Salut !
Un nouvel OS soukoku, je suis vraiment On Fire en ce moment !

Je me suis levé.e un matin avec cette idée, et il fallait que j'en fasse quelque chose, alors voilà.
Cette histoire se passe peu après les évênements du film Dead Apple, mais le spoil est très mineur. Si vous aimez lire avec de la musique (je sais pas comment vous faites mais ok), je vous recommande As The World Caves In, la version que vous préférez.

Sur ce, bonne lecture !


...

Le Canon de Verre

...

L'autre jour Dazai s'ennuyait. Heureusement, il a toujours à portée de main un remède plus qu'efficace contre l'ennui et qui n'implique pas - nécessairement - un suicide improvisé. Là, dans son téléphone, il y avait un contact sans nom, juste un émoticône de doigt d'honneur. Leurs derniers messages remontaient à il y a quelques semaines maintenant, mais ça n'avait rien d'inhabituel entre Dazai et "Doigt D'Honneur".

Vu l'heure, son correspondant devait être en plein travaux administratif, sans compter les évênements récents pour lesquels il y avait sûrement une tonne de paperasse à remplir, une petite pause lui ferait le plus grand bien. Malin comme il est, Dazai n'avait pas attendu que les tâches s'accumulent pour tout refiler à Atsushi. C'est un brave petit.

« RDV dans le petit parc dans 30 min. » tapa-t-il à la hâte, un petit sourire satisfait dansant au coin des lèvres.

Ce qu'ils appellent le petit parc, celui où, en cette saison, les pêchers sont en fleurs. C'est assez proche de l'agence pour que, si Dazai partait immédiatement, il arrive exactement à l'heure en flânant. Bien sûr, Dazai avait toutes les intentions du monde d'arriver avec au moins cinq minutes de retard, mais s'il se faisait choper par un de ses collègues sur le chemin de la sortie, ce seraient bien plus qu'il aurait, et son correspondant pourrait s'impatienter et repartir. Dazai marchait toujours sur une corde raide avec "Doigt D'Honneur", mais ils étaient comme ça, à vivre dangereusement.

Il avait déjà fait la moitié du chemin - en cinq minutes, il s'ennuyait vraiment - quand Dazai reçut une réponse. "Doigt D'Honneur" répondait rarement aux messages de Dazai, en général il le laissait plutôt sur lu et le retrouvait au point de rendez-vous fixé, à l'heure dite. Pris d'un élan de curiosité - et pas du tout d'inquiétude - Dazai interrompit sa marche pour la lire.

« Trouve quelqu'un d'autre à emmerder, j'suis pas ton chien. »

Oh, ce n'était pas une si mauvaise idée ! Il changea le nom de contact de "Doigt D'Honneur" par un nouvel émoticône en forme de tête de chien, et envoya une capture de sa fiche contact. Sa photo était un peu floue à cause de la proximité de l'objectif, mais on reconnaissait un chapeau - moche - et quelques cheveux roux.

« Maintenant tu l'es ! Et un chien doit faire tout ce que son maître lui dit.

- Va te faire foutre Dazai. »

Mh, voilà une réponse fâcheuse. Dazai détestait avoir à faire ça, mais aux grands maux, il savait sortir les grands remèdes !

« Je paye le déjeûner ? »

Quelques secondes plus tard, alors que Dazai était persuadé que sa demande serait impossible à refuser, un nouveau message fut réceptionné.

« Je suis pas dispo aujourd'hui, ni demain sûrement, à cause de la merde que t'as causée hier soir. »

Alors maintenant ça allait être sa faute en plus ? Voilà un Chien for désobéissant, Dazai devrait le punir plus tard. Peut-être en s'introduisant dans son appartement en attendant qu'il revienne et tombe dans un des pièges qu'il aurait installé, pendant sa longue et agonisante attente ? Oui, c'était le plan - la punition - qu'il lui fallait.

