Seconde chance

Chapitre 4

Mission

   Le voyage en train promettait d'être pénible.

  Apparemment, la BGU ne tenait pas particulièrement à leur bien être puisqu'il n'avait à disposition qu'une petite cabine à peine assez grande pour qu'ils y tiennent à quatre et sans aucun confort.

  Zell fit la grimace en entrant dans le compartiment. Il posa rapidement son sac dans les casiers à disposition et s'assit près de la fenêtre sur le petit siège en bois. On devinait vaguement qu'il y avait du y avoir un coussin, mais celui-ci avait disparu depuis bien longtemps. Il en allait de même pour tous les autres sièges et il appréhendait déjà les douleurs qu'allaient lui causer dix heures de voyage sur les lattes de bois. En plus, l'idée de ne pas pouvoir bouger le rendait malade, mais il n'avait pas le choix. Il se tassa le plus possible quand Seifer entra à sa suite et s'installa en face de lui.

  Le blond fit bien attention à chacun de ses gestes afin de ne pas heurter son compagnon, ce que l'étroitesse du compartiment rendait quasiment infaisable. Il y parvint néanmoins et prit place pour laisser entrer les autres. Lorsqu'il s'assit, ses jambes et celles de Zell s'emmêlèrent totalement, leurs genoux se touchant presque. Il était hors de question de bouger dans ses conditions et Seifer soupira doucement. Ce voyage n'allait pas être des plus agréables. Vraiment pas. Mais au moins Zell était-il avec lui. Il sourit discrètement au blond qui le lui rendit au centuple avant de rougir sans raison.

   Nagi entra à sa suite et s'installa près de Zell avec douceur. La jeune femme, beaucoup plus fine et svelte qu'ils ne l'étaient, n'eut aucun mal à s'installer. Elle se glissa doucement à côté du tatoué et il adressa un délicieux sourire. Seifer fut étonné de constater qu'ils avaient encore suffisamment d'espace entre eux pour qu'ils évitent de se toucher, ce qui, soit dit en passant, n'aurait apparemment pas gêner la jeune femme.

  Yoji entra en dernier et s'installa à côté de Seifer avec pertes et fracas. Le blond reçut plusieurs coups douloureux malgré ses efforts pour se tasser le plus possible contre la vitre, sans que cela ne semble déranger son voisin. D'à peu près le même gabarit que Seifer, il réussit néanmoins à prendre presque toute la place sur la banquette et le blond se retrouva écrasé sans ménagement, alors que je jeune homme prenait ses aises.

  Zell allait furieusement protester lorsque Seifer lui tapota doucement le genou pour attirer son attention et secoua négativement la tête. Le tatoué en resta un instant interloqué, incapable de comprendre pourquoi Seifer semblait si peu en clin à se défendre, mais il respecta son choix. Il savait que le blond faisait son possible pour ne pas s'attirer de problèmes, pour ne tout simplement pas se faire remarquer. Une intervention de sa part aurait forcément provoqué chez Yoji une réaction hostile. Il ne pouvait néanmoins pas s'empêcher de bouillonner de rage devant l'irrespect évident du jeune homme. Les paroles de Seifer lui revinrent alors en mémoire. Etait-il vraiment possible qu'il n'existe pas à leurs yeux ? Qu'il ne soit rien d'autre qu'une présence, qu'une chose qui ne mérite aucune attention ? C'était dur à croire. Zell refusait de penser qu'ils puissent s'abaisser à une réaction aussi abjecte. Ils étaient seulement tombés sur un petit imbécile de plus.

  Le train se mit soudain en marche et ils furent violemment secouer. Seifer dut prendre appui sur le genou de Zell pour ne pas tomber tête la première sur le jeune homme et s'excusa rapidement.

  _ Ce n'est pas grave, répondit le petit blond en cherchant la position la plus confortable possible. A quelle heure devons nous arriver ?

  _ Vingt heures.

  _ Hum… J'espère que le chalet serra plus accueillant, sinon je serais bien obliger de croire que Cid a décidé de se débarrasser de nous.

  Seifer eut une petite moue triste, mais ne répondit pas.

  _ Je savais que j'aurais du prendre mon matériel de survie. Arghhhhhh, mon oreiller me manque déjà.

  Seifer détourna la tête des yeux perçants de malice de Zell et se força à regarder par la fenêtre. Il ne devait pas laisser le jeune homme lui parler. Pas ici, pas maintenant. Il aimait par-dessus tout discuter avec lui, mais pas devant témoins. Même au risque de le blesser. Il ne voulait pas qu'il ait d'ennui. Il connaissait Yoji, ce bâtard ne manquerait pas faire un rapport très complet à Cid et il ne voulait pas que... Pourquoi cet imbécile ne voulait-il donc pas le croire ? Il poussa un soupire et se concentra sur le paysage qui défilait devant ses yeux, repoussant loin de lui la voix de son ami qui l'invitait à la conversation. Il n'existait plus rien d'autre que les étendues boisées qui s'offrait à son regard. Rien d'autre. Rien d'autre.

  Rien d'autre que ses sombres pensées.

