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Petits détails cruciaux pour l'histoire... et pour ma conscience :
~ Rhaenyra a 22 ans
~ Daemon a 29 ans
~ Aucun lien du sang ne les lie
~ L'histoire se passe au 21e siècle
Bonne lecture à tous !
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I can kill the desire, but I can't kill the tenderness.
— Anaïs Nin.
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Pour son cinquième mois de sobriété, Daemon s'offrit un loft et deux escorts — dans cet ordre. L'appartement surplombait le pan haussmannien de l'avenue Blackwater, soixante-dix-huit mètres carrés de vitres et briques payés directement de la poche coupable de Viserys, le tout avec une vue directe sur le château Dragonstone. Que demander de plus ? Il ne s'était même pas embarrassé à meubler le tout ; un matelas à l'étage, une table basse au salon, son synthé sur le parquet. Juste assez de surface pour y plaquer ses deux amantes et tester l'insonorisation des murs.
Sa gymnastique charnelle terminée, il s'effondra sur le lit de fortune puis pointa à l'aveuglette les deux liasses perchées sur le rebord d'une des fenêtres gigantesques de la chambre. Quatre-cent cinquante dollars pour chacune, pourboires compris. Lorsque ses paupières se refermèrent, la porte d'entrée du rez-de-chaussée claquait déjà dans un bruit feutré de gloussements et cliquetis de talons. Puis le néant.
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« Cette carte ne sert pas à financer ta débauche. »
À l'autre bout du fil, l'intonation de Viserys avait dépassé l'énervement pour atteindre la lassitude. Daemon embrasa l'embout de sa cigarette puis posa le briquet en équilibre sur la rambarde du balcon, à mi-chemin du vide.
« À quoi est-ce qu'elle sert, dans ce cas ? » répliqua-t-il.
« À ce que tu ne termines pas sous un pont dans on-ne-sait-quelle contrée de Westeros. » tonna Viserys puis, plus calme : « À ce que tu ne manques de rien. »
« Budget 'coke et putes' inclus ? » poussa-t-il.
« As-tu même activé l'électricité de ton appartement avant d'inaugurer tes luxures habituelles ? » soupira l'avocat.
Un sourire lent et mauvais étira les lèvres de Daemon, sa cigarette coincée juste à la commissure. Dans l'immeuble d'en face, une famille proprette mangeait droit dans le champs de son balcon, la mère zieutant nerveusement sa silhouette nue à intervalles réguliers.
« Mais voyez-vous ça. » prononça-t-il dans l'appareil. « Viserys Targaryen qui enfile sa combinaison poussiéreuse de père adoptif. Est-ce qu'on est encore en 2011 ? Est-ce que je reprends ton nom de famille ? »
« Ne commence pas. » siffla le concerné.
Daemon émit un rire jaune puis exhala un peu de fumée par le nez. Au loin, le volcan de Dragonstone crachait sa propre fumée, noircissant les cieux déjà assombri de l'île.
« Donc ? » grésilla la voix de Viserys dans le haut-parleur.
« Électricité activée. Eau fonctionnelle. Wi-fi installé. Pendaison de crémaillère faite. » énuméra Daemon.
« Pendaison de crémaillère ? » répéta Viserys, interloqué. « Avec quels invités ? »
Daemon tapota sur sa cigarette, y chassant la cendre.
« Les escorts. »
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As-tu des nouvelles ?, lui envoya quatre heures plus tard Viserys.
Daemon déposa avec fracas son haltère au sol pour consulter l'écran du téléphone, sourcils froncés et respiration hachée. Dans la sono, Rico Nasty rappait qu'elle allait « smack a bitch tonight » par-dessus des riffs punk résonnant dans tout l'appartement. Nullement déconcentré, le blond garda les yeux fixés sur son iPhone pendant quinze secondes, trente secondes, une minute.
De ?, finit-il par perdre patience.
