Echec et mat, ma Reine

Echec et mat, ma Reine !

1ère Epoque : Chapitre XII

Réconciliation

Auberge de Leynav, le lendemain matin.

Dalamar était assis sur un banc, près de la cheminée qui réchauffait la salle commune. Un bon feu ronflait dedans, et une grande marmite chauffait, pendue à la crémaillère. Finissant son bol, il se leva et se resservit un peu de thé.

Il était encore très tôt et Raistlin n'était pas encore levé. Dalamar soupira et secoua la tête. Il n'avait vraiment pas apprécié la façon dont les choses s'étaient passées la veille, et son indifférence dédaigneuse pour Valoran était proche de passer à la haine pure et simple.

Une main fine se posa sur son épaule, le faisant sursauter.

"- Bonjour Dalamar."

"- Bonjour Shalafi." Grogna-t-il fraîchement

L'archimage n'avait visiblement pas bien dormi. Les yeux rouges et cernés de noir, les mains un peu tremblantes, il faisait plus penser à un lapin myxomatosé ayant manqué une porte qu'à l'archimage le plus puissant de Krynn.

L'elfe se retint de lui demander quoi que ce soit.

L'humain remplit à son tour son bol et s'assit à l'autre bout de la pièce.

Dans un silence pesant, les deux mages déjeunèrent.

"- Valoran viendra nous chercher dans une petite heure." Rappela l'elfe. "Avec de la chance, nous devrions trouver l'antre de Pyra dans la journée."

Raistlin acquiesça de la tête et ouvrit un petit grimoire de poche pour se donner une contenance.

L'heure s'écoula lentement.

Alors que la tension entre les deux robes noires était presque palpable mais qu'aucun des deux ne pouvait se résoudre à rompre le silence, le mage indigène apparut dans la pièce. Avec un sourire charmeur, il s'approcha de Raistlana et voulut lui saisir la main pour y déposer un baiser. Raistlin se leva en feignant de ne pas avoir vu son geste.

"- Puisque vous êtes là, jeune homme, autant nous mettre en route tout de suite. Veuillez nous guider vers les lieux où vous dites avoir repérer notre suspect." Dit-il d'une voix monocorde.

Dalamar releva la tête.

Les yeux de Raistlana reflétaient la morne froideur distante qu'avait toujours exprimé le regard du prétendant à la divinité qu'était Raistlin.

Les lèvres de Valoran tremblèrent un peu. D'un élégant mouvement de la main, il leur désigna la porte.

"- Mes seigneurs, allons-y…"

Retentant sa chance, le jeune humain offrit son bras à Raistlana. Encore une fois, elle le refusa et rejoignit l'elfe qui l'ignora ostensiblement et sortit. L'archimage accusa intérieurement le coup et sortit à son tour, Valoran sur les talons.

A la sortie du village, le robe blanche prit la direction des opérations et les guida vers le Canyon des Vents.

A mesure que les trois mages s'enfonçaient dans la forêt, la température fraîchissait graduellement et au bout d'une heure, Raistlana frémissait sous sa robe. Dans un geste un peu futile, elle referma un peu plus étroitement sa robe autour d'elle.

"- Ca va Shalafi ?" S'enquit l'elfe avec indifférence.

"- Un peu froid, j'aurais dut me couvrir davantage."

"- Je suis bien d'accord." Siffla perfidement l'apprenti.

Valoran écoutait de toutes ses oreilles et il ralentit légèrement le pas.

Voyant que l'humain devenait de plus en plus indiscret, Raistlin posa une main sur le bras de l'elfe et retint son avance. Lorsqu'ils eurent mit une quinzaine de mètres entre le jeune homme et eux, L'archimage lâcha Dalamar.

"- Dalamar…" Commença-t-il très mal à l'aise. "Pour hier, je…" Il s'interrompis.

L'elfe ne dit mot et attendit qu'il continue.