Peut-être que c'était plus le comportement du chien d'attendre devant la porte que celui du maître, Dazai n'y pensa pas une seconde.

Au détour d'une rue, un chapeau - moche - sur des boucles rousses s'échappèrent en vitesse du champ de vision de Dazai. Il aurait juré avoir croisé son regard également ! Lui qui pensait que son Chien était débordé par le travail, que faisait-il dehors si ce n'était pas pour faire tourner Dazai en bourrique ? Il ne le laisserait pas filer si facilement ! Tant pis pour ses plans d'intrusion ou de pièges. Par contre, Dazai ne s'attendait pas à le rattraper si vite non plus ; et encore moins dans une telle posture.

« Alors quoi, c'était pour ça que t'étais pas dispo pour déjeûner ? Depuis quand on a besoin d'être debout pour déjeûner ? » railla-t-il plutôt que de s'apitoyer.

Face à lui, un des hommes les plus puissants au monde, capitaine de la Mafia portuaire Nakahara Chuuya, assis dans un fauteuil roulant. En se relevant sans prévenir, Chuuya réussit à lui asséner un coup de boule sans convictions, mais aussitôt se replia sur lui-même de douleur.

« Je t'avais dit que- Putain ! » cria-t-il alors que Dazai avait la gentillesse de le rattraper par la taille.

« Hé là, ne va pas tomber et te faire une fracture de plus ! »

Il n'avait jamais vraiment réfléchi aux conséquences que pouvaient avoir la Contamination d'Arahabaki sur le corps de son ancien partenaire. Il savait qu'elles existaient, et il savait que c'était une expérience éprouvante, mais il était loin de se douter que ce serait au point de ne plus pouvoir ne serait-ce que marcher, même un jour après. Il faut dire qu'ils n'y avaient pas été de main morte la veille, la ville se reconstruisait lentement, il y avait peu de gens dans les rues. Sous ses doigts, Dazai sentit quelque chose de dur avant que Chuuya ne le repousse durement :

« Rha mais lâche-moi ! »

Dazai obéit, et regarda son ancien partenaire retomber sans grâce dans son fauteuil, grimacer sous la douleur du choc, et tenter de le masquer sous son irritation.

« Bravo, tu m'as trouvé ! Ha ha c'est bon tu peux te marrer un bon coup, maintenant fiche-moi la paix j'ai besoin de repos. »

Le ton de son ancien partenaire était insultant, en particulier parce que Dazai n'avait aucune intention de rire. Quelque part c'était un peu de sa faute s'il était dans ce fauteuil aujourd'hui.

« Allons qu'est-ce qui te rend si grognon aujourd'hui ? Allez viens déjeûner avec moi, je suis sûr qu'on trouvera un coin qui est accessible aux personnes en fauteuil roulant ! » s'exclama-t-il comme si ce n'était rien.

« Non mais t'as fumé ou quoi ? Y a pas moyen que je me balade dans toute la ville comme ça avec toi !

- T'inquiète pas mon p'tit Chuuya, je vais te pousser, ça va être un vrai jeu d'enfant pour mes grandes jambes valides et moi.

- Je veux pas de ta pitié barre-toi !

- Allons, ça n'a rien à voir avec de la pitié, » dit Dazai plein d'hypocrisie. Bizarrement ça sembla calmer Chuuya. « Aujourd'hui je vais te chouchouter et tu pourras rien faire pour m'en empêcher ! »

Pas besoin de le voir pour savoir que Chuuya levait les yeux au ciel. S'il avait vraiment voulu s'échapper de l'attention de Dazai, il l'aurait fait sans grand peine.