Rien ne suivit : ni réponse plus éclairante ni bulles d'écriture sous la conversation. Daemon roula des yeux et jeta l'appareil sur le matelas, terminant sa séance de sport nocturne. Le but était d'atteindre ce parfait seuil de satisfaction musculaire juste avant les premiers signes de douleur. Ce n'était qu'après cela que le jet d'eau chaude de la douche pouvait être accueilli comme une récompense. Et front contre carrelage, Daemon s'oubliait tout entier sous la vapeur, les yeux clos.
À son retour, trois textos l'attendaient. La serviette maintenue tout contre ses hanches, il composa le code de sa main libre et fut accueilli par une impeccable paire de seins accompagnée d'une simple adresse, le tout envoyé par une certaine 'Mysaria (Tinder)'. Au temps pour moi, avait également répondu Viserys dans leur précédente conversation, ce dont Daemon se foutait éperdument, à présent.
Dans son esprit, le calcul routinier : il était actuellement vingt-deux heures vingt-cinq, son set au Club Dohaeris commençait à minuit trente, Google Map situait l'adresse envoyée à dix-huit minutes de chez lui et Mysaria prenait à peu près quinze-vingt minutes pour jouir. Ça se jouait. Moins d'un quart d'heures plus tard et ses clés de Berline étaient en main.
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Douze minutes, finalement. Au-dessus de lui, le corps de Mysaria s'agitait déjà d'un dernier spasme pour retomber sans force tout contre son torse, telle une marionnette sans fils. Daemon prit alors les devants, faisant basculer leurs deux corps sur le matelas pour surplomber le sien et s'autoriser des va-et-viens aussi brutaux qu'égoïstes, plus rien d'autre en tête que son propre plaisir, à présent.
Sous lui, Mysaria semblait encore en lente redescente, son habituelle aura de mystère temporairement absorbée par la force de son orgasme. Étudiante en criminologie à l'université de Dragonstone, elle faisait partie de ces conquêtes qui attendrissaient Daemon le plus : celles incollables en intersectionalité et patriarcat qui, une fois la nuit tombée, lui susurrait des « daddy » plaintifs, sa main sur leurs gorges. Pas que Daemon s'en plaigne ; son existence entière était un gigantesque complexe d'Œdipe.
« Tu joues, ce soir ? »
Daemon remonta sa braguette d'un trait puis attrapa son haut échoué sur le bureau.
« Peut-être. »
« Club Doha ? » devina Mysaria.
Daemon s'immobilisa, un long regard suspicieux posé sur sa voisine. Allongée en nymphe sur son lit défait, la brune semblait extrêmement satisfaite d'avoir réussi à capturer son attention.
« …peut-être. »
« J'ai mes sources. » glissa-t-elle, son rictus accentué.
« Hun-hun. » commenta Daemon.
« Des sources très intéressées. »
« Et qui veulent des places, j'imagine. » devina-t-il à son tour.
« Disons que si tu leur en offres, elles ne diront pas non. » répondit Mysaria avec un haussement d'épaules.
« Si polies, dis-donc. » pouffa Daemon avant d'attraper sa veste en cuir. « Envoie-moi les noms. Je verrai ce que je peux faire. »
« Cool. » prononça nonchalamment la brune, le tapotement rapide de son index sur sa cuisse trahissant son excitation.
À peine le blond eut-il atteint le hall de la résidence étudiante que son téléphone vibrait déjà deux fois, la liste des invités vraisemblablement fournie. Il n'y prêta pas attention, se rendant directement au Club pour entrer par la porte arrière, échanger quelques poignées de mains et s'enfermer en loge, isolé de toute tentation. L'ancien Daemon aurait flairé un dealer dans la foule, vidé un sachet sur le dos de sa main et plongé son nez droit dans le tas. Le nouveau Daemon enchaînait pompes sur pompes avec, dans ses oreilles, les mélodies de Sega Bodega qu'il déconstruirait aux platines.
