicion. "Enfin, n'oubliez
pas d'emporter les restes de la créature avec vous. Vous en aurez probablement
besoin pour convaincre le Conclave. Dites à Maître Dunbar que vous venez de ma
part. C'est le chef des robes blanches. Il devrait vous prêter une oreille plus
attentive que Justarius ou Dalamar. Et il ne perdra pas une occasion de mettre
des bâtons dans les roues de ce dernier."
Talion
riva un instant son regard dans celui du mage et n'y lut qu'une désespérante
envie de faire plaisir et d'aider les autres. Même un prêtre de Paladine serait
dégoutté par tant de gentillesse et de naïveté. Toutefois, quelque chose au
fond de lui, l'instinct du chasseur peut-être, ne put s'empêcher de le mettre
mal à l'aise.
Remerciant
le jeune homme d'un hochement de tête, il fit volter sa monture, fit un signe à
ses trois camarades et éperonna sa monture. Avec de la chance, ils
atteindraient la Tour d'ici une semaine, dix jours au plus.
Lançant
un dernier regard derrière lui, il pria silencieusement pour que l'étrange
malaise qui le tenaillait ne fut rien d'autre que son imagination.
Alors
qu'ils passaient la porte du village, le sourire un peu ahuri du mage se
modifia, reflétant une détermination absolue. Un éclair adamantin passa sur ses
prunelles.
*******************
Forêt
de Wayreth, deux semaines plus tard.
Talion
se traîna temps bien que mal le long du sentier. Cela faisait maintenant plus
de six heures qu'il l'empruntait et aucune Tour n'était en vue. Elle semblait
se détourner de lui et par un quelconque sortilège, il finissait toujours par
regagner son point d'entrée dans la forêt. Avec un cri de rage, il se laissa
tomber par terre.
"-
Foutus mages, vous voulez ma mort. Restez donc à vous terrez dans votre cocon.
Les gens meurent à cause de vous et vous vous en foutez. Trois adolescents ont
péris pour avoir votre aide. Allez donc pourrir dans les abysses et que
Takhisis vous dévore le cœur."
"-
Ne dit pas des choses pareilles jeune homme comme on dit, tu pourrais obtenir
ce que tu souhaites. Viens avec moi veux-tu, nous verrons ce que nous pouvons
faire."
"-
Et vous êtes qui ?"
"-
Par-salian, mon garçon. Je suis à la retraite maintenant, mais je fut le Chef
du Conclave jusqu'à récemment."
"-
On m'a dit de m'adresser à Dunbar…
- Nous
y allons de ce pas. Ramasse ton sac et allons-y."
Talion
récupéra le sac qu'il traînait de plus en plus difficilement et suivit le
fragile vieillard. La Tour se profila rapidement et il se rendit compte qu'il
marchait moins vers elle qu'elle ne s'avançait vers lui.
Avec
un frémissement, il commença à se rendre compte de l'endroit où il était tombé.
Une kyrielle d'hommes et de femmes, vêtus de neige, d'ébène ou de pourpre se
déplaçaient rapidement dans les jardins couverts de plantations hétéroclites.
Dans
la Tour, c'était encore pire et le fermier en eut le vertige.
Sa
colère fondit rapidement, remplacée par la peur.
Des
mages noirs discutaient philosophie avec des robes blanches, des sorciers
rouges marchaient lentement dans les couloirs, le nez dans leur grimoire, se
cognant aux colonnes de marbres qui soutenaient l'immense galerie en servant
des "excusez-moi madame" aux pylônes imperturbables sans pour autant
lever le nez de leur livre.
Parfois,
l'un d'entre eux s'arrêtait, et avec un petit cri de satisfaction courait dans
la direction d'où il venait, ravi d'avoir découvert une notion qu'il était le
seul à percevoir.
Plus
encore que la défunte Académie d' Istar, la Tour de Wayreth n'avait d'autre
fonction que d'offrir un calme lieu d'études pour les mages de Krynn. Ici, les
dissensions entre les Robes, les religions ou les partis politiques n'avaient
pas droit de citer. L'étude, la collecte d'information, la recherche et
l'échange d'idée étaient les seuls véritables maîtres.
Talion
s'arrêta devant le spectacle étonnant que lui offrait la salle d'étude de la
Tour. Il sentit ses jambes vaciller sous lui. La situation parut trop
surréaliste pour son cerveau de bouseux campagnard et refusa de faire davantage
d'effort. Les deux dernières semaines ne l'avaient déjà que trop mis à mal
physiquement et psychologiquement. Il choisit de faire la grève du zèle.
Sans
un bruit, Talion s'écroula sur le sol et dans l'inconscience.
************************
Le
fermier ouvrit difficilement les yeux, l'unique flamme d'une bougie lui brûlant
si cruellement la rétine qu'il referma les yeux et gémit.
Un
froissement d'étoffe se fit entendre.
"-
Vous revoilà parmi nous, Messire ?"
"-
Talion, je m'appelle Talion, et je ne suis le sire de personne." Sa voix
était amère.
"-
Vous êtes à la Tour de Wayreth. Je pense que vous vous rendez compte qu'il est
exceptionnel qu'un "civil" puisse mettre les pieds ici. Si ce n'était
Par-salian, Nous vous aurions jeté dehors après vous avoir soigné."
"-
Et qu'est ce qui vous en a empêché ? "
"-
Le contenue du sac que vous aviez avec vous et qu'il a fallu découper pour vous
faire lâcher." L'informa une seconde voix.
Talion
baissa un regard surprit sur sa main gauche. Il tenait encore, si serré qu'il
s'en était ouvert la paume, un morceau de la toile de son sac.
