Prologue

La nuit était paisible en ce premier jour de mai 2 993 du Troisième Âge. La Lune éclairait Imladris de sa douce lumière blanche. Quelques nuages dissimulaient ci-et-là les étoiles. Dans la bibliothèque, un homme faisait glisser ses doigts sur une illustration d'un vieux livre. Elle représentait Silmarien, la fille du quatrième roi de Númenor Tar-Elendil. Elle portait avec fierté et beauté un joyau perdu de la couronne, l'Elendilmir. Un bijou qui, d'après les légendes, serait doté de certains pouvoirs. Jamais personne n'avait pu le confirmer et les récits étaient si incomplets qu'il était impossible de les vérifier. Cet artefact reflétait la grandeur passée de Númenor et il avait été perdu avec la mort d'Isildur, jusqu'à sombrer dans l'oubli.

Aujourd'hui, peu s'en souvenaient et rares étaient ceux qui le pleuraient encore. Le chercher serait se plonger dans une quête sans fin, sans même savoir où commencer. Et pourtant, le seigneur Aragorn avait effectué quelques tentatives sur la base de témoignages anciens : en vain. Un héritage perdu. Il se consolait sur l'anneau de Barahir qu'il avait offert à la Dame Arwen d'Imladris en guise de présent de fiançailles en 2 980, et elle l'avait préservé après leur mariage deux ans plus tard.

Quelques mois plus tôt, elle avait promis de le transmettre à leur premier enfant, qu'il fût son héritage pour savoir d'où il venait et pour ne pas oublier ses origines. Elle avait alors annoncé sa grossesse à son époux. Le Soleil avait illuminé les jours suivants, avant que la dure réalité ne les rattrapât le Mal grandissait en Terre du Milieu. Les Dúnedain étaient traqués et les affrontements avec les Númenóréens Noirs s'accentuaient.

Le seigneur des Dúnedain soupira en songeant à son enfant, à cet enfant métis, un sang-mêlé. Quel serait son avenir dans ce monde prêt à sombrer dans les ténèbres ? Héritier chez les Elfes, héritier déchu chez les Hommes.

— Seigneur Aragorn, appela un domestique, le travail a commencé.

Dès lors, l'homme referma le livre et prit la direction des appartements du couple. Il se hâta, désireux de rejoindre son épouse au plus vite. Cependant, une fois face à la porte de leur chambre, ses deux beaux-frères — les jumeaux Elladan et Elrohir — le stoppèrent il n'était pas autorisé à entrer pendant l'accouchement. Il patienta donc, nerveux, la naissance de son fils dont il avait rêvé. Son héritier, l'héritier du royaume d'Arnor et du royaume du Gondor. Et pourtant, la surprise fut de taille lorsque le Seigneur Elrond d'Imladris annonça la naissance d'une fille.

Aucun mot ne sortit de la bouche du jeune père. Avait-il mal interprété son songe ? Pourquoi les Valar lui donnaient une fille ? Ce monde n'aurait rien à lui offrir tant que la guerre perdurerait. Déçu, oui, il l'était, mais elle était désormais son enfant, elle était de son sang et il l'aimerait, il se damnerait pour elle.

Aragorn pénétra enfin dans leur chambre et s'approcha d'Arwen, exténuée et si heureuse. Elle tenait le nourrisson dans ses bras, si fragile et si innocent. Le couple s'observa un instant avant de contempler leur héritière. Oh oui, il l'aimait déjà plus que sa vie !

Dès lors, cette vision commune réapparut, comme si elle tentait de compléter les informations, comme si elle n'avait offert qu'un simple aperçu auparavant. Un petit garçon, le même, se trouvait une fois encore dans la cour de Minas Tirith. L'Arbre Blanc était en fleur et les pétales formaient un majestueux tapis sur les pavés blancs. L'enfant jouait dedans, il sautait et riait. Puis, il se tourna pour faire face à une femme que le couple ne vit que de dos. Elle se vêtait d'une robe bleu nuit, couleur royale du Gondor. Ses cheveux châtains tressés étaient ornés d'un diadème argenté. Le garçonnet sourit, garda quelques pétales dans sa main et courut vers la femme qui le prit dans ses bras. La joie illumina le visage de la mère et de l'enfant, celle-ci avait fini par se retourner. Son regard d'un gris pétillant rappelait celui d'Aragorn, rappelait celui du nourrisson.

La vision s'estompa et le couple se fixa, comme s'il essayait de comprendre ce qui venait de se produire. Cette jeune femme était de leur sang, c'était une évidence, et elle portait une robe royale. Pas princière, non. Royale. Le regard d'Aragorn s'assombrit un instant avant qu'Arwen ne lui saisît la main.

— Il existe diverses raisons à cela, mon amour. Peut-être que je ne te donnerai pas de fils.

— Ou je mourrai sur le champ de bataille, Arwen. Nous devons garder cette possibilité en mémoire.

— Il y a un espoir. L'espoir que la guerre prenne fin. J'ignore dans combien de temps, j'ignore comment, mais c'est aujourd'hui une certitude.

