Le Papillon
Chapitre II : La Descente Aux Enfers



Auteur : Lojie

Disclaimer : Tous les personnages sont la propriété de la WB, d'Amblin et de Michael Crichton sauf Andréa Malucci, Roberto et Louisa Luìs ainsi que le fœtus.

Note de l'auteur : Et c'est parti pour le deuxième chapitre pour lequel je n'ai eu aucun problème d'inspiration même si desfois j'ai eu du mal à faire concorder certains faits ;o) Mais je crois m'en être pas trop mal sortie ! Ce sera à vous d'en juger et j'espère que vous prenez autant de plaisir à lire cette fic que moi à l'écrire. Excusez mes connaissances médicales car justement je n'en ai point donc je raconte forcément pas mal de conneries ;o) Ce chapitre est assez noir (cf titre du chapitre) mais après ça va aller mieux vous verrez :o)



*** *** ***



La lune éclairait faiblement la rue à travers les flocons de neige. Les rejets de gaz des voitures provoquaient un continuel nuage de pollution qui rendait encore plus triste la ville, et un bruit sourd vous chatouillait les oreilles sans répit. Jing-Mei poussa la porte du Doc Magoo enfumé par la chaleur humaine et la cigarette. Elle avait une coupure d'une heure, juste assez pour prévenir Dave que son père se trouvait à l'hôpital au seuil de la mort. Il lui fallait de la caféine à tout prix et elle se faufila à travers le petit bar bondé vers le comptoir. Elle commanda aussitôt un café noir serré quand elle entendit quelqu'un qui l'appelait :

" _Jing-Mei ! "

Elle se retourna vers la direction d'où venait la voix, et aperçut John attablé près d'une fenêtre en compagnie d'Abby. Jing-Mei avait remarqué qu'ils se trouvaient souvent ensemble ces derniers temps, et elle savait aussi par les infirmières que le couple Abby-Luka battait de l'aile. Mais chassant rapidement ces commérages de son esprit, la docteur prit avec précaution sa tasse et sa soucoupe et vint rejoindre le couple. Ils l'accueillirent avec joie et John l'aida à se débarrasser de son manteau et de son écharpe.

" _Tu as l'air crevé, " remarqua Abby soucieuse en sirotant sa tasse de thé au citron. " Tu devrais prendre un peu de repos tu sais. Tu vas te tuer à la tâche si tu continues ainsi. "

" _Je sais, " répondit Jing-Mei un peu essoufflée. " Mais ça passera. " Elle savait que c'était sa grossesse qui la fatiguait ainsi mais ni John ni Abby n'étaient au courant elle préférait que cela reste ainsi. Même si John avait été d'une grande aide pour sa première grossesse, Jing-Mei se sentait à présent bizarrement gênée de se confier à lui. " Malheureusement pour le moment j'ai pas mal de préoccupations. Et surtout une… "

" _Laquelle ? " Demanda John déjà prêt à proposer son aide alors qu'il finissait d'un trait son déca. Il avait remarqué qu'elle se confiait moins à lui qu'avant et deviné que quelque chose la tracassait.

" _Tu te rappelles de monsieur Luìs le stade terminal de leucémie ? " Lui demanda-t-elle. Il hocha simplement la tête. " Et bien il y a de grandes chances que ce soit le père de Dave Malucci et ils ne se sont pas vus depuis des années. J'ai une heure pour savoir où il habite et lui dire que son père n'a plus que quelques heures à vivre. Personnellement, je ne suis pas très motivée. "

Abby et John s'échangèrent un regard grave. En effet tout cela ne s'annonçait guère réjouissant.

" _Si tu veux, " reprit l'infirmière. " Je veux bien t'accompagner et t'aider. Randi doit encore avoir son adresse sur l'ordinateur, il faut juste espérer qu'il n'a pas déménagé et qu'il habite encore à Chicago. "

" _Moi aussi je t'accompagne, " ajouta John d'un air décidé. " Et puis je n'ai pas revu Dave depuis… enfin depuis le jour où il a quitté les Urgences et j'aimerais bien savoir ce qu'il est devenu. "

Jing-Mei et Abby avaient toutes deux remarqué son hésitation. Les paroles de Dave envers Kerry le jour de son renvoi étaient encore fraîches dans leurs mémoires, et bizarrement personne n'osait véritablement en parler aux Urgences, cette tirade finale du clown du service était devenue en quelque sorte tabou.

