Confidences aux Ténèbres


Chapitre 1

La Grande Salle des Fêtes de Minas Tirith offrait une fraîcheur agréable face à la chaleur étouffante de cette nuit d'été. Ses murs de pierre blanche résonnaient du bruit joyeux des convives qui, attablés autour de mets délicieux, entrechoquaient leurs coupes pleines de vin pour boire à la santé de leurs hôtes. Ce dernier jour de juin de l'an 3021 marquait le second anniversaire de mariage du roi Aragorn et de la reine Arwen. Comme l'année précédente, nombreux étaient les invités venus des quatre coins de la Terre du Milieu rendre hommage au couple royal et se régaler du banquet servi en son honneur. La plupart d'entre eux avaient eu la chance d'assister aux noces des deux souverains, et ils étaient heureux de se retrouver une fois de plus pour célébrer cette union mémorable.

- Au roi et à la reine du Gondor et de l'Arnor réunis ! s'écria Éomer en brandissant son verre rempli d'hydromel. Puissent-ils régner pendant de longues années et nous donner encore de beaux enfants !

Ce toast fut accueilli par des cris de joie, ponctués par le tintement des verres que les convives entrechoquèrent pour trinquer. Éowyn, assise entre son frère Éomer et son épouse Lothíriel, se força à sourire et porta sa coupe d'hypocras à ses lèvres. Ce mélange de vin, de miel et d'épices était loin de la désaltérer, mais il parvenait au moins à calmer sa frustration.

- Nimloth a tellement grandi depuis la dernière fois que je l'ai vue, s'exclama Lothíriel, qui se tenait à côté d'Éowyn et cherchait à entretenir avec elle une conversation qu'elle n'avait jusqu'à présent pas réussi à faire beaucoup avancer. Et dire qu'il y a un an elle n'était encore qu'un bébé dans son berceau... Aujourd'hui, elle arrive déjà à faire ses premiers pas !

Éowyn aussi se souvenait du jour où Aragorn et Arwen avaient présenté à leurs proches leur premier enfant : une petite fille prénommée Nimloth, du nom de la reine des elfes du royaume de Doriath. Alors âgée de trois mois, elle avait les cheveux noirs et les yeux gris de ses parents, mais ce qui retenait surtout l'attention, c'étaient ses petites oreilles en pointes qui ressemblaient comme deux gouttes d'eau à celles de sa mère.

- Je n'ai pas eu le plaisir de la voir avant le banquet, répondit Éowyn en se tournant vers Lothíriel pour lui adresser un regard qu'elle s'efforça de rendre amical. Faramir et moi sommes arrivés un peu tard et Nimloth était déjà couchée.

- En parlant de Faramir et de toi..., poursuivit Lothíriel avec un sourire espiègle. Vous n'avez pas envie d'en avoir un, vous aussi ?

À cette question, qu'elle n'avait que trop de fois entendue, Éowyn ne put s'empêcher de pousser un soupir de lassitude. Cela faisait maintenant plus d'un an qu'elle et Faramir essayaient d'avoir un enfant. Depuis leur nuit de noces, pour être exact. Malgré toute l'ardeur qu'ils avaient pu y mettre dès les premiers mois de leur mariage, aucun signe de grossesse ne s'était profilé à l'horizon, et Éowyn avait peu à peu fini par se décourager et par se convaincre qu'elle était stérile. Comment aurait-elle pu soupçonner Faramir d'infertilité sans avoir le sentiment de porter atteinte à son orgueil ? Elle préférait encore rejeter la faute sur elle plutôt que de risquer une dispute qui ne ferait qu'accroître les tensions qui existaient déjà au sein de leur couple.

- Si, bien sûr, avoua Éowyn d'une voix teintée d'amertume. Mais je suppose que le moment n'est pas encore venu...

Viendrait-il un jour ? Fatiguée par tant d'efforts inutiles, Éowyn trouvait de moins en moins le courage de se plier au devoir conjugal. Ce qui autrefois était pour elle un plaisir était maintenant devenu une corvée. Dès lors, elle ne devait plus s'étonner de voir Faramir prendre ses distances avec elle. Même en cette soirée placée sous le signe de l'amour, il n'avait pas tenu à s'asseoir à ses côtés, préférant se placer à l'autre bout de la table, en compagnie de Frodon Sacquet et de Sam Gamegie.

- L'important est de garder espoir, dit Lothíriel d'un air serein, avant de poser instinctivement sa main sur son ventre.

Remarquant ce geste, Éowyn devina aussitôt ce qu'Éomer s'apprêtait à annoncer en se levant de table et en élevant à nouveau son verre devant l'assistance.

