Chapitre 2 : L'entretien d'embauche

12 Janvier 2021, Complexe Hôtelier Four Seasons de Santa-Fe

Un an s'était écoulé depuis qu'Al était parti à la retraite. Il coulait maintenant des jours heureux dans une petite maison au bord de la mer.

Elia se battait pour trouver un scientifique digne de ce nom depuis ce jour-là. La dernière en date à tenue six mois avant de baisser les bras. Un record !

L'épidémie de Covid n'avait pas arrangé les choses, c'est difficile de trouver du personnel dans un monde en confinement quasi-total. Heureusement, le centre quantum était parfaitement autonome et le travail avait pu continuer à huit-clos. Elia n'avait pas vue ses grands-parents depuis des mois.

Aujourd'hui, une nouvelle session de recrutement était organisée. Ça avait lieu dans la salle de réunion d'un hôtel dans une ville voisine. Le projet était secret et pas question de faire entrer un inconnu dans le complexe.

Elia avait déjà vue quatre personnes depuis le matin. Quelle déception ! Les cinq personnes qu'elle devait voir avaient déjà passé de nombreux tests mais les premiers entretiens s'étaient avérés désastreux. Elle ouvrit la porte de la salle de réunion, l'air las en se frottant le coin des yeux. Elle était agacée et dit sèchement en passant juste la tête par l'encadrement de porte :

« Suivant ! »

Personne ne vient, le couloir était vide. Elia cria à son assistante :

« Maggie ? C'est déjà fini !? »

Une petite femme âgée traversa le couloir en trottinant un café à la main. Elle donna la tasse à Elia et dit de sa petite voix nasillarde :

« Non capitaine, un homme ne s'est pas encore présenté, il est en retard !"

« Génial, ça continue, un retardataire… Je déteste ça !» ronchonna Elia entre deux gorgés de café.

La porte du couloir s'ouvrit alors brutalement et un homme entra précipitamment. Il avait visiblement couru car il tentait de reprendre son souffle malgré son masque de protection.

« Vous êtes en retard » dit froidement Elia.

« Je vous prie de m'excuser, j'ai eu quelques ennuis pour arriver jusqu'ici...Pas évident de voyager sereinement en ce moment" répondit-il dans un souffle. »

"Ça ira, Monsieur. Allez, entrez… » dit-elle froidement

Elle lui tendit la main et dit :

« Monsieur ? »

"Beckett."

Elia en resta bouche-bée et son bras retomba lourdement le long de son corps avant même que le jeune homme n'ai eu le temps de lui serrer la main.

"Pardon ? » souffla-t-elle en fronçant les yeux "Je n'ai aucun Monsieur Beckett sur ma liste ! »

Elia s'approcha du bureau et commença à chercher précipitamment dans ses dossiers.

Le jeune homme entra dans la pièce et se dirigea vers la chaise qui lui était, semble-t-il, destiné.

« Je peux ? » dit-il en désignant la chaise.

Elia acquiesça d'un léger mouvement de la main, toujours en fouillant dans ses dossiers.

« Docteur Beckett.» dit-il.

« Pardon ? »

Il semblait amusé par la situation.

« Docteur Beckett pas Monsieur !»

Elle releva instantanément les yeux et plongea dans son regard :

« Ça va être compliqué pour moi de vous appeler comme ça. » dit-elle

« Eh bien, appelez-moi Alex ! » dit-il d'un air sûr de lui.

« Je crois qu'on trouvera autre chose de plus professionnel. » grinça-t-elle alors qu'elle s'apprêtait à replonger dans sa pile de dossier.

"Ne cherchait pas, je me suis présenté en donnant le nom de ma mère. Mon dossier est sous le nom de Diaz… En fait, Je suis Alexander Diaz Beckett. Je ne voulais pas que mon nom influence votre choix. »

Elia se redressa instantanément, et le fixa une nouvelle fois, incrédule… Alex se dit alors qu'elle avait des yeux incroyable… Il faut dire qu'ils étaient d'un bleu très clair.

« Pour être clair, le docteur Beckett était mon oncle."

" Vous rigolez ?"dit-elle précipitamment d'une voix suraigüe.

"J'ai l'air de plaisanter ?" dit-il en lui faisant un grand sourire qui fit remonter son masque jusqu'à ses yeux et en s'appuyant plus confortablement sur le dossier de son siège.

Elia se laissa tomber brusquement sur sa chaise. Elle resta quelques minutes silencieuses en le détaillant du regard.