L'archimage respira lourdement.

"- Je suis désolé. Je me suis conduit d'une façon…Je ne sais pas ce qui m'a pris…Je me suis comporté comme une salope, y a pas d'autre terme, on aurait dit Kit…Je suis navré de la façon dont je t'ai traité, réellement."

L'elfe dévisagea son maître. Ses excuses semblaient sincères, mais il gardait quand même son attitude un peu en travers de la gorge.

"- Certes."

"- Dalamar. Je suis vraiment désolé, j'ai complètement disjoncté. Qu'est ce que tu aurais fait à ma place ! Essaie de comprendre ma situation. Je me retrouve sans transition dans un corps de femme que je sais même pas comment ca marche, j'ai jamais été équipé pour ! L'original était peut-être pas terrible point de vue qualité, mais s'était quand même mon corps, j'avais fini par m'habituer …Et du jour au lendemain, je me retrouve avec des mensurations qui feraient pâlir la moitié des femelles à cinquante kilomètres à la ronde."

"- Tu avais besoin de te pavaner sous le nez de ce Valoran de cette façon ? J'ai cru que j'allais devoir vous jeter un seau d'eau."

"- Dalamar…" Commença Raistlana d'une voix plaintive.

"- Ca va, ca va, c'est bon pour cette fois. Mais je te demanderais de te tenir correctement. Je te connais depuis le temps. Tu es peut-être un expérimentateur né, mais il y a des procédures officielles avant de procéder à quelques essais in vivo." Fit remarquer l'elfe avec un sourire en coin.

"- Ah, parce que tu les as respectées avec Kitiara ?" S'enquit la jeune femme avec une innocence feinte tout à fait confondante de naturel.

L'elfe eut la grâce de rougir.

"- Je trouve que ton changement n'a pas été que physique." Grommela-t-il

"- Comment ça ?"

"- Laisse tomber…" finit l'elfe avant de lui passer un bras autour de la taille.

"- Mais qu'est ce que tu fais ?"

"- Je veux définitivement couper l'herbe sous le pied de ce Valoran. Il ne m'inspire aucune confiance. Et regarde la façon dont il t'observe. Après tes petits jeux d'hier, je crains que tu ne te sois mis dans une situation tout sauf pratique."

"- Dalamar, je comprends tes raisons, je t'en remercie, mais juste un truc…"

"- Quoi ?"

"- Arrête de me peloter les fesses"

L'elfe lui lança un regard innocent et remonta sa main de quelques centimètres.

Valoran étouffa une bouffée de rage en voyant les deux mages se réconcilier. Levant une main, il faillit faire un geste malheureux lorsqu'une voix leur parvint de derrière un petit bosquet de noisetier.

*************************

Canyon des vents, levé du soleil.

Pyra trembla de froid et se réveilla à moitié. D'une main tâtonnante, elle chercha la fourrure qui lui servait de couverture. La saisissant, elle la ramena sur sa tête avec la ferme intention de dormir encore une heure ou deux. La couverture glissa à nouveau de ses épaules.

"- Bon sang, Sharn !" Gronda-t-elle. "Laisse moi dormir !"

"- Le soleil est levé depuis près d'une heure. Je te rappelle que tu as beaucoup de travail aujourd'hui."

"- Et ne m'oublie pas." Ajouta Koran.

"- Sortez tous les deux de ma tête avant que je n'utilise l'un de vous deux pour taper sur l'autre." Menaça la jeune femme.

Le loup releva très haut tête et queue et sortit de la caverne, image même de la dignité outragée.

Pyra s'extrait de la pile de couverture où elle dormait et s'étira. Elle gémit en sentant une vertèbre craquer et Gagna le fond de la grotte pour se laisser glisserdans la petite source géothermique. Avec un peu de sable, elle se décrassa consciencieusement puis enfila des braies propres. Regagnant la pièce principale, elle s'astreignit à sortir la grande table de bois qui trônait en plein milieu, puis un autre meuble plus petit où elle posa les instruments dont elle aurait besoin plus tard dans la matinée.

