Echec et mat, ma Reine

Echec et mat, ma Reine !

1ère Epoque : Chapitre 8

Pyra et Valoran

Ouest du Canyon des vents, sud de Leynav, même jour, dans la matinée.

Pyra rattacha les mèches de flammes qui lui tombaient dans les yeux, étira sa grande carcasse et souleva le lourd seau de bois qu'elle avait placé à côté d'elle. Depuis deux semaines la chasse devenait difficile et elle n'avait d'autre choix pour préparer ses réserves de l'hiver que de mettre la main à la pâte. Une des truites qu'elle avait prises en dernier s'agita désespérément mais ne put rejoindre son élément naturel.

Un feulement sur sa droite apprit à la jeune femme que ses chasseurs étaient de retour.

Elle fit la moue devant le faible nombre de prises et haussa les épaules. Allons, il faudrait bien qu'elle s'en contente.

Avec une agilité née de l'habitude, elle quitta le poissonneux ruisseau et sauta de pierre en pierre vers la berge. Reposant son seau, elle enfila sa robe de velours noir et reboucla son ceinturon par-dessus. Elle le tourna légèrement pour que l'épée qu'elle avait au coté reprenne sa place naturelle.

Elle sourit, s'amusant à imaginer les crises d'apoplexie que certains débris sensés dirigé le Conclave ne manqueraient pas d'avoir s'il savait qu'elle portait l'épée. Ce faisant, elle bravait l'un des plus importants interdit de la condition de mage.

"- Comme si j'avais eu le choix ?" Grimaça-t-elle.

"- Il n'est pas juste de dire cela." Protesta une voix dans sa tête. "Tu étais bien contente de me trouver quand ces brigands t'ont attaquée ! "

Pyra grinça des dents.

Si l'épée n'était qu'un vulgaire morceau de métal qui ne lui apportait aucun avantage qu'il soit magique ou guerrier durant un combat, l'âme d'un fin bretteur y avait été enfermée bien des siècles plus tôt.

Lorsqu'elle était tombée sur l'épée, alors couverte de rouille au milieu de ruines, elle avait désespérément besoin d'une arme. C'était sa première rencontre avec des voleurs organisés, et elle n'avait pas franchement brillé pendant la lutte. Pour dire les choses simplement, elle avait pris ses jambes à son cou lorsqu'elle s'était vue encerclé par une douzaine de types patibulaires et armés jusqu'au dents. Quand l'étau des brigands s'était refermé sur elle, elle avait si bien paniqué qu'elle s'était retrouvée incapable d'utiliser sa magie. En se cachant dans les ruines de ce qui était probablement une armurerie, elle était tombée sur le vieux bout de métal rouillé. N'ayant d'autres solutions, elle l'avait saisie - à l'envers - c'est ce moment que Koran avait choisit pour se faire connaître. Avec une froide ironie, il lui avait fait remarquer qu'elle aurait peut-être besoin d'un plan pour savoir dans quel sens tenir l'arme. Pyra avait finalement saisi l'épée par la garde et sur les indications très visuelles que lui mettait directement en tête Koran, elle avait pu sauver sa peau. Elle avait perdu toutes ses affaires, mais les canailles de forets n'étaient heureusement pas très malignes et ne prirent que son cheval, sa bourse et les rares objets précieux qu'elle avait avec elle, laissant son plus grand trésor, ses grimoires.

Ronchonnant, elle avait récupéré ce qui pouvait l'être et avait emporté l'épée avec elle, oubliant momentanément que c'était elle qui lui avait parlé.

Quelques jours plus tard, Koran s'était de nouveau manifesté pour faire connaissance avec sa nouvelle propriétaire.

Pyra en était un peu resté comme deux ronds de flancs lorsque la voix s'empara à nouveau de son esprit, mais comme elle n'était, après tout, pas magicienne pour rien, elle avait rapidement admis l'existence de l'individu prisonnier dans la lame.

Elle avait bien proposé à Koran de le sortir de là, mais il avait refusé, arguant du fait qu'il était très bien où il était, qu'il s'amusait bien trop pour vouloir abandonner sa place mais que si elle trouvait de quoi lui refaire une jeunesse se serait sympathique, merci !

Après deux semaines de cette cohabitation un peu particulière, Pyra lui avait annoncé qu'elle ne pouvait le garder et l'avait vendu à un armurier de passage.

Koran n'avait pas, mais alors pas du tout apprécié être largué comme une vieille haridelle sur le bord du chemin et s'était vengé en lui collant une bonne migraine. Après trois jours de ce traitement, Pyra était revenue la tête enfarinée et avait exigé de récupérer sa lame. Devant la probable colère d'une robe noire visiblement de mauvais poil, le marchand la lui avait rendu en échange de l'argent versé.

