Prologue
J'étais en train de manger une tranche de pain de mie et du fromage lorsque j'ai songé à cette phrase. En réalité, ce n'était pas la première fois que j'affrontai la réalité avec tant de réalisme, mais c'étais bien la première fois que je songeais à l'écrire quelque part. Parce qu'il y avait un problème manger une tranche de pain de mie avec du fromage alors que je venais tout juste de m'empiffrer de fruits secs et de brioche n'était pas naturel. Le tout m'avait paru l'être encore moins lorsque j'avais regardé l'heure sur l'horloge de ma cuisine : dix huit heure quarante. A ce moment-là, ce n'était rien de plus qu'un triste constat, j'avais un problème. Parce que je n'avais aucune raison d'être là à cette heure-ci et encore moins de manger, tout en sachant que bientôt j'irais diner. Parce que je n'avais pas faim, surtout. Il fallait donc admettre une chose bien simple j'étais boulimique. D'une façon ou d'une autre, j'avais un terrible manque à combler et j'avais choisi de le combler avec de la nourriture. Mauvais choix, avec le recul.
Mais alors quoi ? Mon dernier petit ami ne m'avait pas comblé ? Je me sentais seule ? J'avais un quelconque mal-être intérieur depuis mon plus jeune âge ? J'avais peut-être tout simplement besoin qu'on s'intéresse un peu à moi ?
Un peu de tout ça en réalité.
Je me sentais terriblement seule depuis toute petite. En fait, c'était même pire que ça je me sentais seule aussi loin que ma mémoire me permettait d'aller dans mes souvenirs. Il faut dire qu'à ma naissance, en 1996, j'étais un petit peu comme le joyau de la couronne pour mes parents et surtout pour ma grand-mère paternelle. Un vrai petit bijou, un nouveau jouet tout doux tout mignon et bien rond. Petite blondinette aux yeux bleus, toute parfaite un peu comme une petite princesse. Puis ma mère est tombée enceinte. Ça sonne comme un reproche dans l'immédiat, mais je sais qu'au fond de moi, même si j'ai encore une certaine amertume, je ne peux pas lui en vouloir. « Tu vas avoir un petit frère Rey ! ». Il est parfois difficile de se souvenir de certaines choses avant ses cinq ans et pourtant, j'ai encore l'impression qu'elle vient tout juste de prononcer ces mots. Et sur le coup, je me souviens encore avoir été très heureuse de cette annonce. J'allais être grande sœur ! Mais mon frère est né prématurément, alors qu'il venait à peine de passer sept tout petits mois dans le ventre de ma mère. L'horreur. Il parait, selon mes parents, que je ne supportais pas le fait de savoir mon frère dans une autre pièce. Selon moi, je ne supportais surtout pas de voir mes parents se détourner totalement de moi pour s'intéresser à un petit monstre à moitié mourant. Et je sais aujourd'hui que je ne peux pas leur en vouloir. Mais je sais également que j'étais terriblement jalouse de lui, de l'attention qu'il parvenait à obtenir de mes parents. Et même si je n'étais plus vraiment seule, c'est à partir de là que j'ai commencée à me sentir très isolée. Personne n'était jamais là pour moi, on ne s'intéressait qu'à mon petit frère, encore et toujours.
Mais il est totalement évident que je ne peux pas mettre mes problèmes d'alimentation sur le dos de mon frère, ou bien même sur celui de mes parents. Ça serait beaucoup trop simple, pas vrai ? Et puis au final, je parle de boulimie, mais est-ce que je suis vraiment atteinte de tous les symptômes de cette maladie ? De quel droit est-ce que je peux me permettre de m'exprimer sur ce sujet.
Ma mère est tombée enceinte à nouveau alors que j'allais sur mes six ans. Elle attendait une petite fille cette fois-ci. Et je me souviens avoir vécu cette naissance comme un second traumatisme. Parce que j'ai encore l'image de mon père, qui, le 1er septembre (c'est-à-dire le lendemain de mon anniversaire) est arrivé pour annoncer la nouvelle « Sarah est née, elle est en pleine forme ! Félicitation Rey, tu es grande sœur ! Et joyeux anniversaire ! ». Comprenez que j'avais clairement l'impression d'être remplacée. On prenait une autre petite fille plus jeune que moi et qui était née six ans après, à quelques heures d'intervalles et on m'annonçait de but en blanc que c'était une sorte de cadeau d'anniversaire. Une sorte de cadeau bordel !.. Qui pourrait sortir ça à une gosse de six ans sans la perturber définitivement ?
A sa naissance, mais petite sœur était un peu comme moi auparavant douce, jolie, ronde, une vraie petite princesse. Et ce statut royal n'a pas franchement changé en quinze ans, même si aujourd'hui elle à tendance à râler quand je lui en parle. A la naissance de ma sœur encore une fois, j'ai dû être face à certaine responsabilité que seuls les aînés de fratrie peuvent comprendre ma mère n'a pas repris son job tout de suite, pour profiter de ma sœur, et mon frère et moi rentrions tous les deux à l'école. C'est à ce moment là que j'ai dû affronter une nouvelle et terrible épreuve de ma vie ; l'école.
Certains adultes gardent encore aujourd'hui un souvenir mémorable de leurs années scolaires, pas moi. J'avais six ans, j'étais une petite fille que sa mère -au gout vestimentaire douteux- habillait et coiffait comme un garçon et le pire dans tout ça : j'étais grosse. Bouboule dans la classe c'était moi. En plus de ça, je n'étais pas très douée en lecture et je passais plus de deux heures tous les soirs à faire mes devoirs sous les cris de ma mère qui désespérait de me voir aussi peu futée. J'avais toujours l'impression de la décevoir, de ne pas être à la hauteur et de perdre toute l'estime qu'elle aurait pu avoir de moi. Bonne nouvelle cependant on ne me tapait pas et j'avais un copain de classe Lucas. Un petit roux, gros, comme moi, et tellement gentil que j'étais un peu amoureuse de lui. C'était mon meilleur copain et il me passait toujours un petit bout de son gouter à la récréation. Parce qu'en plus d'être la petite grosse, je crevais la dalle à chaque récréation et j'allais quémander auprès de ceux qui avaient un peu à manger. En CP on faisait aussi du sport une fois par semaine. J'étais nulle dans tout et la dernière choisie, sauf pour la gym. Les autres disaient tout le temps que je réussissais bien les roulades normal, j'étais assez ronde pour rouler sans trop me forcer.
A sept ans je faisais déjà cinquante cinq kilos. A huit, cinquante-neuf.
Une boule.
Et je ne vous parle même pas des sorties à la piscine.
Et encore moins du nombre de fois ou j'ai essayé de me faire vomir pour maigrir.
Mais à ce moment-là, je ne peux pas me permettre d'accuser mes camarades de classe. Ce n'était pas de leur faute si j'étais grosse. Ce n'était pas non plus de la faute de mes parents, et surtout de ma mère qui me faisait enchainer régime sur régime dans l'espoir de voir sa fille maigrir un peu et avoir l'air normale.
Et c'est en faisant ce début de bilan que je me suis rendu compte du nombre incalculable de soucis que j'avais avec la nourriture, ma famille, mais aussi mon entourage, les gens autour de moi et enfin, la société. Alors j'ai décidé d'écrire tout ça. Pour me soulager et apaiser ma conscience, principalement. Et aussi parce que j'ai le doux espoir de ne pas être la seule à souffrir. Parce que j'espère que je pourrais aider quelques personnes et surtout, qu'on pourra m'aider également.