« Quel horrible maître je ferais si je n'étais pas en mesure de m'occuper de mon chien quand il s'est blessé au combat ? »

La réponse de Chuuya était un grognement inarticulé qu'il ne chercha même pas à comprendre. Au lieu de dépenser son énergie inutilement dans un décodeur de grognements, Dazai préféra continuer son monologue :

« D'autant que je ne t'ai pas encore pardonné la brusquerie avec laquelle tu m'as réveillé l'autre soir, j'avais un bleu énorme en me réveillant ! Tu n'as jamais lu Blanche-Neige Et Les Sept Nains ou quoi ?

- J'ai dit, » insista Chuuya par dessus le brouhaha de la ville, « t'as au moins quatre ans de retard, débile ! »

Oh. Oh ! C'était définitivement plus grave que tout ce que Dazai avait pu soupçonner. Chuuya pointa une enseigne de l'autre côté de la rue et Dazai l'y poussa sans réfléchir. C'était un joli restaurant, clairement au dessus de ses moyens. Il avait été assez épargné par le cataclysme de la veille, un peu comme le reste de la rue qui était assez à l'écart heureusement. Un serveur vint les accueillir en souriant, Dazai décréta qu'il ne l'aimait pas.

« Monsieur Nakahara, bienvenue au Canon de Verre, j'espère que ce n'est rien de grave cette fois ?

- Non, tout va bien ne vous inquiétez pas plus, » répondit Chuuya avec un air plus aimable que Dazai ne lui avait jamais vu. « Une table au rez-de-chaussée, deux couverts. »

Le serveur s'inclina et les conduisit dans un coin à l'écart du restaurant, une petite table carrée à laquelle il retira une chaise naturellement. Il arracha presque des mains de Dazai les poignées du fauteuil pour aider son client à se positionner, et repartit en ayant complètement ignoré l'autre.

« Non mais c'est quoi son problème ? » se plaignit Dazai une fois assis.

« Il a dû croire que t'étais une sorte de majordome, » ricana Chuuya en parcourant la carte des yeux.

« Oui ben, c'est idiot ! On ne déjeûne pas en tête à tête avec son majordome quand même.

- J'ai souvent des rendez-vous dans ce restaurant, mon tête-à-tête aurait très bien pu arriver plus tard, pendant que tu attendais debout qu'on ait fini.

- C'est absurde ! »

Non, l'explication la plus logique à tout ça était que ce serveur avait des vues sur Chuuya - qui n'en n'aurait pas ? - et était simplement trop jaloux de Dazai - qui ne le serait pas ? - pour lui accorder un regard. On la fait pas à un détective comme lui.

Ils commandèrent et attendirent dans une tension épaisse, plus désagréable que d'habitude. Ce n'est qu'une fois leur nourriture servie - le serveur s'est montré beaucoup plus professionnel quand il est revenu, étrangement - que Dazai brisa enfin le silence.

« Ce n'est pas juste la conséquence du combat d'hier, je me trompe ? C'est plus grave que ça en à l'air.

- Oui. »

Une telle franchise le prit au dépourvu, il s'était attendu à ce que son partenaire démente, au moins par fierté. Chuuya avait l'air épuisé, d'une fatigue plus profonde qu'un simple combat contre un dragon maléfique ; d'une fatigue que Dazai ne connaissait que trop bien lui-même.

« Eh bien, maintenant qu'on est là, » dit Dazai qui coupait la nourriture dans son assiette sans grande intention de la consommer, « tu n'as qu'à me raconter. Le contre-coup de la Contamination est-il toujours si radical ?

- Radical ? Il pourrait l'être bien plus. Mais non. Hier c'était exceptionnel. Quand on était plus jeunes aussi, c'était plus supportable. »

Avec précision, Dazai nota les mots employés par son ancien partenaire. Jeunes, Dazai aussi se sent quatre fois plus vieux qu'il ne l'est réellement. Supportable, ça a toujours été pénible mais la situation s'empire indubitablement.

« Depuis quand tu portes un corset ?

- Depuis que j'ai dix-neuf ans, presque en permanence. »

Chuuya haussa les épaules pour se donner un air nonchalant, mais il évitait son regard. En silence, Dazai l'observait pour l'encourager à continuer.

