Seconde Chance
Prologue
Libre
Il attendait.
En silence.
Toujours en silence.
Les yeux fermés, aveugles à l'obscurité qui régnait dans son « antre ». Il avait appris à aimer ces longs moments de calme, à goûter leur saveur tranquille, alors que rien ne pouvait l'atteindre.
Pendant quelques temps.
Il avait appris à aimer la nuit quasi continuelle qui coulait sur lui, envahissant même son être, comme cette humidité glaciale qui effleurait sa peau presque dénudée.
Il n'avait plus froid.
Cela faisait longtemps maintenant qu'il avait su oublier cet état de fait, comme devenu insensible à l'air glacial qui l'entourait. Il avait failli en mourir à plusieurs reprises tout au long de ces… années ? Il ne savait plus. Mais ça n'avait pas d'importance, car à chaque fois, ils l'en empêchaient, alors qu'il aurait accueilli sa fin à bras ouvert. Il n'attendait que le moment où enfin, ils l'oublieraient quelques jours de trop et le retrouveraient mort de froid et de faim.
La faim.
Ca aussi, il avait appris à vivre avec. Il fut un temps où il pouvait dire avec exactitude combien de jours avaient passé avant qu'ils ne daignent lui jeter un croûton de pain pourri, tant l'envie de manger lui cisaillait l'estomac. Maintenant, engloutir ce peu de nourriture le révulsait et le rendait malade, mais il n'avait pas le choix et avalait chaque bouchée avec répugnance, sinon… sinon ils l'y forçaient et c'était toujours pire ainsi… toujours.
Il releva la tête et parcourut rapidement la pièce du regard.
Mais il n'y avait rien à voir.
Rien qu'il ne connaisse déjà.
Chaque pierre, chaque fissure, chaque trou étaient inscrits au plus profond de sa mémoire, indélébiles et il aurait pu, les yeux fermés, venir avec toute l'assurance du monde vous en montrer l'emplacement.
C'était tout son univers.
Toute sa vie.
Il avait parfois l'impression qu'il n'avait jamais rien connu d'autre, qu'il était né ici et n'en était jamais sortit. C'était sa maison, le seul endroit qu'il connaissait, dont il se souvenait, si ce n'est…
Il frémit légèrement.
Oui, c'est le sentiment qu'il avait, mais alors… alors, il se rappelait… il se rappelait toujours et chaque souvenir le faisait souffrir plus qu'il ne l'aurait cru possible.
Lame de feu plongée dans les trop nombreuses cicatrices de son âme.
Souffrance.
Toujours vive et sans relâche.
Pourtant, il les accueillait à bras ouvert, recherchant leur douleur avec avidité, car c'est tout ce qu'il lui restait. Tout ce qu'il lui restait pour ne pas sombrer dans la folie. Pour ne pas franchir ce point de non-retour qui l'aurait définitivement perdu.
Mais peut-être aurait-il mieux valu qu'il oublie, qu'il passe cette frontière invisible et que plus rien ne puisse l'atteindre. Il croyait parfois… il croyait l'avoir franchit. Mais, lorsqu'ils venaient et qu'il sentait la douleur, la honte et le désespoir, il comprenait que ce n'était pas encore le cas.
Pas encore.
Il n'arrivait pas à savoir si c'était une bénédiction ou une malédiction.
Il n'arrivait pas à savoir…
A savoir si…
S'il était encore… humain.
Dans la pénombre qui l'entourait, il regarda ses mains. Elles avaient l'air humaines. Mais les apparences sont parfois trompeuses.
Pourtant… tellement humaines.
Mais ce n'est pas ce qu'ils lui disaient, ce qu'ils lui répétaient sans cesse, alors que… qu'ils lui faisaient goûter encore et encore la saveur amère de la souffrance et de l'humiliation.
Ils lui disaient qu'il était qu'un monstre, une chose sans âme. Une erreur de la nature qui aurait du être tué à la naissance.
Sa mère devait être une pauvre folle pour ne pas l'avoir fait.
Une bien pauvre folle.
Oui.
C'est ce qu'ils disaient.
C'est ce qu'il pensait.
Rien d'humain.
Encore pire qu'un animal.
Pire qu'un monstre même.
C'est ce qu'Il lui avait dit et il savait qu'Il avait raison. Il lui avait répété si souvent qu'il semblait parfois qu'il ne gardait pas d'autres souvenirs de Sa présence.
Et il méritait d'être ici n'est-ce pas ? C'était sa punition. Sa juste punition.