  Cela faisait maintenant plus d'un mois que Cid avec accepté de le reprendre à la BGU à son grand étonnement. Mais au fond cela n'aurait pas du être une surprise et comme il l'avait soupçonné le jour où Edéa lui avait dit qu'il était temps de se montrer, rien n'avait été facile depuis lors. Mais il ne l'avait pas espéré autrement. Une fois la nouvelle de son retour annoncé, Cid l'avait fait immédiatement déménager dans l'aile opposée aux appartements de Zell, malgré les protestations de ce dernier, dans une chambre minuscule qui comportait à peine de quoi se loger. Et il y avait bien sûr cet ordre qu'il avait donné et dont son ami ignorait tout. Un ordre qui ne l'avait pas vraiment surpris et même soulagé dans un sens. Personne n'avait le droit de lui parler, personne n'avait le droit de le toucher, personne n'avait le droit de le regarder. Ils devaient faire comme s'il n'avait jamais existé. Un étudiant fantôme, interdit de vivre, interdit de trouver sa place. Il ne savait pas s'il devait entre être heureux ou désespéré. Heureux car il n'avait pas à subir leurs regards haineux, leurs paroles venimeuses, n'avait pas à craindre leur coup. Désespéré, car il avait de plus en plus l'impression de se détacher de la réalité, de réellement ne plus existé et si ce n'avait été la présence de Zell et Djoan, il aurait sûrement depuis longtemps abandonné, se serait depuis longtemps laissé aller… aller à souhaiter mourir une nouvelle fois. Mais il ne pouvait pas. Combien même il le souhaitait parfois, il ne le pouvait pas. L'amour de Djoan et l'amitié de son père l'en empêchait. Bien sûr, il ne leur avait pas vraiment parlé de tout ça, car il craignait ce que Cid pourrait leur faire. Il ne pensait pas qu'il les toucherait jamais, mais il n'en était pas tout à fait sûr, pas après ce qu'il était capable de faire à…

  Il ferma les yeux. Il détestait penser à tout ceci et la Gouvernante lui manquait. Elle avait du partir peu après sa réintégration pour superviser les derniers travaux de l'orphelinat et reprendre en main son fonctionnement, alors que les premiers enfants commençaient déjà à affluer. Elle lui manquait tellement. Depuis son départ sa vie avait oscillé entre joie et désarroi. Chaque moment passé avec Zell et son fils étaient autant d'instants volés en secret dont il gouttait chaque seconde et les longues heures de classes et de solitudes qu'il affrontait chaque jour était autant de plaies se réouvrant. Des plaies qu'il avait cru pouvoir cicatriser. Mais il s'était lourdement trompé et malgré toute l'attention de son ami, il se sentait peu à peu sombrer au nouveau. Il aurait voulu pouvoir lui dire, il aurait voulu pouvoir se reposer encore sur son épaule, mais il n'en avait pas le droit. Le peu qu'il lui avait dit était déjà trop. Il ne ferait que gâcher un peu plus sa vie et il ne voulait pas l'entraîner avec lui, alors il se taisait. Djoan n'avait pas été dupe, mais il avait réussi à lui arracher la promesse de ne rien dire à son père et il l'avait tenu. Mais il s'était aussi fait plus présent à ses côtés, surtout depuis que Zell avait repris ses cours. Il venait souvent passer de longues heures avec lui en attendant que le jeune homme ait terminé et il arrivait alors presque toujours à le convaincre de manger avec eux et même de rester un peu, au moins jusqu'au couvre feu. C'est simple, il était tout simplement incapable de lui résister.

  Pour le reste, la vie s'était déroulé lentement, il avait pu rencontrer à plusieurs reprise Squall et les autres, surtout Quistis qui était l'un de ses professeurs et il lui semblait parfois, alors que leurs regards s'attardaient plus qu'ils ne l'auraient du sur lui, qu'ils voulaient lui parler, mais ils ne le faisaient jamais. Les ordres étaient les ordres. Et même, s'ils l'avaient fait qu'aurait-il pu espérer, des insultes, le mépris… la compréhension ? Il n'en était pas sûr, mais ne préférait pas avoir à le découvrir. Cela ne ferait probablement que rajouter à sa souffrance.

  Il avait donc suivi chaque court en silence, ne demandant jamais rien, ne cherchant jamais à se faire remarquer et il passait maintenant le Seed. Il en avait rêvé depuis qu'il était enfant, mais aujourd'hui, cela n'avait plus tellement d'importance. Il le faisait surtout pour Zell et Djoan. Il avait réussi l'examen écrit avec brio quelques jours plus tôt et il passait maintenant l'épreuve sur le terrain, avec deux autres cadets et Zell comme instructeurs. Comment était-il parvenu à prendre en charge son groupe, il l'ignorait toujours. Une négligence de Cid certainement. De toute façon, il savait qu'il ne l'aurait pas. Il pourrait faire aussi bien qu'il le pouvait, il pouvait être le meilleur, Cid ne lui accorderait jamais. Il le savait. Il se sentait tellement fatigué.

  Il secoua doucement la tête pour évacuer ses pensées et tenta de se concentrer uniquement sur le paysage changeant qui se déroulait devant ses yeux.

  Si seulement il pouvait oublier.

  Zell tenta une dernière fois d'attirer l'attention du blond, mais celui-ci ne sembla même pas l'entendre. Il se sentit profondément blessé. Il ne comprenait plus. Ses dernières semaines avaient été plutôt riches en confidences et en longues discussions et voilà qu'il se fermait à nouveau comme une huître, l'ignorant totalement et consciencieusement. Tout ça n'était-il donc qu'un jeu pour lui ? Un simple jeu dont il pouvait se retirer à tout moment ? Non, bien sûr que non, mais il ne comprenait plus. Il regarda intensément le blond. Il pouvait voir le reflet de ses yeux dans la glace. Toujours le même regard perdu et triste. Toujours cette même souffrance. Mais, s'il avait cru pendant un temps qu'elle commençait à s'atténuer, il lui semblait maintenant qu'elle se faisait chaque jour plus forte et il ne savait pas pourquoi. Seifer refusait de lui parler. Il avait pourtant réussi à l'amener tout doucement à lui confier certaines des tortures qu'il avait subit, allégeant quelque peu son fardeau, mais cette porte qu'il avait ouverte se refermait maintenant sans qu'il ne sache comment l'empêcher. Il se sentait perdu. Perdu et impuissant et il détestait ça. Il avait tellement envie de le secouer parfois, de lui faire comprendre qu'il était son ami, qu'il était là pour lui, mais il savait que cela ne ferait qu'empirer les choses. Si seulement il avait la moitié des capacités de son fils. Si seulement il savait comment l'aider. Il se sentait inutile. Inutile et malheureux.

