Un monstre infâme. Devenu fou de par sa malédiction et son affliction constante. La putréfaction écarlate qui la rongeait maintenant depuis des années avait eu raison de son esprit. Des cris, des hurlements sauvages tels ceux de son demi-frère, le Général Radahn.
C'était ainsi que la Sans Eclat se l'imaginait. Prise de folie, incapable du moindre contrôle sur son corps. La Demi-Déesse Malenia, fille du Seigneur Radagon et de la Reine Marika. Lame de Miquella.
Cependant le silence demeurait à Elphael. La cité dorée n'était jonchée que d'armures vides et d'armes laissées à l'abandon. Et là, aux Racines même de l'Arbre Sacré de Miquella, le silence n'en était que plus assourdissant. Lorsqu'elle pénétra la salle du trône, la Sans Eclat se figea face à cet endroit qui semblait étrangement des plus paisibles. Aucun cri, aucun râle, aucune souffrance ne semblait prendre place en ce lieu.
Les fleurs blanches parsemaient le sol et un éclat de lumière venait nimber l'endroit d'une faible blancheur. Les racines de l'Arbre Sacré s'enroulaient à travers la terre, soutenant les fondations de la salle. L'appartenance des jumeaux à la lignée des Seigneurs d'Elden n'avait en aucun cas eu d'impact sur cet endroit. Ici ne se trouvait qu'une large caverne où la nature avait pris ses droits. Aucune construction, aucunes fioritures n'ornaient les murs. Dans cette salle, il n'y avait rien.
Sauf ce trône de bois, au pied même des racines de l'Arbre Sacré. Un trône sur lequel une femme reposait, son bras gauche tendu vers les cieux, apposé contre l'Arbre. Sa chevelure, d'une couleur flamboyante renseigna immédiatement la Sans Eclat sur son identité. Nul doute n'était possible, il ne pouvait s'agir que d'elle. La Demi-Déesse Malenia.
La Sans Eclat fut prise de frissons face à cette image même de la sérénité. Elle dormait. Elle sommeillait, bras tendu vers l'Arbre Sacré, seule et unique chose qui lui permettait encore de vivre aujourd'hui.
Cependant contrairement à Radahn, la Demi-Déesse ne s'exprimait pas. Elle n'hurlait pas, ne grognait pas tel le monstre que lui était devenu. L'effet de la putréfaction écarlate était ici bien différent et la Sans Eclat les distingua en s'approchant davantage.
La Demi-Déesse Malenia ne possédait qu'un bras, le gauche. Son bras droit, lui, était absent. A ses pieds jonchait une prothèse d'or. Cette dernière dont beaucoup avait distingué l'éclat lors de la bataille d'Ivoine, armée d'une longue lame dorée. Les rares survivants de la bataille avaient tous rapporté le combat qui s'était dépeint sous leurs yeux et nul doute que Malenia s'était imposée comme une adversaire de taille face au Général Radahn. Mais tandis que ce dernier avait perdu de sa superbe, il n'en semblait rien pour elle.
Au fur à mesure que la Sans Eclat avançait, la respiration de la Demi Déesse devenait de plus en plus palpable. Et à un mètre seulement d'elle, Malenia esquissa un mouvement, laissant finalement tomber son bras le long des racines de l'Arbre.
« -J'ai tant rêvé... »
La Sans Eclat s'immobilisa, coupé dans son élan par la voix douce mais pourtant si froide qui venait de s'élever.
« -Ma chair était d'or terni…et mon sang, putréfié. Tant de cadavres jonchaient mon sillage…tandis que j'attendais son retour. »
Malenia ne dit plus mot et tandis qu'elle revêtait son heaume ailé, accompagné de son bras droit reposant côte à côte au sol, elle s'immobilisa. Debout ainsi, elle semblait telle une statue faite d'argile, sa poitrine se soulevant à peine au rythme de sa respiration.
«-Écoutez-moi bien. »
La Sans Eclat demeura silencieuse à cette annonce. Plus qu'immobile, la voix de Malenia exerçait une pression telle sur sa gorge qu'aucun mot n'osait en sortir.
« -Je suis Malenia, Epée de Miquella. Et je n'ai jamais connu la défaite. »
A ces paroles, la Demi-Déesse dégaina son sabre. D'une longueur qui avoisinait un bon mètre, l'arme finement forgée semblait aussi meurtrière que sa propriétaire.
La Sans Eclat sentit un frisson s'insinuer le long de sa nuque et savait que Malenia ne comptait pas l'épargner. Et pourtant, même si la Grâce la ramènerait encore et encore, la Sans Eclat hésita un instant.
