2013 - HAWAII

- Bon travail les gars, félicita Steve.

Il rangea son fusil d'assaut dans l'armoire dédiée et abandonna son gilet par-balle sur la table à côté. Son équipe fit de même.

- On en est à combien d'arrestations cette semaine ? demanda Chin avec nonchalance.

- J'avoue avoir perdu le compte, répondit Catherine.

- Beaucoup trop, précisa Kono en portant sa main devant sa bouche pour masquer son bâillement. À croire que les criminels se sont passés le mot.

- Bah ils seraient fort sympathiques de lever un peu le pied, enchérit Danny. Sérieusement. J'ai Grace pour le week-end et j'aimerais sincèrement ne pas le passer à dormir. Ou pire ! À travailler.

Machinalement, les policiers commencèrent à rassembler les pièces à conviction de l'affaire qu'ils venaient de boucler pour les remettre dans leur boîte. Steve observait son équipe depuis le seuil de son bureau. Les visages étaient fermés, les épaules voûtées et les pas traînants. La semaine avait été longue. Chargée. Les enquêtes s'étaient succédé, parfois chevauchées, tombant à toute heure du jour ou de la nuit. Et les arrestations qui suivaient chaque affaire conclue ne s'étaient pas toujours déroulées à des horaires convenables à l'instar de la dernière. Le 5-0 avait été sur le pied de grue depuis quatre heures du matin.

- On en est où avec l'homicide de notre John Doe ?

C'était la première affaire de la semaine. La seule qu'ils n'avaient pas encore résolue.

Les têtes se relevèrent et se tournèrent vers les pièces à conviction éparpillées sur la table au fond de l'open-space.

- Toujours au point mort.

- L'appel à témoin n'a rien donné ? enchaîna Steve.

- Non, rien. Pour l'instant.

Steve haussa les épaules. Il douta qu'il serve dorénavant. La victime avait été trouvée lundi matin sur un chantier, dans le quartier de Kapahulu. L'heure de la mort avait été estimée à vendredi dans la soirée. Le pauvre gars n'avait aucun papier sur lui. Ni ses empreintes, ni son ADN, ni son dossier dentaire ne se trouvaient dans la base de la HPD. Personne dans le quartier n'avait été capable de l'identifier. Et bien sûr, personne n'avait rien vu. Puis les autres affaires s'étaient accumulées. L'enquête était donc restée au point de départ. Steve soupira. Il n'était pas un grand fan de l'idée. Aucun d'entre eux ne l'était. Mais son équipe était épuisée. Lui aussi. Ils ne tireraient rien de plus de l'enquête dans cet état.

- Finissez de ranger notre dernière affaire et rentrez, ordonna-t-il. Vous avez bien mérité un week-end de trois jours.

Tous les membres de son équipe lui adressèrent un signe de tête reconnaissant. Steve les laissa alors travailler et s'enferma dans son bureau. Il devait vérifier ses mails, passer quelques coups de fils et remplir quelques diverses obligations que lui conférait sa casquette de commandant du 5-0.

Alors qu'il raccrochait avec le procureur adjoint, Danny entra dans son bureau sans prendre la peine de toquer à la porte. Il se laissa tomber sur l'un des fauteuils en cuir.

- Merci, souffla-t-il après une minute de silence confortable et reposant, les yeux fermés.

- De rien, répondit simplement Steve en inscrivant dans son agenda la requête que lui avait transmise le procureur adjoint.

Il s'en occuperait plus tard.

- Je t'avoue que je peine aussi à rester éveillé.

Danny releva, difficilement, une paupière.

- Je croyais qu'un SEAL ne connaissait pas la fatigue.

- Effectivement, il ne connaît pas la fatigue. Il atteint directement le stade de l'exténuation. Mais j'ai surtout des plans pour ce week-end.

Cette fois, Danny n'eut aucune peine à ouvrir les yeux et se redresser. La curiosité l'emportait sur la fatigue.

- Ah ouais ? Qu'as-tu prévu ?