Il se sentait toujours si sale. Si sale de ses propres fautes, comme une seconde peau qui ne pouvait le quitter malgré tous ses efforts. Une peau de mensonge, de mesquinerie et de meurtres. Une peau à l'odeur de sang frais et cuivré.
Son odeur.
Toute sa vie.
Doucement, il ramena ses jambes maigres contre son corps et les serra contre son torse, laissant un frisson parcourir lentement son échine.
Il avait froid ?
Non, pas encore. Pas alors qu'il venait juste de se remettre.
Pourtant, il aurait aimé.
Il savait que cette fois, il n'y survivrait pas, son organisme ne pourrait supporter de brûler une fois encore sous la fièvre. Il était trop faible.
Beaucoup trop faible.
Quoiqu'il se passe, il ne survivrait pas aux prochaines semaines. Ils allaient venir à un moment ou à un autre, venir une fois de trop et alors… il pourrait enfin être libre, sentir son âme glisser hors de lui en sachant que cette fois, il ne se réveillerait pas.
Enfin.
Il aurait pu se tuer, s'il avait voulu. Il aurait pu en finir depuis bien longtemps. Mais il était trop lâche… ou peut-être pas assez pour prendre sa propre vie. Et il savait qu'il ne méritait pas de mourir si facilement, si rapidement. Il devait souffrir pour ce qu'il était et pour ce qu'il avait fait. Une dette à payer.
Une dette qu'il pensait avoir enfin remplie et il les attendait avec impatience, frémissant d'avance à ce bonheur enfin à sa portée. Il en aurait presque souri s'il avait su encore comment faire. Mais il avait depuis bien longtemps oublié.
Sourire.
A ce mot, s'en accompagnaient d'autres, d'autres sons qu'il n'avait jamais vraiment compris et qu'il n'avait éprouvé que pour mieux en souffrir.
Sourire.
Rire.
Aimer.
Bonheur.
Un monde hors de sa portée, qu'il n'avait jamais pu qu'effleurer, que sentir couler entre ses doigts comme des filets de sable fins et dorés qu'il n'avait su garder, si ce n'est quelques grains à peine, adhérents à sa peau. Mais même ces quelques précieuses perles étaient lavées par le temps pour disparaître dans son flot continu.
Juste le temps d'un regard.
Juste le temps d'une saveur…
… pour mieux la regretter.
Encore cette douleur.
Parfois, il haïssait le cours de ses pensées, autant qu'il se détestait. Peut-être même plus encore.
Et alors…
Alors, il attendait.
Patiemment.
Une heure… un jour… deux… une semaine… qu'enfin ils se souviennent et viennent le trouver. Et à chaque fois l'espoir que ce soit la dernière. Et toujours la même déception lorsqu'il se réveillait. Toujours le même sentiment de répétition, toujours la même espérance qui s'échappait pour ne laisser place qu'à l'obscurité de sa prison et plus tard… plus tard au mordant de leurs coups.
Physiques et mentaux.
Chaires lacérées.
Ame brisée.
Toujours plus violents, un plaisir sombre qui se dessinait à chaque fois, doucereux, sur leurs lèvres, compagnon de leurs rires et de leurs paroles. Compagnon de ses cris.
Tant et tant.
Tout ce qu'il savait encore de sa voix.
Ces sons éraillés, ces hurlements inhumains.
Tout ce qu'il était encore.
Et toujours l'attente ensuite, alors qu'enfin il sentait le froid le pénétrer, captif de sa propre faiblesse, incapable même de se protéger s'il l'avait voulu. L'attente de cette fièvre qui viendrait le ronger une fois de plus.
Une fois de trop.
Il attendait encore.
Et cette fois…
Oui, il attendait, même en sachant qu'ils ne viendraient pas. Il était trop tôt. Beaucoup trop tôt.
Quelques jours.
Quelques heures.
Quelques minutes.
Depuis combien de temps avait-il regagné son antre ? Il n'en était plus sûr. Il n'en était jamais sûr.
Jour… nuit… aube… crépuscule… tous ses mélangeaient ici, s'amalgamaient, se fondant les uns dans les autres pour disparaître, emportant le temps. Même leurs petits jeux n'avaient plus de durée tangible. Ils pouvaient aussi bien prendre quelques secondes que de très longues heures, il était incapable de faire la différence.
Il ne connaissait plus rien de tout cela.
Il aimait cette existence hors du temps. Hors de ses boucles et de son emprise. Une emprise dont il avait payé le prix plus qu'à son tour.