Elle se permit alors de retourner chercher Koran.

Courant à petites foulées vers la petite arène qu'elle s'était aménagée non loin de sa grotte elle dégaina. Fermant les yeux, elle respira lentement.

Quand elle se sentit prête, elle entama une danse de sabre.

Assez lents et simples au début, ses mouvements gagnèrent progressivement en vitesse et en amplitude. Passant l'épée d'une main à l'autre, corrigeant ses gestes en suivant les commentaires critiques de son professeur désincarné, les yeux toujours fermés, elle voyait presque l'adversaire invisible contre lequel elle combattait.

Enfin, après une petite heure, elle ralentit à nouveau ses mouvements et progressivement, s'arrêta.

Rengainant Koran en expirant lentement elle ouvrit les yeux. La clarté estivale du soleil lui blessa un instant les prunelles.

"- Joli !" La félicita Koran. "Tu t'améliores chaque jour. Je suis réellement épaté. Avoir réussi à faire d'une magicienne maladroite affublée deux pieds gauches un bretteur presque compétent, je dois avouer que je ne m'y attendais pas. Si je n'étais pas coincé dans ce vieux bout de ferraille, je me collerai des grandes claques dans le dos pour m'autoféliciter !"

Pyra grogna avec raideur.

"- Trop gentil tes compliments."

"- Allons, allons, ne sois pas mauvaise joueuse. Tu fais des progrès à chaque nouvel entraînement. Je suis vraiment fier de toi."

"- Nous aussi, nous sommes ravis de te voir danser avec une telle ardeur." Confirmèrent Ekalaka et Sharn en chœur.

"- Dites-moi, c'est ma fête aujourd'hui ?"

"- Tu prends tout mal ce matin." Remarqua Eka. "Qu'y a-t-il ?"

"- Je ne sais pas. Un mauvais pressentiment…"

Egon croassa son accord.

"- Tenez, même lui il sent que quelque chose ne va pas."

Sharn réfléchit un instant.

"- Nous sommes au début de l'été et nombre d'animaux ont commencé à migrer…."

"- J'ai rencontré un lynx ce matin. Il semblait très inquiet." Continua Eka. "J'ai mis ça sur le compte des bestioles qui rodent dans le coin mais une mère blaireau m'a fait la même réflexion que le lynx."

Pyra siffla entre ses dents.

"- C'est plus grave que je ne pensais. Si même les blaireaux s'y mettent…"

"- Alors qu'ils considèrent le Cataclysme comme un inconvénient mineur…"

"- C'est qu'on est vraiment dans la merde…" Finit La jeune femme.

Ses deux familiers sur les talons, la jeune thaumaturge quitta l'arène d'entraînement et rejoignit la grotte. Elle se noua un épais tablier blanc autour de la taille et s'enfonça dans les profondeurs de la grotte. Dépassant largement la petite grotte qui lui servait de salle de bain, elle entra dans une autre après un dénivelé de plusieurs mètres. Au contraire de la source cette grotte était très froide, un ou deux degrés au-dessous de zéro grand maximum et elle frissonna, grommelant dans sa barbe, avant d'éternuer vigoureusement.

Elle ôta le large drap noir, couvert de rune qui protégeait l'unique meuble de la pièce, révélant un large cercueil de basalte noir. Prenant appuie au sol, elle poussa de toutes ses forces sur le couvercle. Le tablier de pierre volcanique bascula sur le sol avec un bruit sourd. A l'intérieur du coffre, plusieurs cadavres reposaient en stase qu'elle ait le temps de s'occuper d'eux.