" _Bon et bien qu'est-ce qu'on attend ? " S'exclama alors Abby alors que derrière la vitre embuée, les petits flocons cinglants obligeaient les passants à protéger la moindre parcelle de peau.



***



Dave jeta le cadre contre le mur. Des éclats de verre retombèrent avec fracas sur le sol alors que la photo voleta quelques instants avant de les rejoindre. Il s'assit dans le vieux fauteuil marron aux ressorts usagés avant de prendre son visage dans ses mains. Il haïssait sa vie. Cela faisait quatre mois qu'il ne dormait plus, quatre mois qu'il n'osait plus fermer les yeux car à chaque fois, il revoyait son regard, entendait ses éclats de rire. La vie était si injuste, jamais elle n'avait mérité de mourir bien au contraire.

Il se leva et reprit la photo dans ses mains tremblantes pour l'observer comme s'il la découvrait pour la première fois. Ses cheveux mi long et raides retombaient en toute liberté sur ses fines épaules. Son cou mince était surmonté d'un visage ovale et parfaitement symétrique. Ses yeux noirs et profonds trahissaient une farouche détermination et un appétit insatiable de vivre. Son sourire dévoilait deux rangées de dents parfaitement blanches contrastant avec le ton olive de sa peau. Ses fossettes lui donnaient un air malicieux et enfantin. Et malgré ses seize années on pouvait facilement deviner à travers ses traits, la magnifique femme qu'elle aurait pu devenir si elle avait vécu plus longtemps.

Dave jeta un bref regard circulaire autour de lui pour constater une fois de plus la véritable porcherie dans laquelle il vivait, où plutôt il survivait. Les restes des repas des quatre derniers mois s'entassaient sur le sol, la table de la cuisine, celle du salon et même dans la salle de bains. Ses vêtements étaient disséminés un peu partout en compagnie de canettes de bière et le seul endroit encore parfaitement propre de son appartement, était sa chambre à elle. Ses songes furent interrompus par la sonnerie de la porte d'entrée. Il consulta l'horloge murale et y lut deux heures du matin. Qui pouvait bien venir à cette heure ? Il fit disparaître la photo dans une poche de son pantalon et alla ouvrir.



***



Jing-Mei, Abby et John eurent tout trois un mouvement de surprise en voyant l'homme qui leur ouvrit. Heureusement pour eux, Randi avait conservé l'adresse de Dave dans l'ordinateur et dans le hall de l'immeuble, ils avaient vérifié en regardant les noms sur les boîtes aux lettres que Malucci vivait encore bien ici. Le trio avait constaté avec surprise que sa boîte aux lettres débordait de magazines pour adolescentes datant de plusieurs mois. Ils avaient ensuite monté les escaliers lugubres avant de trouver son appartement. Et à présent ils avaient tous les trois bien du mal à reconnaître Dave Malucci.

Jing-Mei l'observa de la tête aux pieds. Comment avait-il autant pu changer en quatre mois ? Un vieux marcel sale recouvrait son torse voûté, ses cheveux avaient vraiment besoin d'une nouvelle coupe et une barbe de quelques jours recouvrait toute sa mâchoire. Son jean usé baillait indiquant clairement qu'il avait perdu du poids, et ses yeux continuellement écarquillés et soulignés par des cernes noires trahissaient un important manque de sommeil. De plus, il tremblait continuellement et une odeur peu accommodante se dégageait de son appartement et de sa personne. Il ressemblait à un toxicomane en manque cruel de drogues.

" _Mon Dieu ! Malucci ! " S'exclama Abby devant la loque humaine qu'il était devenu. " Mais qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? "

John et Jing-Mei restaient sans voix derrière l'infirmière incapables de réagir face à sa métamorphose. Dave semblait tout aussi surpris de les voir sur son paillasson. Il prit finalement la parole après un long silence :

" _Qu'est-ce que vous faîtes ici ? " Demanda-t-il d'une voix fatiguée sans prendre la peine de répondre à Abby.

" _On voudrait te parler de quelque chose de très important, " répondit Jing-Mei en retrouvant un peu d'assurance. " C'est urgent, " insista-t-elle en appuyant ses propos d'un regard lourd.

Dave sembla quelques instants hagard, puis comme s'il venait subitement de comprendre ce qu'elle venait de lui dire, il reprit la parole :

" _On va discuter de ça autre part, " répondit-il. " Attendez moi quelques secondes. " Il leur referma la porte au nez, puis réapparut avec un blouson défraîchi sur le dos. " Allons dans le bar un peu plus bas dans la rue, " dit-il plus sur le ton de l'ordre que de la proposition. Il n'était pas question d'inviter ses anciens collègues dans son appartement vu l'état dans lequel il était. Sans prendre la peine de fermer sa porte à clefs, il commença à descendre les marches bientôt suivit par Jing-Mei, Abby et John.