- Chers amis ! s'exclama-t-il sans prendre garde à la boisson qu'il venait de renverser. Ce soir, Lothíriel et moi tenons à vous faire part d'une heureuse nouvelle.

Les conversations se turent et les regards se braquèrent en direction du roi et de la reine du Rohan. Éowyn, coincée entre les deux, avait la désagréable impression d'être devenue le centre d'attention de toute l'assemblée. Ne sachant plus où se mettre, elle ne trouva pas d'autre solution que de baisser la tête pour tenter de cacher son malaise.

Encouragée par le sourire rayonnant de son mari, Lothíriel se leva à son tour et déclara avec émotion :

- Éomer et moi attendons un enfant.

Sans surprise, cette annonce déclencha une nouvelle vague de liesse parmi les invités. Le bruit d'entrechoquement des verres reprit de plus belle, agrémenté cette fois du tambourinement des poings sur la table. Seule Éowyn semblait ne pas prendre part à ces réjouissances. Elle devait même faire un effort pour ne pas être tentée de lever les yeux au ciel. Pourquoi diable son frère réussissait-il toujours à attirer l'attention sur lui ? Cette soirée était censée être celle d'Aragorn et Arwen, pas celle d'Éomer et Lothíriel. Ces derniers ne pouvaient-ils pas attendre une autre occasion pour annoncer qu'ils allaient être parents ? Ce n'était hélas pas la première fois qu'ils volaient la vedette au roi et à la reine du Gondor et de l'Arnor. L'année précédente, déjà, ils avaient profité du premier anniversaire de mariage d'Aragorn et Arwen pour faire connaître leurs fiançailles. À croire que cela était devenu une coutume... Heureusement, le roi Elessar n'était pas de nature à prendre ombrage de l'intérêt que ses convives pouvaient désormais porter à son ami le roi du Rohan.

- Félicitations à vous deux ! s'exclama Aragorn en levant sa coupe en l'honneur des jeunes mariés. Il me tarde de voir nos enfants se rencontrer et devenir amis.

Peut-être songeait-il déjà à une alliance entre les deux familles ? Ce n'était certes pas du côté d'Éowyn et Faramir qu'il pouvait caresser de tels espoirs. Et dire qu'Éomer et Lothíriel n'étaient mariés que depuis le début de l'année et qu'ils allaient déjà être parents... Pourquoi le sort leur était-il aussi favorable ? Et pourquoi diable Éowyn se sentait-elle aussi jalouse, alors qu'elle aurait dû au contraire se montrer heureuse pour sa belle-sœur ?

- Tout va bien ? demanda celle-ci lorsqu'elle se fut rassise. Tu n'as pas touché à ton assiette...

Éowyn contempla la part de tarte au massepain qui était restée intacte dans son plat depuis que les desserts avaient été servis. L'idée même d'en goûter un morceau lui paraissait au-dessus de ses forces.

- Je dois reconnaître que je n'ai plus très faim..., avoua-t-elle faiblement.

- Vraiment ? Pourtant, tu n'as pratiquement rien mangé de la soirée..., fit Lothíriel d'une voix surprise. Tu es sûre que tu te sens bien ? Tu as l'air très pâle...

Pâle... Ce mot revenait si souvent pour la décrire... Éowyn avait toujours été pâle. Se pouvait-il qu'elle le fût encore plus ce soir-là ?

- La chaleur, sans doute..., répondit-elle en guise d'explication.

Elle but une nouvelle gorgée d'hypocras pour essayer de se rafraîchir, puis jeta un regard vers Faramir. Ce dernier avait repris sa conversation avec Frodon et Sam. Une conversation animée et joyeuse, qui durait depuis le début du repas. Comment Faramir pouvait-il se montrer aussi loquace avec les deux hobbits, lui qui avait à peine adressé la parole à sa femme de toute la journée ? Leur voyage à cheval depuis les collines d'Emyn Arnen jusqu'à la cité de Minas Tirith s'était déroulé sans un mot. La langue de Faramir ne s'était déliée qu'aux portes de la citadelle, lorsqu'Aragorn et Arwen étaient venus les accueillir et qu'il leur avait témoigné le plaisir qu'il avait de les retrouver. À croire qu'il ne réservait ses paroles qu'à ses amis...