Dès qu'elle fut de nouveau en possession de l'arme, le mal de tête cessa et elle lui expliqua en termes choisit ce qu'elle pensait de ce genre de coercition. En réponse, Koran lui demanda d'arrêter de râler et lui proposa plutôt d'apprendre à manier l'épée.

Pyra accepta à la troisième rencontre avec des bandits de grands chemins. Ses journées furent ainsi dédiées, le matin à l'étude et au voyage, l'après-midi au combat à pied.

Avec étonnement, elle découvris qu'elle était douée. Maintenant, dix ans après sa rencontre avec Koran, elle était capable de tenir tête à plus ou moins n'importe qui l'épée à la main. Avec le temps, elle avait même appris à utiliser son meilleur atout en plus de sa lame, ses sorts, au combat.

Elle souleva à nouveau son seau et se mit en route vers sa maison. Une heure plus tard environ, elle entrait dans la petite caverne aménagée par ses soins qui lui servait d'habitation, de labo et de bureau, à elle et à ses deux familiers.

Sharn, le loup gris argent fut le premier à rentrer de la chasse. Grand d'environ quatre pieds et demi, il pesait près de trois cents livres et était pourtant d'une douceur à toute épreuve. Plus tête froide que sa maîtresse, il était arrivé dans la vie de Pyra en même temps qu'Ekalaka. D'un ou deux pouces plus petite, la panthère avait également répondu au sort de familier qu'elle avait lancé un peu avant son dix-huitième anniversaire. Pensant attirer à elle un chat ou une chouette comme la majorité des mages, elle s'était retrouvée propriétaire d'un loup géant et d'une panthère des neiges affublée de l'horrible handicap d'être noire. Ce qui lui était d'un ennui certain pour chasser sur les pentes des montagnes du sud. Elle en fut un peu atterrée au départ, mais se rendit vite compte que le froid sens pratique de Sharn et l'humour grinçant d'Ekalaka était des plus agréables. Koran aussi avait été des plus satisfait de voir la petite troupe s'agrandir.

Egon était arrivé plus tard. Il ne s'agissait en fait que d'un corbeau, vilain comme un pou, qui s'était brisé une aile. Lorsque ses os se furent ressoudé correctement et qu'il put repartir, il décida simplement de rester avec Pyra. Comme Egon n'était qu'un animal "comme les autres", Pyra ne pouvait converser directement par l'esprit avec lui, mais il était suffisement intelligent pour comprendre ce qu'on lui voulait et se faire comprendre des ces collègues à deux et quatre pattes.

A tout un chacun, Pyra racontait volontiers qu'elle avait passé son apprentissage chez un vieux robe rouge près de Bloten et que, lorsqu'elle eut seize ans, le vieux monsieur estima qu'il était temps pour elle de faire ses griffes dans le vaste monde. Dix ans plus tard, elle passait l'Epreuve avec succès et le vieillard considéra comme un peu décevant qu'elle choisisse la robe noire.

Mais bien sûr, ce n'était que ce qu'elle voulait bien raconter.

Et Pyra avait des petites idées derrière la tête. La robe noire lui était indispensable pour qu'on veuille bien lui foutre la paix et, depuis un an, elle profanait régulièrement des tombes pour pouvoir ouvrir, étudier et comprendre toute la machinerie interne de ses clients, parfois décédés depuis des mois. Ce n'était pas un boulot très sympathique, mais elle avait réussi à se constituer un magnifique recueil d'anatomie comparée pour les différentes races et avait décidé de se poser dans un trou perdu pour passer à des choses plus sérieuses.

Egon se posa sur l'un des arbustes qui poussaient à l'entrée de la grotte avec force bruissement d'ailes. Il avait appris aux dépends des plumes de sa queue, qu'il est toujours dangereux de surprendre un mage, surtout spécialisé dans les sorts de feu…

Pyra ouvrit l'un de ses plus récents grimoires, et prenant une plume, voulu écrire quelques lignes. Son encrier se révélant plus vide que l'esprit d'un nain des ravins, elle émit quelques propos colorés en renfilant sa robe. Faisant un signe à ses camarades de jeux, elle se mit en quête de baies de Nigerion.

********************

Est du Canyon des Vents, sud de Leynav, même heure.

Valoran se réveilla en sursaut. Il dormait souvent tard le matin. Une peur obscure l'empêchant de dormir, il ne fermait les yeux qu'épuisé.

Une épaisse langue râpeuse passa sur sa main et il calma rapidement les battements désordonnés de son cœur.

Le Molosse s'assit sur son derrière et pencha la tête.

"- Encore un cauchemar ?"

"- Comme toujours, Amiel…Où sont Salys et Eutanos ?"

"- Ils chassent." Répondis le familier avec ce curieux battement d'oreille qui était sa façon de hausser les épaules.