***



Le bar sombre abritait quelques couples, deux ou trois alcooliques en pleine léthargie et d'autres personnes n'étant plus que l'ombre d'elles-mêmes. Assis près de la porte d'entrée, Jing-Mei, Abby, John et Dave avaient pris place à une table graisseuse et mal nettoyée. La fenêtre donnait directement sur la route peu fréquentée à cette heure matinale. Malucci avait aussitôt commandé une bière, alors que les trois autres médecins avaient opté pour du café ou du thé.

"_ Alors ? C'est quoi le truc important ? " Demanda Dave avec sarcasme déjà plongé dans la contemplation de sa bière.

" _Tu te rappelles à New-York, tu m'avais dis que ton véritable nom de famille était Luìs ? " Reprit Jing-Mei sous les regards interrogateurs de John et Abby. Dave émit une sorte de grognement en signe d'acquiescement. " Et bien aux Urgences, nous avons un patient en stade terminal de leucémie qui n'a pas vu sa famille depuis des années. Il n'en a plus que pour quelques heures, et il a honte de lui car il m'a avoué avoir détruit sa famille et que jamais ses enfants ni sa femme ne voudront venir le voir avant qu'il meure. "

" _Et alors ? " Répliqua Dave légèrement agressif.

" _Et alors il s'appelle Roberto Luìs, il m'a dit qu'il avait deux enfants nommé David et Louisa, et que sa femme se nommait Andréa Malucci… "

Jing-Mei ne termina pas sa phrase et observa la réaction de Dave. Il s'était muré derrière un silence pesant et son regard ne se détachait pas de sa bière. Abby et John se sentaient gênés et cela transparaissait dans l'atmosphère générale, ils savaient qu'ils étaient de trop. La même interrogation se lisait dans leurs yeux New-York ? Finalement Malucci releva le visage vers Jing-Mei.

" _Je ne connais pas de Roberto Luìs, " répondit-il la voix tremblante.

" _Dave… " Reprit Jing-Mei avec insistance sachant très bien qu'il mentait. " Il va mourir et c'est ton père ! "

" _Mon père est mort quand j'avais six ans ! " Rétorqua-t-il pris d'un brusque accès de rage. " Je n'ai plus de famille ! Plus aucune ! " Renchérit-il avant de se calmer aussi promptement qu'il s'était énervé.

John qui était assis à côté pouvait voir son corps être parcouru de frissons nerveux. Ses mains tremblantes n'arrivaient pas à s'arrêter et l'alcool qu'il ingurgitait n'arrangeait en rien les choses. Il le soupçonnait de consommer trop régulièrement ce liquide enivrant, Dave avait tous les symptômes de l'alcoolique, de l'humeur changeante aux conséquences physiques. Alors que Carter se battait avec ses doutes, ce fut Abby qui une fois de plus brisa le silence :

" _Dave, " dit-elle sur un ton se voulant réconfortant. " Je comprends que tu ne veuilles pas revoir ton père. Tu sais moi c'était la même chose avec ma mère, j'avais même honte d'elle… J'ai beaucoup souffert à cause d'elle mais il faut savoir pardonner et accepter les choses telles qu'elles sont. Un jour elle a voulu me tuer et m'a poursuivi avec un couteau dans toute la maison, j'ai dû me cacher dans un placard et y rester toute la nuit. Pourtant j'aime quand même ma mère… "

"_ Peut-être, " rétorqua durement Dave en la défiant du regard. " Elle a essayé de te tuer une fois mais moi c'était tous les jours qu'il voulait me tuer ! Qu'il m'insultait et m'accusait des pires choses ! Qu'il me battait jusqu'à que je ne puisse plus me relever ! Jusqu'au jour où un matin il s'est subitement envolé laissant ma mère sans aucune source de revenue, et tu crois qu'à présent j'ai envie d'aller voir cet homme qui m'a pourri la vie et celle de ma famille durant trois longues années ? Même aujourd'hui je subis encore les conséquences de ses actes ! "

Les veines de son cou s'étaient gonflées de sang sous la colère et sa respiration était saccadée et rapide. Jing-Mei regrettait d'avoir entraîné John et Abby dans cette histoire. Elle jeta un coup d'œil à l'infirmière visiblement éprouvée par la réaction agressive de Dave à son égard, puis à Carter jetant sans cesse des regards soupçonneux envers son ancien collègue. Malucci se leva brusquement et sortit du bar aussi vite qu'il le put. Jing-Mei, Abby et John restèrent un moment immobiles et muets avant de réagir.

