Chapitre VIII : Innocence, Chère Innocence Perdue
Les heures durent des journées, les jours s'étendent en des mois, et les mois me semblent des années. Depuis combien de temps, depuis combien de temps suis-je là ? J'attends et je tremble, je tremble à l'idée de ne pas pouvoir intervenir à temps cette fois-ci non plus…
Le professeur Gast travaille à la mise au point d'un observatoire dans le canyon Cosmo, il travaille en collaboration avec un vieux sage du village de Cosmo. Le nom de ce dernier est Bugenhagen - je le sais, je le rencontrerai pour la première fois dans un peu plus de trente ans. Son petit-fils a maintenant quatorze ans et ce n'est encore qu'un petit enfant.
Pourquoi dois-je jouer cette comédie qui me dépasse ? Prétendre que je ne sais rien de l'avenir, que je ne sais pas que Lucrécia va accepter de subir les expérimentations de Hojo. Je sais qu'ils vont m'en parler un jour, mais je ne sais plus quand exactement. Je croyais pouvoir m'en souvenir… mais l'avenir est tellement loin dans le passé, et ma mémoire si défaillante !
J'essaie de paraître froid et détaché, de mettre le plus de distance possible entre Lucrécia et moi. Je ne lui ai pas parlé, je ne l'ai pas invitée pour une promenade, je ne lui ai pas déclaré mes sentiments. A quoi cela servirait-il, de toute manière ! Je sais déjà quelle sera sa réaction, je sais ce qui va se passer. Pourtant… dois-je attendre l'irréparable avant d'intervenir ? Non ! Je refuse de ne pas tenter de changer les choses ! Je refuse de la voir souffrir, de voir souffrir son enfant, et de finalement tuer ce petit être encore innocent. Je peux dévier le cours de ces deux vies si je m'y prends à temps.
Le projet Jenova peut tomber en ruines, la Shin-Ra peut aller se faire voir ! Je… Lucrécia et son enfant – l'enfant qu'elle aura de Hojo – partiront avec moi ; je peux persuader Lucrécia de ne pas servir de cobaye, car aujourd'hui je sais ce que j'ignorais à l'époque : Hojo n'avait pas l'accord du professeur Gast, son supérieur, pour cette expérience ; il n'avait aucun droit d'agir ainsi, et Lucrécia en sera informée, foi de Vincent !
« - Je suis contre ! Vous ne pouvez pas expérimenter ça sur des humains !
- Elle et moi sommes des scientifiques, notre décision est prise. N'est-ce pas, Lucrécia ?
- … Je… Tout à fait, professeur Hojo…
- C'est dangereux ! Savez-vous les risques que vous encourrez, Lucrécia ? Vous rendez-vous compte des risques que vous lui ferez encourir, Hojo !
- Valentine, vous n'êtes qu'un agent de surveillance ici ! Vous n'avez pas à nous faire la morale ! De toutes façons, il n'y aura aucun danger ! Vous n'y connaissez rien, et d'ailleurs, je me demande pourquoi Lucrécia voulait vous mettre au courant !
- Voyons Niko… – je veux dire : Professeur, il a le droit de savoir aussi, et si nous voulons qu'il assure la confidentialité de nos recherches…
- Vous avez raison, Lucrécia. Quant à VOUS, nous vous avons juste informé de nos intentions, nous ne vous avons pas demandé votre avis !
- Bien, remettez-moi à ma place si ça vous chante ! Il n'empêche que vous n'avez aucune autorisation pour ça !
- Qu'en savez-vous, Valentine ? »
Avec un sourire triomphal, le jeune professeur Hojo alla vers son secrétaire. Il ouvrit l'un des tiroirs et en sortit une feuille de papier. Il la tendit à Vincent, qui la lut et la relut.
« - Ce n'est pas possible !
- Allons, homme de peu de foi ! ricana Hojo. Vous avez la preuve devant les yeux et vous refusez de croire !
- Maintenant laissez-nous, Vincent. Nous avons encore beaucoup de recherches à faire avant de réellement commencer l'expérience…
- Mais Lucrécia…
- Sortez d'ici ! cria Hojo. Get out ! Raus ! Dehors ! En quelle langue faut- il vous le dire ?! »
Quel traître ! Et moi qui pensais tant de bien de ce Gast ! Il me dégoûte, peut-être même plus que Hojo ! Car si Hojo, lui, prend des risques et s'investit dans ses expériences, son supérieur ne fait que lui donner des ordres par l'intermédiaire de lettres, et ne veut même pas se salir les mains ! Hojo peut bénéficier de circonstances atténuantes, de clémence pour sa folie ; mais le professeur Gast, lui ! Il me dégoûte et me révolte !
Lucrécia et Hojo… Ils sont sortis, ils viennent de sortir et se promènent sur la place du village déserte. Ils ne voulaient pas que je les accompagne en tant que garde du corps. Je sais quel jour nous sommes, aujourd'hui…
Les deux scientifiques sortent rarement de leur laboratoire. Lucrécia ne rentre à sa chambre d'hôtel que très tard dans la nuit, tandis que Hojo s'endort souvent dans le laboratoire, épuisé par ses recherches, et il ne remonte presque jamais se coucher sur son lit de camp installé, à sa demande, juste devant l'escalier menant au souterrain.
Mais aujourd'hui, tous deux sont sortis… Je suis devant la porte du Manoir, et je peux les voir d'où je suis, même s'ils ne font pas attention à moi. Je sais finalement quel jour nous sommes aujourd'hui…
Hier, je devais avouer à Lucrécia que je l'aimais, elle devait s'enfuir au bord des larmes et je devais rester là, effondré et sans comprendre. Cela ne s'est pas passé ainsi, car hier, je n'ai pas parlé à Lucrécia. Et aujourd'hui… maintenant, Lucrécia et Hojo sont tendrement enlacés à l'entrée du village.
Si elle est heureuse, mon sort n'a aucune importance… Mais voilà, elle ne sera pas heureuse ! Je le sais, et pourtant, que puis-je y faire ?
Lucrécia aurait dû être heureuse aujourd'hui, mais son humeur était plutôt maussade. C'était son anniversaire et son fiancé ne paraissait même pas s'en souvenir. Il avait été si tendre avec elle hier ! Il pouvait être si gentil et prévenant certains jours, mais il l'était si rarement ! Il était toujours fourré dans son laboratoire comme s'il n'y avait rien de plus important au monde, même pas ELLE !
« - Tu peux aller te promener si tu y tiens tellement, je n'ai plus besoin de ton aide ici pour le moment !
- Nikolas, s'il te plait… J'ai envie que tu viennes avec moi !
- Nous sommes déjà sortis hier, je n'ai pas de temps à perdre avec tes jérémiades !
- … Tu viendras dîner avec moi ce soir, au moins ?
- … Je ne crois pas, Lucrécia. J'ai d'autres calculs à vérifier, et…
- Mais c'est mon ann…
- Vas t-en ! Si tu ne m'aides pas, au moins ne reste pas à traîner dans mes pattes, comme un poids mort ! »
Alors, il avait non seulement oublié son anniversaire, mais en plus, elle était un "poids mort" pour lui !
Lucrécia sentit des larmes d'amertume lui monter aux yeux. Elle ne voulait pas pleurer, mais c'était si difficile de se retenir… Et elle était seule, de toute manière… Deux traînées de larmes coulèrent le long de ses joues.
On frappa à la porte de sa chambre. Lucrécia s'essuya vite les yeux et essaya de paraître joyeuse : « Entrez ! »
Le jeune agent de sécurité qu'on leur avait assigné ouvrit timidement la porte et resta sur le palier, n'osant même pas entrer.
« - Oh, Vincent ! Mais entrez donc, je ne vais pas vous manger ! plaisanta t-elle.
- Hum, merci. Euh, je voulais juste vous souhaiter un bon anniversaire, et voilà…
- … comment savez-vous que c'est mon anniversaire ? »
Vincent se mordit la langue. Bien sûr, il ne devait pas encore le savoir, puisqu'il ne l'avait pas invitée pour cette promenade, l'avant-veille !
« - Hmm, vous me l'avez sûrement dit. C'était, euh... Vous avez dû oublier…
- En tout cas, vous n'avez pas oublié ! Merci, Vincent ! »
Il cachait quelque chose derrière son dos. Elle lui fit la remarque, il lui tendit alors un bouquet de fleurs sauvages.
« - Oh, que c'est gentil ! Merci !
- Ahem, ce n'est rien… »
Lucrécia ferma les yeux et respira le parfum légèrement poivré des fleurs.
« Je vais vous laisser, maintenant… Au revoir, Lucrécia… »
Elle sursauta.
« Attendez, ne partez pas déjà ! Dites-moi, Vincent… Vous avez quelque chose de prévu ce soir ? »
Vincent le lui avait déjà fait remarquer : Lucrécia ne lui semblait pas quelqu'un qui "tenait bien" l'alcool. Elle avait ri et insisté sur le fait qu'elle était majeure et vaccinée, mais cela se voyait : jamais elle n'avait encore bu d'alcool jusqu'à ce soir-là. Il avait remarqué qu'elle avait pleuré lorsqu'il était allé à son hôtel pour lui souhaiter son anniversaire, mais elle semblait tellement vouloir paraître enjouée qu'il ne lui avait rien dit à ce propos.
Vincent se demandait ce qu'elle cherchait à oublier, pour boire de la sorte. Lorsque lui buvait, et parmi les Turks cela lui arrivait souvent, c'était pour oublier… oublier qu'il tuait ses semblables sans autre motif que celui d'obéir à des ordres. Et puis un jour, il avait réalisé que cela commençait à lui plaire… Il commençait à aimer tuer ! Et il n'en fut pas plus bouleversé que s'il s'était découvert une passion pour les radis ! Oui, ses crimes avaient commencé bien avant Lucrécia… Elle et son enfant, ils n'avaient fait qu'allonger sa liste de péchés… Mais ils étaient sans doute son péché le plus mortel…
« - Lucrécia, vous devriez arrêter de boire. Cela ne vous réussit pas !
- Allons, Papounet ! plaisanta t-elle d'un ton imbibé. Je n'ai bu que trois verres… Garçon ! Apportez-nous – hic ! – une autre bouteille de champagne ! »
Il était vrai qu'elle n'avait pas encore fini son troisième verre, mais comme le faisait remarquer Vincent, Lucrécia ne tenait VRAIMENT pas l'alcool…
« - Je vais vous raccompagner à votre chambre...