- Catherine et moi voulons aller à Ha'ikū Stairs, pour se faire un petit trek.

Danny ne retint pas son rire.

- Un petit trek ? répéta-t-il. On vient de passer une semaine particulièrement harassante et toi et ta chère et tendre vous voulez aller faire un petit trek ? Vous êtes irrécupérables.

- Je peux faire ce que je veux non ? se défendit Steve, avec un brin d'irritation dans la voix.

- Non ! rétorqua aussitôt Danny. Non, tu ne peux pas. Parce que je te connais. Tu es un aimant à problèmes. Vous allez à tous les coups tomber sur une petite racaille du bac à sable ou un psychopathe, histoire de pimenter votre petit trek.

- Je n'espère vraiment pas. Pas cette fois.

- Mais j'y pense ! s'exclama Danny, envahi par une soudaine illumination. Tu pourrais profiter de cette virée romantique tellement loin de standards mais tellement à votre image pour faire ta demande !

- Ma demande ? répéta Steve, suspicieux.

- En mariage, imbécile.

- Merci, j'avais compris. Mais en quoi ça te concerne ?

- En rien… reconnut Danny.

- Alors la discussion n'a pas lieu d'être, non ?

Mais Danny fit fi de la remarque.

- … Si on oublie le fait que je suis ton meilleur ami et que c'est donc mon rôle de te guider vers le droit chemin.

- Mouais… tiqua Steve.

Encore une fois, Danny ne releva pas.

- Vous êtes ensemble depuis que je te connais, continua-t-il. Mais avant ça, vous avez flirté pendant…

Il s'interrompit pour calculer.

- … longtemps, conclut-il.

La réflexion était trop intense.

- Et puis vous habitez ensemble depuis un an. Il est temps de passer à l'étape suivante, tu ne penses pas ?

- Je pense surtout que je n'ai pas de conseils à recevoir d'un homme qui passe son temps à se plaindre de son ex-femme, répondit Steve sans masquer son scepticisme.

- Ça, ce n'est pas très gentil Steve.

Danny grimaça, ostensiblement outragé par la remarque de son meilleur ami, avant de repartir de plus belle.

- Mais je suis très sérieux.

- Je n'en doute pas.

- Catherine est une pépite !

- Une perle rare, corrigea Steve.

- Quoi ?

- Une perle rare. Elle n'est pas une pépite. Catherine est une perle rare.

- Oui, si tu veux, une perle rare, admit Danny.

Obnubilé par son discours, il ne releva même pas le caractère sentimental de l'intervention de Steve.

- Si le problème vient de la bague, ou plutôt de l'absence de bague, je suis prêt à sacrifier ce vendredi de sommeil pour t'aider à trouver celle qui siéra parfaitement au doigt de ta perle rare.

Steve secoua la tête, incapable de masquer son amusement.

- J'ai dit quelque chose de drôle ? demanda Danny, subitement sceptique.

Steve regarda autour de lui, plongea la main dans sa poche pour en ressortir et brandir un petit objet. C'était un écrin. Danny fixa son meilleur ami, ébahi. Il se leva vivement pour arracher des mains de Steve la petite boîte rouge et l'ouvrit, révélant un magnifique anneau en or serti d'un splendide diamant, sobre et élégant.

- Je le reconnais, tu n'as pas besoin de mes conseils.

Danny rendit l'écrin à son propriétaire qui s'empressa de le remettre à sa place.

- Elle est resplendissante. Catherine va l'adorer.

Puis les rôles s'inversèrent. Danny laissa échapper un petit rire et Steve lui en demanda la raison.

- Je suis juste heureux pour toi, mon pote.

Danny chassa la petite larme qui obstruait alors sa vue.

- Heureux. Et extrêmement fier de toi. Tu as pris cette merveilleuse décision tout seul ! Finalement, il y a peut-être un grand romantique sous cette armure.

- Nous y voilà, soupira Steve. Je savais que je n'aurais pas dû te la montrer.