Et pourtant…
Parfois…
Il aurait aimé… une fenêtre… une petite percée dans le mur de pierres épaisses… un trou d'aiguille, quelque chose, juste un toute petite chose pour un rayon de soleil ou les ténèbres d'une nuit sans lune.
Juste une prise sur l'extérieur.
Mais jamais rien d'autre que les lumières aux néons crevant les barreaux de sa prison lorsqu'ils venaient le chercher ou le nourrir.
Rien.
Sauf l'attente.
Et toujours le même scénario.
La lumière d'abord, aveuglante et pourtant si faible, courant loin de lui sur le sol de roches et de terre. Puis le bruit d'une clef tournant dans la serrure rouillée et grinçante d'une porte de fer épaisse. Et leurs visages ensuite, incertains, indistincts, qui se glissaient chez lui pour venir le prendre. Des mains fermes et calleuses, rudes, avides de coups et de sang et leurs poignes se refermant violemment sur lui.
Il ne se débattait jamais.
Jamais.
Il avait depuis bien longtemps appris que cela ne servait à rien si ce n'était à souffrir plus.
Il ne lui restait plus que la soumission, les regards baissés, le corps offert aux supplices, aux premiers coups de bâton, aux premiers crachats, aux premières insultes. Et jamais une plainte, jamais une supplique, jamais un geste de défense.
Juste l'attente.
C'est tout ce qu'il était encore. Un animal, une chose ne vivant que de souffrances et de peurs, à jamais incapable de même oser lever son regard.
Et ils l'emportaient.
Il y avait le long corridor, sillonné de lampes pendules qui lâchaient sur lui leurs lueurs vacillantes, le mur de pierres humides et les escaliers, longs et sinueux, s'enfonçant si profondément qu'ils semblaient gagner les enfers.
Ses enfers.
Là où personne d'autre qu'eux ne pourrait entendre ses cris.
Ses hurlements…
… puis son silence.
Ils devaient presque le porter maintenant tant il était faible. De son corps, de ses muscles, il ne restait… plus rien. Juste un squelette, un fantôme d'être de chaires et de sang dont la peau semblait presque à certains endroits coller complètement à ses os. Une peau écorchée, sillonnée, marquée par tant d'instruments et tant de flammes que certaines portions n'étaient plus que cicatrices s'entrecoupant sans fin.
Etrangement, ils n'avaient jamais touché à son visage, pas même effleurer ses pommettes maintenant saillantes, comme pour se rappeler qui ils avaient devant eux. Pour ne jamais avoir à s'apitoyer de son sort. Parce que les marques d'un corps pouvaient être dissimuler, mais pas celles d'un visage. Parce qu'ils savaient qu'ainsi personne ne le prendrait jamais en pitié si on venait à le voir.
Mais jamais quiconque ne venait.
Il n'était même plus sûr que le monde savait encore son nom et même alors, il se moquait probablement de sa condition. Seuls ses gardiens ne l'oubliaient pas, l'entraînant dans les couloirs jusqu'à une autre pièce, une autre chambre. Une chambre de torture où s'alignaient plus d'instruments de souffrances qu'il n'aurait jamais cru en voir. Même la « collection » qu'il avait eu un jour la « chance » d'utilisée faisait piètre figure face à leur arsenal. Pourtant, de tout ce qu'il y avait, il n'avait goûté qu'à peu.
Ils l'enchaînaient d'abord, enfermant ses poignets dans des étaux de fer bardés de pointes qui mutilaient ses chaires et tiraient son corps si haut que ses pieds touchaient à peine le sol, tordant ses muscles. Selon leurs humeurs, il était face ou dos au mur et dans ces cas là, ne recevait pas la même punition, mais les paroles, les accusations, elles, ne changeaient jamais. Pas plus que leur plaisir et leurs rires.
Des rires qu'ils ne parvenaient jamais à effacer, à oublier.
Les paroles, il s'en moquait, il les connaissait par cœur. Elles avaient percé son âme bien avant même qu'ils ne l'aient jamais vu. Ces mots avaient été les siens depuis bien plus longtemps qu'ils ne pouvaient l'imaginer. D'aussi loin qu'il se souvienne, il avait toujours vécu avec.
Depuis ses premiers souvenirs.
La honte de sa naissance.
Les remontrances.
Son sang.
Le sang.
Le sang de tous les gens qu'il avait tués.
Oui, ces accusations, sa culpabilité, il en connaissait chaque écho, chaque résonance, comme autant de fer jouant dans son esprit.