Si Éowyn avait fini par s'habituer au silence de son époux, il y avait pourtant une chose à laquelle elle n'arrivait toujours pas à se faire : c'était ce sentiment d'abandon qu'elle éprouvait chaque fois qu'elle le voyait partir sans un mot pour accomplir ses devoirs d'Intendant du Gondor auprès du roi Elessar. À ce titre s'ajoutait également celui de Prince d'Ithilien, décerné par Aragorn dès son couronnement, ce qui faisait de Faramir un Capitaine du Gondor, chargé de surveiller la frontière avec le Mordor, de reconquérir les territoires perdus et de débarrasser la Vallée de Morgul du reste de ses occupants maléfiques. De lourdes responsabilités qui pouvaient le retenir pendant plusieurs jours loin de son domaine d'Ithilien du Sud.

Et pourtant, lorsqu'après de longues campagnes il rentrait enfin dans son château des collines d'Emyn Arnen, c'était tout juste s'il accordait quelques mots à son épouse. Celle-ci, qui brûlait d'impatience d'entendre le récit des exploits de son mari, n'obtenait de lui que des réponses laconiques aux questions qu'elle lui posait à son retour. Lui-même ne prenait pas la peine de lui demander comment elle avait pu occuper ses journées pendant son absence. Elle aurait aimé qu'il la questionne sur le nombre de malades qu'elle avait réussi à soigner aux Maisons de Guérison, sur les nouvelles recettes de potions qu'elle avait découvertes au cours de ses lectures, mais il ne semblait pas porter le moindre intérêt à ce qu'elle faisait. Délaissée, Éowyn retournait à ses occupations comme si son mari n'était pas même rentré. Leur château était si grand qu'il leur arrivait parfois de ne jamais se croiser, hormis lors du repas du soir, qu'ils prenaient ensemble dans la grande salle en n'échangeant que de rares paroles.

Qui aurait cru que le temps affecterait autant leur relation ? Éowyn aurait pourtant dû s'en douter. La passion qu'elle vouait jadis à Aragorn s'était éteinte depuis qu'elle avait rencontré Faramir. Aujourd'hui, elle pouvait regarder le roi du Gondor sans éprouver le moindre trouble. Et dire qu'il occupait autrefois toutes ses pensées... Désormais, les seuls sentiments qu'il lui inspirait étaient ceux d'une amitié fidèle et d'un profond respect. Toute trace d'amour avait définitivement disparu. En était-il de même avec Faramir ? L'aimait-elle encore autant qu'avant ?

Éowyn continua d'observer son mari pendant qu'il discutait gaiement avec ses compagnons. Elle ne pouvait nier qu'il était toujours aussi bel homme avec ses longs cheveux blonds ondulés, sa fine barbe bien taillée et ses yeux gris perle. Plus d'une femme aurait échangé sa place contre la sienne pour avoir un époux aussi séduisant. Mais la beauté ne faisait pas tout, et combien de fois ne l'avait-il pas déçue par son caractère ? Certes, il pouvait se montrer doux et aimable avec elle, juste et clément envers ses sujets, mais il pouvait également s'avérer sombre et taciturne, s'emporter pour un rien et faire preuve d'un entêtement forcené. Sans compter ce sentiment d'infériorité que son père avait fait naître au fond de lui en le comparant sans cesse à son frère, et qui continuait de le ronger même après la mort de Denethor et de Boromir. Non, Faramir n'avait pas que des qualités, et plus elle apprenait à le connaître, plus elle réalisait à quel point tous les deux étaient différents... Avait-elle fait le bon choix en l'épousant ? Ne s'était-elle pas décidée sur un coup de tête pour oublier plus vite Aragorn ?

Ce dernier l'interrompit subitement dans ses pensées en se levant de table et en déclarant à ses invités :

- Mes chers amis, maintenant que le banquet est terminé, le bal va pouvoir commencer. Aussi, je vous propose à tous de vous diriger vers le Hall de la Tour pour la suite des festivités.

- Comment ça, « le banquet est terminé » ? se récria Éomer, dont la voix avinée trahissait son état d'ébriété. Je croyais qu'il y avait un deuxième dessert !

Son exclamation faussement indignée provoqua l'hilarité générale, en particulier chez les hobbits, qui eux aussi étaient réputés pour avoir un gros appétit.

- Ne préfères-tu pas danser avec ta femme plutôt que de rester attablé ? lui rétorqua Aragorn avec amusement.

- J'ai peur qu'Éomer ne parvienne à danser bien longtemps, après tout ce qu'il vient de manger, fit remarquer Lothíriel à voix basse en s'adressant à Éowyn.

« Surtout après tout ce qu'il vient de boire » compléta celle-ci en pensée.