- Mais c'est mon anniversaire, et je veux fêter ça avec toi, Vincent ! »
La première fois qu'elle le tutoyait. Et bien sûr, c'était parce qu'elle était complètement saoule !
Vincent la souleva de force et sortit de la salle à manger de l'hôtel Phénix.
« Ouh, quel homme ! » faisait Lucrécia en riant tandis qu'il la portait en montant les escaliers jusqu'à sa chambre. Il déverrouilla la poignée de la porte d'une main et, donnant un coup de pied à la porte, il l'ouvrit en grand. Il jeta Lucrécia sur son lit qui n'était pas encore défait et se redirigea vers la porte.
« Bonne nuit, Lucrécia. Vous le regretterez, en vous réveillant demain avec la tête à l'envers, je vous le promets ! »
Avant qu'il n'ait pu atteindre la porte, Lucrécia se rua sur elle et la referma. Elle resta adossée contre la porte et commença à sourire d'un air étrange. Vincent essayait de la repousser gentiment sur le côté pour pouvoir passer, elle résistait en riant et il se sentait vraiment ridicule à jouer à ce petit jeu du "Pousse-toi que j'm'y mette". Et au bout d'un moment, il en eut assez.
« - Bon, Lucrécia, ça commence à bien faire ! Qu'est-ce que vous voulez, à la fin ?!
- Toi ! »
Elle le tira par la cravate, l'étrangla à moitié ce faisant, et avant que le pauvre homme ait pu reprendre son souffle, elle colla ses lèvres contre les siennes et l'embrassa. Cela acheva de couper le souffle à Vincent, et il en resta tétanisé un instant. Puis il l'enlaça et commençait à lui rendre son baiser lorsqu'il s'aperçut que si elle agissait de la sorte, ce n'était pas parce qu'elle avait un quelconque sentiment tendre à son égard - c'était juste parce qu'elle était en état d'ivresse ! Il posa ses mains sur ses épaules et la repoussa doucement, comme à regret.
« Vous agissez sous l'effet de l'alcool. Faisons comme s'il ne s'était rien passé ! »
Mais elle ne fut apparemment pas d'accord avec ce compromis. Elle commença à déboutonner le haut de son chemisier, Vincent en fut horrifié, ou presque… Il déglutit avec difficulté et voulut se cacher les yeux avec la main, en gentilhomme qu'il était !
« - Lu… Lucrécia ! Qu'est-ce que vous faites !?
- Comme si tu ne le savais pas ! »
Elle se colla à nouveau contre lui, son visage tout contre son cœur… son cœur à lui qui ne battait que pour elle. Vincent retira sa main de devant ses yeux, et la posa sur l'épaule de Lucrécia. Il soupira, baissa les yeux, et ne voyait que la douce chevelure de la jeune femme.
« - … Tu ne peux pas savoir comme j'ai attendu ce moment, Lucrécia… Mais je ne me le pardonnerais jamais si je profitais de la situation…
- Hé, Vinnie ! commença t-elle à ricaner, sous l'emprise de l'alcool.
- VAS te coucher…
- D'accord si tu m'accompagnes !
- ... te coucher, SEULE ! On en reparlera demain. Si jamais tu t'en souviens encore demain… »
Il avait finalement pu sortir ! Il referma la porte sans bruit, s'y adossa et ferma les yeux un instant. Puis il soupira, secoua vivement la tête et lentement, il traversa le couloir de l'étage. Il se demandait ce qui s'était passé la première fois, si cette scène avec Lucrécia s'était produite ou non, la fois précédente. Troubles de la mémoire… Mouais, à n'en pas douter, sa mémoire était une passoire ! Comme il se sentait ridicule !
Après avoir bien tergiversé, Lucrécia était finalement tombée comme une masse, il l'avait mise au lit, bordée, et avait même remarqué qu'elle ronflait légèrement… Eh bien, personne n'est parfait, surtout si cette personne est ivre morte !
Il gagna la salle de bain commune de l'hôtel et prit une douche glacée… il en avait besoin !
Vincent ne reparla pas de cet "incident" avec Lucrécia. Il en aurait été horriblement gêné, et comme elle ne semblait pas s'en souvenir… Elle semblait n'avoir gardé de la soirée qu'une horrible migraine qui l'obligea à rester au lit toute la journée du lendemain. Hojo s'inquiéta un peu de son état, grommela contre l'hôtelier et accusa "l'horrible nourriture qu'ils servaient dans cette auberge minable" d'avoir empoisonné son assistante. Lucrécia fut rétablie le jour suivant, et Vincent, soulagé, se remit à rire tout seul. "Ouh là !" pensa t-il "Te voilà devenu un comique, Vincent !"
Pourquoi ces larmes qu'elle dissimulait en s'enfuyant ce jour-là ? Ce jour-là qui n'est jamais arrivé, en fait. Ce jour de promenade où je devais lui déclarer mon amour, et cette scène qui ne s'est jamais produite, en fait, car je ne l'ai pas invitée pour une promenade cette fois-ci…
Mais la première fois, et je m'en souviens - c'est une des rares choses dont je me souvienne - elle était bouleversée… Oui, pourquoi mes paroles l'auraient-elles tant affectée si elle ne ressentait rien pour moi ? Au lieu de me détromper, de me dire qu'elle me considérait juste comme un ami… elle s'était enfuie, au bord des larmes. Pourquoi avoir eu une réaction d'une telle violence, pourquoi tant de…passion ?!
Plus j'y repense, et plus je me dis que je ne laissais peut-être pas Lucrécia aussi indifférente qu'elle l'aurait souhaité…
Vincent regardait Lucrécia dormir et se demandait comment ils avaient pu en arriver là. Que s'était-il passé, la première fois ? Il tournait et retournait cette question dans sa tête, et ne trouva aucune réponse. Le passé, la première fois… Mais c'est ce qu'il était en train de vivre à cet instant-même !
Il supposa qu'ils n'avaient pas été au-delà d'un chaste baiser – il doutait même qu'ils s'étaient embrassés, la première fois. Car, sinon, comment aurait-il pu oublier ?! Comment aurait-il pu oublier ces baisers passionnés, le parfum de ses cheveux et la douceur de sa peau… contre la sienne…
Allongée dans le lit à côté de lui, se trouvait Lucrécia. Il avait peur de n'être qu'en train de rêver…
Mais, non, elle était bien réelle ! Il lui murmura à l'oreille ce qu'il n'avait pas osé lui dire. Cette phrase qu'il aurait dû dire, un jour de promenade, et qu'il n'avait jamais dite. Trois, quatre petits mots tout simples, mais dont il avait peur…
Elle sourit dans son sommeil, et il supposa, il espéra qu'à sa manière de sourire, elle lui répondait… Elle se tourna sur le côté et continua à dormir paisiblement, mais Vincent, lui, ne put fermer l'œil de la nuit. Il craignait de la voir disparaître s'il s'endormait, car elle n'était peut- être qu'un beau rêve après tout…
Deux mois passèrent, passèrent trop vite cette fois-ci. Vincent pensait que ces mois n'avaient duré que le temps d'un clignement d'yeux. Comme un rêve au petit matin, lorsqu'on est entre le sommeil et l'état d'éveil. Nous clignons des yeux et le doux rêve s'évapore, rejoint son Royaume des Rêves, ne laissant derrière lui qu'un goût d'inachevé…
Deux mois de rendez-vous clandestins avec Lucrécia… De rendez-vous qu'elle provoquait le plus souvent. Il aurait souhaité pouvoir lui résister, mais il n'aurait pas pu, et le savait.
Deux mois… et puis un jour, il arriva ce qui devait arriver : Vincent se mit à espérer à nouveau. Il faisait des projets, des projets d'avenir - un avenir dont Lucrécia ferait partie. Peut-être accepterait-elle, cette fois- ci… La dernière fois, il y avait été trop brutalement, la faisant fuir… Mais cette fois-ci…
« Décide du moment très précis de ta vie où tu veux revenir, traverse ce passage, et tu seras dans ton passé. Et alors tu pourras rectifier toutes les erreurs que tu as commises en ce temps-là… »
Il lui avait été donné une nouvelle chance, et il se devait de saisir sa chance cette fois-ci ! Alors il attendit le bon moment, le jour parfait où il pourrait demander à Lucrécia de l'épouser ; ils quitteraient leur travail à la Shin-Ra, et elle n'aurait pas à risquer sa vie pour cette expérimentation inhumaine qu'elle s'apprêterait à subir dans peu de temps.
Et un matin arriva, où il se dit que c'était le bon moment, que c'était le moment ou jamais…
Vincent était déjà habillé et s'apprêtait à nouer sa cravate lorsqu'il remarqua que quelque chose n'allait pas avec sa chemise…
« - Tu as boutonné Lundi avec Mardi ! lui expliqua Lucrécia en riant.
- Pardon ?! »
Il regarda sa chemise de plus près et s'aperçut qu'il avait en effet décalé tous les boutons d'un cran. Lucrécia rit à nouveau, le fit asseoir sur le lit, s'installa sur ses genoux et se mit en tête de lui reboutonner sa chemise.
C'était le moment ou jamais de faire sa demande…
Il l'embrassa dans le cou et fit courir ses doigts le long de son dos. Elle rit et se remit debout.
« Arrête ! Comment veux-tu que je travaille dans ces conditions ! »
Elle était si joyeuse ce matin… Le moment ou jamais…
Cela ne s'est pas passé le même jour, mais le résultat est le même. Finalement, je n'ai eu que deux mois de répit… deux mois de bonheur en plus… Mais je ne regrette pas ces deux mois, j'aurais été prêt à risquer ma vie pour une seule de ces journées passées avec Lucrécia !
Je pense que c'est de ma faute. Oui, quel besoin avais-je de tirer des projets sur la comète ?!
Cette fois-ci, c'est clair et net. Au moins, je n'ai plus de questions à me poser ; Lucrécia vient de me fournir les réponses à l'instant même : elle était officiellement fiancée à Hojo et comptait le rester. Elle ne m'a pas dit si elle l'aimait réellement, ou si c'était par gratitude. Cela fait si longtemps qu'elle était promise à Hojo, m'a t-elle expliqué. Cela se passe de commentaire !