On toqua à sa porte — « Rogue ? Rogue Prince ? Ça va être à vous ! » — et Daemon suivit le staff du Club Dohaeris le long de l'interminable couloir souterrain, l'électro jouée plus haut faisant vibrer les fondations de la bâtisse. Ce ne fut qu'au moment de monter l'escalier vers la scène que l'information lui revint en mémoire.
« Ah, au fait. » commença-t-il en ressortant son portable. « J'ai des invités qui voulaient venir ce soir ? Est-ce toujours possible de… »
« Oui, tout à fait ! » pépia l'un des employés, stylo et feuille aussitôt en mains. « Si vous avez leurs noms, je peux les transmettre tout de suite au videur. »
« Ici. » répondit Daemon en présentant simplement le message sur son téléphone.
« Alors : My-sa-ria Ly-sen-de… » lut à voix haute l'employé tout en retranscrivant le tout dans une calligraphie pratiquement illisible. « … Har-win Strong… Lea-nor Ve-la-ryon… et Rhae-ny-ra Tar-ga-ryen. »
Daemon se sentit quitter son propre corps et y rentrer de nouveau avec fracas.
« Rhaenyra. » répéta-t-il, bouche sèche et regard fou.
« Euh, oui ? Je… » L'employé vérifia rapidement sa feuille, puis le portable toujours maintenu en l'air : « Yep. Rhaenyra Targaryen. C'est bien ça. »
« Est-ce que… est-ce qu'elle… est-ce… c'est… » bredouilla Daemon, ses pensées trop cataclysmiques pour formuler une seule phrase cohérente.
D'une main tremblante, il ramena l'écran vers lui pour vérifier le dernier nom lui-même, priant pour un mensonge. Espérant une improbable vérité. Mais il était là, inscrit en toutes lettres, aussi familier et lointain qu'un souvenir bleu. Rhaenyra Targaryen. Rhaenyra. Issa mandia. Face à lui, l'employé le fixait comme si une seconde tête venait de pousser par-dessus celle existante.
« Je… hum. » articula-t-il lentement puis, après un cliquetis de stylo : « Je peux enlever le nom de la liste si… »
« Non. » tonna immédiatement Daemon d'une force venue des entrailles. « Non. » répéta-t-il plus bas, son regard posé partout et nulle part.
Déjà, une claustrophobie montait en geyser, ses yeux cherchant une issue, une porte, une fente n'importe quoi par où se glisser et disparaître. Il avait combattu qui le voulait à mains nues depuis la primaire, manqué de tuer Viserys au lycée, escaladé plus d'un pont pour en sauter, survécu à une overdose, enchaîné deux cures de désintoxication. Mais plus terrible encore était la simple perspective d'affronter le regard de Rhaenyra après tant d'années.
« Et maintenant, mesdames et messieurs, je vous demande d'accueillir comme il se doit celui qu'on ne présente plus… » tonnait la voix du MC depuis l'étage, des cris d'exhortation en arrière-fond.
« Est-ce que tout va bien ? » s'enquit l'employé.
« …celui dont les sons enflamment les clubs des Sept Couronnes, de Winterfell à King's Landing… »
« Non. » répéta honnêtement Daemon, sa figure gagnant toutefois en impassibilité.
« …celui qui a probablement produit le quart des albums que vous écoutez en boucle cette année… »
« Qu'est-ce que, hum… qu'est-ce que je pourrais faire… pour vous aider ? » hasarda son interlocuteur, l'air pris entre deux feux.
« …et qui nous fait l'honneur d'être ce soir aux platines du Club Dohaeris ! Faites un maximum de bruit pour : Prince Rogue ! »
Daemon cligna des yeux. Inspira. Expira.
Accueillit le néant.
