Burn Me.

Lilith détestait l'eau. Et encore, le simple verbe ne parvenait pas à qualifier l'horrible sentiment qui naissait dans sa poitrine lorsqu'elle se trouvait en contact avec la moindre substance aqueuse. De tous les éléments, c'était bien celui qu'elle portait le moins dans son cœur. Et pourtant, elle n'avait rien d'une grande adepte du vent, ni même du feu, la pauvre enfant trouillarde. Il aurait d'ailleurs été plus juste de la qualifier de petite nature, car dans ce monde de modernité, la frêle créature avait peur de bien des choses et de bien des personnes. Mais l'eau, c'était différent. En plus de la peur, elle nourrissait une véritable psychose à l'intention de toute substance aqueuse, quelle qu'elle soit. En prenant sa douche ou son bain par exemple, il n'était pas rare qu'elle s'imagine glissant dans le fond de sa baignoire et se noyant car incapable de revenir à la surface. Pire, avec un verre d'eau ! Elle buvait toujours avec la plus grande des attentions, comme si elle pouvait s'étouffer et mourir à tout moment ! Pour des personnes extérieures et étrangères à ses petites habitudes, il était loufoque de la voir lorgner une bouteille remplie avec l'œil farouche d'une bête sauvage, mais pour ses amis, sa famille, c'était devenu une habitude. Elle avait déjà consulté des médecins, des psychologues et plein d'autres gens très doués, qui lui avaient attribué toute sorte de souvenirs refoulé qu'elle n'avait bien entendu, ni d'Eve ni d'Adam, jamais vécu, ne serait-ce qu'une seule fois dans sa vie. Il n'y avait pas non plus de cas de noyade dans son entourage proche, ni même éloigné et de ce fait, la peur de la jeune femme restait un mystère à part entière pour tous. Alors, quand des amis lui proposèrent de rejoindre le pays, eux qui vivaient sur la péninsules côtière, Lilith songea à prendre le train plutôt que le bateau. Le voyage était plus long, plus horrible et plus onéreux qu'en bateau, mais Lilith ne pouvait que s'imaginer revivre le Titanic en étant, cette fois-ci bien sûr, de l'autre côté de l'écran. Ses amis refusèrent de faire le voyage en train et finalement, l'idée fut abandonnée. Lilith restait dépitée car elle s'empêchait de vivre bien des choses dans ce monde, comme aller à la plage ou participer aux activités scolaires qui se résumaient pour la plupart à des sorties à la piscine. Elle n'était pas triste la vie de la jeune fille, ô, n'allez pas croire cela, mais pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de songer, parfois avec beaucoup de regrets, que si elle était née avec une aisance toute particulière pour l'eau, elle aurait été beaucoup plus à l'aise dans sa petite ville. Malheureusement, les gens heureux, ici-bas, ne sont pas bien nombreux et de ce fait, la jeune fille se décourageait souvent de pouvoir un jour vivre sans avoir à se soucier de cette phobie qui la rongeait petit à petit. Alors, dès qu'elle eut 20 ans et qu'elle se sentit assez grande et forte pour se battre contre ce qui n'était qu'un « blocage stupide », Lilith se fit la promesse de ne plus jamais refuser l'opportunité d'affronter l'eau et pendant longtemps, très longtemps, elle n'eut pas à s'obliger à cette confrontation.

Malheureusement pour elle, le soir de ses 21 ans, alors qu'elle fêtait son anniversaire dans la joie, les rires et aussi probablement l'ivresse, l'opportunité en question se présenta de la pire des manières qui soit. Elle ne comprenait plus vraiment ce qu'il se passait autour d'elle, sans doute parce qu'elle avait abusé du gin préparé par son amie Hannah ou peut-être parce que son ami Max' la servait un peu trop souvent et qu'elle avait à peine le temps de finir le verre précédent. Dans tous les cas, elle était ivre comme bon nombre de ses amis et dieu seul savait à quel point les adolescents pouvaient être stupides une fois sous la joute de mère alcool. Dans tous les cas, l'un d'entre eux rappela à la bande que son grand frère, un peu trop plein d'argent, avait organisé une fête sur son bateau et qu'il y avait de sacrée chance pour qu'ils puissent organiser un petit tour le long de la côte. Bien trop joyeuse pour vraiment penser au bateau en question et surtout pour se souvenir qu'un bateau flottait sur de l'eau, Lilith, le sourire aux lèvres, approuva. Une dizaine d'adolescents prirent donc la route de la plage, bruyamment et gaiement, chahutant comme le font probablement tous les jeunes gens de cet âge. Bientôt ils se trouvèrent à bord d'un magnifique Yacht et la jeune femme songea à quel point elle avait été stupide auparavant d'avoir peur que quelque chose d'aussi naturel que de l'eau. Que peut-elle bien me faire, hein ? Alors et pendant toute la soirée, elle oublia ou elle se trouvait, se contentant de briller de toute sa beauté, de toute sa fougue. Car elle était une superbe création de la nature, bien qu'elle n'en ait encore jamais réellement prit conscience. Blonde, les cheveux longs, et de beaux yeux bleus, elle était le parfait stéréotype de la « plastique parfaite » qu'abordait certaines couvertures de magazines. A une différence près tout de même elle affectionnait tout particulièrement la modification corporelle et avait déjà eu de nombreuses fois affaire à un tatoueur, si bien qu'elle adoptait aujourd'hui un look Old School particulier mais qui lui collait parfaitement à la peau. Lilith se nourrissait des petites choses simples de la vie. Un sourire de la part de sa voisine, un remerciement pour avoir cédé sa place dans le train, le bonheur des gens autour d'elle, elle était l'incarnation même de la bonté et rien, pas même son caractère de cochon et ses propos parfois un peu vulgaires ne venaient à bout de l'amour qu'on pouvait porter à cette adorable petite créature. On lui aurait donné le bon dieu sans confession, à celle-là. Et même si elle ne faisait pas consciemment les choses pour, elle restait appréciée par tous ceux qui la connaissait, inspirant la confiance et le respect. Elle se battait pour des causes qui lui semblaient juste, était végane depuis désormais trois ans et luttait continuellement contre le racisme, l'homophobie, le sexisme et toutes sortes de choses qu'elle jugeait normale mais qui ne semblaient pas l'être aux yeux de tous. Un vrai petit bout de femme, un peu torturée par une vie de famille instable, mais un vrai petit bout de femme tout de même.