Alex était un grand gaillard et maintenant qu'elle y prenait garde, il ressemblait un peu à Sam. Il avait quelque chose dans son regard qu'elle n'arrivait pas à déterminer et qui lui faisait penser à lui. Pourtant autant les yeux de Sam étaient verts autant ceux d'Alex étaient presque noirs. Et dans sa façon de se tenir sur cette chaise, les jambes croisées, les bras nonchalamment posés sur ses cuisses, il avait son allure et sa carrure. Et il avait l'air très à l'aise ? Peut-être un peu trop pour un entretien d'embauche.

Alex entama la conversation, le silence devenait pesant :

« Mon père était le frère de Sam. »

Elia ne réagissait toujours pas. Maintenant qu'elle y réfléchissait, elle se souvient qu'il y a quelques mois, Al et elle s'était introduit dans les appartements de Sam pour y chercher de vieux documents administratifs. Les appartements du Docteur, au centre, étaient resté tel qu'il les avait laissés et elle se rappelait que pendant que son grand père cherchait ces fameux papiers, elle avait passé de longues minutes à regarder les photos de familles de Sam. Et effectivement, il y avait une photo avec son frère et sa famille. Et il y avait bien un jeune garçon aux cheveux et aux yeux noirs.

C'est incroyable de se dire que si Alex était là devant elle c'était totalement grâce à Sam. Non seulement, elle lui devait la vie mais lui aussi. Le frère de Sam, Tom était normalement mort au Vietnam au début des années 70 et Sam l'avait sauvé lors d'un de ses sauts…

C'est alors qu'Elia se reprit et sorti de sa rêverie :

« Excusez-moi, j'ai été un peu surprise… Je ne me suis même pas présenté. Je suis le Capitaine Calavicci . » dit-elle en lui tendant la main.

« Calavicci ? Vous êtes la fille de l'Amiral ?» demanda -t-il en prenant délicatement cette main tendue pour la serrer.

« Sa petite fille. Vous le connaissez ? »

« Je l'ai rencontré quand il est venu nous annoncer la disparition de mon oncle. »

« Ah, je vois… Je suis désolée. » Elia repris alors doucement sa main qu'Alex tenait toujours dans la sienne.

« C'était il y 25 ans… On s'est très bien entendu, j'aimerais bien le revoir, il avait plein d'anecdotes sympa sur mon oncle. »

« Je n'en doute pas » dit-elle en levant les yeux au ciel avec un petit sourire. « Pourquoi avez-vous postulé pour intégrer notre projet ? »

« Parce que je pense que c'est mon rôle. »

« Mais encore ? »

« Mon oncle et moi nous nous ressemblons beaucoup, j'ai hérité de son intelligence. »

« Oh là, je vous trouve bien sûr de vous… » le coupa-t-elle avec un petit sourire en coin.

Alex tiqua un peu puis dit :

« Je n'ai effectivement pas ses huit doctorats mais c'est juste parce que je n'en voyais pas l'intérêt. Et j'ai toujours sue ce que je voulais faire. Je suis Astrophysicien, j'ai une thèse en physique quantique, je suis Chimiste et informaticien. J'ai travaillé sur beaucoup de projets de recherche mais je n'ai jamais réussi à trouver LE projet de ma vie... Il y a quelques temps, j'ai trouvé des cartons contenant des affaires de mon oncle en fouillant dans le grenier de mes parents. Il y avait des caisses qui venait de la ferme de mes grands-parents et qui contenait de vieux cahiers de labo. Ils étaient planqués là et contenait toutes ses vieilles théories. J'ai tout épluché et j'ai trouvé le but de ma vie. Le voyage dans le temps. Je veux terminer ce qu'il a commencé… »

« Attendez une minute, vous êtes en train de me dire que des documents classés secret-défense se trouvent actuellement dans un grenier de l'Indiana !? Eh bien, pour le coté top secret, on repassera !» Réalisa-t-elle soudain.

« Non, parce que maintenant ils sont chez moi et de toute façon, ce ne sont que des vieux cahiers contenant ses premières théories. Et même si c'est déjà très poussé, Sam a dû écrire ça quand il avait une vingtaine d'année. »

« Je vois… Il faudra tout de même que tout ça revienne au centre, dans nos archives, par mesure de sécurité. » dit-elle en ouvrant enfin le dossier d'Alex.

Elle jeta un coup d'œil et dit :

« Je ne vais pas vous mentir Monsieur B…., Euh... Docteur. Vous avez le meilleur dossier de la liste, vous étiez notre premier choix mais ce que vous venez de me dire me fait douter ».

« Comment ça? »

« Qu'est ce qui me prouve que vous dites vrai ? Je trouve ça un peu trop beau.»