" _Restez là ! " Ordonna Jing-Mei avant de sortir en courant pour rejoindre Dave. Malgré les flocons de neige tourbillonnant dans des spirales torturées, elle le vit entrer sous le porche terne de son immeuble et Jing-Mei se dépêcha de le rejoindre. Elle entra elle aussi dans l'immeuble. " DAVE ! " Cria-t-elle sur un ton à la limite de la supplication.

Malucci qui s'apprêtait à monter les escaliers, s'arrêta et se retourna lentement vers elle. Elle put clairement voir les larmes qui coulaient le long de ses joues. Il semblait si perdu et si seul… comme un gosse. Jing-Mei s'approcha avec précaution sachant qu'il était capable d'avoir de violentes réactions. Elle sortit un mouchoir de la poche de son épais caban noir et essuya rapidement les larmes.

" _Je suis désolé, " dit-elle pleine de remords. " Je ne voulais pas te faire de mal, j'ignorais totalement les relations entre toi et ton père, mais monsieur Luìs semble si triste que… Enfin il ne ressemble pas du tout au monstre que tu décris… Peut-être a-t-il changé ? "

" _J'ai pas envie de le savoir, " rétorqua Dave en évitant le face à face visuel. " Tu me demandes de regarder le diable dans les yeux et c'est vraiment au-dessus de mes forces, surtout en ce moment… "

De nouvelles larmes se frayèrent un chemin sur son visage harassé et ses joues cagneuses. Jing-Mei les essuya cette fois du revers de la main. Proche l'un de l'autre, ils se rappelèrent tous deux en même temps l'après-midi passé au Brevoort Hotel. L'attirance sexuelle qu'ils éprouvaient simultanément ne s'était pas atténuée. Au contraire leur aventure n'avait fait qu'attiser ce désir qui les consumait et sans hésitation, leurs lèvres se rejoignirent alors que les mains de Dave s'étaient posées avec douceur sur ses hanches. Jing-Mei posa les siennes à plat sur son torse. La droite commença à descendre et sans le savoir, frôla la longue cicatrice à travers le tissu du marcel.

La réaction fut instantanée. Dave repoussa avec violence Jing-Mei qui s'écroula à la renverse sur le dur sol carrelé. Les yeux écarquillés et le cœur battant il mit quelques instants pour reprendre ses esprits et s'apercevoir de ce qu'il avait fait. Honteux Dave vit Jing-Mei qui se redressait péniblement encore sous le coup de la surprise et de la violence du choc. Il s'accroupit complètement paniqué à côté d'elle pour l'aider :

" _Je suis désolé je voulais pas je te jure je l'ai pas fait express ! ! ! " S'exclama-t-il à une vitesse affolante quand soudain son regard se figea. Jing-Mei remarqua qu'il observait son ventre avec curiosité. " Qu'est-ce que… Est-ce que tu es… " Bégaya-t-il en proie aux doutes.

" _Oui, " le coupa Jing-Mei avec un calme qui la surpris elle-même. " Je suis enceinte. " Dit-elle avant de se relever avec l'aide de Dave.

Il n'eut pas le temps de poser d'autres questions que les silhouettes d'Abby et John venaient de traverser la porte d'entrée. Le couple avait trouvé le temps long et avait décidé de venir voir ce qu'il se passait. Ils remarquèrent tout deux la poussière sur le caban de Jing-Mei, le regard un peu paniqué de Malucci, ainsi que la gêne mutuelle qui envahissait tout le hall de l'immeuble. Ne s'adressant à personne en particulier, Dave reprit la parole sur un ton vaincu :

" _Vous avez gagné, je viens. "



***



Roberto sentit une présence inquiétante à sa gauche. Outre les bips du moniteur cardiaque, un bruit de respiration était venu troubler le silence. Il ouvrit les yeux et vit un jeune homme assis à son chevet. Il n'avait pas fière allure. Ses vêtements étaient sales, son visage marqué par le manque de sommeil et il tremblait sans cesse. Ses yeux noirs et profonds reflétaient une gravité que l'on ne trouvait pas d'habitude dans le regard des jeunes gens. Roberto sentit son cœur s'accélérer en voyant une petite cicatrice sur son front à la base du cuir chevelu.