Ce soir-là pourtant, son univers tout entier dut remis en question par une goutte de pluie. Elle riait, gorge déployée, sans se soucier du reste, se moquant d'un ami occupé à faire le pitre quand la goutte tomba sur sa joue, la stoppant nette. Elle ouvrit les yeux et fixa le ciel alors que d'autres gouttes déjà venaient s'abattre sur son visage. Inquiète, elle avala sa salive, revenant brusquement dans le monde réel et réalisant un peu trop soudainement qu'ils avaient quitté le port, il y avait de cela désormais une bonne vingtaine de minutes. Elle pouvait percevoir au loin, les faibles lueurs de la ville, mais techniquement, ils se trouvaient un peu au milieu de nul part. Lilith se leva en titubant et chercha du regard son ami Hannah, la seule à même de la raisonner lorsqu'elle commençait à paniquer. Mais Hannah n'était pas là. Elle était restée au port et lui avait demandé d'en faire de même. Sauf qu'elle n'avait pas écouté. Lilith n'était que très rarement raisonnable lorsqu'elle buvait. Inquiète, elle tâcha pourtant de rester calme et alla s'abriter à l'intérieur du Yacht alors que le vent se levait, un peu trop vite à son goût. Tout ça, ça va passer, c'est juste une averse. Elle tenta de se rassurer ainsi pendant une dizaine de minutes avant que les choses de se gâtent. La jeune femme s'effondra d'un coup au sol alors que l'embarcation tanguait dangereusement, comme menacée par la météo. Max' entra, encore saoul et alla se chercher un gilet de sauvetage, l'unique de l'embarcation alors qu'elle le regardait faire, les yeux écarquillés

« - Qu'est-ce que tu fais Max' ?

- Désolée chérie, mais je sauve ma peau. Le seul qui sait contrôler le Yacht ici comate et personne n'arrive à le réveiller. Vu la tempête qui approche, on va très vite être emporté par le courant et chavirer. Moi, je pense à ma vie, tu vois... »

Il s'en alla aussi rapidement qu'il était venu alors que Lilith, tétanisée, luttait contre l'envie de hurler d'effroi. Mourir ? Vraiment ? Son instinct de trouillarde lui somma de se trouver de quoi survivre, alors elle chercha, partout. Mais elle ne trouva rien et dans un dernier effort, elle se réfugia dans un placard, priant pour sa vie et celle des autres. Après quelques roulements, un temps de flottement et un silence absolu, la jeune femme perçu les premiers cris de détresse de ses amis qui hurlaient à l'aide. Et elle se détesta d'avoir si peur. Et elle se détesta de ne pas avoir la force d'intervenir. Elle regretta tellement, tellement de choses alors que des larmes ravageaient son visage. Elle entendit un craquement sinistre et l'eau s'infiltra lentement dans sa cachette. Elle devina que la coque venait de céder et que bientôt, ils mourraient tous noyés, comme dans ses pires cauchemars. Arrivée à hauteur de ses genoux, l'eau vint plus vite et monta avec plus de dangerosité, si bien que Lilith paniqua. Tentant le tout pour le tout, elle décida de sortir, mais par un mauvais concours de circonstance, le loquet refusa de s'ouvrir et elle se sentit subitement piégée. Paniquant, elle utilisa son peu de force pour tenter de défoncer la porte, sans grand succès. L'eau continuant son chemin, lui arriva bientôt à hauteur des épaules et Lilith se mit à crier à son tour. Elle hurlait, s'égosillant sans grand espoir mais muée par l'envie de vivre. Bientôt, l'eau vint recouvrir son visage et dans un dernier songe à ses parents, elle les supplia de venir la chercher. Elle supplia le monde entier de la sauver. Pourvu, pourvu que quelqu'un lui vienne en aide. Elle avait besoin d'aide. Ses yeux se fermèrent et elle expira soudainement ses dernières réserves d'air alors que l'eau s'engouffrait puissamment dans ses poumons, la brûlant de l'intérieur. Elle ne chercha même pas à se débattre, ni même à lutter. Personne ne la sauverait de cette mort qu'elle craignait tant. Pas même cette main puissante qui après l'avoir libéré l'attira brusquement dans les profondeurs de l'océan.