- Pour le meilleur et pour le pire -


Disclaimer

Cette histoire ne prend pas en compte le final de la saison 4, car je l'ai commencée avant que celle-ci soit terminée. Je précise aussi que les titres de chapitre, sur un seul mot, ont été décidés avant que le nom des épisodes de la saison 5 soient annoncés. C'est juste une coïncidence si ce sont également des noms uniques.

Par ailleurs, ce n'est pas vraiment une saison 5, car cela commence quand nos amis commencent leurs études après avoir terminé le lycée.

Grand merci à Fenice, Tryphon21 et Mayamauve pour leurs précieuses corrections.


I - Attirance

— Alors, Plagg, que penses-tu de notre nouveau chez nous ?

— C'est pas mal. On va avoir de la place pour mon camembert, au moins.

Adrien avait longtemps rêvé du jour où il obtiendrait sa liberté. Il s'était demandé si son père le laisserait partir de son plein gré ou s'il devrait se battre pour gagner le droit d'aller et venir à sa guise, voire de quitter le manoir Agreste. Il avait impatiemment attendu ses dix-huit ans, pressé d'atteindre une majorité qui mettrait juridiquement fin à la férule de son Gabriel. Mais, comme souvent dans la vie d'Adrien, rien ne s'était passé comme prévu. Ce qui aurait dû être une victoire lui laissait un goût amer qui l'empêchait d'en jouir pleinement.

Cela avait commencé de manière anodine : son père n'avait pas été disponible durant une certaine période, au cours du dernier trimestre de son année de terminale. Dans un premier temps, cela avait plutôt soulagé Adrien. À cette époque, le père et le fils se disputaient beaucoup au sujet de ce que ferait le jeune homme une fois son bac obtenu. Gabriel désirait que son héritier soit admis une école d'ingénieurs d'excellence. Adrien savait que ses responsabilités de héros ne lui en laisseraient pas le loisir et avait porté sa préférence sur un parcours intégré en école ou sur des cours à la fac de sciences.

Les quinze premiers jours, Adrien avait donc simplement apprécié l'interruption des interminables discussions stériles. Son attention s'était portée ailleurs, et ce n'est que la troisième semaine qu'il avait réalisé qu'il n'avait pas vu son père depuis le début du mois. Il avait alors noté que Nathalie paraissait épuisée et amaigrie. Il l'avait interrogée et elle avait avoué que Gabriel était souffrant. Elle avait dans un premier temps parlé d'une bronchite, avant d'évoquer une grave dépression.

Il avait fallu qu'Adrien insiste beaucoup pour être finalement admis dans la chambre que son père ne quittait désormais plus. La visite avait été éprouvante. Gabriel n'était plus que l'ombre de lui-même, tassé sur un fauteuil qui semblait l'avaler. Il avait fixé son fils sans paraître le reconnaître. Il avait la voix pâteuse et Adrien ne comprit pas les mots qu'il prononçait. Il était ressorti de la pièce, bouleversé.

— Vous devez vous concentrer sur vos études, avait dit Nathalie. Laissez-moi m'occuper du reste.

Quelques jours plus tard, cependant, après avoir échangé avec ses amis, Adrien était allé voir l'assistante.

— Je veux savoir de quoi souffre mon père, lui avait-il indiqué, ainsi que la manière dont il est soigné. Dites-moi aussi comment cela va se passer pour les collections.

Nathalie avait, une fois de plus, détourné ses questions en lui assurant qu'elle s'occupait de tout. Il avait alors craqué et déclaré froidement :

— Pardon de vous le rappeler, mais vous n'êtes qu'une employée. J'exige que vous me teniez au courant de l'état de santé de mon père et de la façon dont vous menez ses affaires. Vous n'ignorez pas que, dans trois mois, je serai majeur, et que si mon père s'avère incapable de gérer son entreprise, c'est moi, et non vous, qui en aurai la responsabilité légale.

Il s'était redressé sur sa chaise en prononçant ces paroles et avait réalisé avec satisfaction que Nathalie était désormais obligée de lever les yeux vers lui. Elle avait pâli, avait paru encore plus épuisée, avant de céder :

— Je vais organiser une rencontre avec le médecin de votre père. Pour ce qui est des collections, deux stylistes, qui ont précédemment collaboré avec nous, sont en train de finaliser ce qui a déjà été dessiné pour les défilés de cet automne. Ils s'appuieront sur des esquisses et d'anciens travaux pour les saisons suivantes.

Adrien avait alors compris que Nathalie était persuadée que Gabriel ne concevrait plus de nouveaux modèles. Il était donc atteint d'une maladie incurable. Sous le choc, il était resté muet, et Nathalie avait répété avec douceur qu'il devait avant tout se préoccuper de terminer le lycée et songer à ses études. Elle codirigeait la maison de couture depuis plusieurs années et savait ce qu'elle faisait.