Je devrais la détester pour s'être… servie de moi ainsi, mais j'étais consentant et pleinement conscient de la situation ; je suis même certain d'avoir été plus conscient de la situation que Lucrécia. Elle avait l'air d'une petite fille perdue, là sur cette colline à la sortie de la ville… Je suis incapable de lui en vouloir, je suis incapable de ne plus l'aimer, et de lui reprocher mes propres… fautes.
Cela ne s'est pas passé le même jour, mais le résultat reste le même. Elle est partie en courant de ma chambre, en larmes. Et j'ai dû la rattraper, aller loin en dehors de la ville pour avoir mes réponses. Maintenant que je les ai, je dois réfléchir à ce que je compte faire à présent…
Vincent s'engagea sur le chemin de montagne sinueux. Une odeur particulière régnait sur le mont Nibel – une odeur de Mako…
Il se souvint de la fois où il avait traversé ces montagnes, c'était avec l'équipe de Clad, c'était juste après son réveil dans le souterrain de Nibelheim… Le paysage avait bien changé alors : le réacteur Mako avait tant et tant puisé les ressources spirituelles de cet endroit qu'il était comme desséché. Mais en cet instant, dans son propre passé, Vincent fut frappé par la beauté quasi-irréelle de ces montagnes verdoyantes. Il traversa le pont de bois suspendu nouvellement construit, déterminé à en finir avec tout cela, ce jour-même… Il se pencha au-dessus du pont. Une nature indomptée, libre, à perte de vue. Quelle beauté !
Lieu : clinique de Mideel - Temps : Présent. J+2, l'après-midi.
Tifa était sortie dans le jardin en catimini. Le docteur Mentor avait insisté pour qu'elle ne sorte de sa chambre qu'une fois par jour, le temps d'une (trop) courte promenade matinale d'une demi-heure dans le jardin. Mais elle avait besoin de se changer les idées. Clad venait de lui annoncer qu'il s'en remettait à Vincent, qu'il n'y avait rien d'autre à faire pour empêcher l'Inondation – il fallait juste attendre. Elle en avait plus qu'assez d'attendre ! Attendre que Vincent arrête la Grande Crue qui se préparait, attendre de pouvoir courir librement à nouveau et sortir de cet hôpital, attendre… attendre de connaître enfin les sentiments de Clad à son égard. Cela faisait des années qu'elle attendait et elle en avait assez, assez !
« Le docteur Mentor sait que vous êtes ici, Tifa ? »
Elle sursauta, se retourna brusquement et se mit instinctivement en position de combat.
Vincent se recula, surpris. La jeune fille rougit, souhaita devenir une petite souris pour pouvoir se cacher. Elle éclata d'un rire gêné et se mit à triturer une mèche de ses cheveux d'une manière qui dénotait son embarras.
« - Dites donc ! plaisanta l'infirmier. Vous savez vous défendre !
- Oui, j'ai aussi beaucoup pratiqué l'année dernière…
- Hmm… Le Docteur sait que vous êtes ici ?
- Bien sûr, mentit-elle, j'ai même le droit de descendre en ville regarder les boutiques, m'aérer un peu l'esprit… Je ne me sens plus faible du tout !
- Vous mentez très mal, vous savez… »
Tifa et Vincent s'assirent sur un banc, au bord du Lac dont la surface jetait des reflets d'un vert prismatique sous le soleil scintillant. Tifa avait réussi à convaincre son infirmier de la laisser se rendre en ville et ce dernier avait jugé plus prudent de ne pas la laisser y aller seule. D'une certaine manière, même si Tifa était la patiente du docteur Mentor, Vincent se sentait responsable d'elle.
« - C'est drôle, Vincent…
- Qu'est-ce qui est drôle ? »
« C'est drôle d'appeler Vincent un autre garçon que mon ami Vincent Valentine – le seul Vincent que j'aie connu jusqu'à présent… Mais ce que je ressens pour ce Vincent est totalement différent ; en fait, qu'est-ce que je ressens au juste pour toi, cher Vincent Brunaël ? »
« C'est drôle… je ne m'étais pas rendue compte à quel point j'aimais votre ville, jusqu'à maintenant… Le paysage est magnifique, et c'est si calme, si… paisible ! » répondit-elle.
Vincent approuva de la tête. Et, comme mû par un sentiment impérieux, irrésistible et… mystérieux, il prit tout à coup les mains de Tifa entre les siennes, approcha son visage d'elle, et l'embrassa.
Au contact de ces lèvres sur les siennes, Tifa sentit comme une décharge électrique la parcourir. Elle se recula, se leva brusquement du banc et détourna son regard, comme effrayée. Vincent baissa la tête, il se sentait mal à l'aise, il avait tellement honte de sa conduite.
« - Je, je suis désolé…
- … Ne sois pas désolé. Je ne le suis pas, moi ! »
Et elle lui sourit. Vincent se dit que c'était le plus joli sourire qu'il lui avait été permis de voir.
Lieu : montagnes de Nibel - Temps : Passé de Vincent, sept mois avant la naissance de Séphiroth.
« Quelle beauté ! » se répétait Vincent, dangereusement penché au-dessus du ravin. Puis tout à coup, une remarque lui vint à l'esprit, il la prononça presque à voix haute : « c'est une merveilleuse journée, la journée idéale pour mourir… »
Il secoua vivement la tête, pour se remettre les idées en place, et continua son chemin sur ce pont de bois. Ce n'était pas le moment de se laisser aller à de telles pensées morbides ! S'il était venu jusqu'ici, c'était parce qu'il avait un travail à effectuer.
Il avait perdu toute notion du temps, il ne savait plus quand le petit Séphiroth allait venir au monde ; mais il n'y avait pas une minute à perdre en rêveries inutiles ! Le professeur Hojo et son assistante étaient allés au Gold Saucer pour un jour ou deux. Ils étaient partis très tôt le matin- même, sans lui donner d'explication. A son air dédaigneux, Hojo devait penser qu'il n'avait pas de compte à rendre à un simple Turk, et Lucrécia n'avait rien dit à Vincent non plus ; elle semblait même éviter son regard… mais c'était vrai qu'elle avait de bonnes raisons de vouloir l'éviter.
Le casino du Gold Saucer venait d'être construit en plein milieu du désert, au sud de la région de Corel. Vincent y avait passé une nuit en compagnie de l'équipe de Clad, c'était avant le Temple des Anciens. Cet horrible Temple des Anciens où Clad avait perdu la raison et avait remis la matéria noire à Séphiroth ; Vincent avait même dû mettre Clad K.O., pour l'empêcher de continuer à faire du mal à Aeris… Mais ça, c'était du passé. Ou plutôt : c'était l'avenir ; et il avait d'autres problèmes en ce moment.
Qu'étaient donc allés faire Hojo et Lucrécia au Gold Saucer ? Ils n'étaient sûrement pas là-bas pour s'amuser… Quoi qu'il en soit, ils étaient partis, Vincent pouvait donc mettre son plan à exécution. C'était juste un plan dont il avait eu l'idée une heure plus tôt, mais il pressentait qu'il fonctionnerait sûrement. Le plan était très simple : le problème n'était pas Séphiroth, en fait ; Vincent l'avait toujours accusé de tous les maux, mais cet enfant à venir n'était pas mauvais en soi. Ce qui était mauvais, c'était cette… chose que des adultes irresponsables lui avaient injecté de force. Il fallait donc détruire cette "crise du ciel" d'une manière ou d'une autre, avant qu'elle ne devienne une "calamité des cieux" à l'avenir… Vincent savait où se trouvait le corps de Jenova en ce moment-même… Jenova était ce qui faisait fonctionner en grande partie le réacteur de Nibel, l'un des tout premiers réacteurs développés par la Shin- Ra Corporation. Et l'agent Valentine était en route pour faire son travail de "Maintien de la Paix". Cette appellation convenait souvent mal aux Turks, mais pas aujourd'hui… en cet instant très précis, ce nom revêtait tout son sens.
Vincent tourna à droite, il arriva à l'endroit où se trouvait le réacteur. Le seul petit problème, c'était qu'il n'y avait PAS de réacteur ! Vincent n'en croyait pas ses yeux ; il les cligna plusieurs fois, pour finalement se rendre compte de sa ridicule – de son incroyablement ridicule stupidité ! Il se frappa le front de la main et laissa sa paume descendre lentement sur ses yeux, puis le long de son nez, et s'arrêter sur sa bouche.
« Quel idiot ! » cria t-il contre lui-même.
Il baissa la tête de désespoir et soupira, il avait envie de se donner des claques !
Bien sûr qu'il n'y avait pas de réacteur sur le mont Nibel : le premier réacteur – Barrett le lui raconterait dans trente ans – ne serait construit que dans près de vingt ans ! Que comptait-il faire à présent, attendre gentiment que vingt années s'écoulent ?! Attendre que la Shin-Ra abandonne son occupation première de vente d'armes ; attendre que la Compagnie découvre l'extraordinaire pouvoir de l'énergie Mako, qui pouvait faire fonctionner les machines et transformer certains hommes en membres d'élite du SOLDAT, tout cela après que les expériences sur Séphiroth aient démontré les "merveilleuses opportunités" qu'offraient le Mako et Jenova…
Vincent eut envie de crier sa colère, et c'est d'ailleurs ce qu'il fit. Son cri résonna en écho dans la montagne paisible.
Alors que le Turk se croyait seul, une troupe de soldats de métier en uniforme sortit en courant de la grotte située un peu plus loin, au fond de la gorge rocheuse.
« - Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Qui êtes-vous !
- Vous n'avez pas le droit d'être ici. Partez !
- Euh… je… » parvint à balbutier Vincent tandis que les soldats – une bonne douzaine au moins – commençaient à l'encercler, en le menaçant de leur fusil.
Il décida de jouer la seule carte qu'il avait en main. Il avait toujours été doué pour le bluff et gagnait souvent au poker…
« Agent Valentine. Je fais partie du Département en Recherches Administratives de la Shin-Ra, Unité Spéciale du Maintien de la Paix… »
Les soldats s'écartèrent légèrement de lui mais le tenaient toujours en joue. Ils semblaient dubitatifs, et hésitants. Le sergent en uniforme vert, qui paraissait être à la tête du groupe, lâcha finalement un rire sarcastique et sonore.