"-
Nous supposons que le contenu de ce sac est la cause de votre présence ici."
Expliqua le premier homme en s'approchant du cercle restreint de lumière.
"-
Vous êtes Dunbar ?"
"-
C'est exact. Par Salian nous a informé que c'était moi que vous vouliez voir."
"-
Valoran m'a conseillé de m'adresser à vous. Que vous seriez plus réceptif que
Justarius et Dalamar, et que vous ne dédaigneriez pas embêter ce dernier. Quoi
que cela puisse vouloir dire."
Un
ricanement s'échappa de la gorge du deuxième homme qui avait parlé.
"-
C'est sympathique, c'était bien la peine de m'envoyer chercher en urgence,
vraiment." Lança un troisième homme visiblement outré.
"-
Je suis navré Dalamar. Valoran a toujours été un peu…naïf et éthéré. Il n'a
guère de tact." Sourit Dunbar.
"-
Un peu idiot sur les bords serait le terme exact mon ami. C'est à ce demander
comment il a pu passer l'Epreuve." Repris Justarius
Dalamar
grommela quelque chose sur les parents, la possible descendance de Valoran et
ses performances au lit avant de reprendre une contenance plus digne de son
rang.
Il
s'avança à son tour dans la lumière.
Talion
hoqueta de surprise en reconnaissant un elfe.
"-
Bien, maintenant que les présentations sont plus ou moins effectuées, vous
voudrez bien éclairer notre lanterne. Cette créature est visiblement d'origine
magique, où l'avez vous trouvée ?"
"-
Je l'ai tuée, prêt de mon village. Leynav. C'est un petit village, mais tout le
monde se connaît. Tout ce passait très bien jusqu'à il y a 3 mois environ. Nous
avions déjà Valoran qui c'était installé près du village, dans le canyon des
vents il y a deux ans, mais une sorcière s'y est installée à son tour. Son
arrivée a coïncidé avec les premières attaques de ces bêtes. Elles sont de plus
en plus nombreuses et s'attaquent à tous, hommes ou animaux. Nous n'osons plus
sortir de chez nous la nuit, de peur de nous faire dévorer. Même le jour ce
n'est pas sûr. Ma famille a été exterminée en quelques instants, au crépuscule,
il y a deux mois. Nous étions quatre pour venir ici. Ajouta-t-il, mais mes
camarades se sont fait tuer par les sœurs de cette bestiole. Le charme de garde
que nous avait fournit Valoran n'a pas suffit… Je ne vis plus que pour voir ces
créatures détruites jusqu'à la dernière. Finit-il d'une voix dure.
"-
Je vois…Qui est cette femme. A vos paroles je pense qu'elle est des robes
noires ?"
L'homme
hocha la tête
"-
Personne ne la connaît. C'est à peine si on l'entr'aperçoit de temps en temps.
Elle s'est installée à la pointe Ouest du canyon. Personne ne va là-bas. C'est
bourré de gnolls et bestioles du même acabit."
"-
Peux-tu toutefois la décrire ?"
Talion
réfléchis un instant.
"-
Très grande, avec de très longs cheveux rouges, elle à aussi un vocabulaire
très épicé…"
"-
Pyra !" s'exclama Justarius
"-
Quoi ?"
"-
C'est Pyra. Son vrai nom est Dévadoris, elle est originaire de l'Est de
l'Ergoth, enfin d'après ce qu'elle dit. Je ne vois qu'elle répondant à cette
description. Et elle a passé l'Epreuve il y a moins de six mois. Elle l'a d'ailleurs
réussi de manière assez brillante, je dois l'avouer. Elle est un peu dingue,
complètement allumée…
"-
Ca doit être les cheveux." Souffla Dalamar à l'oreille de Dunbar qui lui
renvoya un regard glacé.
"-
…Et vraiment dangereuse." Finit le Maître du Conclave, imperturbable. "Je
vais lui envoyer quelques personnes à même de lui faire revoir sa position sur
les golems…"
"-
Excusez-moi…"
Les
trois mages se tournèrent vers le fermier.
"-
Valoran à dit un truc du genre " la signature magique n'est pas
féminine…""
Ils
froncèrent les sourcils.
Pendant
que chacun réfléchissait, une idée germa dans le petit cerveau retors de
l'elfe. Depuis près de trois semaines il était obligé de déployer des trésors
d'imagination pour empêcher Raistlin de sortir de la Tour. C'était l'occasion
rêvée de lui faire prendre l'air, d'avoir un peu de vacances et d'aider
l'Archimage à revenir sur "le droit chemin".
"-
Je crois que je vais m'y coller…"
Justarius
et Dunbar sentirent leur mâchoire s'affaisser de plusieurs crans.
"-
Tu plaisantes ?"
"-
Non, ca me fera des vac… travailler un peu sur le terrain." Se repris le
maître des robes noires en coulant un regard au fermier. "Et puis comme ça
certains mages que je ne nommerais par ne pourront pas prétendre que je me
fiche de tout ce qui ce passe à l'extérieur des Tours. Je serais chez vous dans
une dizaine de jours au pire." Conclut-il en se tournant vers Talion.
Les
deux autres mages protestèrent bien un peu, mais ils admirent vite que si Pyra
était responsable, en temps de son supérieur direct, les paroles de Dalamar aurait
plus de poids que celles d'un quelconque mage de campagne.
Talion
remercia chaleureusement les mages.
Dunbar
lui fit une dernière fleur en le teléportant directement chez lui.
Dalamar
fit de même vers la Tour de Palanthas avec une seule idée en tête.
- Bon,
comment vais-je présenter les choses à Raistlin…
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