  Il soupira doucement.

  Du bout des doigts, il toucha la cuisse de Seifer qui sursauta à ce contact. Lorsqu'il regarda Zell, ses yeux avaient pris une expression froide et distance, voir légèrement condescendante et le tatoué ne put s'empêcher de frémir. Seifer se tassa le plus possible au fond de son siège, ramenant ses jambes au plus près de lui pour éviter tout contact trop prolonger avec Zell, puis retourna à sa contemplation du paysage. Zell laissa alors échapper un nouveau soupire mêlé de frustration et d'énervement, mais décida de ne rien faire. De toute façon, il n'aurait pas su comment agir. Il prit donc sur lui et sortit de la poche de son blouson le recueil de poèmes que Seifer lui avait offert pour son anniversaire une semaine plus tôt, pour en poursuivre la lecture. Il ne put malheureusement pas se plonger dedans comme il aurait voulu, car Nagi choisit justement ce moment pour essayer d'entamer la discussion. La jeune femme lui était sympathique et il ne voulait pas la vexer. Il referma donc son livre et, lui adressant un sourire poli, tenta de s'intéresser à sa conversation… des plus plates.

  Il l'écouta d'une oreille distraite, alors qu'une seule phrase revenait constamment à son esprit. « Seifer, baka ! Baka ! Baka ! »

***

  Lorsque le train s'arrêta enfin en gare de Korn, Zell était à deux doigts de craquer. Il ne sentait plus ses muscles tant ils étaient ankylosés et son arrière train lui faisait un mal de chien. Il se leva d'un bond, laissant échapper une grimace douloureuse et jaillit hors de la cabine pour s'étirer comme un chat. La sensation était si merveilleuse qu'il en oublia un instant les tracas du voyage et ceux à venir. Ses compagnons l'imitèrent presque aussitôt et ils descendirent rapidement du train, leurs maigres bagages en main. Ils n'eurent pas tôt fait de poser pied à terre qu'une bourrasque glaciale vint leur lécher le corps. La nuit était tombée depuis longtemps et malgré leurs épais vêtements, ils sentaient la morsure du froid s'insinuer doucement en eux. Ils gagnèrent rapidement le hall de la gare, pour au moins échapper au vent et Zell les abandonna un instant pour aller chercher les renseignements nécessaires.

  Ils revint rapidement clefs de voiture et de chalet en main et avec une très, très désagréable impression. Le regard résigné et désolé de leur contact, lorsqu'il lui avait remis leur ordre de mission, l'avait glacé plus sûrement que le vent qui venait frapper violemment les murs de la gare. Il avait prouvé sans aucun doute possible que toutes les rumeurs qui courraient à propos de cette épreuve, étaient fondées. Il regarda un instant sa petite équipe et pria pour qu'il puisse la ramener saine et sauve à la BGU. Mais étrangement, il sentit que sa prière sonnait dans le vide et il frémit.

  Ils firent route jusqu'au chalet dans le silence le plus total. La dureté du climat et la promesse d'une mission difficile avaient refroidit les plus bavards d'entre eux. Il commença à neiger à mi parcourt et il leur fallut presque deux heures pour atteindre le refuge. Lorsqu'ils y arrivèrent enfin, Zell fut un instant persuader qu'ils s'étaient trompés. La maison de bois semblait si branlante qu'on se demandait comment elle ne s'était pas encore écroulée sous les assauts furieux du vent. Pourtant, ils étaient bel et bien au bon endroit.

  Zell soupira et s'apprêta à sortir de la voiture pour aller ouvrir le chalet, mais Seifer le devança et, saisissant la clef posée sur le tableau de bord d'un geste habile, il se lança sous la neige. Il eut énormément de mal à ouvrir la porte dont la serrure était partiellement gelée, au point qu'il dut presque la défoncer. Il avança ensuite à tâtons jusqu'à la petite table qui trônait au milieu de la pièce et alluma rapidement la lampe à pétrole placée dessus. Une faible lumière se diffusa rapidement, éclairant un mobilier restreint et poussiéreux.

  Les autres le rejoignirent presque aussitôt, refermant la porte derrière eux et alors qu'ils visitaient le reste de la maison, Seifer essaya d'allumer un feu dans la vieille cheminée en pierres noircies. Malheureusement, le bois était beaucoup trop humide et il était impossible de le faire prendre. Il jura entre ses dents. Foutu temps ! Foutue mission ! Foutu vie !

  Zell revint seul dans la pièce principale.

  _ Il n'y a que trois chambres, dit-il platement. Nagi et Yoji ont déjà pris les deux à lit unique. Il nous reste la chambre avec lit double.

  Seifer se contenta d'acquiescer silencieusement et Zell eut une nouvelle fois la furieuse envie de le secouer. Il commençait à être fatiguer de son manège. Merde ! Comme s'ils n'avaient pas assez de problèmes comme ça ! Il prit une grande inspiration pour se calmer et demanda de sa voix froide et autoritaire de chef :

  _ Et le feu.

  Le blond détourna les yeux pour ne pas montrer à quel point le ton employé le blessait, après tout, c'était ça faute et il se contenta de dire :

  _ Il ne prendra jamais. Le bois ne pas assez sec.

