Pour Pauline.
–Je ne sais vraiment pas ce que tu espères trouver en venant fouiner ici.
–Je suis sûr qu'il a des trucs à cacher.
Natasha soupira, bras croisés, préférant rester sur le pas de la porte et observant son meilleur ami agir avec désinvolture, l'archer ayant visiblement décidé de n'en faire qu'à sa tête. Très précautionneusement, l'homme commença par ouvrir un à un les tiroirs de la table de nuit, d'où il sortit chaque objet et, après les avoir examinés avec attention, les reposa à leur place respective pour ne pas éveiller les soupçons.
–Comme quoi ? reprit la rouquine. Clint, ce n'est pas correct.
–Pourquoi ? répondit le concerné en fronçant les sourcils. Ça va, ce n'est pas la pire chose que tu m'aies vu faire.
–Tony nous héberge gratuitement dans SA tour et toi, tu joues les espions. Ce n'est pas correct, répéta-t-elle, alors l'homme interrompit ses actions pour la regarder directement dans les yeux, apparemment interloqué par sa réaction.
–Au cas où tu l'aurais oublié, nous SOMMES des espions, Tasha, et il en va de notre devoir de récolter des informations. Notre hôte ne fait pas exception, il pourrait très bien dissimuler quelque chose de compromettant, que cela soit sur lui ou l'un d'entre nous.
–Je n'ai rien à cacher.
–Sûre ?
–Oui.
–Vraiment sûre ?
–…
Natasha ne prit que quelques brèves secondes pour y réfléchir plus sérieusement, mais elle arriva rapidement à la conclusion qu'il valait mieux que certains éléments la concernant restent chaudement tapis dans l'ombre. Après être donc restée un instant parfaitement immobile, elle ferma la porte et avança dans la chambre de l'inventeur.
–Cinq minutes, les limita-t-elle en se joignant à son acolyte dans ses recherches.
Clint afficha un sourire victorieux, toujours accroupi devant la table de nuit, tandis que Natasha privilégia la commode qui faisait face au lit double. Elle regarda minutieusement dans le premier tiroir ; quelques CDs, un livre sur la thermodynamique des fluides dont les coins et la reliure étaient usés, des piles, trois boites de mouchoirs empilées les unes sur les autres, un paquet d'enveloppes vierges et légèrement jaunies, une montre et plusieurs télécommandes.
–Qu'est-ce qui t'a incité à venir t'infiltrer dans sa vie privée ? voulut savoir la jeune femme en feuilletant distraitement l'ouvrage scientifique.
–Je ne sais pas, Tony a l'air bizarre depuis un moment.
Natasha lâcha le livre qu'elle tenait entre ses mains des yeux et croisa le regard de son meilleur ami, qui remarqua tout de suite son air blasé.
–Bon d'accord, poursuivit-il, Tony est tout le temps bizarre, mais tu n'as pas remarqué qu'il l'est quand même un tout petit peu plus que d'habitude ? J'en sais rien, il est constamment distrait et distant, c'est à peine s'il se montre en dehors de nos missions. Ça cache forcément quelque chose.
–Comme quoi ? l'interrogea-t-elle en reposant le livre à sa place. Premièrement, tu ne t'es pas dit que si quelque chose le tourmentait mais qu'il ne disait rien, c'était justement parce qu'il n'en avait pas envie ? Et qu'est-ce qui le tourmenterait, d'ailleurs ? Il n'a pas l'air malade, je doute fortement qu'il ait le moindre problème financier, il n'y a aucune menace que nous ne soyons pas en mesure d'éliminer et je ne me souviens pas l'avoir vu se disputer avec Pepper au cours des derniers jours, énuméra-t-elle. Je t'accorde qu'il lui arrive régulièrement d'avoir la tête ailleurs, mais en plus de ne pas être le seul, est-ce qu'il y a vraiment de quoi s'inquiéter ? Selon moi, tu aimes juste fourrer ton nez dans les affaires des autres, quitte à t'attirer des ennuis, lui dit-elle avec une pointe de reproches dans la voix, tout en continuant néanmoins à ouvrir des tiroirs de son côté.
–Je m'inquiète pour sa santé mentale, rétorqua Clint de manière exagérée, ce qui fit lever les yeux au ciel à Natasha.
–Peut-être qu'il est simplement occupé à travailler sur un nouveau projet dont il nous parlera quand il se sentira prêt à la partager.