Après sa rencontre avec le médecin qui avait confirmé la dégradation de l'état psychique de Gabriel, Adrien avait remis en cause ses projets. Au lieu d'études scientifiques, ne devait-il pas plutôt se diriger vers une formation en gestion pour être en compétence de reprendre l'entreprise familiale ? Il en avait beaucoup discuté avec ses amis.

— Tu ne dois pas choisir ta carrière en fonction de ton père, lui avait conseillé Marinette. C'est ce que tu as envie de faire, toi, qui compte. Tu aimes les sciences, étudie les sciences. Si ton père allait bien, c'est ce que tu aurais fait.

— S'il allait bien, je n'aurais pas à reprendre les rênes de son entreprise.

— Tu n'as pas à le faire. Tu n'en es pas responsable. Ton père a créé sa maison. Si elle doit mourir avec lui, ce n'est pas un drame.

— Je croyais que tu adorais ses modèles !

— C'est pour ça que je ne suis pas intéressée par la continuation de la marque Agreste, si ce n'est pas ton père qui la dessine.

Nino avait enfoncé le clou :

— Tu aimes être mannequin ? avait-il demandé.

Adrien avait haussé les épaules. Son ami savait que, quand il était plus jeune, il avait apprécié ce métier, car c'était pour lui une occasion de rencontrer du monde. Cependant, depuis qu'il était scolarisé et avait des amis, il ne le faisait que par loyauté pour son père. Il n'avait plus été sollicité depuis que Gabriel était malade et cela ne lui avait pas manqué.

— Tu vois, avait conclu Nino. Ce n'est pas comme ça que tu vas t'éclater. Vis ta vie, tu n'en as qu'une. Rien ne t'empêche d'embaucher quelqu'un pour remplacer Nathalie, si tu n'as pas confiance en elle.

Adrien n'avait donc pas changé ses plans et avait opté, comme il l'avait désiré, pour une école d'ingénieurs qui sélectionnait sur dossier scolaire et entretien de motivation. Quand il avait montré la lettre d'acceptation à Nathalie, celle-ci l'avait félicité et lui avait dit :

— Nous allons avoir des décisions à prendre. Vous n'êtes pas encore majeur mais, comme c'est une question de semaines, nous allons faire comme si c'était le cas.

Elle avait organisé une nouvelle rencontre avec le médecin de Gabriel, qui préconisa pour son patient un entourage calme et un cadre familier. Il était très favorable à la suggestion de Nathalie d'emmener Gabriel dans la maison où il avait habité durant ses premières années de mariage. C'était un pavillon confortable, en région parisienne, avec un jardin. Ce serait assez grand pour qu'il y vive à l'aise, avec une ou deux personnes pour prendre soin de lui.

Nathalie avait ensuite proposé à Adrien de vendre le manoir :

— Cet hôtel particulier est un gouffre financier qui n'est pas justifié si vous y demeurez seul. Cela constituera un apport qui vous permettra de bien débuter dans la vie. Que diriez-vous d'avoir votre propre appartement dans Paris ? En plaçant judicieusement ce qui restera en capital, vous aurez de quoi subvenir à vos besoins durant vos études. Ainsi, vous pourrez préserver vos gains de mannequin, qui pourront être utilisés pour des projets futurs, comme fonder votre entreprise.

Adrien savait qu'il n'avait aucune compétence pour évaluer cette proposition. Il en avait touché deux mots à Chloé, qui en avait parlé à son père. Celui-ci avait envoyé un expert-comptable et un conseiller en patrimoine discuter avec Nathalie. L'assistante avait ouvert ses livres de comptes et les professionnels avaient validé l'opération, sous réserve que le capital d'Adrien soit géré de manière indépendante, ce qui fut acté.

C'est ainsi qu'au mois de septembre suivant, Adrien s'était retrouvé propriétaire d'un appartement en centre-ville, tout à fait confortable. Hormis les meubles qui avaient été mis de côté pour Gabriel, Adrien put choisir dans le manoir ce qu'il voulait pour remplir son nouveau foyer. Il avait emporté une partie de sa chambre et avait pioché dans les autres pièces de la maison. Nathalie avait pourvu à ce qu'il n'avait pas pensé, faute d'expérience dans la bonne marche d'une habitation. Une personne devait venir faire un peu de ménage, deux heures par semaine.

Il ne demanda pas ce qui allait advenir des portraits de sa mère. Il savait qu'ils seraient conservés. Il ne pouvait pas les revendiquer, n'ayant pas la place de les entreposer. De même, il abandonna sans regret son baby-foot, son piano et sa piste de skate. Il distribua à son entourage la plus grande partie de sa collection de jeux vidéo.