  _ Et merde, il fait froid à crever et on ne peut même pas se chauffer. Heureusement qu'il y a au moins des couvertures. Je vais prévenir les autres. Nous ferions mieux de nous coucher, la journée va être longue.

  Il quitta la pièce sans même attendre une quelconque réponse et Seifer resta un moment seul devant la cheminée. Il se mordit nerveusement la lèvre inférieure, presque jusqu'au sang. Zell ne comprenait pas et ça lui faisait mal. Mal parce qu'il était en train de perdre son seul ami, mal parce qu'il ne pouvait rien faire pour l'empêcher. Il en aurait presque pleuré. Il maudit Cid plus furieusement qu'il ne l'avait jamais fait et se retint difficilement de tout fracassé.

  Au lieu de quoi, il se contenta de serrer le poing jusqu'à ce que ses ongles déchirent douloureusement sa paume et que la souffrance, même furtive chasse une partie de sa colère. Cela ne servait à rien. Et il ne pouvait pas vraiment en vouloir à Cid. Comment le pourrait-il ? Comment ?

  Il se redressa finalement et gagna la chambre d'un pas lent. Zell n'y était pas encore et Seifer en profita pour se bander rapidement la main, avant de se coucher côté mur et de se rouler en boule sous les couvertures après avoir ôté ses chaussures. Le lit était froid, presque plus que l'air, malgré les épaisses couvertures qui le recouvraient et il se demanda s'il serait jamais capable de se réchauffer. Il se recroquevilla un peu plus sur lui-même et bénit son trench-coat d'être aussi chaud.

  Cinq minutes passèrent et il commença à somnoler lorsque Zell le rejoignit. Soudain parfaitement réveillé, il garda néanmoins les yeux fermés quand il sentit un nouveau poids peser sur le lit. Zell bougea un peu, probablement pour ôter ses chaussures, puis plus rien. Le silence retomba sur la pièce et sur la maison tout entière.

  _ Seifer ?

  A peine plus qu'un murmure. Le blond se força à ne pas bouger, à garder sa respiration normale, imitation du parfait dormeur. Il voulait lui parler, s'excuser, mais il ne le pouvait pas. Pas avec les autres si proches et des murs à peine plus épais que du papier à cigarette.

  Il entendit Zell soupirer et le jeune homme s'allongea à ses côtés. Encore quelques minutes passèrent et il sentit le trembler. Le fait de pas bouger amplifiait la sensation de froid. Sans même réfléchir, Seifer se redressa soudain, ôta son trench-coat et le glissa sous les couvertures sur la boule près de lui. Zell sentit la main de Seifer l'effleurer avant d'être recouvert par le tissu chaud et épais. Il devina tout de suite de quoi il s'agissait et se retourna juste à temps pour voir le jeune homme se remettre sous les couvertures. Il ne put s'empêcher de sourire, toute colère évanouie.

  _ Tu vas avoir froid, souffla-t-il doucement.

  _ Ce…

  Seifer hésita un court instant.

  _ Ce n'est pas grave, finit-il par chuchoter.

  Zell savait qu'il ne pourrait pas le convaincre de reprendre son manteau, aussi fit-il la seule chose logique qui lui vint à l'esprit. Doucement, il se glissa juste à côté du blond comme il l'avait si souvent les premières semaines et cala son torse contre son dos pour partager avec lui chaleur du tissu et chaleur corporelle. Seifer sursauta au contact et se retourna pour se retrouver littéralement nez à nez avec le tatoué. Il ouvrit la bouche pour dire quelque chose, mais des doigts timides l'en empêchèrent.

  _ Bonne nuit, souffla simplement Zell avant de se caser contre le torse offert.

  Seifer ne bougea pas et fut incapable de respirer pendant quelques secondes. Puis, il finit par se détendre alors que le souffle chaud et régulier de Zell lui effleurait doucement la base du cou. Il dormait déjà et, bien que l'obscurité soit presque totale, il pouvait presque deviner un sourire de satisfaction sur ses lèvres. Prenant bien garde de ne pas le réveiller, Seifer s'installa confortablement contre lui et se laissa rapidement gagner par le sommeil.

***

  Il se réveilla doucement. Un rayon de soleil coulait sur sa peau pour le tirer d'un sommeil dont il ne voulait pas sortir. Il était tellement bien qu'il aurait pu rester ainsi toute sa vie. C'était chaud, confortable, agréable, ça sentait bon et ça lui caressait tendrement la joue…

  Hein ????

  Zell ouvrit brusquement les yeux et tourna vivement la tête. La main qui touchait encore sa peau la seconde d'avant s'évanouit soudain et il fixa le regard mortifié de Seifer. Il était confortablement installé contre le corps du blond dont un des bras était passé inconsciemment autour de sa taille.

  _ Désolé, grimaça son compagnon.

  Il vira légèrement au rouge au grand amusement de Zell.

  Il est mignon quand il est géné.

  _ Ca ne me dérangeait pas. Tu peux continuer. 

  Cette fois-ci Seifer atteint des nuances carmines insoupçonnées et Zell aussi lorsqu'il réalisa ce qu'il venait de dire.

  Non, je l'ai pas dit ! C'est pas possible, j'ai pas osé !

  _ Hum… C'est… euh… enfin… je… comment dire…, bégaya Seifer,  j'aitoujoursbienaimétontatouage.

  Zell sauta sur l'excuse que le blond lui fournissait, plus avidement qu'une meute de chien sur un os.

  _ C'est ce que j'avais compris.

  Pas une seule seconde !