L'homme cessa de chercher et laissa lentement un tas de pensées farfelues le submerger et, peu à peu, son regard se perdit dans le vide. Natasha perçut un bon millier de choses se passer dans ses yeux écarquillés. Elle se doutait qu'avec une imagination aussi débordante que la sienne, Clint devait être en train de s'imaginer tous les scénarios les plus dingues, incluant des catastrophes qui conduiraient potentiellement à l'Apocalypse, la fin du monde. La rouquine sentit qu'il était sur le point de lui sortir soit la révélation de l'année qui donnerait sens à des choses qui jusqu'à présent n'en avaient aucun, soit quelque chose de si absurde qu'elle aurait certainement envie de se jeter du toit de la tour pour oublier qu'elle s'était -volontairement- liée d'amitié avec un imbécile de première catégorie.
Il n'y aurait pas d'entre-deux. Dans le fond, il n'y avait qu'un pas entre le génie absolu et…
–Et s'il était en train de mettre au point un dispositif visant à localiser tous les oiseaux dont le cerveau se serait développé au point de ressembler à celui des humains, pour ainsi les empêcher d'accroître des capacités de création d'armes de destruction massive qui leur permettraient de réduire l'humanité en esclavage et ensuite transformer la Terre en un vulgaire tas de cendres ?
… Et l'idiotie profonde dont l'archer était capable de faire preuve. Cela désolait presque l'espionne russe d'en être témoin, mais puisqu'elle y était relativement habituée, elle ne jugea pas essentiel de répondre à cela et, après avoir fixé l'archer avec dédain durant quelques secondes, elle retourna à ses occupations en s'attaquant au second tiroir de la commode. Seulement, comme l'homme demeurait lui aussi silencieux et la fixait toujours en attendant qu'elle réagisse, elle soupira brièvement et lâcha :
–Tu me fatigues.
–Ouais, je sais, concéda-t-il sans un soupçon de honte. Bon, t'a trouvé quelque chose ?
–Rien d'intéressant, déclara-t-elle en manipulant ce qu'elle venait de ramasser et qui ressemblait à une autre invention inachevée de Tony. Et toi ?
–A part le fait qu'il semble apprécier les thrillers ? lança-t-il, un roman de Conelly à la main. Nan. On n'a pas encore trouvé sa planque, c'est tout, enchaina-t-il, ne perdant pas espoir de dénicher un trésor. S'il n'y a rien ici, j'irai faire un tour aux autres étages cet après-midi. Tu ceux, ceux dont l'accès est formellement interdit.
–On avait dit cinq minutes, Clint, lui rappela Natasha en checkant le dernier tiroir du meuble au design très moderne. Tu vas finir par te faire attraper, et ne compte pas sur moi pour t'aider, précisa-t-elle avant que son regard ne se dirige vers la porte fermée, derrière laquelle elle entendait de vagues bruits de pas qui s'approchaient. Et ce sera peut-être plus vite que prévu, souffla-t-elle en se redressant vivement, rapidement imitée par son meilleur ami. Tu vois où ça nous mène, tes idées ! lui reprocha-t-elle en baissant d'un ton.
–On va se planquer dans les ventilations ! affirma Clint, sûr de lui.
–Je ne grimperai pas dans la ventilation ! râla la rouquine, balayant la pièce du regard à la recherche d'une échappatoire.
–Je t'ai déjà vue entrer dans des endroits plus étroits que ça, commenta Clint, ce qui lui valut une tape à l'arrière du crâna. Hey ! se plaignit-il en passant sa main là où elle l'avait frappé pour le punir de ses enfantillages. Est-ce que le placard de Monsieur Stark est suffisant pour mademoiselle ? lui proposa-t-il en désignant une armoire dans laquelle Natasha se hâta de le pousser avant de l'y rejoindre et de refermer derrière eux. Eh bah, on est à l'aise là-dedans, plaisanta-t-il en chuchotant.
Natasha lui écrasa le pied sans ménagement pour l'inciter à se taire, tandis qu'ils entendirent la porte de la chambre s'ouvrir. Quelqu'un entra en sifflotant, que le duo identifia comme demeurant le propriétaire des lieux. D'après eux, ce dernier fouilla un peu, retourna deux-trois objets jusqu'à ce qu'une autre personne fasse son entrée. Dès que le nouvel arrivant s'exprima, Natasha et Clint reconnurent James Rhodes. Les deux hommes échangèrent quelques banalités concernant leur toute dernière mission, qui avait été un franc succès, pendant que la rouquine et l'archer faisaient leur possible pour ne pas se faire remarquer en retenant leur souffle, cachés entre les chemises suspendues et soigneusement repassées de Tony.
La jeune femme avait une furieuse envie de baffer l'homme collé à elle car, par sa faute, elle se retrouvait plongée jusqu'au cou dans une mare d'ennuis –tout ça parce qu'il avait réussi, pendant une demi-seconde, à semer le doute en elle–.