« C'est un des contre-coups de mon pouvoir. La Tristesse Souillée me détruit à petit feu, alors on limite les dégâts tant que possible. »

Tout était lié. Il faut toujours que tout les ramène au pouvoir de Chuuya, et à la Contamination. Au final, la culpabilité de Dazai était plus tenace qu'il l'eût crue.

« Tu ne portais pas de corset quand on s'est connus, tu ne te baladais pas en fauteuil. Comment ton état a-t-il pu dégénérer à ce point ?

- À ton avis ? » répond-il en relevant enfin les yeux dans ceux de son interlocuteur.

La culpabilité que Dazai tentait de repousser avec ses mains maigres et son sourire charmeur est armée d'une lance aiguisée. Elle lui transperce le cœur - son cœur inerte et noir - dès qu'il baisse la garde. Face à lui, le regard de Chuuya était si vide qu'il crût se voir dans une glace, si ce n'étaient pour ces cils de flammes rousses et ces iris de glace fantomatiques.

« Quand tu es parti, » raconte Chuuya qui sait très bien que Dazai a compris, « que tu as quitté la mafia, alors que j'étais absent pour une mission à l'étranger, et que je n'ai apris que des semaines après que tu nous avais abandonnés, que tu m'avais trahi... »

Sciemment, Chuuya utilise des mots de plus en plus lourds qui remuent la lance que Dazai a plantée dans le cœur. Qui sait, peut-être qu'à force de le secouer comme ça, il se remettra à battre ? Jusque là, ça fait juste mal.

« J'étais dévasté, d'accord ? Je me suis raconté que je fêtais ton départ mais en vérité je me sentais plus bas que terre parce que j'avais l'impression de m'être bien fait rouler dans la farine par... Par Dazai le déserteur. Je me suis réveillé le lendemain dans un lit d'hôpital. On m'a dit que mon - notre - appartement s'était effondré sur lui-même, et que des voisins avaient appelé les secours.

- Black-out ? » présuma Dazai, qui ne se formalisa pas quand Chuuya l'ignora.

« J'ai dû finir mon stock complet ce soir-là... Je me souviens pas de grand chose à part que j'avais envie de tout détruire, la moindre chose qui me rappellerait ta sale tête.

- Détruire tout l'appartement était en effet la façon la plus efficace de le faire.

- À l'hôpital... Un docteur est venu me poser des questions, qui n'avaient rien à voir avec ce à quoi j'aurais pu m'attendre. Il m'a pas parlé de la mystérieuse implosion dans mon appartement, de ma consommation d'alcool, ni même de la mafia, sur le coup c'était très bizarre. »

Les souvenirs qui jusque là, avaient allumé en Chuuya une flamme de colère, se ternissent à nouveau de cette lasse mélancolie. Pour Dazai elle est familière certes, mais pas dans ces yeux là, elle n'avait rien à faire. C'était aliénant. Malgré ses bonnes pensées, le détective était impuissant devant la détresse sourde de son ancien partenaire.

« Chez les brebis Yuan me proposait souvent des massages, » dit Chuuya, nostalgique à la mention de son ancien groupe. « Elle disait que je me plaignais tout le temps d'avoir mal au dos. Ça aidait, un peu. À l'époque je manipulais la gravité plutôt que de monter les escaliers, ou de me servir de mes mains. J'avais toujours mal quelque part sans raisons apparentes mais je m'y étais habitué, je pensais que c'était normal. Tout le monde souffre, c'est le pain quotidien de l'être humain. C'est de ça qu'à voulu parler le docteur : Mon dos, mes douleurs chroniques. Il était surpris que j'aie pas de dossier médical, mais sans plus. Je captais pas la moitié de ce qu'il me disait et en plus j'étais shooté aux antidouleurs. »

Chuuya semblait incertain, comme s'il cherchait quelque chose en son vis-à-vis, alors Dazai mit toute la douceur qu'il avait en réserve dans son sourire suivant, afin d'encourager son ancien partenaire. Ce fut une épreuve parce qu'il est persuadé d'en avoir bien peu, mais une épreuve qu'il accepta de surmonter sans réfléchir.