  La main autour de sa taille se dégagea soudain et Seifer s'écarta de lui. Le froid le pénétra à nouveau et il frémit.

  Non, reviens ! Hurla-t-il mentalement avant de se reprendre. M'enfin qu'est-ce qui me prend ???? Ca va pas ! C'est Seifer nom d'un chien. Mon ami ! Juste mon ami. Perdu, blessé, affectivement fragile.

  Peut-être, mais son contact lui manquait, comme il lui avait manqué pendant les longues semaines qui avaient suivi son déménagement. Il avait pris l'habitude de dormir avec une présence à ses côtés et, même s'il avait retrouvé un rythme de sommeil normal, la présence du blond lui avait manqué. Le lit lui avait soudain semblé morne et vide et les nuits bien trop calme.

  Il grimaça à l'ironie de ses pensées et à leur cheminement étrange. Il savait parfaitement ce qu'il tentait en vain d'ignorer, ce qui le chiffonnait depuis quelques semaines. Il était en train de tomber pour Seifer. Cela aurait pu ne pas le déranger, connaissant sa nature bisexuelle, si ce n'était qu'il ne voulait surtout pas perdre le jeune homme, encore trop fragile. Il ne devait pas se laisser aller à ses sentiments, il lui fallait les oublier. Seifer était et resterait uniquement son ami. Cela valait pour l'un comme pour l'autre. Il ne voulait pas le faire plus souffrir et il ne voulait pas faire souffrir Djoan.

   Je dois me concentrer sur la mission. Il n'y a que la mission qui est importante. La mission ! Rien d'autre !

  Il dut se répéter la phrase plusieurs fois pour qu'elle sonne un peu moins creux. Il commençait tout juste à se convaincre quand son regard tomba sur celui de Seifer. Il en oublia la phrase, il en oublia la mission et il se précipita dans la salle de bain pour prendre une douche glaciale. Pour peu qu'il y en ait une dans cet endroit.

***

  Seifer ne se sentait pas beaucoup mieux. Il n'avait même pas pris conscience de ce qu'il faisait avant que Zell ne se réveille. Cela lui était venu tout naturellement. Il ne s'était même pas poser de questions. Mais maintenant…

  Seifer, mon grand, tu viens de te mettre dans de beaux draps.

  Mais quelle idée avait-il eu ! Pourquoi ça, pourquoi maintenant ? Sa vie n'était pas assez compliquée et terrifiante. Il n'avait pas assez de sa souffrance et de celles des autres, il fallait qu'il en rajoute

  Il soupira.

  Pourquoi est-ce que j'ai fait ça ?

  La réponse lui vint tout naturellement.

  Parce que j'en avais envie !

  Oui, je sais ! Mais bordel, je n'ai aucune envie qu'il me jète. Pourtant, il a dit…Non je me fais des idées. Rien que des idées. Il m'aime comme un ami, un bon ami peut-être, mais juste un ami. Et il a raison, je ne peux être rien d'autre. Je devrais déjà être heureux qu'il m'accorde juste un peu d'attention. Mais regarde-toi dans un miroir mon pauvre. Tu n'es qu'un monstre aussi bien physiquement que mentalement. Juste un monstre qui ne mérite rien de tout ce qu'il t'a offert jusqu'à maintenant.

  Par réflexe, il caressa doucement les cicatrices qui couvraient ses avant-bras, laissant courir sous la peau de ses doigts leurs vallonnements.

  Juste un monstre.

  Pourquoi ? Pourquoi ça ? Pourquoi maintenant ? Il était idiot, pervers et dégoûtant. Hyne, quel imbécile, il faisait. Un petit rire ironique et fatigué lui échappa et pour la première fois, il en vint à souhaiter que Zell ne l'ait jamais trouvé. Il serait probablement mort à présent et tout serait pour le mieux, alors que maintenant, il n'avait même plus le droit d'espérer se voir offrir cette délivrance.

  Pour Djoan, pour Edéa, peut-être même pour Zell, s'il ne le détestait pas maintenant.

  Hyne tellement fatigué.

  Se battant contre les larmes qui menaçaient de couler et qu'il était épuisé de verser, il se recoucha et se roula en boule, face au mur. Il attendit silencieusement de longues minutes que Zell sorte de la salle de bain. Il ne se retourna pas lorsqu'il entendit la porte s'ouvrir et le jeune homme bougé dans la pièce. Il s'immobilisa un instant près du lit et sembla sur le point de parler mais du se raviser, car il l'entendit ensuite ouvrir la porte de la chambre pour la refermer aussitôt. Il patienta encore de longs instants alors avant de finalement se lever, se redonnant un minimum de contenance et se forçant de tout oublier.

  Il aurait des choses bien plus importantes à penser aujourd'hui, comme survivre.

***

  Une fois pris leur petit déjeuner dans des conditions plus où moins acceptables, il n'avait pas pu faire de feu, mais il avait néanmoins réussit à faire chauffer un peu d'eau grâce à la lampe à pétrole, Zell leur exposa leur mission. Il n'arrêtait pas de bouger, marchant de long en large dans la pièce, ce qui était habituel chez lui, mais qui relevait surtout ce jour là d'un besoin fondamental de se réchauffer. Le froid était à peine moins mordant que la nuit précédente et ils s'étaient tous soigneusement emmitouflés dans leurs épais vêtements.

  _ D'après plusieurs rapport un groupe de Gouldes terrorise la région et a déjà causé la mort de plusieurs dizaines de personnes, essentiellement des enfants.

  Seifer grinça des dents alors que Yoji le dévisageait avec de gros yeux.

  _ Des Gouldes ? Qu'est ce que c'est ?