Le chef des Dúnedain prit sa fille dans ses bras. Il contempla ses yeux gris déjà bien définis et qu'elle garderait probablement en grandissant. Était-ce donc elle qu'ils avaient vue ? Était-elle destinée à régner à sa suite ou à sa place ? Si tel était le cas, elle devait porter le nom d'une reine.

Pendant ce temps, bien au sud de la Terre du Milieu, dans le lointain royaume d'Umbar, un homme observait sa flotte de navires. Il était prêt pour son retour en Terre du Milieu. Ses forces terrestres seraient menées par l'un de ses plus fidèles guerriers, Adûnakhôr, tandis que le souverain prendrait la mer. Il était temps de continuer leur quête, il était temps de positionner ses pions. Le roi Fuinur d'Umbar se préparait à l'avènement de Sauron, il se préparait à l'assaut décisif contre la Terre du Milieu et les Peuples Libres, il se préparait à investir l'Arnor pour en récupérer la couronne.

Roi d'Umbar. Il avait hérité de ce titre grâce à son arrière-grand-père. Il s'était s'imposé en tant que chef. Il s'était élevé au-dessus des Númenóréens Noirs comme jamais aucun d'entre eux n'avait su le faire, et il les avait tous réunis sous une seule bannière. Il avait mis fin aux conflits avec le Harad en proposant des alliances et la majorité des clans avait accepté. Après tout, ils étaient tous du même sang et se faire la guerre était d'une débilité profonde, d'après les paroles de ce premier roi. Les Haradrim avaient été massacrés bien longtemps auparavant, par les Númenóréens principalement ces derniers avaient par la suite investi le Harad pour le peupler. Cependant, deux peuples s'étaient distingués et les conflits avaient rarement cessé.

Cette alliance perdurait encore à ce jour, et bien plus qu'autrefois. Le roi Fuinur avait épousé l'aînée d'un grand chef de clan. Cela lui offrait une place sans précédent parmi les Haradrim en étant à la tête de cette tribu depuis la mort de l'ancien dirigeant. Fuinur assurait son autorité et son pouvoir, notamment en refusant de prêter allégeance au Seigneur des Ténèbres. Sauron n'obtenait pas l'asservissement des Númenóréens Noirs, malgré ses tentatives et ses intimidations. Le roi ne se soumettrait pas.

— Père, que faites-vous ? s'indigna-t-on.

Son fils, Belzagar, venait de pénétrer dans son bureau.

— Le corps de Mère est encore chaud que vous partez déjà pour la Terre du Milieu. J'imaginais que vous aviez un plus de respect pour elle.

Le regard azur du prince se posa sur celui du roi. Les deux hommes se toisaient et aucun ne baissa les yeux. Ils se ressemblaient physiquement en tout point, seul leur caractère différenciait.

— Restez pour les funérailles. Ne risquez pas l'incident diplomatique avec les clans du Harad. N'oubliez pas cette position qui est nôtre ! N'oubliez pas leur allégeance ! Ils ont le pouvoir de nous donner leur trône tout comme de nous le reprendre.

En effet, les clans, aveuglés par leur confiance en Fuinur, par la paix promise et par la protection contre la soumission réclamée de Sauron, avaient accepté de lui jurer allégeance. S'ils ressortaient vainqueurs de cette guerre, il deviendrait roi du Harad et les Númenóréens Noirs pourraient asseoir leur pouvoir dans le sud.

Fuinur ne céda pas et quitta la pièce sans un mot. Les armées de Sauron s'activaient en Terre du Milieu. Les affrontements entre les Dúnedain et les Númenóréens Noirs s'intensifiaient, et le roi se devait de remonter dans le nord. De plus, des informations sur la localisation de certains de leurs villages lui étaient parvenues et il comptait mettre à profit cet avantage. Les années avaient endurci le roi. Il était devenu plus violent et téméraire, surtout conscient qu'il devait préserver l'unité de son peuple et s'élever contre le Seigneur des Ténèbres. Leur liberté était précieuse et il savait fort bien que l'alliance avec Sauron prendrait fin tôt ou tard, car il n'accepterait jamais l'indépendance de l'Umbar et du Harad.

Le prince ne le suivit pas. Il comprenait cette crainte qu'il partageait, mais il n'approuvait pas pour autant certains agissements. Le regard grave, il se remémora les dernières paroles de sa mère, des paroles qu'elle lui avait confié à lui et uniquement à lui :

« Ton père ne comprendrait pas. Il est trop virulent et bien moins sage et réfléchi que toi, mon cher fils. La victoire nous attend. La guerre prendra fin dans un avenir proche. Tu mèneras nos troupes et tu participeras à cette victoire. Cependant, j'ai perçu deux voies : notre gloire et notre chute. Seul, nos terres seront condamnées. N'oublie pas que, parfois, même notre pire ennemi peut s'avérer être un puissant allié. Ouvre les yeux et débarrasse-toi de la rancœur et de la haine. Tu es bon. Tu es juste. Et je sais que tu feras le bon choix le moment venu. Seuls, chacun de votre côté, vous perdrez, elle comme toi. »