Il s'en rappelait comme si c'était hier. Il avait violemment poussé son fils David alors âgé de sept ans, car l'enfant avait simplement commis la faute d'être là. Dans sa chute son front avait heurté un coin de la table basse. Le sang avait commencé à couler sur sa tempe et à provoquer des plaques de cheveux et de liquide pourpre séché. Malgré tout, il avait continué à battre David jusqu'à qu'il n'ait plus la force de se relever ni même de le supplier d'arrêter. Ce n'est qu'alors qu'il avait laissé sa mère l'emmener aux Urgences. Cette blessure avait nécessité quelques points de sutures. Roberto revoyait encore la peur et la haine dans les yeux de son fils quand il croisait son regard, cette même peur et cette même haine qu'il voyait dans les yeux de l'homme assis à son chevet. Il était face au fils qu'il avait battu durant trois longues années et le sentiment de honte l'enveloppa tout entier. Roberto ne pensait pas qu'un jour il le reverrait que ce soit dans ses rêves, ou cauchemars les plus fous.

" _David… " Articula-t-il avec lenteur en observant mieux l'homme qu'était devenu l'enfant apeuré de neuf ans qu'il avait abandonné.

" _Mon prénom est Dave, " rétorqua sèchement le médecin. " Et mon nom de famille Malucci, " ajouta-t-il sur un ton tout aussi dur.

" _Je comprends, " répondit son père essoufflé. " Tu as raison de me détester et de me renier, c'est ton droit le plus légitime. Pour venir me voir, tu as dû prendre beaucoup sur toi, n'est-ce pas ? "

Dave ne répondit pas ni même ne bougea. Il restait hypnotisé par cet homme qu'il avait tant craint et qui hantait encore ses cauchemars. Il reconnaissait dans ses traits les siens et cela l'effrayait doublement. Dave avait hérité de sa mâchoire, de ses yeux, de sa carrure mais aussi de sa rage et de son vice. Il sentit ses mains se remettre à trembler et il tenta de les cacher à la vue de son père, mais Roberto avait déjà remarqué l'état de panique dans lequel se trouvait son fils.

" _Je sais que c'est un peu tard et que jamais je ne pourrais effacer de ta mémoire toutes les salopris que je t'ai fait, mais je suis désolé, terriblement désolé… "

" _Pourquoi t'es parti ? " Le coupa soudainement Dave alors que les larmes lui montaient aux yeux. Roberto surpris mit quelques instants avant de répondre :

" _Un matin je me suis levé et je me suis aperçu du monstre que j'étais devenu depuis l'accident… du traitement que je t'avais fait subir en te tenant responsable de notre malheur… J'ai compris que je n'avais plus ma place dans cette famille alors je suis parti aussi discrètement que possible, et que de toute façon vous vivriez bien mieux sans moi. "

"_ Tu t'étais trompé, " rétorqua Dave en ravalant ses larmes avec difficulté. " On avait besoin de toi et malgré tout, je t'aimais car tu étais mon père… Quand tu es parti ça était la descente aux enfers pour nous… "

" _Pourquoi ? Que s'est-il passé ? " Demanda Roberto surpris.

Il s'était toujours imaginé que sa femme s'était mariée avec quelqu'un d'autre, un homme responsable qui aurait pris soin d'elle et des enfants. Mais jamais il n'avait imaginé que la situation aurait pu s'aggraver pour eux. Dave évitait scrupuleusement son regard tout comme il le faisait plusieurs années auparavant. Il baissait involontairement le visage en signe de soumission comme le font les animaux les plus faibles. Roberto sentit de nouveau la honte l'envahir. Finalement, Malucci se décida à lui expliquer tout ce qui s'était passé après son départ.



***



" _Et surtout la prochaine fois met un casque ! " Conseilla Jing-Mei au jeune enfant dont elle venait de s'occuper avant de sortir de la salle d'examens.

Elle se dirigea vers le bureau des admissions et jeta un regard inquiet en direction de la salle où se trouvaient Dave et son père. John était retourné chez lui pour tenter de dormir alors qu'Abby avait elle aussi repris du service. La rumeur que Malucci était là avait vite fait le tour du service, mais personne ne savait pourquoi il revenu et les infirmières jetaient des regards curieux à la jeune femme. Jing-Mei sentit soudainement une nausée la prendre et elle s'appuya sur le rebord du bureau des admissions le temps que cela passe. Randi s'en aperçut :

" _Vous allez bien docteur Chen ? " Demanda-t-elle avec un air suspect sachant très bien qu'elle était au courant des raisons qui avaient amené Dave ici.