  Zell lui lança un regard furieux, se demandant visiblement comment il avait pu être autorisé à passer le Seed. Ce matin, il n'était vraiment pas d'humeur à supporter les crétins. Yoji du le sentir car il baissa la tête, honteux.

  _ On se demande ce que tu foutais pendant les heures de cours, toi, grogna-t-il. Nagi, explique à l'ignare de service.

  La jeune femme lui adressa un petit sourire, alors que Yoji serrait les poings de rage. Si Zell n'avait pas eu une telle réputation, après tout il n'était rien de moins qu'un des sauveurs du monde, Seifer ne doutait pas un seul instant qu'il lui aurait sauté dessus.

  _ Les Gouldes sont d'imposantes créatures à la force titanesque, quadrupèdes de plus de un mètre cinquante de haut au jarret, au pelage noir et luisant et à la gueule parée de crocs plus acérés que la lame d'un poignard. On dit que lorsqu'ils tiennent une proie, ils ne la lâchent jamais, même après leur mort. Leur mâchoire est capable d'exercer une pression de plus de cinq cent kilos au centimètre carré et ils ont une longue queue redoutablement efficace capable de vous briser les os d'un seul coup. Ce sont de parfaits tueurs.

  _ Bien, voilà quelqu'un qui connaît ses leçons. Nous avons pour mission de les éliminer. Le groupe n'est pas très important, d'après nos sources il y aurait tout juste sept individus, mais ça ne serra pas une partie de plaisir pour autant. Il va falloir les pister et les tuer. Nous partons dans cinq minutes, avec un peu de chance nous pourrons quitter cet enfer dès ce soir.

***

  Ils leur fallut presque une demi-journée pour repérer la meute. Elle avait installé sa tanière près de la rivière, très en amont des premiers villages, en plein cœur de la forêt. Il était assez étonnant qu'elle descende aussi bas dans la vallée pour chercher ses proies, mais la rudesse des hivers dans la région en était probablement l'explication. A cette époque, presque plus aucun être vivant ne devait vivre par ici et les hommes étaient une proie facile, surtout les enfants.

  Ils eurent beaucoup de mal à progresser dans cette partie de la montagne couverte au sol d'une épaisse couche de neige d'où perçait une végétation de ronces et d'orties mêlées qui, même par ces températures, semblaient parfaitement résister. Un avatar de la nature.

  Ils étaient tombés un peu par hasard sur la troupe et avait bien failli se faire repérer. Seul le sens de l'observation et du pistage hyper développé de Seifer leur avait sauvé la vie. Il avait découvert leur présence juste à temps pour qu'ils ne tombent pas nez à nez avec eux et ne se fasse pas déchiqueter avant même de réaliser ce qui s'était passé. La petit groupe s'était alors finalement trouvé un poste d'observation un peu plus haut dans un bosquet d'arbres, évitant soigneusement de se trouver dans le sens du vent. Il était question de les attaquer par surprise, pas se faire surprendre bêtement.

  Trois Gouldes, apparemment des mâles, gardaient l'entrée de la tanière rouler en boule dans la neige et les yeux aux aguets. Chaque frémissement, chaque clapotis était finement analysé pour écarter tout danger.

  Zell souligna mentalement que Nagi avait oublié de parler de leur intelligence trop bien développée pour de simples animaux. Ils étaient capables dans une certaine mesure, d'analyse et de réflexion. Ils ne refaisaient jamais deux fois la même erreur et progressaient grâce à celle qu'ils commettaient. Ils n'atteignaient tout de fois pas l'intelligence humaine. Quoique, pensa Zell, cela dépendait de qui était en cause.

  Un des Gouldes se leva soudain pour libérer l'entrée de la tanière et une femelle sortie accompagnée d'un autre mâle et de deux jeunes.

  Toute la petite famille était au complet. Ils allaient pouvoir attaquer.

  Normalement tout aurait du bien se passer, ils avaient un plan parfait, suffisamment de G-Forces puissantes pour s'en sortir et deux combattants hors paire.

  Mais voilà, si quelque chose doit mal tourner dans ces moments-là, elle tournera mal et c'est ce qui ne manqua pas d'arriver.

  Ils s'étaient séparé pour les encercler et devaient progresser lentement afin de provoquer une attaque simultanée de chaque côté pour les déstabiliser. Seulement voilà, Yoji n'était pas à la hauteur. Il ne l'avait jamais été et alors même que Zell allait donner l'ordre d'attaquer, il fit la seule chose qu'il n'aurait jamais du faire. Il s'enfuit en courant.

  Le bruit de sa course effrénée attira aussitôt l'attention des Gouldes qui attaquèrent. L'un des mâles se lança à la poursuite de Yoji et fut sur lui en quelques foulées puissantes. Leur vélocité prit tout le groupe par surprise. Ils ne s'étaient pas imaginés qu'ils pouvaient développer une telle puissance. Le jeune homme poussa un hurlement déchirant alors qu'une gueule bardée de crocs se planta à la base de sa nuque et lui déchira les chaires, broyant ses os. Il fut retourné d'un mouvement vif et Zell eut le temps de le voir se faire éviscérer vivant avant qu'un Goulde ne se jète sur lui. Il parvint à dévier l'attaque de l'animal, mais n'évita pas son coup de queue qui le cueillit au torse et l'envoya valser plusieurs mètres plus loin. Il sentit une violente douleur éclater dans sa poitrine et fut à deux doigts de perdre connaissance lorsqu'il percuta le sol. Il entendit au loin le cri désespéré de Nagi et celui beaucoup plus calme de Seifer tout proche, puis se fut un profond grondement alors que la bête se jetait sur lui. Il était incapable de faire un seul geste, terrassée par la souffrance et il vit sa mort se refléter dans les yeux pourpres de l'animal lorsqu'il s'élança, crocs en avant, sur sa gorge dénudée. Mais elle n'arriva jamais, si ce n'est à travers un flot de sang bouillonnant qui se déversa sur lui alors que la tête décapitée de la bête roulait quelques mètres plus loin, la gueule encore claquante.