« Après d'autres tests et analyses, les médecins ont conclu que mon pouvoir, La Tristesse Souillée me pesait littéralement sur les épaules à chaque utilisation. Si je soulève un train, j'ai beau avoir l'impression de ne porter qu'une pierre, mon corps supporte le poids d'un train.

- Mais... Comment est-ce possible ? À cette allure, tu devrais déjà t'être cassé les deux bras !

- J'en sais rien, c'est pas une science exacte. Les effets sont plus ou moins réversibles jusqu'à un certain point, mais avec mes activités c'est très compliqué voire impossible d'accorder à mon corps le repos qu'il mérite. Quand j'avais dix-neuf ans on m'a dit : Si vous continuez à ce rythme, vous serez coincé dans un fauteuil avant vos quarante ans. Ça m'a fait réfléchir.

- Ah, je ne savais pas que Chuuya savait réfléchir ! Il ne s'est pas foulé le neurone au moins ? »

La taquinerie - qui se voulait méchante mais fût plus nostalgique qu'autre chose - arracha un petit ricanement à Chuuya.

« Je sais très bien que t'en penses pas un mot la momie, » répliqua-t-il sans piquant.

« C'est pas parce que t'es dans un fauteuil que je te ferai le luxe de l'admettre.

- Capacitiste en plus ? Ça ne m'étonne même pas de toi.

- Calomnies ! Je n'ai absolument rien contre les personnes handicapées. » se défend Dazai. « En particulier si ce sont de jolies femmes ! Tu sais très bien que mon problème n'est et n'a toujours été qu'une singulière personne.

- Ça me touche sincèrement que tu me considères de la sorte. »

Leurs jeux de mensonges puérils ont toujours été le meilleur moyen qu'ils eussent de relâcher la pression. C'eut été le premier qui s'énerve perd, mais aujourd'hui ça ressemblait plus à qui donnerait les pires coups sans toucher là où le bat blesse.

« Raconte-moi tout mon petit Chuuya, » dit Dazai qui repoussait les morceaux qu'il avait fini de couper sur le bord de son assiette. « À quoi pouvais-tu bien réfléchir ?

- À quoi veux-tu qu'une telle nouvelle me fasse réfléchir ? À l'avenir tiens. La vie, la mort, et les options qui s'offraient à moi. Je me suis rendu compte que jusque là j'avais vécu... Très dans la présent, à la poursuite d'un passé qui n'avait peut-être jamais existé. Je ne m'étais jamais attendu à vivre vieux, mais je n'y pensais pas non plus, c'était simplement un fait.

- Ah, » se lamentait Dazai, « si c'était ainsi tu aurais dû accepter mes invitations à te suicider avec moi alors !

- Pff, y a une différence entre être conscient du danger quotidien et chercher activement la Mort, crétin.

- Mais alors, en quoi ce diagnostic était si choquant pour toi ?

- C'est pas la mort qu'on m'a prédit cela-dit. On m'a dit... » Chuuya eut un petit rire amer. « Exactement ce qui m'arrive aujourd'hui : l'incapacité. Un sort pire que la mort, j'ai pensé.

- Oh tu sais pour moi, tout est pire que la mort.

- Ce qui m'a fait réfléchir, c'est quand mon docteur m'a demandé comment je voulais vivre ma vie, et que je n'ai pas su lui répondre autre chose que debout.

- Et regarde-toi aujourd'hui, incapable de te lever sans te tordre de douleur. La cruelle ironie de la vie dans toute sa splendeur. »

Chuuya haussa des épaules comme si ça lui était égal, et son regard dans le vide, son verre à mi chemin, son soupir de fatigue ne pouvaient que lui donner raison.