Cela lui fut presque fatal. La lame de Malenia trancha l'air à quelques centimètres de son visage, revenant rapidement pour un estoc qu'elle évita en se jetant au sol. Se relevant d'un bond, la Sans Eclat ne dégaina pourtant pas son épée.
Quelque chose l'en empêchait. Malgré la quête que la Grâce elle-même lui avait confiée, malgré le destin même qui lui était imposé, elle resta immobile face à la Demi-Déesse.
« Je ne souhaite pas me battre. »
Malenia resta de marbre et fit tourner sa lame une seconde fois, rasant de près les talons de son vis-à-vis. Avec souplesse, la Demi-Déesse tourbillonna, allongeant sa lame comme une extension même de son bras. Cette dernière entrechoqua le bouclier de la Sans Eclat, relevé avant le coup qui lui aurait été fatal.
« Tu pénètres un lieu sacré en toute impunité. Et tu penses pouvoir échapper à ma lame. »
La Sans Eclat daigna relever la tête, au risque de la perdre face à la lame qui s'abattait encore. Malenia, face à elle, restait impassible et ne laissait transparaitre aucune émotion. Comme si la mort était chose aisée pour elle à donner, la Demi-Déesse n'hésitait pas. Et tandis que son adversaire restait inactive, elle se propulsa en l'air.
Le temps paru s'arrêter dès lors. Elle flottait ainsi, son arme relevée au-dessus de son casque ailé et ses robes suivant délicatement les courbes de ses jambes d'or. Et la danse commença.
Son épée fendit les airs sans que la Sans Eclat ne puisse la suivre du regard. Elle releva son bouclier une nouvelle fois et les chocs s'accumulèrent un à un. Elle eut un temps de répit, l'abaissa et esquiva une nouvelle série d'entailles toutes aussi mortelles les unes que les autres. La Demi-Déesse revint vers elle pour un nouvel assaut et la Sans Eclat tenta de distinguer les coups à mesure qu'ils pleuvaient. Cela lui semblait impossible et la garde de son bouclier céda alors que la lame tranchait l'air, s'entrechoquant sur le cuivre.
L'épée de Malenia, aussi vive et fine qu'une aiguille, devenait presque invisible tant la vitesse de sa porteuse était grande. La Sans Eclat s'élança vers la droite, roulant au sol. Malenia la suivit cependant et elle sentit la lame finalement la toucher. Le sang venant humidifier sa tenue au niveau de ses mollets de son estomac ainsi que de son bras gauche. La douleur fut vive et la Sans Eclat serra les dents, son cerveau fonctionnant à toute allure, cherchant un moyen viable d'éviter la Mort.
« Je dois rendre à Malenia la volonté qui était autrefois la sienne. »
La voix de Millicent s'imposa dans son esprit comme une évidence. Les yeux soudainement écarquillés, la Sans Eclat posa un genou à terre tandis que la Demi-Déesse avançait encore vers elle.
Mais Malenia se stoppa enfin, avisa l'aiguille d'or que lui tendait la Sans Eclat. Seul véritable rempart entre elle et la mort, l'aiguille d'or tachée du sang de Millicent brillait entre ses doigts.
« Dame Malenia, lui dit-elle à bout de souffle. J'ai ceci à vous remettre. »
La putréfaction écarlate avait attaqué le corps de la Demi-Déesse avec violence et lenteur. Malenia, après des années de combat contre sa malédiction, était pourtant restée triomphante. Son frère jumeau, Miquella, Empyréen tout comme elle, avait mis au point les Aiguilles d'Or, seule et véritable solution contre la putréfaction. Elle ne soignait pas, certes, mais ralentissait grandement la progression et propagation de la maladie.
Miquella avait pour but de conjurer la malédiction dont sa sœur était victime, mais également celle que lui aussi portait depuis sa naissance. C'était ainsi qu'il avait créé l'Arbre Sacré et qu'il s'était enfermé dans un cocon en son sein. Seulement Miquella n'était plus là et l'Arbre Sacré ne détenait aujourd'hui plus aucun pouvoir autre que le maintien de la cité d'Elphael.
La Sans Eclat observa une nouvelle fois les racines qui s'entremêlaient au-dessus de sa tête. Elle crut même voir un visage se distinguer dans ses nouages. Ses yeux se redirigèrent vers l'Empyréenne qui avait repris place sur son trône maudit. De ses doigts d'or, elle tenait l'aiguille que l'on lui avait remis. De son autre main, elle en caressait la surface, comme si la sensation même de l'instrument sacré sous ses doigts la rassurait en une sorte.