Il avait invité tous ses amis pour pendre sa crémaillère. Ils s'étaient cotisés pour lui offrir ce qui n'avait pas été prévu par Nathalie : un livre de cuisine et des posters encadrés pour égayer les murs. À cela s'ajoutèrent des coussins pour le canapé, qu'il attribua sans hésitation aux mains de fée de Marinette.

Il était ainsi passé en quelques mois d'une vie contrainte et contrôlée à une indépendance totale, tant physique que financière. Il comprit rapidement qu'il avait également gagné une solitude amère. Il avait souffert d'être relégué dans sa chambre au manoir, mais c'était un cadre qu'il avait toujours connu, celui où il avait grandi. L'endroit bruissait d'échos familiers : les rondes de la femme de chambre, la rumeur des cuisines, le pas sec de Nathalie sur les dalles du hall. Il ne les entendrait plus jamais. Ce lieu n'existait plus. Le personnel travaillait désormais ailleurs, les pièces avaient été vidées et les murs abriteraient bientôt de nouveaux occupants.

Pire encore : il avait non seulement perdu la maison de son enfance, mais aussi tous ceux qui l'avaient entouré. Sa mère était morte, son père ne le reconnaissait plus, Nathalie l'avait mis de côté pour se concentrer sur la bonne marche de l'entreprise. Sa totale liberté d'action lui avait soudain paru effrayante. Il l'avait appelée de ses vœux, mais il avait toujours espéré que ce soit sous le regard approbateur de Gabriel. Il aurait aimé lui montrer ce qu'il était capable de faire, si on lui en laissait la possibilité. Mais maintenant, s'il brillait dans ses études, trouvait un bon travail, qui s'en soucierait ?

Même Plagg l'avait partiellement lâché. En effet, quelques mois auparavant, Ladybug et lui avaient récupéré les deux Miraculous manquants – malheureusement sans réussir à identifier ni arrêter leur porteur. Depuis qu'il n'y avait plus d'alertes akuma, le kwami avait peu à peu perdu sa vitalité et passait une grande partie de son temps à dormir. Il restait le plus souvent dans l'appartement quand Adrien sortait.

Heureusement, il y avait les copains. Nino, avec qui il échangeait des messages tous les jours. Alya, qui discourait sur les sujets qui la passionnaient. Marinette, qui lui envoyait des photos de ses récentes créations. Il avait des relations plus relâchées avec ses anciens camarades de la classe de troisième. Chloé, de son côté, avait rejoint sa mère aux États-Unis, mais ils arrivaient parfois à accorder leurs horaires pour se parler en vidéo.

oOo

Quand le mois de décembre arriva, Adrien s'était habitué à son nouveau rythme de vie. Il appréciait son école et faisait peu à peu connaissance avec ses camarades d'études. Il sortait raisonnablement, le plus souvent en compagnie de Nino. Alya et Marinette se joignaient parfois à eux. Il allait aussi régulièrement courir dans le grand parc public qui se trouvait à proximité.

Deux fois par mois, il redevenait Chat Noir pour aller à son rendez-vous avec Ladybug. Même si Paris n'avait plus besoin d'eux, ils avaient décidé de se rencontrer périodiquement pour ne pas se perdre de vue. Ils ne s'étaient toujours pas révélé leur identité réelle et ne livraient que parcimonieusement des détails sur leur vie privée. Mais ils appréciaient ces rencontres et s'arrangeaient pour être libres ces soirs-là.

C'est avec un peu d'appréhension qu'Adrien vit se profiler la période des fêtes. Même si la notion de fête familiale ne pouvait tout à fait recouvrir le bref moment que Gabriel octroyait à son fils, il y avait tout de même un sapin dans le hall et des cadeaux distribués, consciencieusement choisis par Nathalie. Il eut tort de s'en faire. Il fut invité par la famille de Nino à célébrer Noël avec eux, puis alla au restaurant le lendemain avec Chloé, qui était rentrée de New York pour la semaine. Le passage du Nouvel An lui fit retrouver ses amis de l'ancienne classe de troisième. Ils avaient, en effet, décidé de faire la fête ensemble, ainsi qu'ils l'avaient déjà fait l'année précédente. Ils avaient déniché une salle, s'étaient partagés les frais de bouche et Nino s'était chargé de l'animation avec Kim.

Ce jour-là, peut-être échauffé par le champagne qu'il avait bu, Adrien trouva la robe de Marinette particulièrement réussie et il ne manqua pas de lui en faire le compliment. Quelques verres de plus lui firent réaliser que c'était le contenu de ladite robe qui attirait son regard. Il dut plusieurs fois se forcer à détourner les yeux des courbes mises en valeur par un plissé audacieux.