« Malheureusement pour moi, debout n'était effectivement pas une option compatible sur le long terme avec tout le reste.

- Alors laisse-moi deviner : C'est l'heure de la crise existentielle infructueuse, c'est ça ?

- Je suis tellement fatigué, Dazai... »

L'aveu de son ancien partenaire fut comme une énorme pierre qui tombait dans le ventre de Dazai. Au premier abords il aurait pu croire que Chuuya était simplement fatigué par les pitreries de son ex-partenaire, ou physiquement fatigué par le cataclysme de la veille ; mais les indices avaient agressé l'œil déducteur de Dazai depuis qu'ils s'étaient retrouvés. Ce qui fatiguait Chuuya était une chose bien plus lourde et persistante qu'un simple collègue énervant ou un quelconque travail si herculéen fusse-t-il. L'information était loin d'être nouvelle, mais la résignation dont il faisait preuve alluma plusieurs alarmes agaçantes dans l'esprit d'ordinaire bien rangé de Dazai. C'était la première fois de la journée qu'il l'appelait par son nom et soudain, il ne mangeait plus en face de son ancien partenaire, mais bien d'un vieil ami.

« Je ne sais pas combien de temps je peux continuer à brûler la chandelle par les deux bouts comme ça. Je ne sais pas si j'ai envie de finir ma vie à la mafia, je ne sais pas si je veux continuer de donner littéralement de ma personne pour le crime et encore moins pour Mori. J'ai mal partout mais on a sauvé le monde hier, alors peut-être que ça en valait la peine ? Je me suis accroché à mon poste et ma loyauté parce que je ne voulais pas m'abaisser à ton niveau, parce que je n'avais pas le droit de te détester si je comprenais tes actions, et encore moins si je les enviais... Mais je te vois aujourd'hui et de nous deux tu es une fois de plus celui qui a pris la bonne décision et qui guérit, et je suis celui qui décrépit dans son coin. »

Un silence pesant s'installa entre eux. Sans rien ajouter, Chuuya prit à Dazai son assiette - dans laquelle il remuait toujours sans y penser la nourriture qu'il avait découpée tantôt - et en observa le contenu. Il râla pour la forme mais laissa faire son ancien partenaire, parfaitement conscient de ses intentions. Dazai avait toujours été difficile à table, entre son palais capricieux et son appétit de moineau, manger était plus une corvée qu'un plaisir pour lui.

« La sauce ? » devina Chuuya plus qu'il ne demandait, et Dazai haussa les épaules d'une manière qui voulait dire J'y peux rien.

Sans rien ajouter, le rouquin transféra dans sa propre assiette les trois quarts du contenu de celle de Dazai, essentiellement tout ce qui avait trempé dans la fameuse sauce, et lui rendit ce qu'il restait. Dazai continua de trier, mais finit par avaler quelques pommes-de-terre et quelques boulettes de crabe. C'est bon le crabe. Après tout ce temps... Chuuya le connaissait si bien, et pas seulement dans ses stratégies ou au combat ! Depuis le début de la semaine Dazai n'avait rien avalé d'autre que ses fidèles boîtes de crabe en conserve et ses innombrables cafés hyper-sucrés. Ils faisaient ça tout le temps, avant. C'était une bonne chose qu'ils aient recommencé à se voir, quand ils dînaient ensemble Dazai était certain de se remplir l'estomac - au moins partiellement - de bonnes choses. La réalisation le frappa avec une telle force que sa fourchette lui tomba des doigts. Mais oui !

« Chuuya ! » s'exclama-t-il comme s'il avait crié eurêka plutôt, en agrippant les mains de son ancien partenaire. « Allons-nous en !