« Pff ! Un "Turk", hein ? D'habitude, on vous apprend à être plus discret, n'est-ce pas… "Collègue" ?! Ha ha ha ! »
Vincent n'aimait pas ce rire moqueur ; imperceptiblement, ses yeux se plissèrent, signe de son mécontentement. Le sergent dut le remarquer, et se souvenir qu'il était mauvais pour la santé de contrarier un Turk, car il cessa de rire.
« Ahem… quoi qu'il en soit, vous n'avez pas à être ici. Nous avons des ordres formels : PERSONNE ne doit s'approcher d'ici. »
Qu'y avait-il de si précieux dans cette grotte pour que tant d'hommes soient affectés à sa garde ? Une douzaine de soldats étaient rassemblés autour de Vincent, mais il était sûr qu'une autre troupe, peut-être même plus nombreuse que celle-ci, était restée dans la grotte… Que gardaient donc tous ces soldats au fond de cette grotte ? Vincent tenta de deviner…
« - Moi aussi, j'ai reçu des ordres ! Je viens inspecter "le colis"…
- Le "colis" ?
- Jenova, si vous préférez… »
Le sergent fut stupéfait, d'ailleurs tous les soldats furent surpris et baissèrent leurs armes. Vincent avait donc deviné juste…
« - Bien, fit-il en écartant les soldats pour passer, j'y vais donc.
- …A-attendez ! …Vous…vous avez des papiers pour ça ?
- Je suis en mission secrète, bien sûr que je n'ai pas de papiers, imbécile ! »
Vincent était presque parvenu à l'entrée de la grotte… Le sergent courut à sa suite et le retint par la manche. Vincent se retourna et lui jeta un regard mauvais, ce soldat enleva alors prestement sa main et parut verdir de peur.
« - Je – je suis désolé… Nous tenons nos ordres du "Grand Patron", vous devez aller vous procurer des papiers – un permis ou une décharge de responsabilité… sinon, on ne peut pas vous laisser entrer.
- Hmpf !
- … Je suis désolé… »
Nul doute qu'ils éprouvaient un sentiment de crainte vis-à-vis du Turk, mais ce dernier savait que malgré leur peur, ces soldats seraient déterminés à combattre s'il tentait d'entrer par la force. Seul contre tous, Vincent n'avait aucune chance de s'en sortir vivant… et ce n'était pas en se faisant tuer maintenant qu'il arrangerait les choses pour l'avenir…
« Alors je reviendrai, et vous aurez de mes nouvelles, croyez-moi ! » lança t-il en s'éloignant.
Les soldats avalèrent leur salive avec difficulté, puis se mirent en rang pour retourner dans la grotte.
Une fois qu'ils furent tous entrés, Vincent sortit de sa cachette et courut vers la grotte, silencieux comme un chat à l'affût. Entré à l'intérieur, il se cacha derrière une grande caisse en bois estampillée de l'avertissement "Danger, explosifs !" en lettres rouges.
Un grand rire nasillard s'éleva parmi les bruits de conversation. Vincent y risqua un œil et il aperçut sur la plate-forme centrale, un caisson étanche fait d'une matière métallique blanche et brillante. Seule une ouverture vitrée se trouvait sur le caisson opaque, et de cette unique fenêtre s'échappait une lueur rouge pale. Deux soldats étaient postés près du caisson – un soldat de chaque côté – et l'un d'eux riait, c'était son rire que Vincent avait entendu.
« - Tu as vu cette… "entité" ? faisait le rieur à son collègue. Elle a trois yeux ! Et t'as vu où il se trouve, son troisième œil ?! Hé hé hé !
- ... ça me fait froid dans le dos, tous ces "projets secrets". C'est pas humain, ce truc ! Et c'est pas le moment d'avoir des idées salaces !
- Trouillard ! Moi, je trouve ça hilarant. Ha ha ha !
- Y'a vraiment pas de quoi rire ! » répliqua l'autre d'un ton contrarié.
Oui, Vincent était bien d'accord avec lui : il n'y avait vraiment rien de drôle. La situation était même plutôt critique…
Il comptabilisa rapidement les gardes présents dans la grotte. Ils étaient près d'une trentaine ! Vincent dut se rendre à l'évidence, il n'y avait rien à faire – rien à faire pour le moment. Il ouvrit la caisse derrière laquelle il se tenait, l'ouvrit le plus silencieusement possible. Les planches de bois grincèrent et Vincent grimaça ; heureusement, parmi le bruit environnant, quelques craquements passèrent inaperçus. Il s'empara de plusieurs des bâtons de dynamite posés parmi la paille, replaça les planches de la caisse avec soin, et sortit discrètement.
S'il s'était contenté de glisser une allumette enflammée dans la caisse, tout l'endroit aurait explosé, la grotte entière se serait effondrée. "Eliminez tout obstacle – quel qu'il soit – se dressant sur votre route", "Ne gardez en tête que votre but", "Obéissez sans discuter à vos supérieurs hiérarchiques mais votre mission passe en priorité" : règle première, alinéas 4, 5 et 11 du Code des Turks…
Mais Vincent n'avait pas le cœur à tuer tous ces gardes dans le but de détruire Jenova. S'il s'était comporté ainsi, il n'aurait pas mieux valu que tous les autres.
Vincent décida de revenir à la crique de Nibel. Il escalada assez rapidement, bien qu'avec un peu de difficulté, le mur naturel qui encerclait la crique, il passa derrière la cascade pour accéder à la caverne, et sentit les éclaboussures retombant en brume lui mouiller le visage. Il s'assit sur les marches de pierre et ferma les yeux. C'est à cet endroit précis que Lucrécia lui apparaîtrait pour la dernière fois, trente ans plus tard… Pourtant, il en était sûr, elle allait mourir dans quelques mois, juste après la naissance de son enfant. Il avait vu son corps sans vie à l'hôtel, avait touché sa main et n'avait pas senti son pouls – n'avait senti que le froid de la mort qui s'était déjà emparée d'elle…
« J'ai essayé… mais le Jenova en moi ne voulait pas me laisser mourir… »
Le Jenova qui était en elle… Etait-il possible que Hojo… Non ! Il n'aurait pas pu faire une chose pareille, pas au corps de sa défunte femme, non ! Il n'aurait pas été assez fou pour ça !
Il était peut-être encore temps de stopper le projet. Il fallait réfléchir à une solution… il y avait sûrement une solution – un moyen d'arrêter le train en marche…
« On ne peut pas sauter de ce train en marche », « Un train peut seulement aller là où ses rails le conduisent »… Barrett disait souvent cela… Clad et Tifa, aussi…
Il faisait déjà nuit lorsque Vincent revint enfin à Nibelheim. Il entra dans la Demeure Shin-Ra, fut surpris de voir la porte d'entrée déverrouillée, et un juron de Hojo l'accueillit.
« - Alors c'est ainsi que vous gardez le manoir ?! N'importe quel minable aurait pu s'introduire ici par la fenêtre et détruire mon laboratoire – des années de recherches ! C'est inestimable !
- …
- Professeur, je pense que Vincent vient à peine de s'absenter pour dîner. De plus, il n'y a pas grand monde dans ce village qui…
- Lucrécia ! Tu es toujours là prête à le couvrir, n'est-ce pas ! »
Hojo ne remarqua pas que la jeune femme, devenue soudain muette, rougit. Il fit les cent pas, allait et venait en cercle, et parut se calmer finalement. Vincent choisit ce moment pour intervenir d'une voix inhabituellement douce :
« - Je ne vous attendais pas aujourd'hui… Vous ne deviez rentrer que demain au plus tôt, non ?
- Cela a été plus rapide que prévu, Vincent…
- Et heureusement que nous sommes rentrés à temps pour constater votre désertion de votre poste de garde !
- Vincent… nous avons quelque chose à vous annoncer. Professeur, vous… tu veux bien le lui dire, s'il te plait Nikolas ?
- Que – qu'est-ce que vous entendez par là, Lucrécia…
- M. Valentine, fit Hojo impassible, j'ai le plaisir de vous annoncer que Lucrécia et moi sommes mariés à présent. »
Sans attendre une quelconque réaction de la part de Vincent, sans dire un seul mot de plus, Hojo monta l'escalier menant au premier étage, prit la direction de l'aile droite, bien décidé semblait-il à se replonger dans ses recherches au sous-sol.
« Je… je suis sûre que tu me comprends, Vincent. C'était la seule chose à faire. Nous ne devons plus entretenir de… liens autres que professionnels. » Puis, à son tour, Lucrécia gravit l'escalier, la tête basse, les épaules voûtées, les bras croisés sur sa poitrine comme si elle avait froid.
Vincent resta un moment là, pétrifié et incapable de parler – incapable de penser même. Pourquoi avait-il tant de mal à respirer ? Il ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, tel un poisson hors de l'eau. Il ouvrait la bouche, et aucun mot ne pouvait en sortir, pas même un râle ou un gémissement. Finalement, il sortit de cette maison où il étouffait. Mais une fois dehors, il avait toujours autant de mal à respirer. Que lui arrivait-il ?
Le monde s'est-il écroulé, ou non ? Je pense qu'il s'est écroulé et m'a entraîné avec lui…
Ils se sont mariés en cachette ! Ils étaient allés au Gold Saucer dans le but de se marier en vitesse, tels des adolescents fugueurs qui craignaient le courroux de leurs parents ! Je n'aurais jamais cru Hojo capable d'un tel… romantisme - c'est drôle ! Oui, c'est très comique, et je pourrais en rire si je n'avais pas le cœur aussi brisé… Oooh, que m'arrive t-il ?!
Hojo séjourne à l'auberge désormais, avec Lucrécia… Non… je ne dois plus y repenser !
Si je m'écoutais, je mettrais le feu à ce fichu laboratoire, je réduirais toute cette maison en cendres. J'en aurais le temps : la nuit venue, je suis seul dans cette demeure… Mais cela ne servirait à rien – strictement à rien. Je ne ferais que détruire les tiges de cette… fleur du mal, mais les racines resteraient. Que dois-je faire ? Une semaine que je me demande quoi faire, mais je n'ai pas trouvé de solution. C'est une impasse ; comment en sortir ?
J'essaie de me raisonner, de me dire que ça ne peut pas aller plus mal… mais ce serait me mentir à moi-même. Je sais que cela ira en empirant, je sais que la situation sera pire dans un avenir proche.
Oh, ma tête… elle me fait tellement mal… il faut que je me calme !