Quand Adrien recroisa Marinette quelques jours plus tard, il eut bien du mal à faire abstraction de ce qu'il avait aperçu durant la soirée du Nouvel An. Si elle s'était davantage couverte pour s'adapter à la température hivernale, il ne pouvait oublier ce que cachaient le pull lâche et la jupe de laine. Il fit de mon mieux pour rester impassible, habitué depuis des années à dissimuler ses émotions. Il n'imagina pas faire part à Marinette de son récent intérêt. Qu'en aurait-elle fait ? Ils étaient amis de longue date et elle ne semblait pas vouloir changer cet état de fait.

Il savait qu'elle était sortie avec Luka durant toute leur année de terminale, mais qu'ils avaient rompu l'été précédent – au moment où lui-même était en train de prendre des dispositions pour sa nouvelle vie. Il se demanda comment ils étaient passés de l'amitié à une relation amoureuse. Est-ce que c'était venu petit à petit ou avaient-ils découvert soudainement qu'ils ne se considéraient plus de la même façon ?

Lui-même n'avait connu que le coup de foudre qui l'avait désespérément attaché à Ladybug. Il lui avait fallu trois ans pour s'en défaire et se contenter de l'amitié qu'elle pouvait lui offrir. Depuis, aucune fille n'avait fait battre son cœur. Même Marinette, qui avait la fâcheuse propension à aimanter son regard, n'éveillait pas chez lui de sentiments amoureux. De son côté, elle ne paraissait pas le voir autrement que comme un ami.

oOo

Début février, Adrien reçut ses plus proches amis chez lui. Ils discutèrent agréablement autour de leurs pizzas. Malgré son livre de cuisine flambant neuf, Adrien achetait aux restaurants alentour la plupart de ses repas. C'était le seul luxe qu'il se permettait sur la confortable pension qui était versé chaque mois sur son compte en banque.

Quand Nino et Alya partirent, ayant d'autres engagements ce jour-là, Marinette s'attarda chez Adrien. Le jeune homme réalisa qu'il se trouvait très rarement en tête à tête avec elle. S'ils correspondaient souvent par message, il ne la voyait qu'en compagnie de ses autres amis. Elle portait ce jour-là une robe en maille, dont la coupe et la longueur étaient sages, mais qui était agrémentée d'un col en V qui attirait dangereusement le regard du jeune homme. Il accepta son aide pour remettre la cuisine en ordre, tout en se préparant à devoir exercer sur lui-même le contrôle le plus strict.

Elle passa un coup de balai tandis qu'il s'occupait des rangements. Quand il se détourna du réfrigérateur où il avait placé les jus de fruit, elle était juste devant lui, assez proche pour qu'il sente le parfum floral qui l'enveloppait. Il se fit violence pour éviter que son regard plonge dans le décolleté tentateur, ce qui n'empêcha pas son corps de réagir vivement à cette proximité. Les paroles qu'elle lui adressa ne firent rien pour le mettre à l'aise :

— Tu me regardes beaucoup, Adrien, constata-t-elle sur le ton de la conversation.

Il se sentit rougir. Il était horriblement gêné d'avoir été aussi transparent et ennuyé à l'idée que cela puisse entacher leur relation. Il avait l'impression de se conduire comme un cuistre au détriment de l'innocente Marinette.

— Je… je… commença-t-il, ne sachant comment formuler ses regrets.

Soudain, il réalisa qu'il n'y avait eu aucun reproche dans son expression. Pourquoi s'était-elle autant approchée pour lui parler ? Tout à son questionnement, il avait relâché son empire sur ses yeux et la poitrine de Marinette entra dans son champ de vision. Il ne resta pas insensible à ce charmant tableau, d'autant que le souffle rapide de son amie lui donnait encore plus de relief.

Elle était vraiment très près de lui. Cela l'amena à se demander si c'était réellement des excuses que Marinette attendait de lui.

— Tu… Cela t'ennuie ? s'enquit-il à la place.

Le roulement d'épaules qu'il eut en retour fit agréablement bouger les rondeurs qu'il dévorait des yeux. Cela eut raison de ses dernières réserves. Il avança, jusqu'à frôler de son buste celui de la jeune femme. Il chercha alors son regard pour s'assurer de son consentement. Elle avait les joues empourprées et son expression ne laissait aucun doute sur son accord. Ses lèvres entrouvertes appelaient les baisers.

Il laissa tomber les excuses.

oOo

Adrien s'était fait du souci à propos de sa première expérience. Il avait toujours craint que son manque de pratique soit embarrassant, mais il n'en avait rien été. Marinette avait abandonné toute timidité et avait clairement fait savoir ce qu'elle attendait de lui. Malgré un léger cafouillage, il estima qu'il ne s'en était pas trop mal sorti. Après tout, il était Chat Noir, il avait l'habitude de suivre les consignes.