" _Oui, ca va Randi. Je suis juste… je suis juste un peu fatiguée, " répondit-elle gênée. Elle se demandait pourquoi elle cherchait encore à cacher son état étant donné que dans deux mois au plus tard, tout le monde se rendrait compte de l'évidence. Mais la peur et le sentiment de honte étaient plus forts que la raison.

" _Docteur Chen ! " S'exclama Chuny en arrivant. " La leucémie de la salle 4 fait un arrêt ! "

" _Ce n'est pas la peine de se presser, " rétorqua Jing-Mei vaincue et épuisée. " Il refuse la réanimation. "

Elle se dirigea vers la salle 4 et entendit clairement le bip continu du moniteur cardiaque. Jing-Mei entra et vit Dave incapable de réagir en train d'observer son père quitter cette terre. Elle arrêta le moniteur et referma les paupières de Roberto sous le regard hypnotisé de son fils. Elle posa sa main sur son épaule avec affection.

" _C'est fini. "

Dave repoussa sa main, se leva brusquement et sortit de la salle d'examens. Jing-Mei effrayée qu'il ne fasse une bêtise le suivit aussitôt. Dave fila vers les escaliers et les monta quatre à quatre avec une endurance qui la surprit. Lui qui semblait à bout de force avait apparemment encore quelques réserves. Jing-Mei peina à le suivre sans se faire distancer et c'est sur les genoux qu'elle arriva au dernier étage. Elle eut juste le temps de le voir sortir sur le toit de l'hôpital.

" _DAVE ! " Cria-t-elle prise d'un sentiment de crainte. " DAVE OU TU VAS ? " Ces dernières heures, elle avait vraiment l'impression de passer son temps à lui courir après.

Elle sortit elle aussi sur le toit et le froid la transperça comme des millions de petits pics. Devant elle Malucci avait le visage levé vers le ciel, observant les rares étoiles du ciel de Chicago. Heureusement il ne neigeait plus. Il se retourna vers elle le visage crispé :

" _Maintenant je suis vraiment sans famille, " dit-il envahi par l'aigreur. " Je n'avais pas besoin de cette épreuve supplémentaire, non je n'avais vraiment pas de besoin de ça ! "

" _Dave, je ne sais pas quoi te dire… "

" _Tout ça c'est de ta faute ! " S'écria-t-il plein de rage en la pointant du doigt. " Pourquoi t'es venu me voir ? Pourquoi t'as voulu que je voie mon père crever sous mes yeux ? Tu ne m'apportes que des emmerdes ! Le bouquet final ce serait que ce soit moi qui t'ai foutu en cloque ! "

Jing-Mei ne répondit pas. Le sang avait quitté son visage et elle sentit une boule qui lui serrait la gorge. Comment pouvait-il être aussi blessant ? Son regard fut alors happé par des mouvements derrière Dave. Elle vit Abby et Luka gênés d'avoir assisté sans le vouloir à cette scène. Dave suivit son regard et aperçut lui aussi le couple à l'autre bout du toit. Le regard encore envahi par la rage, il passa à côté de Jing-Mei en l'ignorant volontairement et rentra à l'intérieur.

Jing-Mei tomba à genoux sur le sol recouvert de gravier et posa ses mains sur son ventre en baissant le visage. Elle sentit Abby et Luka qui s'étaient agenouillés à côté d'elle. Ils lui parlaient mais elle ne les entendaient pas. Elle ne sentait plus rien, ni même le froid glacial de l'hiver, ni même la neige qui avait recommencé à tomber. La seule chose à laquelle elle pensait était ce bébé qui grandissait dans son ventre, qui n'était même pas encore né mais qui pourtant avait déjà tant de problèmes.



***



Le pont suspendu survolait un bras du lac Michigan. La neige froide et dure continuait de tomber avec force et les voitures passaient derrière lui à une vitesse folle. Appuyé contre la rambarde, Dave observait le lac en contrebas. Il jeta la petite bouteille de verre vide qu'il tenait à la main dans le vide. Quelques secondes plus tard il entendit une petite éclaboussure atténuée par la force du courant du lac Michigan. L'eau devait être glaciale mais de toute façon il était déjà presque entièrement trempé. Il éternua dans sa manche puis commença à se pencher dangereusement au-dessus de la rambarde.