Son frère commençait à l'embarrasser sérieusement, et elle accueillit avec soulagement l'occasion de prendre congé de lui pour rejoindre la salle de bal.

Le Hall de la Tour était la pièce principale de la Tour Blanche d'Ecthelion. On l'appelait aussi le Hall des Rois, car c'était ici que se trouvaient le trône du roi du Gondor et celui de son Intendant. Son plafond en voûte s'élevait à une hauteur vertigineuse. Il était supporté par d'immenses colonnes en pierres noires qui contrastaient très nettement avec la blancheur du reste de l'édifice. Les piliers étaient décorés avec des guirlandes de petites fleurs dorées d'elanor. Un groupe de musiciens se tenait déjà prêt en haut de la galerie qui faisait face aux deux trônes.

Faramir, qui se tenait désormais aux côtés d'Elrond et de ses fils Elladan et Elrohir, remarqua à peine qu'Éowyn l'avait rejoint. Ce ne fut que lorsqu'elle posa la main sur son épaule qu'il daigna enfin tourner la tête vers elle. Elle lui sourit poliment avant de saluer le Seigneur de Fondcombe et les deux frères jumeaux.

- Mae govannen, lui répondit Elrond en inclinant respectueusement la tête.

- Votre fille a l'air radieuse, dit Éowyn en regardant Arwen traverser la salle du trône au bras d'Aragorn. Vous devez être heureux de la voir aussi épanouie.

- Il est vrai qu'en la voyant, je ne peux que reconnaître qu'elle a fait le bon choix, confessa Elrond d'une voix teintée de mélancolie.

- La maternité semble lui avoir fait le plus grand bien, ajouta Faramir, avant d'adresser à sa femme un regard plein de sous-entendus.

Blessée, Éowyn sentit une colère froide monter en elle. Elle se détourna brusquement de son époux et s'efforça de l'ignorer en reportant toute son attention sur le couple royal.

Arwen était vraiment resplendissante dans sa robe bleu saphir aux longues manches décorées de broderies argentées. Un diadème couronnait sa tête et laissait retomber dans ses cheveux bruns de longs fils d'argent ornés de fines perles d'opale. Aragorn, lui, avait revêtu un pourpoint de velours bordeaux, au col brodé de délicates arabesques dorées. Une ceinture de cuir entourait sa taille et se refermait par une boucle en or massif gravée de runes elfiques.

Le roi et la reine de Gondor et d'Arnor formaient un si beau couple qu'ils faisaient tourner toutes les têtes sur leur passage. Lorsque les premières notes de flûte emplirent le hall d'une mélodie à la fois douce et entraînante, ils ouvrirent le bal en se tenant par la main et en se laissant peu à peu porter par la musique. Ils furent bientôt rejoints sur la piste par d'autres couples, parmi lesquels Éowyn aperçut Éomer et Lothíriel. Son frère ne se débrouillait finalement pas si mal, malgré la quantité de vin et d'hydromel qu'il avait ingurgitée au cours du banquet… Il dansait même mieux que Faramir ne l'aurait fait, si celui-ci avait consenti à lui accorder cette danse.

Cela n'était pourtant pas prêt d'arriver. Faramir n'avait jamais vraiment aimé danser, et l'indifférence que sa femme lui témoignait ce soir n'était pas faite pour l'encourager. Si Éowyn n'espérait donc rien de son mari, en vérité, elle ne s'attendait pas non plus à ce que le Seigneur de Fondcombe soit le premier à l'inviter à danser.

- Avec la permission de votre époux, bien entendu, précisa le semi-elfe en se tournant vers Faramir pour chercher son approbation.

Ce dernier donna son consentement par un bref hochement de tête. Éowyn devina qu'il n'en avait cure de la voir partir au bras d'un autre homme pour aller danser. En réalité, il devait plutôt être content de pouvoir ainsi se débarrasser d'elle et reprendre sa conversation avec ses amis.

Faramir n'avait jamais montré le moindre signe de jalousie à l'égard d'Éowyn. Même lorsqu'il l'avait rencontrée aux Maisons de Guérison et qu'il avait compris qu'elle était encore amoureuse d'Aragorn. Cela lui avait été parfaitement égal et ne l'avait, du reste, aucunement empêché de la courtiser. Pourquoi une telle indulgence ? Au fond, n'était-ce pas là une nouvelle preuve de son indifférence ? Éowyn aurait de loin préféré que son mari se fasse un peu plus de soucis en la voyant côtoyer d'autres hommes susceptibles d'être ses rivaux. Au moins, cela lui aurait prouvé à quel point il lui était attaché.