La Sans Eclat observa longuement la Demi-Déesse, qui elle, restait tue et n'esquissait plus autre mouvement que cette simple caresse. Elle pouvait entrevoir sa main encore faite de chair qui sombrait lentement dans la putréfaction, les marques et les couleurs sombres de cette dernière apparaissant sur ses phalanges. Son visage également, malgré le port de son casque ailé, affichait les mêmes marques maudites.
« Si vous me le permettez…je souhaiterais vous aider. »
Les mots échappèrent à la Sans Eclat qui ne savait plus quel destin l'attendait vraiment. Le trône d'Elden devait être sien mais récupérer la Rune de Malenia lui semblait, à ce moment même, hors de portée. Et même si cela lui était permit, elle doutait alors si elle saisirait cette chance.
Il était vrai qu'au premier regard posé sur la Demi-Déesse, la Sans Eclat avait perdu tous ses moyens. Elle ne savait si cela était dû au statut même d'Empyréenne, ou s'il n'était question que d'attrait physique. Son voyage à travers l'Entre Terre avait été mouvement et très peu souvent la Sans Eclat avait pu échanger avec un être qui ce ne soit pas avéré être un monstre. Alors la Sans Eclat se demandait, sans être réellement sûre que la situation ne dégénèrerait pas, si Malenia n'était pas la compagnie qu'elle aurait souhaitée durant ces longs mois de voyage.
Elle s'avança vers la Demi-Déesse et vint s'agenouiller près de son trône, genou à terre tandis que sa main frôlait les jeunes fleurs blanches qui poussaient au sol.
«-Le Seigneur Miquella n'est plus ici. » lui dit-elle doucement, ne souhaitant pas réveiller sa colère.
Malenia ne répondait pas et fixait toujours l'aiguille avec silence. La Sans Eclat se lança, non sans honte de sa demande qui n'était que folie à ses yeux.
«-Mes incantations n'égalent, pour sûr, pas celles de votre frère. Elles sont cependant d'une nature qui en diffère grandement. Alors…peut-être pourraient-elles… »
La Demi-Déesse l'écoutait et ses lèvres se fermèrent davantage à l'évocation de son frère et de ses pouvoirs hors du commun. La Sans Eclat comprit qu'elle avait effet l'erreur de se comparer à un Demi-Dieu bien trop considéré.
« -Je… »
Les mots ne sortaient plus qu'à travers des balbutiements et l'idée même d'avoir pu penser être à la hauteur de Miquella vint frapper la Sans Eclat en plein visage. Malenia cependant, ne s'insurgea pas. La Demi-Déesse restait d'un calme exemplaire, comme attendant cette déclaration qui ne viendrait peut-être jamais.
D'un geste lent, elle baissa la tête, et retira son bras d'or qu'elle laissa tomber au sol. Puis, se saisissant de l'aiguille, l'enfonça dans sa chair, à l'endroit même où la putréfaction avait commencé à l'attaquer. Elle serra les dents mais aucun son ne sortit de sa bouche si ce n'était un soupir de soulagement. L'aiguille de Milicent avait donc joué son rôle.
La Sans Eclat la vit pourtant. Cette fatigue, cette lutte incessante que la Demi-Déesse exerçait sur son propre corps. Cette enveloppe charnelle qui lui était, au final, sa plus grande faiblesse et qui finirait par être sa perte. Elle nota le faible tremblement de sa main encore valide qui reposait sur ses genoux et comprit que l'Empyrénne ne montrait qu'une façade. Parfaite, meurtrière et dont la puissance pouvait en dissuader des millions. Mais sous celle-ci se cachait autre chose. Et c'était cela que recherchait la Sans Eclat.
Et c'est cela qui la fit poursuivre.
« -Dame Malenia, j'aimerais vous aider à guérir.»
Malenia était restée silencieuse trois jours durant. Trois jours au bout desquels la Sans Eclat n'attendait plus de réponse. Elle s'en était allé, fouillant les ruines de l'ancienne cité dorée d'Elphael à la recherche d'un quelconque survivant. Mais aucun des corps inanimés qu'elle fouilla ne lui répondit. Tout comme la Demi-Déesse, Elphael semblait dans un état second.
Les armes des chevaliers de la Noble Putréfaction reposaient au sol, accompagnées de leurs armures d'or teintés de rouge. La putréfaction écarlate les avait sans aucun doute tous affectés, mais jusqu'à la fin, l'armée était restée fidèle à la Demi-Déesse.