Contrôlant à grand peine la nausée que l'odeur répugnante de la créature lui causait, elle prononça un mot et le corps s'éleva lentement au-dessus du cercueil. Refermant le couvercle avec force juron envers une gravité guère sympathique pour une pauvre chercheuse, elle tira le cadavre lévitant derrière elle et arrivée dehors, le posa sur la table avant d'annuler sa lévitation.

Se protégeant de l'odeur pestilentielle avec un morceau de tissu imprégné d'essences diverses, elle choisit un scalpel et entreprit d'ouvrir son client. Une bouffée d'air puant s'échappa de la clairière vers le sud.

*********************

Entrée du canyon des vents, milieu de la matinée.

"- Tiens donc, Alors nos deux touristes se mettent au boulot ?" Rugit Talion en apparaissant devant les trois sorciers.

Dalamar et Raistlin condescendirent à un poli signe de tête vers le paysan.

"- Qu'est ce que tu fais dans le coin ?" Questionna Valoran.

"- Je chasse…Près des Sources Bleues, j'ai repéré une odeur très bizarre. La même que celle des cadavres des monstres."

"- Les Sources Bleues ?

"- Des sources géothermiques révèlant un gisement de cobalt." Expliqua le jeune homme.

"- Et c'est également très près de la grotte de cette fille…" Insinua Valoran.

"- Nous allons aller voir." Ordonna Raistlin. "Valoran, retournez au village et préparez de quoi soignez du peuple. Cela pourrait être utile. Talion, vous nous conduirez à proximité de ces sources avant de retourner vous aussi au village."

Le mage blanc protesta.

"- C'est mieux ainsi. Nous ne devons pas prendre de risque inutile et avoir l'un de vous deux avec nous ne fera que nous mettre en danger. Nous aurons déjà forte à faire pour protéger notre propre peau, sans en plus vous avoir sur le dos. Et vous n'êtes pas capable d'assourdir votre signature psychique je présume ?"

"- Heu…non…" Bafouilla le petit blond.

"- Alors c'est réglé. Vous nous feriez repérer en deux minutes. Obéissez à votre supérieur voulez-vous !"

Valoran lança un long regard suppliant à Dalamar.

"- Je ne discute jamais lorsque mon maître me donne des ordres." S'excusa ce dernier.

Valoran abandonna la partie et s'en retourna vers le village.

Raistlin se rapprocha de Dalamar.

"- Tu obéis toujours à mes ordres ? C'est bon à savoir, je m'en souviendrais…"

L'elfe lui lança un petit sourire sardonique.

"- Qu'est ce que je t'ai dit à propos d'expérimentation ?"

"- A quoi pensais-tu donc ?" S'informa la jeune femme avec un regard candide.

"- Laisse tomber…"

Talion guidait les deux mages avec efficacité. Contrairement à Valoran, il ne cherchait ni à leur faire la conversation, ce qui convenait parfaitement à Raistlin, ni à s'attirer les bonnes grâces de Raistlana, ce qui satisfaisait totalement Dalamar. Il se retournait juste de temps en temps pour s'assurer que les deux rats de bibliothèques arrivaient à le suivre et ne pouvait s'empêcher de sourire en les voyant. Les deux mages marchaient du même pas, épaule contre épaule, hanche contre hanche, échangeant des demi-phrases au sens connus d'eux seuls. La discussion semblait animée et pourtant pleine de nostalgie…

Talion cessa son indiscrète observation et releva la tête. Une odeur immonde vient lui chatouiller les narines. Les deux sorciers l'imitèrent.

- Je crois que vous pouvez nous laisser là. Nous pouvons remonter la source de cette puanteur.

- Comme vous voulez, Ma Dame, faites attention.

Les deux robes noires hochèrent la tête et suivirent l'odeur vers son propriétaire.

Râlant, pestant et se griffant aux branches épineuses, ils s'enfoncèrent dans un épais taillis. Maîtrisant difficilement leur estomac, ils s'arrêtèrent devant le spectacle qui s'offrait à leurs yeux.

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