« Rien. »
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Entre la gamme de clé de sol et l'inévitabilité de l'abandon, Daemon ne savait quelle leçon il avait appris en premier. Les deux avaient été une gifle, de celles qui marquaient la joue au fer rouge et conditionnaient pour les années futures. Désormais, le blond pouvait naviguer musique et solitude les yeux fermés.
Aux platines, tous ses tracas extérieurs s'évaporaient. D'un seul coup. Et le temps d'une heure, il devenait le semi-dieu d'un parterre de bras levés et de regards adorateurs. Il ouvrit le bal avec du The Weeknd lascif mélangé à du Øfdream plus lancinant, une entrée en douceur pour toute l'indécence au programme. Car à mesure que le set s'égrenait, les tonalités devenaient plus sombres, plus sales, entrecoupées d'altérations sonores aussi incisives que précises, telle une chirurgie où Daemon appréciait de voir le sang couler. Slayyyter, Metallica, Eartheater, Suicideboys, Tame Impala, 070 Shake ; entre ses mains, tout était détruit puis être mieux remodelé.
Et telle une amoureuse, le public acceptait d'être guidé jusqu'au bout du monde, plaçant en Daemon une confiance suffisamment aveugle pour alimenter son adrénaline de la soirée. Il passait avec fluidité d'un titre à l'autre et les cris euphoriques de l'assistance redoublaient. Il coupait temporairement le son et se délectait de voir le public suffoquer, leur oxygène musical volé. Il changeait de mélodie, d'atmosphère, de tempos et les corps tout autour de lui s'ajustaient au gré d'une magie produite par ses seuls dix doigts.
Puis la musique s'arrêtait et il redevenait un être humain comme un autre. Par petites touches, la lumière revint dans la salle et la voix du MC résonna de nouveau dans les baffes, exhortant le public à offrir le plus bruyant des adieux à Rogue Prince. Daemon salua la cacophonie instantanée d'un vague signe de main puis s'éclipsa sans un regard en arrière, le cœur dans la gorge. Tic, toc.
hey rockstar, tu as de la place pour nous en loges, venait de lui envoyer Mysaria et à peine le texto aperçu que le blond rangea hâtivement son portable, dévalant ensuite les marches du sous-sol pour piler droit vers le panneau « EXIT ». Puis droit vers le parking. Puis droit vers sa voiture. Tic, toc. À ce stade, il se savait déjà en course-poursuite avec l'inéluctable. Ses paumes impatientes tâtèrent malgré tout ses poches jusqu'à y localiser un jeu de clés puis il releva la tête, en recherche de sa Berline. Et appuyée tout contre le capot, Rhaenyra lui rendit son regard.
Immédiatement, Daemon marqua une pause. Instantanément. Semelles fusionnées au goudron.
Devant lui, Rhaenyra le dévisageait de cet air frontal mais prudent qu'il se savait lui rendre en miroir — deux dragons face-à-face. Il y avait un prédateur et une proie, ici, et pour une première fois, Daemon se savait n'appartenir qu'au second camp. Mais lorsqu'elle avança vers lui d'un pas puis d'un autre, lente et précautionneuse, il maintint son menton bien haut, prêt à encaisser le choc coûte que coûte. Et Rhaenyra sembla y voir un feu vert car, l'instant suivant, elle abandonnait son sac à main à terre pour courir droit dans ses bras, ses jambes nouées à ses hanches.
« Lēkia. » murmura-t-elle entre deux sanglots étouffés, la figure nichée dans sa nuque.
Pour toute réponse, Daemon resserra son étreinte autour d'elle, aucun mot anglais ou valyrien capable de verbaliser avec justesse son actuel chaos émotionnel. Alors il n'en prononça aucun.
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*Issa mandia : Ma sœur
*Lēkia : Frère
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Pour ceux que ça intéresse, j'ai fait une petite playlist Spotify (pseudo : Nina Hazel) qui porte le même nom que l'histoire et situe un peu son ambiance générale. Sinon, dites-moi tout : ça passe ou ça casse, ce début ? See you soon ! ✨