- Quoi, tout-de suite ? Tu veux pas qu'on finisse de manger d'abord ? »

Bien sûr, Chuuya était confus. Comment ne pas l'être ? L'idée de Dazai était saugrenue, mais elle était surtout parfaite.

« Non, pas tout-de-suite bien sûr. Dès que tu seras prêt, partons toi et moi, Chuuya.

- Je comprends pas Dazai, » insistait-il en tirant sur ses mains pour les récupérer. « Où veux-tu qu'on aille ? Pour quoi faire ? »

Malgré lui, Dazai laissa échapper un petit rire. Était-ce l'hystérie qu'il avait du mal à maîtriser, ou le désespoir qui le rendait nerveux ? Sûrement beaucoup des deux.

« Si c'est une invitation à se suicider ensemble je te préviens Dazai...

- Je ne te parle même pas d'un suicide amoureux, mais imagine... On emmerde le gouvernement, Mori, mes six mois de dettes, on emmerde le monde entier et on s'en va ! Loin d'ici, au soleil, sur une plage. Tu aimes la plage pas vrai ? »

Le sourire de Chuuya fut si tendre qu'il en fit presque pleurer les yeux de Dazai. « Oui, » disait-il, « tu sais très bien que j'adorerais. »

« Imagine : Toi, moi, les couchers de soleils digne du Paradis sur Terre, la chaleur de l'été, la mer mais aucun porte-conteneur à l'horizon, plus de port industriel, juste des touristes qui vont et viennent. Plus besoin d'utiliser nos pouvoirs pour quoique ce soit. Si tu veux je pourrais même... Te tenir la main en permanence pour que tu n'aies plus à te faire écraser sous le poids de ton propre corps. On pourrait dîner, ou se disputer, faire l'amour, dormir, ou faire tout ça, pendant des heures, autant qu'on voudra ! Tu imagines ? Et tu auras tout le temps de faire tes exercices et de laisser ton corps se régénérer, et si on a besoin d'argent je suppose qu'on pourrait faire quelques commissions en indépendants... Après tout j'ai quelques talents qui devraient être plutôt bien rémunérés, même si je t'avoue ne pas être contre pirater un des comptes de la mafia pour profiter pleinement d'une retraite bien méritée !

- C'est de la folie ! » dit Chuuya, mais son petit rire était déjà convaincu.

« Mais est-ce que ça te vend pas du rêve ?

- Enfin Dazai, on peut pas partir comme ça et laisser tout le monde en plan ! Tu n'as pas idée du nombre de personnes qui comptent sur moi au quotidien ! Et toi-même, qu'est-ce que tu comptes faire du petit Atsushi ?

- Atsushi est un garçon intelligent et fort, il peut se débrouiller sans moi. Et c'est pareil pour toi, la mafia ne s'est pas effondrée quand je suis parti, elle ne s'effondrera pas si tu t'en vas. Depuis le temps, tu leur as remboursé au centuple tout ce que tu as bien pu un jour leur devoir ! Tu l'as dit toi-même, ça te tue à petit feu, et ni Mori ni le crime organisé ne méritent que tu leur donne ta vie comme ça.

- ... Ça a l'air si simple quand tu en parles comme ça... Mais Yokohama a encore besoin de nous, hier encore si on n'avait pas été là...

- D'autres viendront remplacer Double-Noir, je n'en doûte pas une seconde. »

Visiblement à court d'arguments, Chuuya se replongea dans son assiette pour réfléchir. Dazai l'imita et enfourcha une nouvelle boulette de crabe. Mauvaise idée, c'était beaucoup moins bon froid. Berk, non, il ne pouvait pas manger ça ?! Il recracha sans grâce et se rinça la langue avec de l'eau. Apparemment le repas était fini pour lui. Si ils prenaient vraiment leur retraite, il faudrait qu'il pense à commander des repas qui refroidissaient moins vite. Ou alors des plus petites portions, étalées sur plusieurs services.