Mais leurs rires, cruels et enjoués, il ne pouvait les supporter, car c'était lui qu'il semblait revoir à travers chacun de leur éclat. Son sadisme, sa faute. Ils les détestaient… il se détestait. Et lorsqu'ils fouettaient son dos jusqu'au sang ou battaient ses flancs jusqu'à presque briser ses os, lorsqu'ils l'enfermaient dans cette cage où il ne pouvait tenir ni debout, ni assis, le rendant presque fou, c'étaient ces sons distordus qui lui faisaient le plus mal. Pourtant… pourtant, il arrivait parfois à les oublier, à les effacer. Et c'est un rire pur et cristallin qu'il entendait alors. Les réminiscences d'un passé, de son passé, de ce visage heureux qui jouait devant son regard sans qu'il puisse le reconnaître, mais qui seul savait le réconforter. Et plus rien ne comptait alors, pas même la douleur, pas même le sang. Il ne criait plus, ne se tordait plus et seul un léger sourire jouait sur son visage.
Pour quelque temps.
Quelques brefs instants… l'oubli…
Un bruit de clef le sortit de ses pensées.
Il tourna la tête du côté de la porte d'où une lumière venait d'apparaître accompagnée de bruit de pas lourds et de jurons ravalés.
Déjà ?
Ce n'était pas possible… pourtant.
Ils venaient le chercher.
Une joie, telle qu'il en ressentait rarement passa en lui.
Ils venaient le chercher !
Enfin, enfin son cauchemar allait se terminer. Ils allaient enfin le tuer. Enfin. Enfin. Enfin !
Il en aurait ri s'il avait encore pu, il en aurait dansé, laissant filer en lui cette paix qu'il avait tant et tant désespéré de trouver.
Ils venaient le chercher.
Il sentit à peine les larmes qui roulaient sur ces joues et baissa instinctivement la tête lorsqu'il entendit le bruit de la serrure ouverte et que la porte commença à tourner lentement dans ses gonds.
Une raie de lumière éclaira une partie de la pièce, ne révélant rien d'autre que le sol nu sur lequel il reposait, bien vite remplacée par une ombre humaine.
Une ?
Il faillit presque relever la tête lorsqu'il comprit qu'il ne s'agissait pas des gardes habituels, mais la force de l'habitude et la peur l'en empêchèrent.
Que… ?
La silhouette avança rapidement vers lui et il se recroquevilla instinctivement, attendant les premiers coups qui ne manqueraient pas d'arriver. Mais au lieu de goûter au cuir et au fer, se furent deux mains ferment qui se posèrent sur lui pour le forcer à se redresser. Il obéit immédiatement, usant de ses maigres forces pour se lever péniblement, forcé de prendre appui contre le mur pour ne pas tomber tant il était faible.
La silhouette poussa un soupire et il baissa un peu plus la tête, exposant ses épaules à une punition qui ne vint jamais.
Il ne comprenait plus. Normalement il aurait déjà du être battu et entraîner hors de sa cellule, c'est ce qu'ils faisaient toujours. A moins qu'ils n'aient trouvé une nouvelle torture.
Il avait beau attendre sa mort, il n'en frémit pas moins à cette pensée et se tassa un peu plus contre le mur.
La personne le lâcha et poussa un nouveau soupire.
_ Je n'arrive pas à croire que je vais dire ça, soupira-t-elle d'une voix grave et rauque qu'il reconnut être celle du gardien principal.
Il sembla hésiter, visiblement dégoûté par ce qui allait se passer ensuite et cracha à terre avant de prendre une petite inspiration.
_ Putain, grogna-t-il. T'as une chance de tous les diables, petite ordure. Tu es libre.
Libre ?
Pour la première fois depuis longtemps, il redressa la tête pour encrer son regard à celui qui lui faisait face, avant de le rabaisser aussitôt. Pourtant les quelques secondes où leurs yeux s'étaient croisés, avaient suffit à lui affirmer qu'il avait dit la vérité.
Libre ?
Non. Ils ne pouvaient pas… ils ne pouvaient pas lui faire ça. Ils ne pouvaient pas… Il ne savait plus ce qu'était vivre. Il ne connaissait plus rien du monde. Il ne savait plus rien de l'extérieur. C'était donc ça leur nouvelle punition ? Lui ôter ses derniers espoirs ? Le laisser vivre dans un univers où il n'avait plus sa place ? Le laisser voir, effleurer ce qu'il ne pourrait jamais avoir ? C'était donc ça ?
Ils ne pouvaient pas !
Pitié…pitié ! Non !
Ils ne pouvaient pas…
_ Nonnn…..
à suivre…
Commentaires ??? Envies de massacres ???