Une fois leur ardeur retombée, cependant, il fut bien ennuyé. Était-il désormais supposé sortir avec Marinette ? Il l'aimait beaucoup, mais pas de cette manière. Très vite, elle le rassura :

— On est toujours amis, n'est-ce pas ? demanda-t-elle en rajustant sa robe.

— J'espère bien, répondit-il.

— Je dois y aller, mes parents m'attendent, annonça-t-elle ensuite, avant de se diriger vers l'entrée.

Il la suivit dans le couloir. Elle prit son sac, lui fit un signe de la main, puis referma la porte derrière elle. Encore un peu sonné, il resta un moment, le regard fixé sur le battant. Plagg apparut alors dans son champ de vision, planant devant lui.

— Ce n'est pas trop tôt, fit-il remarquer.

— Hein ? s'étonna Adrien.

— Je meurs de faim ! Il reste du camembert, j'espère !

— Mais oui, espèce ce glouton !

Ensuite, Adrien se demanda s'il devait recontacter Marinette. Il s'en abstint, ne sachant pas quel degré d'intimité elle attendait de lui. Les jours suivants, il passa beaucoup de temps à penser à elle. S'il restait circonspect concernant ses sentiments, il n'avait aucune hésitation à s'avouer qu'il désirait avoir avec elle une autre séance privée. Le souvenir de ce qu'ils avaient fait ensemble ressurgissait fréquemment dans son esprit et il se demandait comment la convaincre de revenir.

Il s'interrogea sur la manière dont elle vivait la situation. Avait-elle envie de renouveler l'expérience ? Que ressentait-elle pour lui ? Était-il une aventure parmi d'autres ou se détachait-il du lot de ses potentielles attirances ? Il pensait qu'il pouvait écarter l'idée qu'elle ait pour lui des sentiments amoureux. Sa façon d'invoquer leur amitié avait été on ne peut plus claire. Elle ne voulait rien changer de ce côté-là.

Il se demanda si leur relation n'avait pas malgré tout évolué. Il ne songeait plus à elle de la même manière. Ses pensées étaient devenues bien plus charnelles. Certes, elle était toujours l'amie amusante, maladroite, affectueuse et généreuse, mais elle était désormais à ses yeux diablement sexy ! Son regard à elle s'était-il également enrichi d'une nouvelle dimension quand elle pensait à lui ?

Il réalisa qu'il n'avait aucune idée des rapports que Marinette entretenait avec les garçons. N'y avait-il eu que Luka dans sa vie amoureuse ? Avait-elle aimé d'autres personnes ? Était-elle coutumière des relations d'un soir ? Qu'attendait-elle de lui : qu'il fasse comme si de rien n'était ou qu'il prenne l'initiative ?

Quelques jours plus tard, elle lui envoya l'image d'un patron qu'elle dessinait. Il commenta son travail selon son habitude puis, après avoir longuement réfléchi à sa formulation, il demanda :

#Tu as quelque chose de prévu, samedi prochain ?

#Pas pour l'instant.

#Moi non plus. Tu veux qu'on fasse quelque chose ensemble ?

#Je peux venir te voir

#Avec plaisir

Ce ne fut qu'après avoir cliqué sur Envoyer qu'il réalisa le double sens qu'elle pourrait voir dans sa réponse. Cela ne parut pas l'effaroucher. Elle répondit brièvement :

#17h

oOo

Il y eut un moment de flottement quand elle arriva chez lui le samedi suivant, mais leur désir prit rapidement le dessus et les jeta dans les bras l'un de l'autre.

Au terme d'un plaisant et intense moment, alors qu'Adrien s'affairait à retirer le préservatif que Marinette avait fourni, la jeune femme s'assit sur le bord du lit et commença à se rhabiller.

— Tu essaieras d'avoir ce qu'il faut la prochaine fois ? le pria-t-elle.

— Euh, oui, bien sûr, répondit-il, enchanté qu'elle envisage de revenir, mais un peu déçu de la voir quitter le lit si vite. Tu ne veux pas rester moment ? tente-t-il.

Elle lui jeta un regard en coin.

— Tu en veux encore ? s'enquit-elle.

— Non, c'était très bien, dit-il précipitamment, redoutant qu'elle croie qu'il n'était pas satisfait du moment qu'ils venaient de partager.

— Je ne peux pas trop tarder, car j'ai beaucoup de travail, expliqua-t-elle. On se revoit demain, au ciné avec les copains.

Adrien attrapa à son tour ses habits pour la raccompagner. Alors qu'il enfilait son t-shirt, une crainte le saisit : était-ce parce qu'il l'avait déçue qu'elle s'en allait si rapidement ? Mais elle avait prévu de revenir et avait signifié sa satisfaction pendant l'acte, se souvint-il. Sans doute en attendait-il trop.

