Chapitre 2
Je veux juste une dernière danse
Avant l'ombre et l'indifférence
Un vertige puis le silence
Je veux juste une dernière danse
Demain, Emma serait mariée. Demain, il serait trop tard. Depuis qu'elle s'était installée avec Hook, ce qui semble normal entre fiancés, leurs rencontres s'étaient faites moins fréquentes, sans pour autant cesser ni diminuer en intensité, ce qui l'est déjà moins quand on est fiancée à un autre. Et cette absence qui prenait petit à petit toute la place avait permis à Regina d'entendre les mots qui les liaient dans le silence, les mots jamais dits, parce que dire c'est créer. « Au début était le Verbe. » Et un verbe en particulier ne pouvait être prononcé entre elles parce qu'il aurait rendu trop tangible ce qui ne pouvait être, ce qui aurait redéfini tout leur être et tous les êtres autour d'elles. Alors, ensemble, elles se taisaient. Rien ne perçait le silence que leurs gémissements sous les lèvres de l'autre, leurs supplications de se prendre encore, toujours, plus fort, leurs cris de jouissance et leurs prénoms, murmurés, frémis, caressés, comme des milliers de façons de le dire sans jamais l'avouer. Mais, seule, Regina le hurlait en elle à s'en arracher l'âme. Et quand elle n'en pouvait plus de la souffrance de l'absence, elle se recroquevillait autour de son cœur, le berçant comme un objet précieux et fragile, prêt à se briser au moindre souffle et s'endormait, épuisée, les yeux asséchés et brûlants de toutes les larmes perdues.
Demain, Emma serait mariée. Demain, il serait trop tard. Alors, ce soir-là qui serait le dernier qu'elles auraient jamais, le dernier où elle pourrait parcourir ces courbes qu'elle connaissaient si bien qu'elle les réinventait parfois jusqu'à la moindre parcelle dans ses draps abandonnés, ce soir, elle ne traita pas le corps de la Sauveuse avec leur violence habituelle, comme on essayerait de s'arracher un parasite qui nous dévore de l'intérieur. Non, ce soir-là, elle le chérit, l'adora, le vénéra. Elle le grava en elle de ses mains, de ses lèvres, de sa langue, de ses dents, de son corps. Elle marqua au fer rouge sa mémoire de sa beauté, de son odeur, de son goût, de sa voix, de ses mains sur elle, en elle, au plus profond. Elle le prit et le laissa la prendre jusqu'à en perdre la voix, jusqu'à ne plus pouvoir respirer, jusqu'à en avoir mal partout. Elle s'abandonna si totalement qu'elle faillit ne pas se rendre compte qu'Emma en faisait de même du sien. Une larme échappée, unique, perdue qui s'écrasa sur elle sans un bruit la fit plonger dans le regard d'émeraude qu'elle découvrit trop brillant. Elle interrogea sans un mot et la réponse lui ouvrit un instant les portes du Paradis. Elle y retrouva les siens, ceux qu'elle hurlait dans sa solitude. Alors, elle laissa la blonde déchiffrer les signes jumeaux dans ses orbes sombres. Et après lui avoir uniquement abandonné son corps durant si longtemps, elle se défit aussi de son âme et de son cœur. On ne peut tout recevoir si on ne donne pas tout.
Mais la blonde baissa les paupières, détourna le visage, secoua la tête en signe de dénégation et l'enfer engloutit à nouveau brutalement Regina. Le froid l'envahit quand ses mains s'éloignèrent. La solitude se faufila à nouveau, serpentant en elle, quand le lit n'accueillit plus que le poids de son corps unique. Elle vit un brouillard de porcelaine et d'or s'agiter derrière des rideaux de larmes qu'elle ne pouvaient plus retenir. Elle la devina parcourir la pièce ici et là pour se rhabiller et la quitter au plus vite. Elle ne fit rien pour la retenir, n'émit pas un son, telle une statue de d'ébène et d'or blond sculptée dans la blancheur des draps. Le cliquetis de la porte qui se refermait, à peine audible, la déchira de part en part, comme une grenade qui aurait explosé en son sein. Elle renonça, ce soir-là, à ramasser les lambeaux déchiquetés de son être. L'eau se mêla au sang, les larmes sur ses blessures. Elle se connaissait, le jour levé, elle serait droite et lisse, imperturbable et parfaite comme toujours. Ne jamais montrer une seule faiblesse qui puisse se retourner contre soi.
Demain, Emma serait mariée.