  Il vit Seifer s'accroupir à ses côtés, tous les sens aux aguets.

  _ Je n'ai jamais été aussi heureux de te voir, dit-il entre deux grimaces, le souffle court et rauque. Je n'aurais jamais cru dire ça un jour, mais la BGU me manque terriblement. Je veux revoir Djoan.

  Une nouvelle grimace ponctua la fin de sa phrase, alors qu'il serait le poing, respiration bloquée en attendant que la nouvelle vague de souffrance passe. L'ex-chevalier lui jeta un rapide coup d'œil et lui adressa un début de sourire qu'il voulait apaisant. Mais c'est la peur qui faisait réagir chaque fibre de son corps, la peur de le perdre. La peur de devoir annoncer la nouvelle à Djoan. Comment pourrait-il seulement faire face au petit garçon s'il devait lui dire que… ? Comment pourrait-il seulement continuer ?

  _ Je te promets que tu le tiendras bientôt dans tes bras, souffla-t-il doucement. Tu peux te lever ?

  _ Je ne sais pas.

  Zell tenta de se redresser, mais une violente douleur l'élança immédiatement et il s'effondra, ravalant difficilement le hurlement qui lui broyait la gorge. Toussant violemment, il cracha une gerbe de sang qui teinta de pourpre la neige à ses côtés.

  _ Merde, j'ai du me percer un poumon.

  Sa voix était à peine plus qu'un murmure.

  Seifer, le cœur au bord des lèvres, chercha rapidement quelque chose dans l'une de ses poches et posa doucement une main sur sa poitrine.

  _ Soin max !

  Une partie de la souffrance s'envola aussitôt pour laisser place à un engourdissement. Il se sentait mieux, mais n'était pas encore capable de marcher seul. Son aîné poussa un petit soupire de soulagement en voyant sa respiration se faire plus profonde et en sentant son pouls devenir plus fort.

  _ J'en ai tué deux, ainsi que les louveteaux et j'ai lancé Nosfératu à l'attaque d'un autre, souffla-t-il finalement en l'aidant à se redresser en position assise.

  _ Et Nagi ?

  _ Elle en a tué un, mais…

  Il n'eut pas besoin de finir sa phrase. Zell venait de perdre la moitié de son équipe. Il sentit des larmes de frustration et de tristesse envahirent ses yeux, mais refusa de se laisser aller. Ils étaient encore en vie et avaient peut-être une petite chance de s'en sortir.

  _ Tu n'as pas d'autres soins ?

  Seifer secoua la tête.

  _ Non, malheureusement, c'est Nagi qui les avait tous, je n'en avais pris un que pour le cas ou.

  _ Tu as toujours été prévoyant.

  Il grimaça soudain, alors que Seifer l'aidait à se relever.

  _ Je suis désolé, mais nous devons filer d'ici en vitesse. Il en reste au moins un et j'aimerais mieux éviter qu'il nous repère.

  _ Comment ? Croassa Zell. Je suis un poids pour toi, si nous essayons de regagner notre refuge à pieds, ils vont tout de suite nous tomber dessus, nous serrons trop bruyant. Tu devrais me laisser.

  _ Et toi tu devrais arrêter de dire des bêtises, rétorqua Seifer. Laisse-moi réfléchir cinq minutes veux-tu.

  _ Dans cinq minutes nous serons morts.

  _ Zell…

  Il lui vint soudain une idée. C'était totalement fou, surtout par ce froid, mais c'est la seule qui solution qui s'offrait à eux. D'autant qu'il avait repéré en venant une souche qui ferait parfaitement l'affaire, au moins pour son compagnon.

  _ Je sais. Accroche-toi à moi.

  Il prit Zell dans ses bras à la grande surprise de ce dernier et, se faisant le plus petit possible, avança doucement en direction de la tanière. Le tatoué ravala le cri de protestation qui lui montait aux lèvres, surtout lorsqu'il repéra à quelques mètres d'eux un Goulde en train de se faire un gueuleton d'un de ses compagnons.

  Avait-il vraiment parlé de début d'intelligence ?

  Seifer sut se faire plus silencieux qu'un chat et passa près de lui sans qu'il ne le remarque. Ils ne virent aucune trace du deuxième monstre, probablement bien trop occupé avec Nosfératu et arrivèrent sans encombre aux bords de la rivière.

  _ Et maintenant ? Demanda Zell.

  _ On rentre en bateau, s'efforça de sourire l'ex chevalier.

  Le blond lui fit des yeux comme des soucoupes, alors que Seifer renversait la souche qu'il avait repérée et posait le corps de son ami dessus. Pas de doute, elle était faite pour lui. Il ôta rapidement son trench-coat et le glissa sur le corps de Zell pour le protéger.

  _ Et… Et toi ?

  _ Je serais le navigateur.

  _ Ca va pas, l'eau doit être gelée !

  Zell se rendit compte trop tard qu'il avait crié, alors qu'un grognement mauvais se faisait entendre tout prêt d'eux.

  _ Je crois qu'on a plus le choix, murmura presque gaiement Seifer en lançant l'embarcation de fortune à l'eau et se jetant à sa suite.