Eutanos, Salys et Amiel, trois Molosses de Guerre avaient rejoint Valoran comme Sharn et Ekalaka s'étaient liés à Pyra. Les deux mâles mesuraient près de quatre pieds au garrot et étaient aussi noir qu'Amiel, nettement plus petite, était blanche. Leurs yeux à tous trois étaient de pur rubis mais reflétaient chez la femelle une sagesse acquise par le temps qui était absente chez ses cadets.

Amiel se releva et boitilla jusqu'à l'entrée de la grotte. Humant l'air, elle rabattit les oreilles de contrariété.

"- Un orage…Pas de chasse pour cette nuit. Ils ne voudront jamais sortir."

"- Ce n'est pas grave. Il vaut mieux mettre la pédale douce quelques temps. Les réserves sont pleines et nous ne manquerons de rien avant longtemps."

La femelle renifla.

"- Si tu le dis…"

"- Si quelqu'un voulait bien me faire confiance pour une fois." Grommela le mage.

Le Molosse s'approcha et fourra sa truffe humide dans la main de son maître.

"- Pour moi tu ne seras jamais qu'un bébé." Rappela Amiel.

"- Et quel âge tu as au fait ?"

"- Quand tu as une idée tu ne l'as pas ailleurs, hein ?" Releva la femelle, acide. "Beaucoup plus vieille que Salys et Eutanos réunis si tu veux tout savoir."

"- Ca explique tout, c'est précis !"

"- Ca ne se fait pas de demander son âge à une dame." Contra le molosse avec l'air d'en avoir deux.

L'humain ricana.

"- Et les deux pattes qui vivent dans les antres de bois. Ils ont prévu quelque chose pour toi ?"

Valoran lui jeta un regard vide.

"- Tu as été mis bas il y a trente ans, non ?"

"- Ils ont d'autres soucis en ce moment." Rappela le mage.

"- Les meurtres…"

"- Hé ! …Au fait, quatre hommes ont été envoyés à Wayreth. Mais je doute qu'ils y parviennent, et plus encore qu'ils obtiennent quelques choses des débris qui tiennent les rênes."

Salys et Eutanos Choisirent cet instant pour rentrer, couverts de boue et de feuilles. Avec l'affection et l'humour très particulier propre à la race canine, les deux Molosses vinrent joyeusement faire des mamours à leur maître.

Stoïque, Valoran attendit que ses familiers aient fini de se débarbouiller sur lui puis attrapa quelques vêtements propres du bout des doigts. Ses trois amis, très content d'eux, sur les talons, il pris la direction de la rivière.

Pour la plus grande satisfaction du jeune mage lorsqu'il s'était installé, une petite rivière coulait non loin de sa caverne et il ne mit que quelques minutes pour en rallier la berge, ses chasseurs et familiers courant autours de lui.

D'un signe, il leur fit signe de s'éloigner et se déshabilla.

Jetant ses vêtements souillés dans la profonde petite anse où il avait ses habitudes, il remarqua le nombre inusité de truite qui se prélassaient à l'ombre des saules. Il ne fut pas le seul et Eutanos bondi dans l'eau, le trempant de la tête aux pieds.

Avec une bordée d'injures à faire rougir Morgon lui-même, il étala les vêtements propres maintenants dégoulinant sur des pierres et se glissa dans l'eau réchauffée par le soleil.

Jouant comme un gosse avec son ami à quatre pattes, il détendit un peu ses muscles noués puis nettoya les robes boueuses dont il s'était débarrassé.

Le soleil commençait à être assez haut lorsque son estomac se rappela à son bon souvenir.

Valoran sortit de la rivière avec regret, de l'eau courant sur les nombreuses cicatrices qui couvraient son corps mince.

"- Elles sont toujours très visibles." Constata Salys.

"- Elles le seront toujours." Répondit le mage en haussant les épaules.

"- Il est dommage que nous n'ayons pas été là lorsque ton maître te les a infligées." Continua Eutanos

Valoran détourna la tête et se rhabilla très vite.

Un frisson lui laboura l'échine.

Ses cicatrices lui avaient été infligées près de vingt ans plutôt pas son premier maître et il n'aimait guère qu'on les lui remette en mémoire.

Mage des robes blanches, l'homme n'en était pas moins un brin sadique et il ne perdait pas une occasion de frapper durement ses élèves.

Lorsqu'il était mort dans son sommeil, une enquête avait exceptionnellement été effectuée et les deux autres apprentis, alors âgés de quinze et dix-sept ans, inculpés d'homicide. Toutefois, rien n'ayant pu étayer la thèse du meurtre, les deux adolescents avaient été disculpés et placés chez d'autres mages. Agés de dix ans à la mort de son bourreau, Valoran n'avait pas été inquiété et avait été confié à Dunbar.