Les heures durent des journées, les jours s'étendent en des mois, et les mois me semblent des années. Depuis combien de temps, depuis combien de temps suis-je là ? J'attends et je tremble, je tremble à l'idée de ne pas pouvoir intervenir à temps cette fois-ci non plus…
Le professeur Gast travaille à la mise au point d'un observatoire dans le canyon Cosmo, il travaille en collaboration avec un vieux sage du village de Cosmo. Le nom de ce dernier est Bugenhagen - je le sais, je le rencontrerai pour la première fois dans un peu plus de trente ans. Son petit-fils a maintenant quatorze ans et ce n'est encore qu'un petit enfant.
Pourquoi dois-je jouer cette comédie qui me dépasse ? Prétendre que je ne sais rien de l'avenir, que je ne sais pas que Lucrécia va accepter de subir les expérimentations de Hojo. Je sais qu'ils vont m'en parler un jour, mais je ne sais plus quand exactement. Je croyais pouvoir m'en souvenir… mais l'avenir est tellement loin dans le passé, et ma mémoire si défaillante !
J'essaie de paraître froid et détaché, de mettre le plus de distance possible entre Lucrécia et moi. Je ne lui ai pas parlé, je ne l'ai pas invitée pour une promenade, je ne lui ai pas déclaré mes sentiments. A quoi cela servirait-il, de toute manière ! Je sais déjà quelle sera sa réaction, je sais ce qui va se passer. Pourtant… dois-je attendre l'irréparable avant d'intervenir ? Non ! Je refuse de ne pas tenter de changer les choses ! Je refuse de la voir souffrir, de voir souffrir son enfant, et de finalement tuer ce petit être encore innocent. Je peux dévier le cours de ces deux vies si je m'y prends à temps.
Le projet Jenova peut tomber en ruines, la Shin-Ra peut aller se faire voir ! Je… Lucrécia et son enfant – l'enfant qu'elle aura de Hojo – partiront avec moi ; je peux persuader Lucrécia de ne pas servir de cobaye, car aujourd'hui je sais ce que j'ignorais à l'époque : Hojo n'avait pas l'accord du professeur Gast, son supérieur, pour cette expérience ; il n'avait aucun droit d'agir ainsi, et Lucrécia en sera informée, foi de Vincent !
« - Je suis contre ! Vous ne pouvez pas expérimenter ça sur des humains !
- Elle et moi sommes des scientifiques, notre décision est prise. N'est-ce pas, Lucrécia ?
- … Je… Tout à fait, professeur Hojo…
- C'est dangereux ! Savez-vous les risques que vous encourrez, Lucrécia ? Vous rendez-vous compte des risques que vous lui ferez encourir, Hojo !
- Valentine, vous n'êtes qu'un agent de surveillance ici ! Vous n'avez pas à nous faire la morale ! De toutes façons, il n'y aura aucun danger ! Vous n'y connaissez rien, et d'ailleurs, je me demande pourquoi Lucrécia voulait vous mettre au courant !
- Voyons Niko… – je veux dire : Professeur, il a le droit de savoir aussi, et si nous voulons qu'il assure la confidentialité de nos recherches…
- Vous avez raison, Lucrécia. Quant à VOUS, nous vous avons juste informé de nos intentions, nous ne vous avons pas demandé votre avis !
- Bien, remettez-moi à ma place si ça vous chante ! Il n'empêche que vous n'avez aucune autorisation pour ça !
- Qu'en savez-vous, Valentine ? »
Avec un sourire triomphal, le jeune professeur Hojo alla vers son secrétaire. Il ouvrit l'un des tiroirs et en sortit une feuille de papier. Il la tendit à Vincent, qui la lut et la relut.
« - Ce n'est pas possible !
- Allons, homme de peu de foi ! ricana Hojo. Vous avez la preuve devant les yeux et vous refusez de croire !
- Maintenant laissez-nous, Vincent. Nous avons encore beaucoup de recherches à faire avant de réellement commencer l'expérience…
- Mais Lucrécia…
- Sortez d'ici ! cria Hojo. Get out ! Raus ! Dehors ! En quelle langue faut- il vous le dire ?! »
Quel traître ! Et moi qui pensais tant de bien de ce Gast ! Il me dégoûte, peut-être même plus que Hojo ! Car si Hojo, lui, prend des risques et s'investit dans ses expériences, son supérieur ne fait que lui donner des ordres par l'intermédiaire de lettres, et ne veut même pas se salir les mains ! Hojo peut bénéficier de circonstances atténuantes, de clémence pour sa folie ; mais le professeur Gast, lui ! Il me dégoûte et me révolte !
Lucrécia et Hojo… Ils sont sortis, ils viennent de sortir et se promènent sur la place du village déserte. Ils ne voulaient pas que je les accompagne en tant que garde du corps. Je sais quel jour nous sommes, aujourd'hui…
Les deux scientifiques sortent rarement de leur laboratoire. Lucrécia ne rentre à sa chambre d'hôtel que très tard dans la nuit, tandis que Hojo s'endort souvent dans le laboratoire, épuisé par ses recherches, et il ne remonte presque jamais se coucher sur son lit de camp installé, à sa demande, juste devant l'escalier menant au souterrain.
Mais aujourd'hui, tous deux sont sortis… Je suis devant la porte du Manoir, et je peux les voir d'où je suis, même s'ils ne font pas attention à moi. Je sais finalement quel jour nous sommes aujourd'hui…
Hier, je devais avouer à Lucrécia que je l'aimais, elle devait s'enfuir au bord des larmes et je devais rester là, effondré et sans comprendre. Cela ne s'est pas passé ainsi, car hier, je n'ai pas parlé à Lucrécia. Et aujourd'hui… maintenant, Lucrécia et Hojo sont tendrement enlacés à l'entrée du village.
Si elle est heureuse, mon sort n'a aucune importance… Mais voilà, elle ne sera pas heureuse ! Je le sais, et pourtant, que puis-je y faire ?
Lucrécia aurait dû être heureuse aujourd'hui, mais son humeur était plutôt maussade. C'était son anniversaire et son fiancé ne paraissait même pas s'en souvenir. Il avait été si tendre avec elle hier ! Il pouvait être si gentil et prévenant certains jours, mais il l'était si rarement ! Il était toujours fourré dans son laboratoire comme s'il n'y avait rien de plus important au monde, même pas ELLE !
« - Tu peux aller te promener si tu y tiens tellement, je n'ai plus besoin de ton aide ici pour le moment !
- Nikolas, s'il te plait… J'ai envie que tu viennes avec moi !
- Nous sommes déjà sortis hier, je n'ai pas de temps à perdre avec tes jérémiades !
- … Tu viendras dîner avec moi ce soir, au moins ?
- … Je ne crois pas, Lucrécia. J'ai d'autres calculs à vérifier, et…
- Mais c'est mon ann…
- Vas t-en ! Si tu ne m'aides pas, au moins ne reste pas à traîner dans mes pattes, comme un poids mort ! »
Alors, il avait non seulement oublié son anniversaire, mais en plus, elle était un "poids mort" pour lui !
Lucrécia sentit des larmes d'amertume lui monter aux yeux. Elle ne voulait pas pleurer, mais c'était si difficile de se retenir… Et elle était seule, de toute manière… Deux traînées de larmes coulèrent le long de ses joues.
On frappa à la porte de sa chambre. Lucrécia s'essuya vite les yeux et essaya de paraître joyeuse : « Entrez ! »
Le jeune agent de sécurité qu'on leur avait assigné ouvrit timidement la porte et resta sur le palier, n'osant même pas entrer.
« - Oh, Vincent ! Mais entrez donc, je ne vais pas vous manger ! plaisanta t-elle.
- Hum, merci. Euh, je voulais juste vous souhaiter un bon anniversaire, et voilà…
- … comment savez-vous que c'est mon anniversaire ? »
Vincent se mordit la langue. Bien sûr, il ne devait pas encore le savoir, puisqu'il ne l'avait pas invitée pour cette promenade, l'avant-veille !
« - Hmm, vous me l'avez sûrement dit. C'était, euh... Vous avez dû oublier…
- En tout cas, vous n'avez pas oublié ! Merci, Vincent ! »
Il cachait quelque chose derrière son dos. Elle lui fit la remarque, il lui tendit alors un bouquet de fleurs sauvages.
« - Oh, que c'est gentil ! Merci !
- Ahem, ce n'est rien… »
Lucrécia ferma les yeux et respira le parfum légèrement poivré des fleurs.
« Je vais vous laisser, maintenant… Au revoir, Lucrécia… »
Elle sursauta.
« Attendez, ne partez pas déjà ! Dites-moi, Vincent… Vous avez quelque chose de prévu ce soir ? »
Vincent le lui avait déjà fait remarquer : Lucrécia ne lui semblait pas quelqu'un qui "tenait bien" l'alcool. Elle avait ri et insisté sur le fait qu'elle était majeure et vaccinée, mais cela se voyait : jamais elle n'avait encore bu d'alcool jusqu'à ce soir-là. Il avait remarqué qu'elle avait pleuré lorsqu'il était allé à son hôtel pour lui souhaiter son anniversaire, mais elle semblait tellement vouloir paraître enjouée qu'il ne lui avait rien dit à ce propos.
Vincent se demandait ce qu'elle cherchait à oublier, pour boire de la sorte. Lorsque lui buvait, et parmi les Turks cela lui arrivait souvent, c'était pour oublier… oublier qu'il tuait ses semblables sans autre motif que celui d'obéir à des ordres. Et puis un jour, il avait réalisé que cela commençait à lui plaire… Il commençait à aimer tuer ! Et il n'en fut pas plus bouleversé que s'il s'était découvert une passion pour les radis ! Oui, ses crimes avaient commencé bien avant Lucrécia… Elle et son enfant, ils n'avaient fait qu'allonger sa liste de péchés… Mais ils étaient sans doute son péché le plus mortel…
« - Lucrécia, vous devriez arrêter de boire. Cela ne vous réussit pas !
- Allons, Papounet ! plaisanta t-elle d'un ton imbibé. Je n'ai bu que trois verres… Garçon ! Apportez-nous – hic ! – une autre bouteille de champagne ! »
Il était vrai qu'elle n'avait pas encore fini son troisième verre, mais comme le faisait remarquer Vincent, Lucrécia ne tenait VRAIMENT pas l'alcool…
« - Je vais vous raccompagner à votre chambre...