Quand elle le quitta, elle l'embrassa furtivement sur la joue sans lui laisser le temps de lui rendre la pareille.

— À demain, lâcha-t-elle, en lui faisant un signe de la main avant de s'engouffrer dans l'ascenseur.

Elle n'avait pas précisé comment ils devaient se comporter en présence de leurs amis. La manière dont elle avait pris ses distances en sortant du lit était toutefois assez claire. Ainsi qu'ils en avaient convenu la dernière fois, ils restaient de simples amis. La relation particulière qu'ils étaient en train de mettre en place ne regardait qu'eux. Cela convenait à Adrien, qui n'éprouvait pas de sentiments amoureux pour Marinette.

Il était cependant étonné que sa camarade, si émotive et parfois empruntée dans ses liens avec lui, rende la situation si facile. Elle était décidément pleine de surprises.

oOo

Trois mois passèrent.

Adrien appréciait sa vie étudiante et les sorties avec ses camarades de promotion. Ceux-ci avaient compris qu'il ne fallait pas le traiter de manière particulière et que sa carrière de mannequin était derrière lui. Il ne parlait jamais de sa vie privée, se faisait discret, sans être toutefois hautain. Les collaborations de travail se passaient bien. Il faisait partie de ceux qui étudiaient le plus. Il ne pouvait se contenter de notes médiocres. Il avait été habitué à viser l'excellence et à s'en donner les moyens. Il appréciait cependant de travailler pour sa propre satisfaction, et non pour éviter une punition.

Il s'était accoutumé à vivre seul. Sur une remarque ironique de Marinette, il s'était peu à peu mis à la cuisine. Se cuire un steak et ouvrir une boîte de conserve n'était pas si compliqué. Il s'était lancé le défi de tenter une recette par semaine. Il se concentrait sur les desserts, qui demandaient moins de connaissances de base (mesurer 300 grammes de farine est plus facile qu'apprendre à éplucher un légume ou découper un poulet). Il maîtrisait maintenant la machine à laver le linge et n'avait abîmé que trois polos et un pull (les conseils de Nino furent une aide inestimable dans ce domaine). Le gros du ménage était effectué par la personne sélectionnée et payée par Nathalie, mais il changeait ses draps et gardait sa cuisine propre sans assistance. Maintenir son appartement rangé ne lui fut pas difficile. Il aimait retrouver chaque chose à sa place.

Il avait des nouvelles de son père lors de l'appel hebdomadaire de Nathalie le lundi soir. Elle lui indiquait que son état était stable et qu'il appréciait le cadre bucolique qui était désormais le sien. Elle affirmait qu'il était préférable qu'Adrien ne vienne pas le voir : l'équilibre émotionnel de Gabriel restait encore fragile et il ne devait pas voir sa routine bouleversée. Il valait mieux attendre encore quelques mois. Elle s'enquérait ensuite de sa santé et lui assurait que l'entreprise se portait bien.

oOo

Dans un premier temps, Adrien apprécia beaucoup la liaison qu'il entretenait avec Marinette. Il aimait le côté décomplexé qu'elle lui avait dévoilé, se félicitant que cela n'ait pas altéré les liens préexistants. Elle prenait soin de ne laisser aucune affaire personnelle chez lui, de ne jamais venir à l'improviste, de rester l'amie sincère et discrète qu'elle avait toujours été.

Au bout de quelques semaines, cependant, il eut l'impression que quelque chose manquait. Une sensation de vide quand elle partait. Le sentiment que les messages qu'ils échangeaient pour convenir d'un rendez-vous manquaient d'âme. Il remarqua que, si elle accueillait toujours favorablement l'expression de son désir, elle se faisait plus fuyante quand il sollicitait des caresses plus affectueuses.

Leurs échanges manquaient d'affection, comprit-il au bout d'un moment. Leurs gestes étaient respectueux et attentifs, mais se limitaient à la sensualité. Ils étaient doux l'un envers l'autre, mais sans gestes de tendresse. Or il y avait du sentiment entre eux : une amitié forte et ancienne. Pourquoi avait-il l'impression que s'il couchait avec une inconnue, son attitude serait moins impersonnelle ?

Pour quelle raison Marinette, qu'il considérait comme tactile et affectueuse, le tenait-elle autant à distance quand ils se rapprochaient physiquement ? Était-elle réellement devenue plus froide avec le temps, ou était-ce lui qui était plus demandeur ? Il se souvint de son soulagement quand elle était partie après leur première étreinte. De sa satisfaction que leur conversation soit aussi raisonnable, lors de sa visite suivante. C'est lui qui avait évolué. Il désirait davantage de son amie. Il voulait des câlins, de la tendresse… de l'amour ?