La froideur de Faramir n'allait cependant pas lui gâcher le plaisir qu'elle avait de se faire conduire jusqu'au milieu de la salle de bal par l'un des Gardiens des Anneaux de Pouvoir. Flattée par sa proposition inattendue, elle ne pouvait s'empêcher de sourire en voyant les autres spectateurs s'écarter poliment de leur chemin pour les laisser rejoindre les danseurs. Il fallait dire qu'Elrond imposait naturellement le respect, tant par la noblesse de ses manières – il ne manquait pas de rendre le salut de chaque invité qu'il croisait – que par sa taille imposante – il faisait une tête de plus qu'Éowyn et celle-ci devait se tordre le cou si elle voulait pouvoir le regarder dans les yeux. Un diadème d'argent cerclait le front du semi-elfe et deux fines tresses de ses cheveux bruns encadraient son visage en retombant sur son torse. Il portait une longue tunique gris pâle qui s'accordait à merveille avec la couleur de ses yeux. Ses manches étaient couvertes de passements argentés qu'Éowyn avait plaisir à toucher en posant sa main sur l'avant-bras qu'il lui présentait. À son index brillait une bague en or sertie d'un saphir. Éowyn reconnut aussitôt l'Anneau de Pouvoir nommé Vilya, ou Anneau de l'Air : le plus puissant des Trois Anneaux Elfiques. Elle se demandait s'il avait réellement perdu son pouvoir après la destruction de l'Anneau Unique... C'était en tout cas ce que beaucoup affirmaient, mais Éowyn n'en avait jamais vraiment été convaincue. Pourquoi d'ailleurs ressentait-elle comme un étrange envoûtement à la vue de cette bague ? Sa grande pierre bleue aux reflets scintillants semblait l'hypnotiser et elle avait du mal à la quitter du regard…

Ce ne fut que lorsqu'Elrond abaissa son avant-bras pour poser sa main au-dessus de sa taille qu'Éowyn reprit ses esprits. Elle plaça à son tour sa main gauche sur l'épaule de son partenaire et sa main droite dans celle qu'il lui présentait. Relevant la tête, la jeune femme plongea son regard dans celui du semi-elfe qui lui sourit d'un air bienveillant. Tous les deux esquissèrent alors leurs premiers pas de danse au son de la lyre et du luth. Éowyn se laissait mener par Elrond et constatait avec ravissement que ses talents de danseur étaient bien supérieurs à ceux de Faramir. Il faisait preuve d'une telle aisance que c'était un réel plaisir de suivre chacun de ses pas. Bien sûr, il devait avoir derrière lui des siècles et des siècles d'expérience. Elle se demandait bien quel âge il avait… Probablement plus de six mille ans. Elle qui venait seulement de fêter ses vingt-six printemps devait lui paraître une enfant...

Les autres danseurs continuaient de virevolter autour d'eux, mais Éowyn n'avait d'yeux que pour le Seigneur de Fondcombe. Peu lui importait si certains s'étonnaient de la voir danser avec lui plutôt qu'avec son propre mari. Elle était même persuadée que ce dernier ne s'en souciait pas le moins du monde. Elrond, au moins, avait la bonté de s'intéresser à elle. Il s'enquerrait de ses progrès dans l'art de la guérison et des derniers ouvrages qu'elle avait lus. Flattée d'éveiller ainsi la curiosité du Grand Sage, Éowyn lui demandait en retour des nouvelles de la vallée d'Imladris et se mettait à rêver en l'entendant lui parler de ce havre de paix qu'elle n'avait encore jamais eu la chance de visiter.

La compagnie d'Elrond était si agréable qu'Éowyn ne vit pas le temps passer. Lorsque la musique se tut et que le semi-elfe s'inclina devant elle afin de la remercier pour cette danse, la jeune femme fut tentée de lui demander s'il ne voulait pas lui accorder la suivante. Elle se retint cependant, consciente que cette requête ne serait pas très convenable, et se contenta de lui rendre son salut.

Le Maître de Fondcombe lui offrit alors sa main pour la reconduire jusqu'à son époux, et Éowyn eut à nouveau l'occasion de voir briller à son doigt l'Anneau de Puissance. Troublée, elle hésita quelques instants avant de placer sa main dans la sienne, et lorsque sa paume entra en contact avec la bague elfique, Éowyn fut soudain frappée d'une violente commotion. Sa vision se brouilla et sa tête se remplit d'un sifflement suraigu. Elle porta la main à son front et ferma les yeux, envahie par une douleur lancinante. Une douleur telle qu'elle finit par perdre connaissance.