- Mais c'est mon anniversaire, et je veux fêter ça avec toi, Vincent ! »
La première fois qu'elle le tutoyait. Et bien sûr, c'était parce qu'elle était complètement saoule !
Vincent la souleva de force et sortit de la salle à manger de l'hôtel Phénix.
« Ouh, quel homme ! » faisait Lucrécia en riant tandis qu'il la portait en montant les escaliers jusqu'à sa chambre. Il déverrouilla la poignée de la porte d'une main et, donnant un coup de pied à la porte, il l'ouvrit en grand. Il jeta Lucrécia sur son lit qui n'était pas encore défait et se redirigea vers la porte.
« Bonne nuit, Lucrécia. Vous le regretterez, en vous réveillant demain avec la tête à l'envers, je vous le promets ! »
Avant qu'il n'ait pu atteindre la porte, Lucrécia se rua sur elle et la referma. Elle resta adossée contre la porte et commença à sourire d'un air étrange. Vincent essayait de la repousser gentiment sur le côté pour pouvoir passer, elle résistait en riant et il se sentait vraiment ridicule à jouer à ce petit jeu du "Pousse-toi que j'm'y mette". Et au bout d'un moment, il en eut assez.
« - Bon, Lucrécia, ça commence à bien faire ! Qu'est-ce que vous voulez, à la fin ?!
- Toi ! »
Elle le tira par la cravate, l'étrangla à moitié ce faisant, et avant que le pauvre homme ait pu reprendre son souffle, elle colla ses lèvres contre les siennes et l'embrassa. Cela acheva de couper le souffle à Vincent, et il en resta tétanisé un instant. Puis il l'enlaça et commençait à lui rendre son baiser lorsqu'il s'aperçut que si elle agissait de la sorte, ce n'était pas parce qu'elle avait un quelconque sentiment tendre à son égard - c'était juste parce qu'elle était en état d'ivresse ! Il posa ses mains sur ses épaules et la repoussa doucement, comme à regret.
« Vous agissez sous l'effet de l'alcool. Faisons comme s'il ne s'était rien passé ! »
Mais elle ne fut apparemment pas d'accord avec ce compromis. Elle commença à déboutonner le haut de son chemisier, Vincent en fut horrifié, ou presque… Il déglutit avec difficulté et voulut se cacher les yeux avec la main, en gentilhomme qu'il était !
« - Lu… Lucrécia ! Qu'est-ce que vous faites !?
- Comme si tu ne le savais pas ! »
Elle se colla à nouveau contre lui, son visage tout contre son cœur… son cœur à lui qui ne battait que pour elle. Vincent retira sa main de devant ses yeux, et la posa sur l'épaule de Lucrécia. Il soupira, baissa les yeux, et ne voyait que la douce chevelure de la jeune femme.
« - … Tu ne peux pas savoir comme j'ai attendu ce moment, Lucrécia… Mais je ne me le pardonnerais jamais si je profitais de la situation…
- Hé, Vinnie ! commença t-elle à ricaner, sous l'emprise de l'alcool.
- VAS te coucher…
- D'accord si tu m'accompagnes !
- ... te coucher, SEULE ! On en reparlera demain. Si jamais tu t'en souviens encore demain… »
Il avait finalement pu sortir ! Il referma la porte sans bruit, s'y adossa et ferma les yeux un instant. Puis il soupira, secoua vivement la tête et lentement, il traversa le couloir de l'étage. Il se demandait ce qui s'était passé la première fois, si cette scène avec Lucrécia s'était produite ou non, la fois précédente. Troubles de la mémoire… Mouais, à n'en pas douter, sa mémoire était une passoire ! Comme il se sentait ridicule !
Après avoir bien tergiversé, Lucrécia était finalement tombée comme une masse, il l'avait mise au lit, bordée, et avait même remarqué qu'elle ronflait légèrement… Eh bien, personne n'est parfait, surtout si cette personne est ivre morte !
Il gagna la salle de bain commune de l'hôtel et prit une douche glacée… il en avait besoin !
Vincent ne reparla pas de cet "incident" avec Lucrécia. Il en aurait été horriblement gêné, et comme elle ne semblait pas s'en souvenir… Elle semblait n'avoir gardé de la soirée qu'une horrible migraine qui l'obligea à rester au lit toute la journée du lendemain. Hojo s'inquiéta un peu de son état, grommela contre l'hôtelier et accusa "l'horrible nourriture qu'ils servaient dans cette auberge minable" d'avoir empoisonné son assistante. Lucrécia fut rétablie le jour suivant, et Vincent, soulagé, se remit à rire tout seul. "Ouh là !" pensa t-il "Te voilà devenu un comique, Vincent !"
Pourquoi ces larmes qu'elle dissimulait en s'enfuyant ce jour-là ? Ce jour-là qui n'est jamais arrivé, en fait. Ce jour de promenade où je devais lui déclarer mon amour, et cette scène qui ne s'est jamais produite, en fait, car je ne l'ai pas invitée pour une promenade cette fois-ci…
Mais la première fois, et je m'en souviens - c'est une des rares choses dont je me souvienne - elle était bouleversée… Oui, pourquoi mes paroles l'auraient-elles tant affectée si elle ne ressentait rien pour moi ? Au lieu de me détromper, de me dire qu'elle me considérait juste comme un ami… elle s'était enfuie, au bord des larmes. Pourquoi avoir eu une réaction d'une telle violence, pourquoi tant de…passion ?!
Plus j'y repense, et plus je me dis que je ne laissais peut-être pas Lucrécia aussi indifférente qu'elle l'aurait souhaité…
Vincent regardait Lucrécia dormir et se demandait comment ils avaient pu en arriver là. Que s'était-il passé, la première fois ? Il tournait et retournait cette question dans sa tête, et ne trouva aucune réponse. Le passé, la première fois… Mais c'est ce qu'il était en train de vivre à cet instant-même !
Il supposa qu'ils n'avaient pas été au-delà d'un chaste baiser – il doutait même qu'ils s'étaient embrassés, la première fois. Car, sinon, comment aurait-il pu oublier ?! Comment aurait-il pu oublier ces baisers passionnés, le parfum de ses cheveux et la douceur de sa peau… contre la sienne…
Allongée dans le lit à côté de lui, se trouvait Lucrécia. Il avait peur de n'être qu'en train de rêver…
Mais, non, elle était bien réelle ! Il lui murmura à l'oreille ce qu'il n'avait pas osé lui dire. Cette phrase qu'il aurait dû dire, un jour de promenade, et qu'il n'avait jamais dite. Trois, quatre petits mots tout simples, mais dont il avait peur…
Elle sourit dans son sommeil, et il supposa, il espéra qu'à sa manière de sourire, elle lui répondait… Elle se tourna sur le côté et continua à dormir paisiblement, mais Vincent, lui, ne put fermer l'œil de la nuit. Il craignait de la voir disparaître s'il s'endormait, car elle n'était peut- être qu'un beau rêve après tout…
Deux mois passèrent, passèrent trop vite cette fois-ci. Vincent pensait que ces mois n'avaient duré que le temps d'un clignement d'yeux. Comme un rêve au petit matin, lorsqu'on est entre le sommeil et l'état d'éveil. Nous clignons des yeux et le doux rêve s'évapore, rejoint son Royaume des Rêves, ne laissant derrière lui qu'un goût d'inachevé…
Deux mois de rendez-vous clandestins avec Lucrécia… De rendez-vous qu'elle provoquait le plus souvent. Il aurait souhaité pouvoir lui résister, mais il n'aurait pas pu, et le savait.
Deux mois… et puis un jour, il arriva ce qui devait arriver : Vincent se mit à espérer à nouveau. Il faisait des projets, des projets d'avenir - un avenir dont Lucrécia ferait partie. Peut-être accepterait-elle, cette fois- ci… La dernière fois, il y avait été trop brutalement, la faisant fuir… Mais cette fois-ci…
« Décide du moment très précis de ta vie où tu veux revenir, traverse ce passage, et tu seras dans ton passé. Et alors tu pourras rectifier toutes les erreurs que tu as commises en ce temps-là… »
Il lui avait été donné une nouvelle chance, et il se devait de saisir sa chance cette fois-ci ! Alors il attendit le bon moment, le jour parfait où il pourrait demander à Lucrécia de l'épouser ; ils quitteraient leur travail à la Shin-Ra, et elle n'aurait pas à risquer sa vie pour cette expérimentation inhumaine qu'elle s'apprêterait à subir dans peu de temps.
Et un matin arriva, où il se dit que c'était le bon moment, que c'était le moment ou jamais…
Vincent était déjà habillé et s'apprêtait à nouer sa cravate lorsqu'il remarqua que quelque chose n'allait pas avec sa chemise…
« - Tu as boutonné Lundi avec Mardi ! lui expliqua Lucrécia en riant.
- Pardon ?! »
Il regarda sa chemise de plus près et s'aperçut qu'il avait en effet décalé tous les boutons d'un cran. Lucrécia rit à nouveau, le fit asseoir sur le lit, s'installa sur ses genoux et se mit en tête de lui reboutonner sa chemise.
C'était le moment ou jamais de faire sa demande…
Il l'embrassa dans le cou et fit courir ses doigts le long de son dos. Elle rit et se remit debout.
« Arrête ! Comment veux-tu que je travaille dans ces conditions ! »
Elle était si joyeuse ce matin… Le moment ou jamais…
Cela ne s'est pas passé le même jour, mais le résultat est le même. Finalement, je n'ai eu que deux mois de répit… deux mois de bonheur en plus… Mais je ne regrette pas ces deux mois, j'aurais été prêt à risquer ma vie pour une seule de ces journées passées avec Lucrécia !
Je pense que c'est de ma faute. Oui, quel besoin avais-je de tirer des projets sur la comète ?!
Cette fois-ci, c'est clair et net. Au moins, je n'ai plus de questions à me poser ; Lucrécia vient de me fournir les réponses à l'instant même : elle était officiellement fiancée à Hojo et comptait le rester. Elle ne m'a pas dit si elle l'aimait réellement, ou si c'était par gratitude. Cela fait si longtemps qu'elle était promise à Hojo, m'a t-elle expliqué. Cela se passe de commentaire !