Bien entendu qu'il voulait de l'amour. Il avait assez de recul sur sa vie pour se rendre compte que peu de personnes se préoccupaient vraiment de lui. Il pouvait les compter sur les doigts d'une main. Qu'il désire une petite amie attentive, des bisous, des mots tendres, n'était pas une nouveauté. Il l'avait espéré de Ladybug puis, quand il s'était résigné à accepter que ce ne serait jamais le cas. Il n'avait pas souhaité retomber amoureux rapidement. Il avait besoin de temps pour se remettre de cette blessure.

Était-il amoureux de Marinette ou reportait-il sur elle son besoin d'affection du fait de leur relation particulière ? Il tenta de s'imaginer sortant avec elle. Les câlins, les promenades en amoureux, les discussions à rallonge par téléphone. Cela le tentait bien. Mais ne s'en contenterait-il pas avec toute personne pour laquelle il aurait de l'affection et une attirance physique ? Était-ce suffisant pour être qualifié d'amour ? Sa passion pour Ladybug avait été frustrante mais, au moins, il n'avait pas douté un instant de ses sentiments. Ils lui étaient venus d'un coup, et il avait le cœur qui battait à chaque fois qu'elle se montrait douce avec lui ou qu'il pensait à elle. Il n'était pas certain que Marinette lui fasse cet effet-là.

Cependant, il sentait qu'il ne trouvait plus son compte dans la relation qu'ils entretenaient.

oOo

Quelque temps plus tard, Nino discuta avec Adrien du prochain anniversaire d'Alya. Son amoureux souhaitait faire pour elle quelque chose de spécial, pour lui montrer à quel point elle comptait pour lui.

— Comment as-tu su que tu étais tombé amoureux d'elle ? demanda Adrien. Ça t'est venu en une heure, le temps que l'alerte akuma se termine ?

— Au début, je ne sais pas si j'avais vraiment des sentiments pour elle. On avait des choses à se dire, elle était mignonne, j'ai trouvé cool de sortir avec elle. On avait quatorze ans, ça voulait juste dire se tenir la main et passer du temps ensemble.

— Oui, mais ça a évolué, non ?

— Oui, bien entendu. Il y a un moment, où je me suis rendu compte qu'une demi-journée sans avoir de ses nouvelles me pesait. Je n'aimais pas avoir de secrets pour elle non plus. Ni qu'elle en ait pour moi.

Alors qu'Adrien tentait d'évaluer ces paroles, Nino demanda :

— Tu as une raison de me poser cette question ?

Adrien se dandina, gêné :

— Je ne sais pas trop. Peut-être que moi aussi je trouve cool l'idée d'être avec quelqu'un.

— Mec, y'a pas de mal à ça. Il y a une personne qui t'attire ?

— Peut-être.

— Une attirance mutuelle peut suffire. Être amoureux, c'est chouette, mais, si cela n'est pas le cas, on peut quand même passer de bons moments, si tu vois ce que je veux dire.

— Ce n'est pas le sujet.

— C'est une manière de commencer.

— J'ai déjà dépassé ce stade.

— Ah, fit Nino manifestement surpris. Tu peux préciser de quoi on parle, alors ?

— Eh bien, mettons que tu, hum… passes de bons moments avec quelqu'un. Ça se passe bien, mais cela n'a pas vocation à être sérieux. Comment tu sais s'il y a davantage de sentiments, finalement ?

— De ta part ou de la sienne ?

— Les deux.

Nino réfléchit :

— Pourquoi cela n'a pas vocation à être sérieux ? Ton quelqu'un a des attaches ailleurs ?

— Pas à ma connaissance. Mais on est juste des amis, à la base, et on est supposés le rester.

— C'est ce que vous avez dit quand vous avez commencé à coucher ensemble ?

— Oui.

— Qui a dit ça en premier ?

— L'autre personne.

— Mec, ça ne veut rien dire. C'est ce qu'on dit quand on est amoureux, mais qu'on ne veut pas faire peur à l'autre.

— C'est donc juste pour noyer le poisson ?

— Pas forcément, c'est la difficulté. On peut être sincère en parlant d'amitié. Ou pas. En amour, il n'est pas rare de jouer au poker menteur pour ne pas être le premier à abattre ses cartes.

— Tu ne m'aides pas, là.

— Désolé, Adrien, mais entre toi, qui ne sais pas ce que tu éprouves, et cette personne que je ne connais pas, tu espères vraiment que je te donne une formule magique ? Si tu as envie d'aller plus loin, propose-lui clairement. C'est le meilleur moyen d'avoir une réponse nette.

— Et si ça ne l'intéresse pas ?