Pendant que le milliardaire et le militaire continuaient de discuter, Clint s'impatientait. Il bougea un peu, étant placé de manière inconfortable et développant un léger sentiment de claustrophobie, forçant donc Natasha à remuer elle aussi. La main de la rouquine se retrouva plaquée contre le fond de l'armoire. Elle remarqua que le contact entre ses doigts et le bois avait quelque chose d'étrange, d'inhabituel. A ses côtés, Clint était toujours en apnée, priant intérieurement pour qu'ils ne soient pas démasqués par Tony. Natasha, elle, laissa sa main gantée parcourir le long de la paroi un instant jusqu'à ce qu'elle entende un déclic plutôt discret qui surprit son acolyte. Ils se regardèrent dans les yeux –autant que le leur permit la pénombre de l'armoire– puis Natasha poussa doucement le fond.
La paroi se dissocia du reste du meuble et se décala sans bruit sur le côté. Sans trop prendre le temps de réfléchir, le duo s'engouffra dans la pièce sur laquelle ce passage semblait directement déboucher puis ils remirent la paroi en question en place et attendirent que les deux hommes de l'autre côté s'en aillent pour de bon. Immobiles, ils patientèrent durant moins d'une minute puis Tony et Rhodes quittèrent la chambre en poursuivant leur conversation animée mais amicale.
Clint soupira de soulagement et appuya son front contre le mur amovible avant de laisser échapper un petit rire nerveux qu'il avait été contraint de retenir jusqu'à présent. Il secoua la tête en soupirant une seconde fois.
–Bordel, j'ai vraiment cru qu'on allait se faire chopper, dit-il en sentant son cœur battre anormalement vite. Ok, t'avais raison, on ne refera plus jamais ça, c'est promis, déclara-t-il à moitié sincèrement, ayant eu une frayeur suffisamment grande pour ne pas recommencer pendant au moins plusieurs jours, voir semaines. Sérieux, je n'ai plus l'âge de faire ce genre de trucs… Sois gentille, Tasha, la prochaine fois que j'ai une idée à la con comme ça, retiens-moi, engueule-moi, n'importe quoi mais ne me laisse plus jouer à ça, ok ? lui pria-t-il, mais elle ne répondit pas. Tasha ? insista-t-il, mais une fois encore, pas un seul son ne sortit de la bouche de la rouquine, alors il tourna la tête dans sa direction.
Contrairement à lui, elle était dos à la paroi et fixait droit devant elle sans ciller. Elle sut qu'elle devait se décider à répondre à l'homme, qui devait se demander pourquoi son comportement avait brusquement changé.
–… C'est toi qui avais raison, souffla-t-elle. Il a bel et bien un truc à cacher, précisa-t-elle, alors seulement l'archer fit volte-face afin de découvrir ce qui semblait ébahir sa meilleure amie au point qu'elle ne sache presque plus quoi dire.
Il comprit alors ce qui la perturbait tant et lui aussi fut bouche bée. Devant eux s'étendait un immense laboratoire high-tech très lumineux. Partout, des écrans, des schémas et modèles en 3D, des bras articulés s'affairant calmement au-dessus de tables en verre et même quelques minuscules drones qui étaient capables de porter des petits objets d'un bout à l'autre de la pièce. A dire vrai, cette pièce ressemblait fortement aux autres labos de Tony –du moins ceux dans lesquels le duo d'espions avait déjà mis les pieds–. Il y avait cependant une différence flagrante qui leur avait immédiatement sauté aux yeux et qui était la cause de leur émerveillement.
De part et d'autre de la salle, sur les murs latéraux se trouvaient, enfermées dans des cages de verre destinées à les protéger se trouvaient diverses armures signées Stark, de toute évidence, mais pas similaires en tous points à celles que l'inventeur avait l'habitude d'utiliser sur le terrain. Elles avaient beau garder les mêmes proportions, les mêmes lignes, elles étaient toutes différentes en termes de couleurs, « d'accessoires » et chacune semblait identifiables grâce à quelques détails qu'on ne retrouvait pas sur les autres.
–… Dans quoi on a foutu les pieds… ? demanda Clint dans un murmure, autant pour lui-même qu'à l'adresse de Natasha.
La jeune femme marcha vers la première armure située sur sa gauche. Des métaux teints en bleu horizon et cobalt s'harmonisaient parfaitement avec les fragments noir corbeau, argile et oxydé, ainsi que les quelques touches plus discrètes mais non négligeables de rouge cardinal. Le réacteur ARK en forme de pentagone situé au milieu du plastron était le point de jonction de lignes parallèles grises et la lumière qui en émanait faisait ressortir une forme étoilée. A ses côtés se situait un prototype de bouclier qui avait l'air de pouvoir s'attacher au bras gauche de l'armure et où l'on retrouvait une étoile en son centre. Il n'y avait aucun doute possible : cette création mettait à l'honneur Captain America.