C'était chez lui qu'il avait fini son apprentissage.

L'enfant craintif avait d'abord laissé la place à un adolescent introverti, puis à un jeune homme timide.

Lorsqu'il s'était lié avec ses trois Molosses de Guerre, Dunbar avait d'abord été intrigué puis un peu inquiet, mais en réfléchissant il avait finit par voir la justification de leur présence. Trop doux pour se défendre par lui-même, les Molosses s'occuperaient de sa protection et lui donneraient l'affection exclusive propre aux canidés.

Finalement, le chef des robes blanches en avait été enchanté.

Pour son vingt-sixième anniversaire, Valoran avait été convié à l'Epreuve.

Devant la dépendance qu'il entretenait avec ses familiers, ses derniers avaient été autorisés à l'assister.

A eux quatre, ils ne s'en étaient pas trop mal tirés et le mage n'eut à déplorer qu'une grosse brûlure à la cuisse.

Le jeune homme fit signe aux Molosses et s'en retourna vers sa caverne.

Il y déposa ses affaires et décida d'aller déjeuner à l'auberge du village.

Recommandant aux chasseurs de se tenir tranquilles pendant son absence, il s'éloigna à pas vif, amusé de voir les trois molosses marquer leur réprobation à son escapade solitaire en se faisant les griffes sur les rochers entourants la grotte.

Le bruit lui agaçait désagréablement les dents, mais il voulait sa petite tranquillité.

Flânant le long du petit chemin qui le guidait vers Leynav, il eut la surprise de voir une grande silhouette noire sortir d'un fourré, un panier à la main et injuriant une épée rustique d'un vilain acier terne.

"- Bon dieu Koran ! Tu peux pas arrêter de papoter cinq minutes ? Tu es plus bavard qu'une pie à la retraite ! Si tu continue, tu vas finir ta carrière au fond d'un puits."

La jeune femme releva les yeux.

En apercevant Valoran, elle brandit l'épée comme si elle savait s'en servir et un frémissement rougeoyant, prémisse d'une boule de feu, naquit instantanément dans sa main droite.

Elle parla d'une voix sèche lorsqu'éclatèrent des grondements menaçants derrière le jeune homme.

"- Sharn, Eka. Un peu de tenue !"

"- Ma sœur." Salua Valoran.

"- 'lut." Répondit Pyra en rengainant son arme. "Alors c'est toi le robe blanche du coin ? Ravie de faire ta connaissance."

Valoran eut du mal à détourner le regard des courbes harmonieuses de sa collègue.

"- N'est-il pas dangereux pour vous de vous promener seule dans ces bois ?" S'enquit l'homme poliment.

Pyra lui lança un long regard sardonique et les deux familiers vinrent la flanquer de part et d'autre.

"- Je ne crois pas, vraiment."

"- Vous savez sûrement que des créatures rodent depuis quelques semaines ?"

"- Je sais, j'en ai tué deux ou trois."

"- Qu'en avez-vous fait ? Questionna-t-il, une lueur indéfinissable dans le regard."

"- Je les ai autopsiés. C'est du bon boulot. Je ne sais pas qui les a créés, mais c'est vraiment très bien fait. Je les ai gardés en stase pour pouvoir les étudier plus à fond plus tard. C'est du travail de pro ! Y a bien les connections nerveuses qui ont été un peu salopées, mais bon…"

Valoran ne broncha pas mais un tic nerveux agita sa paupière gauche.

"- Vos commentaires sont un peu déplacés ! Ces créatures ont tué beaucoup de villageois et …"

"- Ce n'est pas mon problème. Je ne suis dans le coin que pour avoir la paix."

Le jeune homme soupira.

"- Vous avez beau être une robe noire, le sort de vos semblables ne peuvent pas vous laisser totalement indifférents !" Plaida-t-il

Pyra haussa les épaules.

"- J'ai du boulot." Coupa-t-elle brutalement en le plantant là.

"- Nous nous reverrons, ma sœur. Cette histoire ne peut être résolue sans votre aide…"

Elle se fondit rapidement dans le sous-bois. Un dernier éclat d'acier trahis sa présence s'éloignant.

"- Oui ma sœur. Tu m'aideras à résoudre cette histoire avec ou sans ta coopération complète…"

****************

Loin dans les abysses, la Reine Noire s'assit devant un échiquier et déplaça deux figurines. Un fou noir et la reine blanche furent placés en vis à vis. Le roi blanc était protégé par un cavalier, la reine noire restait libre de ses mouvements.

"- Les pions sont en place, la partie peut commencer. Le prochain mouvement est le tient mon cher." Prévint-elle son invisible adversaire.

****************

On se pencha sur un miroir de clair-vision et on soupira de soulagement mêlé d'irritation.

"- Ha ! Tout de même ! C'est pas trop tôt !

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