Les racines de l'Arbre Sacré s'étendait à travers la ville également, s'entrelaçant entre chaque colonne et ne faisant qu'un avec la cité. La Sans Eclat s'était ainsi assise sur l'une d'elle, les jambes pendantes et étudiant l'horizon éclatant de l'océan au-delà de la cité. Ici, plus que n'importe quel endroit dans l'Entre-Terre, elle ressentit une certaine quiétude. Rien d'autre que la brise ne troublait le silence en ce lieu, et bien qu'il fût lié intrinsèquement à la mort, la Sans Eclat se sentit ici sereine. En autant cas les étendues de Caelid ou les marais de Liurnia ne l'avait ainsi séduite.
La Sans Eclat décida de marquer une halte, et quel que soit la décision de Malenia à son encontre, elle souhaita rester dans la ville sacrée de Miquella ne serait-ce que quelques jours de plus. A l'aide de vieux tissus et de quelques restants de meubles trouvés en morceaux, elle s'aménagea un matelas de fortune. Cela couplé à quelques plumes et peaux d'animaux, la Sans Eclat s'étala de tout son long et tenta de prendre un repos pleinement mérité.
Les jours qui suivirent furent consacrés à la chasse ou plutôt à la recherche d'une quelconque nourriture en Elphael. Descendant le long des racines de l'Arbre, du côté extérieur à la salle du trône, elle remarqua un point d'eau. D'une taille moyenne et où certains crustacés avaient élu domicile. Elle fut prise de remords quand elle constata qu'il s'agissait du seul endroit en Elphael que la putréfaction avait véritablement épargné. Cette pensée suffit à la dissuader de coloniser cet endroit même et la Sans Eclat opta finalement pour le reste de viande séché dont elle disposait encore.
Tout comme la veille, elle alla s'asseoir sur cette même racine, observant le soleil qui montait à son zénith et profitant du calme qui lui n'était que trop agréable. Un calme qui fut troublé en cette troisième journée par la Demi-Déesse avançant jusqu'à elle.
La Sans Eclat ne se détourna pas du paysage et fit comme si de rien n'était bien que le faible tremblement de ses mains en disait autrement. L'Empyréenne prit place à ses côtés tout en gardant une distance respectable entre elles. La Sans Eclat tourna son visage vers elle à cet instant, et observa la lumière solaire se diffusant sur le casque ailé de la jeune femme. Malgré le paysage subjuguant n'importe quelle personne sensée, Malenia restait froide et distante. La tête légèrement baissée, elle évitait que le soleil n'entre en contact avec le bas de son visage découvert. Ainsi, elle semblait vidée de toutes émotions. Plus encore, elle semblait…abattue.
« -Tu devrais t'en aller. » annonça-t-elle, sur ce même ton cinglant.
La Sans Eclat se détourna, prenant une inspiration et admirant l'architecture dantesque qui s'enchevêtrait sous ses pieds. Voulait-elle vraiment quitter cet endroit ?
« La putréfaction te dévorera, comme elle l'a fait pour mon armée. »
Il ne lui fallut que cette phrase pour qu'elle comprenne davantage ce que ressentait la Demi-Déesse. Les années avaient passées et de par son affliction, les personnes qu'elle avait côtoyées et par extension auxquelles elle avait tenu avaient peu à peu disparues. Chacune d'elles consumées par la putréfaction écarlate, contaminé par le contact même de l'Empyrénne.
Malenia ne releva pas la tête. Elle ne fit pas face au soleil éclatant qui nimbait Elphael. Elle n'en avait pas le droit, selon elle. La seule option dont elle disposait était de retourner à l'Arbre, attendant son frère qui, un jour, viendrait la guérir. Se retirer pour également l'épargner, ce monde, de son infâme malédiction.
« -Sans doute cela arrivera-t-il. » répondit la Sans Eclat, maintenant plus confiante.
Le sourire aux lèvres, elle laissa son buste basculer en arrière pour s'adosser à la racine de l'Arbre Sacré. Elle s'étonna un instant de sa propre folie à l'idée même qui venait de lui traverser l'esprit.
« Quand bien même la putréfaction me consume… »
Elle incanta d'un mouvement de doigts et la Flamme vint danser dans sa paume. Brillante, dangereuse et si mystifiante.
« Vous semblez oublier que la Grâce me ramènera toujours »
Malenia n'avait, en effet, pas pensé à cette éventualité et l'idée même qu'une Sans Eclat renonce à sa destinée pour l'aider, elle, était chose improbable. Un rictus discret se forma sur ses lèvres, à peine perceptible. Et, comme synonyme d'une acceptation, elle détacha son bras d'or qu'elle déposa près d'elle, sa lame l'accompagnant.
