Mme Thomas était terrifiée. Depuis des années, elle était terrifiée. Ce soir-là, comme chaque soir, elle fit plusieurs fois le tour de la maison pour s'assurer que toutes les portes et toutes les fenêtres étaient correctement fermées. Tout en sachant que ça ne "les" arrêterait pas. "Ils" arriveraient toujours à passer.
Son mari avait disparu depuis longtemps. Elle ne savait même pas s'il était vivant ou mort. C'était un sorcier. De cela, au moins, elle était sûre, ou presque. Cela paraissait si loin qu'elle se demandait si elle n'avait pas rêvé les quelques années qu'ils avaient pu passer ensemble. Mais non, Dean était là pour prouver qu'elle n'avait pas rêvé.
Et elle l'avait vu faire des choses… des choses magiques. Seulement voilà… dans son monde, les sorciers étaient en guerre. En guerre contre une abomination tellement profonde que même M. Thomas, un homme courageux, n'osait pas en prononcer le nom.
Et le soir où il était parti… elle n'avait pas compris absolument tout ce qui se passait, mais elle savait qu'il exerçait un rôle actif dans cette guerre. Et elle n'avait aucun autre contact dans le monde sorcier. Personne à qui elle pouvait demander des nouvelles, nulle part où chercher… c'était comme si le monde sorcier n'existait plus pour elle. Pour ce qu'elle en savait, la guerre faisait encore rage.
Une fois qu'elle eut vérifié que la maison était bien close, elle monta à l'étage et jeta un coup d'œil silencieux dans la chambre de Dean.
Le petit garçon de cinq ans était allongé bien sagement dans son lit, mais il avait les yeux grand ouverts. Mme Thomas entra complètement dans la chambre et vint s'asseoir à côté de lui sur le lit.
- Tu ne dors pas, chéri ?
- J'y arrive pas !
La jeune femme sourit en regardant Dean serrer son lapin en peluche dans ses bras et faire une moue déterminée.
- Lis-moi une histoire ! exigea-t-il.
- Je t'en ai déjà lu une, mon amour, tu en auras une autre demain soir.
- S'il-te-plaît !!!
Mme Thomas était rarement insensible au ton suppliant de son fils, mais elle n'allait certainement ressortir le livre d'images ce soir-là. Au lieu de ça, elle sortit une pièce de sa poche et sourit à l'expression intriguée de son fils.
- Regarde la pièce, Dean, regarde-la bien, d'accord ? Elle est dans ma main, tu vois ? Mais si je ferme ma main, et que je dis une formule… Desaparecio ! J'ouvre ma main, et… la voilà partie !
- Oh ! Comment t'as fait ?
Elle eut du mal à ne pas éclater de rire à la stupéfaction de l'enfant. C'était un truc que son père lui avait appris, et qu'elle avait agrémenté d'une formule qu'elle avait entendue de son mari.
- C'est magique !
- Mais… mais… elle est où, la pièce ?
- Ah ! C'est une bonne question ! La pièce va où elle a envie d'aller. Mais j'ai une petite idée d'où elle est maintenant…
Elle tendit la main pour aller "chercher" la pièce dans la nuque de son fils. Eberlué, le petit Dean se passa plusieurs fois la main dans le cou sans quitter la pièce des yeux, et finit par se retourner pour inspecter son oreiller. Elle éclata de rire.
- Refais-le, Maman ! Encore une fois, s'il-te-plaît !!!
- Non. Je le referais demain si tu dors bien sagement ce soir.
Aussitôt, il se ressaisit de son lapin, et se fourra les couvertures sous le menton en fermant les yeux bien fort.
- Je dors.
A nouveau, elle rit, puis éteignit la petite lampe de chevet et se leva pour sortir.
- Maman ?
Elle se retourna, la poignée de la porte à la main.
- Tu es magique, Maman !
Et il s'endormit du sommeil rapide et profond dont seuls les petits enfants ont le secret.
- Pas moi, murmura rêveusement Mme Thomas. Mais toi, oui, sûrement.
Elle sortit et ferma la porte, débattant intérieurement, comme de plus en plus souvent ces derniers temps, si elle aurait un jour le courage de lui parler de son père.