Clint, de son côté, s'attarda d'abord sur un modèle du côté droit de la pièce. Un plastron acier et étain oxydé, des jambières ébène, quelques pointes de bleu céleste au niveau du torse et des articulations, des bottes or et chrome dont on retrouvait un rappel discret sur un casque ailé et, complétant l'ensemble qui, Clint s'en doutait, devrait beaucoup plaire à un certain asgardien, une splendide cape rouge alizarine vif accrochée à des épaulettes métalliques d'un mélange de la même couleur et de quelques traits anthracite. L'archer se demandait quand Tony avait trouvé le temps de concevoir de telles œuvres d'art –car c'était ainsi que Clint voyait les inventions de son ami–.
Natasha s'arrêta devant l'armure suivante, qui l'époustoufla. La rouquine n'était pas facilement impressionnable, mais elle devait admettre que cette fois-ci, elle n'avait rien à redire sur le modèle qu'elle regardait. Le noir avait beau être couleur passepartout, le propriétaire des lieux était parvenu à la mettre parfaitement en valeur ici. Il avait choisi de partir sur un noir d'aniline pour les bases de cette armure, dont le dessin était plus délicat que les autres afin de s'adapter à la morphologie de la personne qui la revêtirait. Elle était soulignée par quelques liserais lumineux d'un rouge flamboyant. Un logo rouge cerise brillant semblable à un sablier simplifié décorait le centre du plastron et des mini-canons étaient accrochés au niveau des poignets. Ici et là, quelques touches minimes gris acier donnaient un rendu plus clair. Dans son dos se trouvaient deux bâtons électriques détachables aux extrémités bleu ciel. En quelques mots, Natasha était bluffée.
Clint était en admiration totale devant l'armure qui semblait lui être destinée. Pour lui, Tony avait choisi un mélange de violet et de magenta foncé qui se chevauchaient avec du noir charbon. Les protèges avant-bras avaient été conçus de sorte à pouvoir stocker un nombre important de flèches gris perle et améthyste de secours, flèches également élaborées par Tony à en juger par leur design unique, et un carquois pouvant contenir davantage de flèches était fixé dans le dos. Ce qui fascinait autant Clint était le splendide arc ultra-évolué, créé à partir d'une technologie plus avancée qu'il n'en ait jamais vue. Il paraissait incassable. Ses teintes s'accordaient à celles du blindage et la corde émanait de la lumière gris de lin. Quant au casque, il avait l'impression que Tony avait mis au point un viseur élaboré spécialement pour accentuer ses capacités de tir déjà hors-normes. Clint était complètement fan de ce qu'il voyait.
–… Wow.
Ce fut la seule chose que Natasha trouva à dire. Lorsque son meilleur ami la regarda, il se rendit compte qu'il avait rarement vu ses yeux briller ainsi. Pour eux, c'était Noël.
–Rappelle-moi d'offrir à Tony la meilleure bouteille de whisky pour son anniversaire, souffla Clint.
Ils ne s'étaient pas attendus à trouver quelque chose en commençant à fouiller la chambre de leur ami, et même lorsqu'ils avaient découvert le passage secret situé dans le faux fond de l'armoire, ils avaient été loin de s'imaginer qu'ils tomberaient sur quelque chose de tel et lorsqu'ils quittèrent la pièce quelques minutes plus tard, ils se jurèrent de ne plus jouer les espions avec Tony –ni même aucun de leur ami–, car comme ils avaient eu l'occasion de le découvrir, de belles surprises pouvaient les attendre.
Ce qu'ils ne surent pas, c'était que Tony savait parfaitement que deux petits fouineurs s'étaient infiltrés dans sa chambre grâce aux caméras de sécurité installées dans le laboratoire, mais il ne leur en parla jamais. Leur réaction d'émerveillement lui avait suffi et l'avait tant réjoui qu'il avait préféré garder ça pour lui.
Il fut d'ailleurs très heureux de recevoir une très belle bouteille de Glenlivet quelques mois plus tard à l'occasion de son anniversaire, à l'occasion duquel il en profita également pour partager ses créations avec ses acolytes –sans jamais mentionner l'intrusion des deux espions, bien entendu–. Il aimait bien que ces derniers se montrent aussi sympathiques avec lui pour se rattraper et comptait bien en profiter encore un petit peu.