«-Je dois reconnaître que tu possèdes une obstination à toute épreuve. »
Elles restèrent ainsi de longues heures durant, jusqu'à ce que le soleil disparaisse des rues d'Elphael et tandis que la Sans Eclat regagnait sa couche de fortune, elle suivit la Demi-Déesse du regard. S'enfonçant dans la terre jusqu'à son domaine sacré où elle retrouverait son trône de solitude.
« -La Flamme n'est qu'à moitié tangible. Elle ne brûle qu'à l'absorption, mais étrangement, cette même brûlure repousse la putréfaction avec aise. »
La Sans Eclat s'était assise face à la Demi-Déesse. Peu après leur dernière conversation, elle avait décrété qu'il lui fallait un endroit afin de mener ses expériences, qu'elles soient concluantes ou non.
L'Incantatrice avait donc aménagé l'étage non loin de la salle du trône, du mieux qu'elle le pouvait, c'était dire en parcourant les moindres recoins d'Elphael. Elles disposaient donc d'un canapé de fortune, ne comportant finalement qu'un soutient de par le bois et une assise faite avec l'enchevêtrement de tissus. Les peaux de loups exhibées en trophées dans la cité avec servis à amortir l'assise et désormais, la Sans Eclat se sentait apte à faire des premières tentatives.
Assise face à Malenia qui l'écoutait d'une oreille attentive, elle expliqua à la Demi-Déesse tout ce qu'elle savait concernant le pouvoir des incantations de la Flamme Exaltée. Ce nom n'était que trop mauvaise augure, mais la Sans Eclat n'utilisait que trop peu ces incantations pour adhérer à la Flamme Exaltée. Par ailleurs, elle n'entretenait aucun lien avec cette entité que Melina lui avait recommandée dangereuse. C'était hormis cette seule incantation.
« -Puis-je ? » questionna-t-elle du regard l'Empyréenne, observant sa main gauche.
Malenia acquiesça, lui tendant lentement sa paume. La Sans Eclat l'avisa un instant, remarquant le chemin qu'avait emprunté la putréfaction depuis son bras valide jusqu'au bout de ses doigts.
Comme une craquelure à l'intérieur même de sa peau, elle déformait peu à peu sa peau lisse en un semblant de fin gravats.
Sa main s'approcha de celle de la Demi-Déesse pour venir toucher, non pas sa paume, mais la base de son poignet. L'effet fut rapide et presque immédiatement. La putréfaction se répandit depuis son pouce, point de connexion entre leurs deux peaux, et s'infiltra petit à petit jusqu'à toucher ses autres doigts.
La Sans Eclat eut un mouvement de recul, notant la progression étonnamment rapide de la putréfaction sur son organisme. Malenia, quant à elle, se retira presque immédiatement, rompant le contact à la minute même. Son vis-à-vis incanta dès lors, de sa main gauche, et fit danser la flamme avant de l'abattre sur sa poitrine. Comme effrayées, les traces de putréfaction se retirèrent immédiatement et la Sans Eclat examina sa main, redevenu lesté de poison quelconque.
Face à elle, Malenia avait serré son poing valide, consciente qu'une fois de plus, elle mettait la vie d'un nouvel être en danger. Elle ne pouvait s'empêcher de se sentir impuissante face à cette malédiction qu'elle ne contrôlait pas.
«-Dame Malenia, j'aurais besoin de plus d'informations… »
La Demi-Déesse s'étonna, une fois de plus, de la persévérance de la Sans Eclat que la putréfaction intriguait plus qu'elle n'effrayait.
«- Que savez-vous de la malédiction qui vous touche ?
« -J'ai été approché par un Dieu » soupira-t-elle.
La Sans Eclat fut interloqué mais bu les paroles de Malenia autant qu'elle le pu.
« -Il s'agissait d'une force extérieure qui fut scellé par celui qui fut autrefois mon maître d'arme. La putréfaction m'habite depuis ma naissance, mais à mon grand dam, je n'ai jamais connu autre Empyréen ainsi affligé. »
« -Pensez-vous que ce Dieu…puisse être à l'origine de la putréfaction elle-même ? L'interrogea son vis-à-vis.
-En effet. Mon corps n'est autre qu'un vaisseau et la putréfaction n'est une maladie qui m'a été léguée. »
La Sans Eclat se mit à réfléchir. La mission qu'elle s'était entêté à suivre s'annonçait impossible à atteindre. Lutter contre une entité divine ? Quelle folie faisait-elle. Elle observa cependant Malenia qui touchait de ses doigts dorés sa paume putréfiée.
