Chapitre 3

Je l'ai connue trop tôt mais c'est pas de ma faute
La flèche a traversé ma peau
C'est une douleur qui se garde
Qui fait plus de bien que de mal
Mais je connais l'histoire, il est déjà trop tard
Dans son regard, on peut apercevoir qu'elle se prépare
Au long voyage

C'est le matin du grand jour, Regina se regarde dans le miroir de sa chambre. Elle a choisi une jupe rouge, droite, comme souvent. Son chemisier est blanc, bien sûr avec un décolleté. Ses cheveux et son maquillage sont impeccables. Son corps est une arme, une arme d'autant plus léthale qu'elle est sublime, elle n'en ignore rien, et elle aura besoin aujourd'hui de toutes les protections qu'elle s'est construites au cours des dernières décennies. C'est ridicule, indigne d'elle, mais elle s'entraîne à sourire. A l'intérieur, elle n'est que ruines. Que sa dignité s'anéantisse avec tout le reste n'est qu'un détail insignifiant de plus. Un peu plus de paillettes dans le regard, Regina, ta bouche se tord comme il le faut mais tes yeux restent vides. Voilà, c'est parfait. Ne reste plus qu'à tenir toute la journée. Mais qu'est-ce qu'une journée après tant d'années ? Dans quelques heures, l'homme qui t'a livrée à des tortionnaires qui ont presque réussi à t'ôter la vie réussira où ils ont échoué. Fais au moins en sorte que nul autre que toi-même ne le sache.

A nouveau, comme un rappel cinglant de leur dernière rencontre, un brouillard de blancheur et d'or s'agite dans son champ de vision. Elle est belle, tellement que son sourire se tend. Elle est heureuse, tellement que ses yeux se noient. Pourtant, Regina chante et danse à l'unisson. Regina aussi est belle. Et heureuse. En apparence. Chaque syllabe, chaque pas est comme une flèche qui la traverse, une de plus, encore une autre, encore et encore. Elle se sent comme cette foutue sirène qui a donné sa voix pour un putain d'idiot qui n'a pas été capable de lire son âme. La colère est là, sa compagne de toujours. Elle s'en réjouit, elle est son pilier qui jamais ne cède, qui la soutient d'aussi loin qu'elle se souvienne. Et tant mieux parce qu'elle en a besoin comme jamais. Chacun des pas de la sirène se devait d'être douleur ainsi l'avait voulu la sorcière. Mais dans son histoire, elle est à la fois sorcière et sirène, elle s'est elle-même condamnée à une vie de souffrance. Elle n'imaginait pas pourtant la puissance de celle qui l'habite à l'instant, des lames chauffées à blanc qui fouillent en son sein à chaque image du bonheur d'Emma. Pourra-t-elle se jeter à la mer une fois cette comédie achevée ? Sera-t-elle récupérée par les filles de l'air et emportée au Paradis en reconnaissance de la pureté de son amour ? Ridicule à nouveau, Regina. Rien n'a jamais été pur en toi. Si tu te jettes à la mer, tu pourriras dans la vase et les algues seront ton seul linceul. Et tu ne peux t'empêcher de soupirer une seconde au bien-être malsain que te provoque cette idée.

Tu n'as rien entendu de ce qu'ils se sont dit. Tu n'as pas vraiment vu les mains tenues, les bagues échangées, le baiser partagé. Tu chantes, tu danses, mais tes oreilles sont sourdes et ton corps engourdi. Tu n'entends que ses cris quand la jouissance l'emporte, tu ne sens que ses doigts quand elle provoque la tienne. Tu te surprends à remercier ta mère. Sans doute la seule fois de ta vie où cela t'arrivera. Finalement, sa maltraitance aura ancré dans ton corps un habitus si parfait que rien, jamais, ne le fissure. N'es-tu pas contente de cette capacité d'être détruite et de ne laisser paraître au monde que beauté et perfection ? Même ton fils s'y laisse prendre. La seule à laquelle tu as laissé entrevoir la beauté et la perfection qui y répondent, enterrées au plus profond par l'insanité d'une mère et l'indifférence du commun, danse à l'heure présente sur leur tombe. Danse, tourne, virevolte. Chante, ris, souris. Souris à t'en faire mal. Souris encore. Peut-être finiras-tu par y croire toi aussi. Peut-être cela fera-t-il moins mal alors.

Une fois mariés, ils partiront pour un autre monde. La Sauveuse est fatiguée de celui-ci, elle ne veut plus se battre, elle veut n'être qu'elle dans un monde où seule Emma sera connue. Elle laissera derrière elle tout ce qui fait celui-ci. Et elle ne le dit pas mais tu entends les mots chuchotés à ton oreille comme ceux d'une amante perverse, elle te laissera toi, Regina.