Je devrais la détester pour s'être… servie de moi ainsi, mais j'étais consentant et pleinement conscient de la situation ; je suis même certain d'avoir été plus conscient de la situation que Lucrécia. Elle avait l'air d'une petite fille perdue, là sur cette colline à la sortie de la ville… Je suis incapable de lui en vouloir, je suis incapable de ne plus l'aimer, et de lui reprocher mes propres… fautes.
Cela ne s'est pas passé le même jour, mais le résultat reste le même. Elle est partie en courant de ma chambre, en larmes. Et j'ai dû la rattraper, aller loin en dehors de la ville pour avoir mes réponses. Maintenant que je les ai, je dois réfléchir à ce que je compte faire à présent…
Vincent s'engagea sur le chemin de montagne sinueux. Une odeur particulière régnait sur le mont Nibel – une odeur de Mako…
Il se souvint de la fois où il avait traversé ces montagnes, c'était avec l'équipe de Clad, c'était juste après son réveil dans le souterrain de Nibelheim… Le paysage avait bien changé alors : le réacteur Mako avait tant et tant puisé les ressources spirituelles de cet endroit qu'il était comme desséché. Mais en cet instant, dans son propre passé, Vincent fut frappé par la beauté quasi-irréelle de ces montagnes verdoyantes. Il traversa le pont de bois suspendu nouvellement construit, déterminé à en finir avec tout cela, ce jour-même… Il se pencha au-dessus du pont. Une nature indomptée, libre, à perte de vue. Quelle beauté !
Lieu : clinique de Mideel - Temps : Présent. J+2, l'après-midi.
Tifa était sortie dans le jardin en catimini. Le docteur Mentor avait insisté pour qu'elle ne sorte de sa chambre qu'une fois par jour, le temps d'une (trop) courte promenade matinale d'une demi-heure dans le jardin. Mais elle avait besoin de se changer les idées. Clad venait de lui annoncer qu'il s'en remettait à Vincent, qu'il n'y avait rien d'autre à faire pour empêcher l'Inondation – il fallait juste attendre. Elle en avait plus qu'assez d'attendre ! Attendre que Vincent arrête la Grande Crue qui se préparait, attendre de pouvoir courir librement à nouveau et sortir de cet hôpital, attendre… attendre de connaître enfin les sentiments de Clad à son égard. Cela faisait des années qu'elle attendait et elle en avait assez, assez !
« Le docteur Mentor sait que vous êtes ici, Tifa ? »
Elle sursauta, se retourna brusquement et se mit instinctivement en position de combat.
Vincent se recula, surpris. La jeune fille rougit, souhaita devenir une petite souris pour pouvoir se cacher. Elle éclata d'un rire gêné et se mit à triturer une mèche de ses cheveux d'une manière qui dénotait son embarras.
« - Dites donc ! plaisanta l'infirmier. Vous savez vous défendre !
- Oui, j'ai aussi beaucoup pratiqué l'année dernière…
- Hmm… Le Docteur sait que vous êtes ici ?
- Bien sûr, mentit-elle, j'ai même le droit de descendre en ville regarder les boutiques, m'aérer un peu l'esprit… Je ne me sens plus faible du tout !
- Vous mentez très mal, vous savez… »
Tifa et Vincent s'assirent sur un banc, au bord du Lac dont la surface jetait des reflets d'un vert prismatique sous le soleil scintillant. Tifa avait réussi à convaincre son infirmier de la laisser se rendre en ville et ce dernier avait jugé plus prudent de ne pas la laisser y aller seule. D'une certaine manière, même si Tifa était la patiente du docteur Mentor, Vincent se sentait responsable d'elle.
« - C'est drôle, Vincent…
- Qu'est-ce qui est drôle ? »
« C'est drôle d'appeler Vincent un autre garçon que mon ami Vincent Valentine – le seul Vincent que j'aie connu jusqu'à présent… Mais ce que je ressens pour ce Vincent est totalement différent ; en fait, qu'est-ce que je ressens au juste pour toi, cher Vincent Brunaël ? »
« C'est drôle… je ne m'étais pas rendue compte à quel point j'aimais votre ville, jusqu'à maintenant… Le paysage est magnifique, et c'est si calme, si… paisible ! » répondit-elle.
Vincent approuva de la tête. Et, comme mû par un sentiment impérieux, irrésistible et… mystérieux, il prit tout à coup les mains de Tifa entre les siennes, approcha son visage d'elle, et l'embrassa.
Au contact de ces lèvres sur les siennes, Tifa sentit comme une décharge électrique la parcourir. Elle se recula, se leva brusquement du banc et détourna son regard, comme effrayée. Vincent baissa la tête, il se sentait mal à l'aise, il avait tellement honte de sa conduite.
« - Je, je suis désolé…
- … Ne sois pas désolé. Je ne le suis pas, moi ! »
Et elle lui sourit. Vincent se dit que c'était le plus joli sourire qu'il lui avait été permis de voir.
Lieu : montagnes de Nibel - Temps : Passé de Vincent, sept mois avant la naissance de Séphiroth.
« Quelle beauté ! » se répétait Vincent, dangereusement penché au-dessus du ravin. Puis tout à coup, une remarque lui vint à l'esprit, il la prononça presque à voix haute : « c'est une merveilleuse journée, la journée idéale pour mourir… »
Il secoua vivement la tête, pour se remettre les idées en place, et continua son chemin sur ce pont de bois. Ce n'était pas le moment de se laisser aller à de telles pensées morbides ! S'il était venu jusqu'ici, c'était parce qu'il avait un travail à effectuer.
Il avait perdu toute notion du temps, il ne savait plus quand le petit Séphiroth allait venir au monde ; mais il n'y avait pas une minute à perdre en rêveries inutiles ! Le professeur Hojo et son assistante étaient allés au Gold Saucer pour un jour ou deux. Ils étaient partis très tôt le matin- même, sans lui donner d'explication. A son air dédaigneux, Hojo devait penser qu'il n'avait pas de compte à rendre à un simple Turk, et Lucrécia n'avait rien dit à Vincent non plus ; elle semblait même éviter son regard… mais c'était vrai qu'elle avait de bonnes raisons de vouloir l'éviter.
Le casino du Gold Saucer venait d'être construit en plein milieu du désert, au sud de la région de Corel. Vincent y avait passé une nuit en compagnie de l'équipe de Clad, c'était avant le Temple des Anciens. Cet horrible Temple des Anciens où Clad avait perdu la raison et avait remis la matéria noire à Séphiroth ; Vincent avait même dû mettre Clad K.O., pour l'empêcher de continuer à faire du mal à Aeris… Mais ça, c'était du passé. Ou plutôt : c'était l'avenir ; et il avait d'autres problèmes en ce moment.
Qu'étaient donc allés faire Hojo et Lucrécia au Gold Saucer ? Ils n'étaient sûrement pas là-bas pour s'amuser… Quoi qu'il en soit, ils étaient partis, Vincent pouvait donc mettre son plan à exécution. C'était juste un plan dont il avait eu l'idée une heure plus tôt, mais il pressentait qu'il fonctionnerait sûrement. Le plan était très simple : le problème n'était pas Séphiroth, en fait ; Vincent l'avait toujours accusé de tous les maux, mais cet enfant à venir n'était pas mauvais en soi. Ce qui était mauvais, c'était cette… chose que des adultes irresponsables lui avaient injecté de force. Il fallait donc détruire cette "crise du ciel" d'une manière ou d'une autre, avant qu'elle ne devienne une "calamité des cieux" à l'avenir… Vincent savait où se trouvait le corps de Jenova en ce moment-même… Jenova était ce qui faisait fonctionner en grande partie le réacteur de Nibel, l'un des tout premiers réacteurs développés par la Shin- Ra Corporation. Et l'agent Valentine était en route pour faire son travail de "Maintien de la Paix". Cette appellation convenait souvent mal aux Turks, mais pas aujourd'hui… en cet instant très précis, ce nom revêtait tout son sens.
Vincent tourna à droite, il arriva à l'endroit où se trouvait le réacteur. Le seul petit problème, c'était qu'il n'y avait PAS de réacteur ! Vincent n'en croyait pas ses yeux ; il les cligna plusieurs fois, pour finalement se rendre compte de sa ridicule – de son incroyablement ridicule stupidité ! Il se frappa le front de la main et laissa sa paume descendre lentement sur ses yeux, puis le long de son nez, et s'arrêter sur sa bouche.
« Quel idiot ! » cria t-il contre lui-même.
Il baissa la tête de désespoir et soupira, il avait envie de se donner des claques !
Bien sûr qu'il n'y avait pas de réacteur sur le mont Nibel : le premier réacteur – Barrett le lui raconterait dans trente ans – ne serait construit que dans près de vingt ans ! Que comptait-il faire à présent, attendre gentiment que vingt années s'écoulent ?! Attendre que la Shin-Ra abandonne son occupation première de vente d'armes ; attendre que la Compagnie découvre l'extraordinaire pouvoir de l'énergie Mako, qui pouvait faire fonctionner les machines et transformer certains hommes en membres d'élite du SOLDAT, tout cela après que les expériences sur Séphiroth aient démontré les "merveilleuses opportunités" qu'offraient le Mako et Jenova…
Vincent eut envie de crier sa colère, et c'est d'ailleurs ce qu'il fit. Son cri résonna en écho dans la montagne paisible.
Alors que le Turk se croyait seul, une troupe de soldats de métier en uniforme sortit en courant de la grotte située un peu plus loin, au fond de la gorge rocheuse.
« - Qu'est-ce qu'il se passe ?
- Qui êtes-vous !
- Vous n'avez pas le droit d'être ici. Partez !
- Euh… je… » parvint à balbutier Vincent tandis que les soldats – une bonne douzaine au moins – commençaient à l'encercler, en le menaçant de leur fusil.
Il décida de jouer la seule carte qu'il avait en main. Il avait toujours été doué pour le bluff et gagnait souvent au poker…
« Agent Valentine. Je fais partie du Département en Recherches Administratives de la Shin-Ra, Unité Spéciale du Maintien de la Paix… »
Les soldats s'écartèrent légèrement de lui mais le tenaient toujours en joue. Ils semblaient dubitatifs, et hésitants. Le sergent en uniforme vert, qui paraissait être à la tête du groupe, lâcha finalement un rire sarcastique et sonore.