« -Je répugne la putréfaction. Qu'elle soit issue d'un Dieu quelconque m'est bien égal.
-Je ne suis pas sûre de… »
De réussir. C'était ce que l'Incantatrice failli se risquer à dire mais l'attitude qu'aborda Malenia la fit changer d'avis. Elle lui tendit sa main, encore valide et malade, et baissa la tête face à elle. Silencieuse comme son titre royal le lui incombait, Malenia ne montrait aucun signe de souffrance face à la putréfaction qu'elle portait malgré elle. Pourtant, la Sans Eclat comprit qu'il s'agissait là d'une supplication.
Le Seigneur Miquella absent, l'Arbre Sacré aujourd'hui mort et Elphael déserte. Rien de subsistait de l'ancienne vie de Malenia et aucun espoir ne s'offrait à elle. Excepté cette idée folle de guérison. Etrangement, la Sans Eclat se sentit proche un instant de la Demi-Déesse. Elle qui était morte et ressuscité par la Grâce, choisie par une destinée dont elle n'avait que faire et qu'elle ne pouvait que subir.
Doucement, elle incanta la Flamme sur le bout de ses doigts. Malenia, sentant sa chaleur approcher sa main, eut un léger mouvement de recul.
« -Cela risque de vous blesser. Si la Putréfaction même vous habite, je crains que la Flamme n'y réagisse et n'ait raison de vous. »
Malenia demeura ainsi, malgré la mise en garde de son vis-à-vis. Non, elle n'avait plus rien à perdre si ce n'était sa propre vie. Le souhait de l'Empyréenne était clair et simple. Mourir, aujourd'hui de par la Flamme ou demain, de par la Putréfaction Ecarlate.
La Sans Eclat accepta donc sa décision, et pencha la tête au-dessus de la main qu'elle lui tendait toujours. Sa main droite se positionna sous la paume de l'Empyréenne, restant cependant hors de contact. Comme mimant un baise-main, elle lui fit ainsi sa promesse : que sa destinée même serait de lui sauver la vie.
Comme prévu, la Flamme bataillait à l'approche de la peau de Malenia. La Putréfaction luttait mais s'estompait progressivement, à mesure que la Flamme venait lécher sa peau.
L'expérience avait débuté de par sa main tendue et la Sans Eclat, avec de la patience et toute la délicatesse dont elle pouvait faire preuve, faisait danser la Flamme lentement sur le bras de la Demi-Déesse. Sa main tremblante indiquait que la douleur était bien là, pourtant Malenia restait de marbre.
La Flamme n'était pas absorbée par son corps mais voletait sur sa peau et sa brûlure constante venait éliminer la putréfaction, lentement mais surement. L'absorption n'étant cependant pas présente, la putréfaction reviendrait surement, aussi avait-elle prévue plusieurs de ses séances les jours qui suivaient. Une fois la putréfaction presque totalement repoussée, peut-être disparaitrait-elle enfin.
La Flamme finit par faire disparaitre les derniers sillons présents sur l'avant-bras de la Demi-Déesse et se désintégra, révoquée par l'Incantatrice. Cette dernière, que l'effort avait quelque peu épuisé, reprenait son souffle et observa longuement la peau devenue blanche et dénuée de toute traces de putréfaction.
Elle approcha sa main et déposa ses doigts sur la peau de l'Empyréenne. Elle était chaude, surement dût à la caresse de la Flamme, presque insupportable pour son hôte. Malenia n'avait pas dit un mot et n'avait pas non plus relevé la tête. Seules ses lèvres s'étaient serrées lors du passage de la Flamme puis finalement entrouvertes lorsque cette dernière avait quitté sa peau, laissant échapper un court soupir. La Sans Eclat, dès lors, massa doucement son avant-bras, s'assurant de la disparition de la putréfaction et soufflant délicatement sur la peau dont la chaleur laissait présager une haute fièvre.
Elle s'interrompit un instant quand elle réalisa que Malenia s'était raidit à son contact, comme ne sachant quoi faire. Si peu habitué au contact humain, le geste de la Sans Eclat l'avait comme pétrifiée. Cette dernière relâcha la main qu'elle tenait encore contre la sienne et baissa la tête, comme l'avait fait l'Empyréenne, des minutes auparavant. Comme symbole d'humilité entre elles, elle assurait à Malenia que le respect restait maître.
Elle sentit son regard s'attarder sur elle et finalement la voix de la Demi-Déesse s'éleva. D'une façon qui se voulait plus douce et plus tendre et qu'elle n'aurait jamais cru entendre venant d'elle.