C'était si tentant. Il avait juste à sauter et cela en serait finit de sa misérable vie. Comme son père, personne ne serait là pour le pleurer à son enterrement si jamais on retrouvait son corps. Il sortit de la poche de son jean la photo de Louisa sa sœur. Il l'observa lui sourire une dernière fois avant de jeter la photo derrière lui. Une voiture grise s'arrêta sur le bas-côté et un homme soucieux en descendit :

" _Vous allez bien monsieur ? " Demanda-t-il. " Allez pas faire une bêtise ! "

Dave lui jeta un regard dénué d'intérêt puis passa sans peine de l'autre côté de la rambarde. Il y avait environ dix mètres de vide avant qu'il n'entre en contact avec le liquide où flottaient quelques plaques de glace. Il entendit le conducteur s'écrier de ne pas faire ça mais tout lui semblait si loin à présent. Dave prit une profonde inspiration et ses mains lâchèrent la froide rambarde.



***



Susan avait mis à chauffer deux thés quelques instants plus tôt. Jing-Mei était recroquevillée dans une chaude couverture sur le canapé du salon. Elle regardait sans vraiment prêter attention la télé. Elle revint avec les deux bols fumants et en tendit un à Jing-Mei qui l'accepta timidement. Luka et Abby l'avaient déposé ici après que Jing-Mei ait demandé à la voir. Depuis elle n'avait pas prononcé un mot.

" _Que s'est-il passé ? " Demanda Susan. " Abby et Luka ne m'ont rien dit. "

Jing-Mei prit la télécommande et éteint le poste. Puis elle but une gorgée de son thé et sentit le liquide qui lui réchauffait tout le corps. Elle se retourna en prenant son temps vers Susan qui l'observait avec inquiétude.

" _J'ai revu Dave Malucci … le père du bébé, " dit-elle sur un ton neutre et le regard perdu.

" _Tu l'as mis au courant ? "

"_ Pas vraiment. En fait c'est assez long à expliquer … Je me suis occupée de son père aux Urgences qui était en stade terminal de leucémie. Avec l'aide d'Abby et John, je suis allée le trouver pour lui expliquer la situation. Mais il ne voulait pas le voir car son père le battait quand il était petit et après il l'a abandonné. Finalement je l'ai rejoint dans le hall de son immeuble et là on s'est embrassé. " Elle marqua une pause en se remémorant la violence avec laquelle il l'avait rejeté quand elle avait effleuré sa cicatrice. Puis Jing-Mei reprit oubliant volontairement ce passage. " Il a découvert que j'étais enceinte mais nous n'avons pas eu le temps d'en parler car Abby et John sont arrivés à ce moment là. Finalement il a accepté de venir voir son père, et il est mort il y a moins d'une heure. Il m'a alors accusé de toutes les fautes, il m'a dit que c'était à cause de moi s'il souffrait encore plus et que le bouquet final, ce serait que je sois enceinte de lui. "

Jing-Mei se cacha derrière un visage sans expression après avoir fini son explication. Susan se sentait mal à l'aise et elle ne savait vraiment pas ce qu'il fallait faire pour la réconforter. Elle avait aussi l'impression que la jeune femme avait volontairement oublié certains détails. Finalement elle posa son bol et enveloppa Jing-Mei de ses bras. La jeune femme se cala aussitôt contre son épaule et commença à pleurer. Susan passa sa main dans ses cheveux en lui murmurant de douces paroles, et sentit les mains de Jing-Mei qui agrippaient le tissu de sa chemise dans son dos.



***



" _Hypothermie dans cinq minutes ! " S'exclama Luka après avoir répondu à la radio. " Trouvé inconscient, ce mec s'est jeté d'un pont dans le lac ! "

" _Je le prends avec vous, " répondit Kerry en se dirigeant déjà vers les portes automatiques. " Abby et Haleh venez avec nous ! "

Les quatre individus sortirent dans la baie des ambulances et ils n'eurent pas à attendre longtemps avant d'entendre une sirène qui se rapprochait. Le fourgon blanc s'arrêta brusquement devant eux et deux ambulanciers déchargèrent un brancard :

"_ Mâle d'environ trente ans, inconscient depuis le début, pupilles réactives, température 35 degrés, souffre d'hypothermie grave. "

" _Merci, " répondit Kerry plus par habitude que par réelle politesse avant de jeter un coup d'œil au patient. Tout comme Haleh, Abby et Luka, elle mit quelques secondes avant de réaliser que c'était Malucci sur le brancard. " On l'amène au bloc 2, " ordonna-t-elle en reprenant ses esprits. " Haleh, allez chercher des couvertures chauffantes, du magnésium et trouvez-moi ses antécédents médicaux ! "

Ils poussèrent le brancard jusqu'au bloc et commencèrent aussitôt à lui retirer ses vêtements trempés. Abby eut un mouvement de recul en voyant son torse couvert de cicatrices, et notamment celle qui partait de sous son pectoraux droit jusqu'à sa hanche. Luka et Kerry s'échangèrent eux aussi un regard inquiet. Dave respirait toujours mais ne reprenait pas encore conscience.