  Sa respiration se coupa au moment même où son corps entra en contact avec le liquide glacé et il dut se faire violence pour se forcer à respirer. Des centaines de souvenirs refirent surface à cet instant, poigne glaciale d'une petite cellule obscure, morsure du froid pénétrant de ses murs, de son sol, qu'il s'efforça de repousser. Pourtant il ne pouvait ignorer cette sensation qu'il connaissait parfaitement et laissa s'échapper un petit sourire ironique.

  Il semblait à jamais condamné à vivre dans le passé.

  Après avoir saisit les bords de la souche pour la maintenir la plus droite possible, il se laissa filer avec le courant sans un regard en arrière. Il n'avait plus qu'une pensée, lutté, resté éveillé et maintenir l'embarcation. Oublié le froid, oublié l'engourdissement qu'il sentait rapidement le gagner. Tenir. Juste tenir.

  Il se demanda distraitement à quelque température était l'eau, deux, trois degrés peut-être. Probablement pas plus.

  Sa morsure glaciale semblait pénétrer la moindre partie de son corps et il avait de plus en plus de mal, alors que le temps passait, à rester conscient. Il se sentait comme anesthésié et il avait tellement envie de dormir, mais il fallait absolument qu'ils mettent le plus de distance entre eux et les derniers Gouldes. Il tint bon près de vingt minutes avant de détourner de son mieux la souche jusqu'au bord et de sortir de l'eau.

  Il fut tenter un court instant de se laisser seulement tomber au sol et de ne plus bouger et l'aurait certainement fait, s'il n'y avait pas eu Zell. Mais voilà, son compagnon avait besoins de soin et il ne pouvait pas l'abandonner. Il frissonna violemment et fut tenter un instant d'ôter ses vêtements mouiller, mais il savait qu'il en aurait besoins tôt au tard et n'en fit rien. Il mordit alors ses lèvres déjà bleues, jusqu'au sang pour tenter de se réveiller et se traîna  péniblement jusqu'à l'embarcation.

  Le blond était inconscient et Seifer fut incapable de dire s'il ne faisait que dormir ou s'il était tombé dans une sorte de coma. Il observa un instant le visage étrangement serein du jeune homme et lui caressa doucement la joue.

  _ On rentre à la maison, je te le promets, souffla-t-il doucement.

  Puisant dans ses dernières forces, il prit le corps de Zell dans ses bras et, suivant la rivière, prit la direction de la ville.

***

  Le retour ne fut pour lui qu'une succession d'images floues et sans fin. De la végétation, encore et toujours, à n'en plus finir.

  Marron. Vert. Marron.

  Sur fond blanc.

  Et parfois un peu de bleu lorsque son regard glissait sur la rivière.

  Il avait si froid.

  Mon dieu si froid !

  C'est à peine s'il sentait encore son corps. Il lui semblait qu'il ne lui appartenait, il se sentait tellement détaché et délirant. Une sensation étrangement familière et bienvenue, porteuse d'un espoir étrange qu'il n'arrivait pas à expliquer. Tout ce qu'il savait, c'est que c'était mieux ainsi. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il devait rentrer à la maison. Il devait regagner la BGU. La BGU.

  Zell voulait rentrer à la BGU.

  Avancer. Le ramener et après… la délivrance, enfin. Celle tant espérer. Celle qu'il attendait depuis de si longues années. Ils l'avaient encore oublié. Ils essayeraient de le sauver, mais cette fois, ce serait trop tard.

  Trop tard.

  Il le savait.

  Perdu dans les méandres de son délire, tenant à peine encore debout, n'avançant que par une volonté inconsciente de sauver Zell, il finit par rejoindre la ville. Lorsqu'il arriva à la gare, la nuit était tombée depuis longtemps. Plusieurs heures, mais il ne s'en rendit pas compte. Il n'eut même pas conscience d'avoir parler à leur contact avant de rejoindre le train qui attendait en gare. Il s'installa dans une des cabines, beaucoup plus confortable que la première, allongeant son compagnon sur une des banquets et le recouvrant d'une couverture avant de s'effondrer sur celle d'en face.

  La première ?

  Il ne s'en souvenait pas. Que…

  Ca n'avait de toute façon pas d'importance tant qu'il rentrait à la maison et que tout se terminait enfin.

  Il eut vaguement conscience du train qui démarrait et d'une vague présence dans la cabine avec eux, mais le reste se perdit dans le brouillard.

***

  Il avait chaud.

  Si chaud.

  Sa peau le brûlait.

  Si soif.

  Son corps le brûlait.

  Si chaud.

  Tout son être le brûlait.

  Il sentit plus au moins le train s'arrêter et ouvrit un regard épuisé lorsqu'un groupe se rua à l'intérieur de la cabine. C'était étrange, leurs visages lui semblaient familiers.

  Il les vit s'activer autour de Zell et parler, mais il ne comprit aucun des mots qu'ils prononcèrent. Une personne, non deux firent mine de s'occuper de lui, mais elles s'écartèrent soudain, sans même l'avoir touché. Puis il les vit soulever le corps du blond pour l'emmener loin de lui.

  Mais ça n'avait pas d'importance, il était à la maison. Donc Zell devait être content.

  Pourquoi diable faisait-il si chaud ?

  Et pourquoi se sentait-il aussi cotonneux.

  Ah oui, il se souvenait maintenant. Ils l'avaient oublié.

  Une toux violente et douloureuse lui coupa le souffle pendant quelques secondes et il eut du mal à récupérer sa respiration. Elle sembla lui prendre ses quelques forces et durant un instant, il ne put que trembler de manière incontrôlable. Puis, il se leva sans trop savoir comment, ramassa maladroitement son trench-coat tombé à terre et sortit à son tour.

  Lui aussi était de retour chez lui et il n'avait qu'une envie. Dormir. Enfin.

A suivre…