«-Merci… »
Les jours suivants furent calmes.
Malenia n'avait pas échangé avec la Sans Eclat depuis cette première tentative. Elle avait longuement examiné son bras gauche où la trace de la putréfaction ne demeurait plus. Et puis elle s'en était allée. Veiller sur l'Arbre Sacré et attendre Miquella, encore et toujours.
La Sans Eclat, de son côté, visitait chaque jour davantage l'ancienne Cité. Chaque jour, elle s'éclipsait et revenait les bras garnis de toutes sortes de découvertes. Si bien qu'elle s'était aménagé une véritable pièce de vie, non loin de l'endroit où elle menait ses expériences.
Elle s'en était allé pêcher la veille, visitant les abords les plus bas de la ville et s'approchant de l'immensité de l'océan qui la bordait. Quelques jeunes pieuvres terrestres ainsi que deux à trois crabes seraient un repas convenable. Et alors que le soir venait et qu'elle dégustait ses mets, elle se mit à songer à Malenia.
La Demi-Déesse était seule depuis plusieurs années, peut-être plusieurs décennies. La Sans Eclat se demanda à quand remontait sa dernière interaction si ce n'était avec elle. Sans doute rêvait-elle encore à son frère, son jumeau disparu.
La Sans Eclat soupira face à la cruauté du monde qui l'entourait car, force était de constater, que la Demi-Déesse qu'elle avait entraperçue lui semblait charmante. Elle avait pu tuer un million d'hommes sur le champ de bataille, la Sans Eclat ne pouvait pourtant effacer le son de sa voix lorsqu'elle l'avait remercié. Elle avait ressenti cette peine et cette reconnaissance qu'elle lui avait un instant porté en la débarrassant de sa malédiction. Pourtant, Malenia n'avait pas quitté l'Arbre Sacré depuis cette fameuse journée.
Une peau de loup sur ses épaules, la Sans Eclat se dirigea alors vers la salle du trône. Elle ne souhaitait pas forcer Malenia au contact, certes, mais vérifier son état de santé n'était que chose normale à faire. Elle descendit les marches menant aux racines, ses pas feutrés et lents, comme si elle voulait devenir invisible.
C'est ainsi qu'elle la vit. Toujours sur son trône de bois, endormie, dans une posture identique à celle qu'elle arborait quand elle l'avait vue la première fois. Son bras, guéri, tendu vers l'endroit où résidait, autrefois, le cocon de Miquella.
« Mon frère…où t'en est-tu allé ? »
Elle l'entendit murmurer sur ce même ton doux et tendre. La Demi-Déesse avait retiré son casque qu'elle avait déposé à ses pieds. Son visage était à nu, ses yeux clos et sa respiration sereine. Sa chevelure rousse couvrait sa joue droite et la Sans Eclat remarqua, malgré elle, la putréfaction qui avait également prit place à cet endroit.
Avec délicatesse, elle détacha la peau de loup enroulée sur ses épaules et vint l'apposer sur celles de l'Empyréenne endormie. Cette dernière eut un faible mouvement face au contact avec le poil chaud de l'ancien animal mais ne se réveilla pas. Sans doute avait-elle pris l'habitude de dormir ainsi, assise, son regard dirigé vers le ciel.
La Sans Eclat fut prise de peine, et s'imagina un instant, repousser les mèches rousses de son visage et venir en toucher la surface. Elle se mit à rougir, à cette pensée même, et comme honteuse, elle se détourna de Malenia dont le sommeil semblait imperturbable.
Esquivant le point d'eau au milieu de la salle et longeant le parterre de fleur jusqu'aux escaliers menant jusqu'à là, elle jeta un dernier coup d'œil à la silhouette de la Demi-Déesse. Il lui sembla, l'espace d'un instant, qu'elle s'était mise à sourire.
Elphael se rafraichissait à l'approche de l'automne. La lueur du soleil matinal s'étendait doucement et faiblement sur la Cité qui semblait endormie. Seul le souffle du vent faisait écho au passage du temps entre ces murs.
Comme à son habitude, la Sans Eclat se leva d'un bond. Chaque matin elle les passait sur cette racine qui longeait le mur jusqu'à sa chambre emménagée, profitant allègrement des rayons du soleil qui daignaient se poser ailleurs que sur la magnifique architecture de la ville. Ce matin cependant Malenia vint la rejoindre. Dans sa main gauche se trouvait la peau de loup que lui avait offert la Sans Eclat la veille. Elle suivit la fourrure du regard et se mit à rougir comme si elle avait commis la plus irréparable des fautes.