« J'aime ton idée mais ça me semble un peu radical, » avoua Chuuya en finissant sa propre assiette. « On devrait commencer par un road-trip, quelque chose de tranquille. pas besoin de passer tout de suite par la case déserteur pour prendre des vacances au soleil. T'as qu'à nous trouver une mission bidon, et on se tire aux frais de Mori et de l'agence. Une semaine ou deux, pour commencer.

- Si on commence doucement quelqu'un risque de découvrir le pot-aux-roses. Ni Mori ni mes collègues sont stupides, nos organisations ont beau être en trêve, plus on passe de temps ensemble...

- Et alors, qui va nous arrêter ? Tant mieux, même ! Ça ne rend le jeu que plus intéressant. Ils auront tout le temps de nous voir venir, mais le moment venu, tu sais comme moi que personne ne pourra nous arrêter.

- J'aime ta façon de penser. »

Chuuya finit son verre, cala une somme d'argent sous le pied, et lui ordonna : « Sors-nous de là Dazai. »

Sans réfléchir une seconde de plus, il s'exécuta. Les poignées du fauteuil de Chuuya étaient agréable à prendre en main, et ils firent des signes amicaux aux membres du staff en sortant.

« J'ai rendez-vous avec un fou dans le Petit Parc il me semble. »

Chuuya avait l'air beaucoup plus apaisé que quand il l'avait croisé tout à l'heure, ça faisait plaisir à voir. Comme depuis ce matin, Dazai voulait voir si les pêchers étaient bel et bien en fleurs, il se hâta de les mener jusqu'au Petit Parc, où deux fous avaient rendez-vous ce jour-là.

...


Je me suis réveillé.e un matin avec cette idée en tête :
Et si le pouvoir de Chuuya lui pesait littéralement sur les épaules ? Et si les conséquences de la contamination étaient plus graves sur le long-terme que ce que j'ai pu lire dans d'autres fics ? On voit souvent Chuuya porter un corset esthétique, mais et si il en portait pour raisons médicales ?

Et voilà ce que ça a donné.
Je sais pas trop comment je suis arrivé.e à cette fin, au début j'avais pas l'intention d'écrire Chuuya et Dazai "déjà en couple" mais plus j'avançais et plus ça me semblait logique. J'avais déjà le passé en tête, et au fil de l'écriture les personnages se sont trouvés un futur :)

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Petite collection d'anecdotes :

- un canon de verre est une expression assez directe, ça se réfère à quelque chose (ou quelqu'un) qui frappe très fort mais est d'une grande fragilité, et j'ai trouvé que ça correspondait parfaitement à la situation de Chuuya dans cet OS !

- dans le conte original de Blanche Neige, le Prince Charmant ne réveille pas Blanche Neige d'un baiser. C'est en portant son cercueil de verre qu'il trébuche sur une pierre, et les secousses soudaines font sortir le morceau de pomme coincée dans sa gorge. Beaucoup moins sexy, c'est sûr. Je pense que Dazai est au courant mais compte sur le fait que Chuuya ne l'est pas :')

- la symbolique des pêchers est très intéressante ! Ce sont des symboles de vitalité et d'immortalité, mais aussi d'union et de fécondité. Assez ironique au début (surtout vu qu'ils ne vont pas jusqu'au parc et que Chuuya refuse de voir Dazai), et plutôt juste à la fin, vous ne trouvez pas ?

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J'écrirai peut-être une suite à cet OS mais bon, j'ai un dossier spécial "à développer/suite potentielle" et il est de plus en plus conséquent mdr.
On verra. En tous cas si suite (ou même préquelle) il y a, ce sera certainement moins long que si je fais une suite à Les Bad Guys (tm) ou Le Sang Sur Nos Mains donc ça reste à voir !

Merci beaucoup d'avoir lu jusqu'ici, j'espère que ça vous a plu ! Laissez-moi une petite review pour m'en parler, à bientôt !