— Cela ne changera rien à votre situation actuelle. Mais au moins, tu arrêteras de te poser des questions.

oOo

Si la discussion avec Nino n'avait pas été concluante, elle permit à Adrien de passer un cap. Jusque-là, il s'était inconsciemment interdit d'imaginer que Marinette pourrait un jour ressentir pour lui autre chose que de l'amitié. Grâce à son meilleur ami, il put l'envisager.

Ses sentiments naissants s'épanouirent alors. Il admit que Marinette était désormais pour lui bien plus qu'une amie proche et partenaire sensuelle. Elle était imprévisible, créative, empathique, pétillante. La vie avec elle serait l'exact inverse de celle que son père lui avait imposée et qu'il avait si mal supportée. Il avait toujours pensé que c'était le caractère hors norme de Gabriel qui rendait l'existence de ses proches difficile. Marinette était la preuve qu'une personnalité décalée pouvait être passionnante à accompagner.

Plus il y pensait, plus l'idée de passer davantage de temps avec elle lui plaisait. Il voulait partager ses loisirs et son quotidien, la soutenir dans son travail créatif, lui parler des petits soucis qu'il gardait pour lui.

Son attirance nouvelle pour Marinette le soulageait en outre d'une inquiétude qui l'avait hantée depuis qu'il avait définitivement renoncé à gagner le cœur de Ladybug. Il avait craint de ne pouvoir retomber amoureux. Où trouver une personne qui ne souffrirait pas de la comparaison avec sa Lady ? Finalement, elle s'était révélée plus proche qu'il ne l'avait imaginé. Marinette n'était-elle pas celle qu'il avait surnommée leur Ladybug du quotidien ? Il s'étonna de ne pas l'avoir réalisé plus tôt.

Mais comment lui faire savoir qu'il était tombé amoureux d'elle ? Il était hors de question de réitérer la cour échevelée qu'il avait réservée à son premier amour. Avec le temps, il avait compris combien cela avait mis sa partenaire mal à l'aise. Il ne voulait pas recommencer avec Marinette. Rien dans son attitude ne montrait qu'elle souhaitait changer les termes de leur relation. Il était possible que l'amitié dont elle se prévalait soit le seul sentiment qu'elle lui portait. Mais (dans une hypothèse qu'il admettait être démesurément optimiste) il était également possible qu'elle dissimulât ses véritables sentiments comme l'avait décrit Nino (mais il aurait peut-être parlé autrement s'il avait su de qui il était question).

Si ce n'était pas le cas, pouvait-il amener Marinette à évoluer vers des pensées plus tendres ? Il ne savait pas avec certitude combien de garçons elle avait fréquentés avant lui ni même si elle lui réservait ses faveurs, mais il devait bien représenter quelque chose de spécial pour elle. S'ils passaient encore plus de temps ensemble, il pourrait la persuader de lui donner sa chance.

Il était effrayé, bien entendu, à l'idée de modifier la relation qu'ils avaient déjà. Il savait qu'il risquait de tout perdre. Mais il ne pouvait se résoudre à laisser passer sa chance. Les derniers mois lui avaient appris que, désormais, il devait se prendre en main. Hormis l'aisance financière, il n'obtiendrait rien qu'il ne soit pas lui-même allé chercher. C'était la contrepartie de sa liberté.

Il n'avait pas l'intention de renoncer à la possibilité d'être heureux.


Voilà pour le premier chapitre. La situation se met lentement en place.

Juste pour le fun, j'ai fait des projections sur la situation financière d'Adrien (oui, j'aime m'inventer des problèmes de riche).

Les hôtels particuliers, à Paris, se vendent entre 3 et 30 millions d'euros, selon leur emplacement et leur superficie. Mettons que la vente rapporte 5 millions (ou davantage, mais Nathalie le garde pour Gabriel). Après l'impôt sur la donation à hauteur de 45 % (n'ayez pas peur, pour atteindre cette tranche d'imposition, il faut être plus riches que vous), il reste près de 2,7 millions. Pour un appartement de 80 m² à Paris dans un quartier un peu chic, il faut compter entre 700 000 et 1 million d'euros. Il va donc rester environ 1,7 million à Adrien, qu'il pourra placer. S'il joue la sécurité, et se contente d'un placement à 3 % (investissement dans un parc immobilier, par exemple), il touchera 50 000 euros par an. Il aura à acquitter environ 10 000 euros d'impôt, ce qui lui laisse 40 000 euros, soit 3 500 euros par mois (sans loyer à payer). On va dire que l'argent ne sera pas un problème pour lui. Je sais qu'il pourrait défiscaliser, mais on va partir du principe qu'il estime normal de payer des impôts étant donné que l'argent lui est tombé tout cuit dans le bec.

On se retrouve bientôt pour la suite. Dans cette attente, dites-moi ce que vous en pensez !