«-Tu es venue…hier soir… »
Il s'agissait plus d'une affirmation que d'une question, la Sans Eclat en était consciente.
« -Je..oui. » Répondit-elle, ne sachant véritablement pas quoi dire de plus.
Elle choisit de se taire et les mains tremblantes, se demanda une nouvelle fois pourquoi avait-il fallu qu'elle aille la voir. Au fond d'elle, elle supposait qu'elle s'inquiétait de trop du sort de Malenia. Bien qu'elle n'ait nul besoin d'une Sans Eclat comme soldat ou simple compagnon de route, l'Incantatrice souhaitait, et à ce moment plus que tout autre chose, se tenir à ses côtés. Pouvoir être ne serait-ce qu'être un faible soutient pour la Demi-Déesse abandonnée.
Alors elle continua la conversation, tandis que l'Empyréenne s'asseyait à ses côtés.
« -C..comment va votre bras ? » S'enquit-elle.
Le bras en question, encore posé sur la peau d'animal, se présenta alors à elle.
« -Depuis l'extérieur, je suppose qu'il est guéri.
-Quand est-il de l'intérieur ? »
La Demi-Déesse resta muette, et, décidant que les gestes valaient autant que les mots, porta ses mains jusqu'à son heaume. Elle le releva, l'agrippant de ses doigts pour le retirer de son visage. La Sans Eclat la regarda faire, examinant précautionneusement son visage pâle et délicat prit par la putréfaction. La maladie avait attaqué la base de son crâne, descendant lentement jusqu'à ses yeux.
Son côté droit semblait irrécupérable tandis que dans son œil gauche se trouvait encore une faible lueur, signe qu'il fonctionnait encore. C'est cette même lueur qui la frappa lorsque Malenia se tourna vers elle, visiblement aussi mal à l'aise qu'elle ne l'était quelques minutes auparavant.
« -Je ne sais si cela fonctionnera, si la putréfaction ne reprendra pas le dessus à terme. Cependant… »
Elle semblait hésitante, comme si malgré son statut, elle avait perdu ses mots. La Sans Eclat se doutait que peu de personnes avait eu l'occasion de voir l'épéiste sans son heaume d'or. Ici pourtant, Malenia s'exposait à elle volontairement. Et malgré la crainte du jugement que le regard de la Sans Eclat aurait pu avoir, l'Empyréenne s'était dévoilée, en partie, à celle-ci.
« -Je te suis reconnaissante d'avoir essayé. »
Les yeux de la Sans Eclat se posèrent à nouveau sur son visage. Celui dont la beauté rivalisait avec celle des Dieux, pensait-elle. Malgré la putréfaction écarlate se faufilant jusqu'à ses joues, Malenia demeurait l'une des plus belles femmes qu'elle ait eut l'occasion de voir.
L'Empyréenne inspira, simplement, sa chevelure rousse flottant tout autour d'elle alors qu'elle s'exposait au soleil pour la première fois depuis des lustres. Elle frissonna, l'espace d'un instant, lorsque le vent vint se faufiler contre son cou.
« - Etes-vous d'accord pour que nous poursuivions ? »
La demande de la Sans Eclat était soudaine et cela surprit Malenia qui humecta ses lèvres, encore et toujours hésitante. Elle laissa son regard s'aventurer dans le vide de sa Cité et lui répondit, par une nouvelle question.
« -Ne craint-tu réellement pas pour ta vie ? »
Cette question de vie et de mort qui revenait sans cesse. Ce danger constant que représentait la putréfaction aux yeux même de celle qui la portait. Bien sûr, la Sans Eclat n'y était pas insensible et de nombreuses fois, elle avait pu en ressentir les effets lors de son voyage en Caelid. C'était une souffrance constante, comme un poison qui venait se répandre dans chacune de ses veines, plantant ses épines et laissant son empreinte directement dans la chair.
Pourtant la Sans Eclat ne souhaitait pas s'en aller. Et plus le temps passait et plus elle se persuadait que sa rencontre avec Malenia n'était que sa destinée même.
« Je pense…que je tends à apprécier votre compagnie » avoua-t-elle en haussant légèrement les épaules.
Malenia, assise près d'elle, eut un mouvement de surprise à peine perceptible. Ses jambes d'or pendantes dans le vide au bord même du précipice semblaient flotter. Son visage ne se releva pas vers l'Incantatrice mais un rire amusé vint cependant troubler le silence.
« -Tu es une Sans Eclat bien étrange. »