" _Il a encore un peu d'eau dans ses poumons, " informa Luka après avoir plaqué son stéthoscope contre le torse du jeune homme.

Soudainement Malucci ouvrit les yeux et fut pris d'un haut-le-cœur, Kerry aidée d'Abby le roulèrent sur le flanc pour qu'il recrache l'eau qui remontait par les voies respiratoires. Quand ses poumons semblèrent être vide de liquide, ils le recouchèrent sur le dos et Haleh arriva à ce moment avec des couvertures et du magnésium. Alors que Luka préparait aussitôt une voie centrale, Kerry se pencha vers lui :

" _Monsieur Malucci, savez-vous si vous êtes allergique à quelque chose ? Dave vous m'entendez ? "

Mais Dave n'avait aucune envie de lui répondre. Il tremblait de partout et observa surpris ses mains et son torse complètement bleus. Quand il avait ouvert les yeux et s'était retrouvé face à Kerry, il avait cru pendant quelques instants être en enfer mais il avait rapidement reconnu le Cook County. Par contre il n'avait aucune idée de comment il s'était retrouvé là.

Haleh tendit son dossier sortie par ordinateur à Kerry. Celle-ci le consulta aussitôt puis jeta un regard effrayé et surpris à Dave. Luka qui avait finit de poser la voie vint lui aussi consulter le dossier et eut la même réaction. Cela démarrait par une admission pour accident de voiture à six ans avec trauma crânien, hémorragies internes, enfoncement de la partie droite de la cage thoracique avec poumon droit perforé ce qui expliquait sa longue cicatrice. Puis ce n'était qu'une liste de fractures, de blessures plus ou moins graves et de malaises, une liste typique d'enfant maltraité. Dave était un habitué des Urgences depuis tout petit apparemment. Puis la liste s'arrêtait subitement à neuf ans hormis quelques admissions isolées.

Sans se laisser impressionner par son lourd passé médical, Kerry, Luka et Haleh commencèrent à lui installer les couvertures chauffantes pour faire remonter la température de son corps. Pendant ce temps, Abby s'éclipsa pour passer un coup de téléphone afin de prévenir Jing-Mei.



***



Jing-Mei s'était endormie contre elle. Quand le téléphone sonna, Susan se leva en essayant de ne pas la réveiller pour aller répondre. Elle décrocha et reconnut aussitôt la voix un peu paniquée d'Abby :

" _Allô Susan ? "

" _Oui, qu'est-ce qui se passe Abby ? " Demanda-t-elle à voix basse pour ne pas déranger Jing-Mei.

" _Jing-Mei est là ? "

" _Elle s'est endormie. Dis moi ce qu'il se passe ? ! ? " Redemanda Susan en perdant patience.

" _Dave Malucci vient d'être admis à l'hôpital pour hypothermie. Il a apparemment essayé de se suicider en se jetant d'un pont dans le Michigan. Et il ne va vraiment pas bien, on a du mal à faire remonter sa température. " Expliqua Abby sur un ton rapide.

" _Je… Je vais réveiller Jing-Mei et on arrive, " répondit Susan.

Elle raccrocha et se retourna vers sa protégée encore assoupie sur le canapé. Elle allait enfin savoir à quoi ressemblait ce fameux Dave. Susan s'approcha du canapé et prit Jing-Mei par les épaules.



***



A suivre…




***



Le Petit Mot De La Fin : Ca y est deuxième chapitre clos. Normalement au rythme où je vais, il ne devrait pas y en avoir plus de quatre, voir cinq grand maximum. C'est bizarre parce que je mets moins de temps à écrire un chapitre de " Le Papillon " qui fait en moyenne huit ou neuf pages, qu'un chapitre de " Ce Que Pensent Les Femmes " qui fait en moyenne pas plus de cinq pages. Comme quoi, je me plais mieux à écrire du dramatique que du comique ;o)