« Je vais vraiment devoir vous prouver mon identité ? »

« Oui, j'en n'ai bien peur, le projet est trop important pour que je prenne le moindre risque. »

Alex sortit alors un téléphone de sa poche, fouilla un peu dans ses applications et lui montra une photo de lui, enfant, avec Sam. Celle qu'elle avait déjà vue. Il lui montra aussi une photo de lui avec Al.

« Nous n'avons rien trouvé sur vous pendant notre enquête mais je sais pourquoi maintenant… La date de naissance qui se trouve sur le dossier est la bonne ? » demanda-t-elle

« Bien-sûr ! »

« Excusez-moi un instant. »

Elia sorti alors son portable de sa poche et composa un numéro.

Elle mit le haut-parleur et posa le téléphone sur la table. Une voix féminine dit :

« Oui Capitaine ? »

« Ziggy, trouve-moi tout ce qu'il a à savoir sur Alexandre Diaz Beckett, date de naissance 26 novembre 1984 à ... » Elle jeta alors un coup d'œil interrogateur en direction d'Alex.

« Indianapolis »

« Tu as entendu Ziggy ? »

« Oui Capitaine, laissez-moi quelques instants. »

« Pas de problème. » et elle raccrocha.

« Je vais aussi devoir vous appeler Capitaine ? » dit Alex pour détendre l'atmosphère.

« Oui …ou Madame ! » dit-elle fermement.

« Je vois… » souffla-t-il

Le téléphone sonna, Elia décrocha et de nouveau mit le haut-parleur.

« Capitaine ?»

« Oui, Ziggy ?»

« Le docteur Beckett est bien né le 26 novembre 1984 à Indianapolis. Son père était Thomas Beckett et sa mère Thérèsa Diaz, ils ont eu trois enfants. Monsieur Beckett est le neveu de notre docteur Beckett. Il a été diplômé de doctorats en Astrophysique, physique quantique, chimie et informatique, entre 2000 et 2004. Il parle 7 langues. Il a certaines qualités héritées de son oncle. Il a travaillé, entre autres, sur le projet de recherche San Marino et le projet Spectrum avec le professeur Binx… Il est divorcé depuis douze ans, sans enfant et vie à New York. »

« Parfait, Rien de bizarre à signaler ? » dit Elia en transperçant Alex de son regard.

Alex lui offrit un sourire forcé.

« Non Capitaine, pas de casier, tout à l'air correct dans ma base de données. » dit Ziggy.

« Merci » et elle raccrocha.

« Drôlement efficace votre secrétaire ! Trois minutes pour tout savoir sur ma vie ? »

Elia se contenta de lui sourire tout en ne décrochant toujours pas son regard du sien.

« Vous me la présenterez ? »

« Qui ? »

« Votre secrétaire, bien sûr, elle a une jolie voix… »

Elia ricana :

« Je suis sûre que vous allez très bien vous entendre… »

Elia reprit son sérieux rapidement et resta silencieuse un moment.

« Bon, Docteur Beckett, vous avez trois mois pour me prouver que vous êtes digne de prendre la suite de votre oncle. »

« Vous avez une très haute opinion de lui ? »

« Pas vous ? Je lui dois tout… »

« Comment ça ? vous deviez être une gamine quand il est parti »

« Un jour, peut-être que je vous expliquerai, quand vous aurez prouvé votre valeur… »

« Je vois… »

« Vous êtes disponible quand ? »

« Maintenant. »

« Je vous attends demain matin au centre, je vous enverrais une voiture pour vous emmener. Soyez devant l'hôtel à 8h00 pile avec toutes vos affaires.

Je suis désolée, mais il y a une période de quarantaine lorsque vous entrerez dans le centre. Quinze jours pour le Covid où vous devrez rester dans votre chambre. Nous ne souhaitons pas que le virus entre dans le complexe. Et encore quelques semaines ensuite. Vous ne pourrez pas sortir du centre tant que nous n'aurons pas confiance en vous. Vous êtes d'accord avec ça ?

« Bien sûr. »

« Je vous ferais visiter vos nouveaux appartements…Ne vous inquiétez pas vous aurez tout ce qu'il vous faut là-bas et nous ferons rapatrier vos affaires de New-York quand nous serons sûr de vous garder. »

Sur ces mots, Elia se leva, ramassa en vitesses ses affaires sur le bureau et se dirigea vers la porte. Elle se retourna et dit :

« Ne me décevez pas, Doc… A demain… »

Et elle sortit, laissant Alex cloué à sa chaise.