« Pff ! Un "Turk", hein ? D'habitude, on vous apprend à être plus discret, n'est-ce pas… "Collègue" ?! Ha ha ha ! »
Vincent n'aimait pas ce rire moqueur ; imperceptiblement, ses yeux se plissèrent, signe de son mécontentement. Le sergent dut le remarquer, et se souvenir qu'il était mauvais pour la santé de contrarier un Turk, car il cessa de rire.
« Ahem… quoi qu'il en soit, vous n'avez pas à être ici. Nous avons des ordres formels : PERSONNE ne doit s'approcher d'ici. »
Qu'y avait-il de si précieux dans cette grotte pour que tant d'hommes soient affectés à sa garde ? Une douzaine de soldats étaient rassemblés autour de Vincent, mais il était sûr qu'une autre troupe, peut-être même plus nombreuse que celle-ci, était restée dans la grotte… Que gardaient donc tous ces soldats au fond de cette grotte ? Vincent tenta de deviner…
« - Moi aussi, j'ai reçu des ordres ! Je viens inspecter "le colis"…
- Le "colis" ?
- Jenova, si vous préférez… »
Le sergent fut stupéfait, d'ailleurs tous les soldats furent surpris et baissèrent leurs armes. Vincent avait donc deviné juste…
« - Bien, fit-il en écartant les soldats pour passer, j'y vais donc.
- …A-attendez ! …Vous…vous avez des papiers pour ça ?
- Je suis en mission secrète, bien sûr que je n'ai pas de papiers, imbécile ! »
Vincent était presque parvenu à l'entrée de la grotte… Le sergent courut à sa suite et le retint par la manche. Vincent se retourna et lui jeta un regard mauvais, ce soldat enleva alors prestement sa main et parut verdir de peur.
« - Je – je suis désolé… Nous tenons nos ordres du "Grand Patron", vous devez aller vous procurer des papiers – un permis ou une décharge de responsabilité… sinon, on ne peut pas vous laisser entrer.
- Hmpf !
- … Je suis désolé… »
Nul doute qu'ils éprouvaient un sentiment de crainte vis-à-vis du Turk, mais ce dernier savait que malgré leur peur, ces soldats seraient déterminés à combattre s'il tentait d'entrer par la force. Seul contre tous, Vincent n'avait aucune chance de s'en sortir vivant… et ce n'était pas en se faisant tuer maintenant qu'il arrangerait les choses pour l'avenir…
« Alors je reviendrai, et vous aurez de mes nouvelles, croyez-moi ! » lança t-il en s'éloignant.
Les soldats avalèrent leur salive avec difficulté, puis se mirent en rang pour retourner dans la grotte.
Une fois qu'ils furent tous entrés, Vincent sortit de sa cachette et courut vers la grotte, silencieux comme un chat à l'affût. Entré à l'intérieur, il se cacha derrière une grande caisse en bois estampillée de l'avertissement "Danger, explosifs !" en lettres rouges.
Un grand rire nasillard s'éleva parmi les bruits de conversation. Vincent y risqua un œil et il aperçut sur la plate-forme centrale, un caisson étanche fait d'une matière métallique blanche et brillante. Seule une ouverture vitrée se trouvait sur le caisson opaque, et de cette unique fenêtre s'échappait une lueur rouge pale. Deux soldats étaient postés près du caisson – un soldat de chaque côté – et l'un d'eux riait, c'était son rire que Vincent avait entendu.
« - Tu as vu cette… "entité" ? faisait le rieur à son collègue. Elle a trois yeux ! Et t'as vu où il se trouve, son troisième œil ?! Hé hé hé !
- ... ça me fait froid dans le dos, tous ces "projets secrets". C'est pas humain, ce truc ! Et c'est pas le moment d'avoir des idées salaces !
- Trouillard ! Moi, je trouve ça hilarant. Ha ha ha !
- Y'a vraiment pas de quoi rire ! » répliqua l'autre d'un ton contrarié.
Oui, Vincent était bien d'accord avec lui : il n'y avait vraiment rien de drôle. La situation était même plutôt critique…
Il comptabilisa rapidement les gardes présents dans la grotte. Ils étaient près d'une trentaine ! Vincent dut se rendre à l'évidence, il n'y avait rien à faire – rien à faire pour le moment. Il ouvrit la caisse derrière laquelle il se tenait, l'ouvrit le plus silencieusement possible. Les planches de bois grincèrent et Vincent grimaça ; heureusement, parmi le bruit environnant, quelques craquements passèrent inaperçus. Il s'empara de plusieurs des bâtons de dynamite posés parmi la paille, replaça les planches de la caisse avec soin, et sortit discrètement.
S'il s'était contenté de glisser une allumette enflammée dans la caisse, tout l'endroit aurait explosé, la grotte entière se serait effondrée. "Eliminez tout obstacle – quel qu'il soit – se dressant sur votre route", "Ne gardez en tête que votre but", "Obéissez sans discuter à vos supérieurs hiérarchiques mais votre mission passe en priorité" : règle première, alinéas 4, 5 et 11 du Code des Turks…
Mais Vincent n'avait pas le cœur à tuer tous ces gardes dans le but de détruire Jenova. S'il s'était comporté ainsi, il n'aurait pas mieux valu que tous les autres.
Vincent décida de revenir à la crique de Nibel. Il escalada assez rapidement, bien qu'avec un peu de difficulté, le mur naturel qui encerclait la crique, il passa derrière la cascade pour accéder à la caverne, et sentit les éclaboussures retombant en brume lui mouiller le visage. Il s'assit sur les marches de pierre et ferma les yeux. C'est à cet endroit précis que Lucrécia lui apparaîtrait pour la dernière fois, trente ans plus tard… Pourtant, il en était sûr, elle allait mourir dans quelques mois, juste après la naissance de son enfant. Il avait vu son corps sans vie à l'hôtel, avait touché sa main et n'avait pas senti son pouls – n'avait senti que le froid de la mort qui s'était déjà emparée d'elle…
« J'ai essayé… mais le Jenova en moi ne voulait pas me laisser mourir… »
Le Jenova qui était en elle… Etait-il possible que Hojo… Non ! Il n'aurait pas pu faire une chose pareille, pas au corps de sa défunte femme, non ! Il n'aurait pas été assez fou pour ça !
Il était peut-être encore temps de stopper le projet. Il fallait réfléchir à une solution… il y avait sûrement une solution – un moyen d'arrêter le train en marche…
« On ne peut pas sauter de ce train en marche », « Un train peut seulement aller là où ses rails le conduisent »… Barrett disait souvent cela… Clad et Tifa, aussi…
Il faisait déjà nuit lorsque Vincent revint enfin à Nibelheim. Il entra dans la Demeure Shin-Ra, fut surpris de voir la porte d'entrée déverrouillée, et un juron de Hojo l'accueillit.
« - Alors c'est ainsi que vous gardez le manoir ?! N'importe quel minable aurait pu s'introduire ici par la fenêtre et détruire mon laboratoire – des années de recherches ! C'est inestimable !
- …
- Professeur, je pense que Vincent vient à peine de s'absenter pour dîner. De plus, il n'y a pas grand monde dans ce village qui…
- Lucrécia ! Tu es toujours là prête à le couvrir, n'est-ce pas ! »
Hojo ne remarqua pas que la jeune femme, devenue soudain muette, rougit. Il fit les cent pas, allait et venait en cercle, et parut se calmer finalement. Vincent choisit ce moment pour intervenir d'une voix inhabituellement douce :
« - Je ne vous attendais pas aujourd'hui… Vous ne deviez rentrer que demain au plus tôt, non ?
- Cela a été plus rapide que prévu, Vincent…
- Et heureusement que nous sommes rentrés à temps pour constater votre désertion de votre poste de garde !
- Vincent… nous avons quelque chose à vous annoncer. Professeur, vous… tu veux bien le lui dire, s'il te plait Nikolas ?
- Que – qu'est-ce que vous entendez par là, Lucrécia…
- M. Valentine, fit Hojo impassible, j'ai le plaisir de vous annoncer que Lucrécia et moi sommes mariés à présent. »
Sans attendre une quelconque réaction de la part de Vincent, sans dire un seul mot de plus, Hojo monta l'escalier menant au premier étage, prit la direction de l'aile droite, bien décidé semblait-il à se replonger dans ses recherches au sous-sol.
« Je… je suis sûre que tu me comprends, Vincent. C'était la seule chose à faire. Nous ne devons plus entretenir de… liens autres que professionnels. » Puis, à son tour, Lucrécia gravit l'escalier, la tête basse, les épaules voûtées, les bras croisés sur sa poitrine comme si elle avait froid.
Vincent resta un moment là, pétrifié et incapable de parler – incapable de penser même. Pourquoi avait-il tant de mal à respirer ? Il ouvrit et referma la bouche plusieurs fois, tel un poisson hors de l'eau. Il ouvrait la bouche, et aucun mot ne pouvait en sortir, pas même un râle ou un gémissement. Finalement, il sortit de cette maison où il étouffait. Mais une fois dehors, il avait toujours autant de mal à respirer. Que lui arrivait-il ?
Le monde s'est-il écroulé, ou non ? Je pense qu'il s'est écroulé et m'a entraîné avec lui…
Ils se sont mariés en cachette ! Ils étaient allés au Gold Saucer dans le but de se marier en vitesse, tels des adolescents fugueurs qui craignaient le courroux de leurs parents ! Je n'aurais jamais cru Hojo capable d'un tel… romantisme - c'est drôle ! Oui, c'est très comique, et je pourrais en rire si je n'avais pas le cœur aussi brisé… Oooh, que m'arrive t-il ?!
Hojo séjourne à l'auberge désormais, avec Lucrécia… Non… je ne dois plus y repenser !
Si je m'écoutais, je mettrais le feu à ce fichu laboratoire, je réduirais toute cette maison en cendres. J'en aurais le temps : la nuit venue, je suis seul dans cette demeure… Mais cela ne servirait à rien – strictement à rien. Je ne ferais que détruire les tiges de cette… fleur du mal, mais les racines resteraient. Que dois-je faire ? Une semaine que je me demande quoi faire, mais je n'ai pas trouvé de solution. C'est une impasse ; comment en sortir ?
J'essaie de me raisonner, de me dire que ça ne peut pas aller plus mal… mais ce serait me mentir à moi-même. Je sais que cela ira en empirant, je sais que la situation sera pire dans un avenir proche.
Oh, ma tête… elle me fait tellement mal… il faut que je me calme !