Les lamentations de Steve ne dissuadèrent pas Danny de le charrier un petit peu.

- Danny, alerta Steve. Si tu continues à m'embêter, je t'oblige à rester tant que tu n'as pas terminé ton rapport sur l'enquête que nous venons de conclure.

- Tu n'oserais pas ?

- Ne me mets pas au défi. Et si tu te plains, je charge la punition : rattrapage de tout ton retard de paperasse. D'après mes informations, tu en as une sacrée pile. Ça pourrait te prendre toute la journée. Peut-être même tout le week-end.

- Tu es un monstre.

Steve lui adressa un sourire machiavélique.

Catherine frappa à la porte. Steve lui fit signe d'entrer.

- Ton petit ami est cruel avec moi, geignit Danny.

- C'est que tu dois l'embêter. Arrête de l'embêter, et il retiendra sa cruauté, répondit Catherine en haussant les épaules.

Danny ne cacha pas sa contrariété. La jeune femme se tourna vers Steve qui lui sourit chaleureusement.

- Une femme vient d'arriver, annonça-t-elle.

Steve fronça les sourcils, Danny également. Il s'en suivait rarement de bonnes choses après ce genre d'annonce, surtout quand cette annonce était prononcée au moment où l'équipe s'apprêtait à partir pour jouir d'une journée de repos plus que méritée, nécessaire.

- Elle demande à te voir.

Le répit n'existait donc pas pour les braves…

Dans un soupir, Steve se leva et, non sans avoir oublié les remerciements d'usages pour Catherine, retourna dans l'open-space pour accueillir cette visiteuse importune.

- Bonjour, commença-t-il poliment. Je suis le Commandant…

Il s'arrêta lorsque que la femme se tourna vers lui pour lui faire face.

- Cindy ?!

- Salut… Steve, répondit la jeune femme, incertaine.

Il se passa plusieurs secondes où rien ne se passa. Steve cligna des yeux, plusieurs fois. Mais à chaque fois qu'il les rouvrait, la jeune femme réapparaissait également.

- Mais… Qu'est-ce que tu fais là ? demanda finalement Steve, fébrile.

La jeune femme inhala une grande bolée d'air, trouvant certainement un peu de courage dans ce nouvel oxygène.

- J'ai besoin de ton aide.

Steve espéra que ce ne soit rien d'important.

- Ma fille a disparu.

Il fallut une grande volonté chez Steve pour ne pas exprimer sa lassitude. C'était important. C'était aussi urgent. Steve se surprit, cette fois, à souhaiter envoyer Cindy voir la police. Il se tourna vers son équipe. Il observa un à un ses membres. Ils étaient épuisés. Lui aussi. Mais un enfant était impliqué. Ils connaissaient leur sentence. Ils l'avaient acceptée. Ils n'auraient pas accepté qu'il en soit autrement de toute manière. Ils devaient au moins écouter l'histoire de cette femme. Le regard de Steve s'attarda tout de même sur Catherine.

Il soupira, finalement, rejetant sa fatigue, puis refit face à Cindy.

- Nous allons t'aider.


- Tenez, c'est pour vous.

Kono tendit une tasse de café à Cindy.

- Merci, souffla Cindy en la récupérant.

Kono esquissa un sourire avant de distribuer une tasse à tout le monde. Les membres du 5-0 avalèrent aussitôt une gorgée du précieux breuvage fumant, non mécontents de s'octroyer l'illusion d'un apport énergétique.

Dès que tout le monde fut réceptif, Steve invita Cindy à entamer son récit.

- Hier matin, comme tous les matins, Melany est partie courir avant les cours. J'ai dû partir au travail avant qu'elle ne revienne. Dans la matinée, j'ai reçu un appel du collège. Melany n'y était pas. J'avoue ne pas m'être inquiétée sur le moment. Ça ne serait pas la première fois que Melany part courir, se promener, lire et oublie de rentrer pour aller à l'école.

Cindy tenta un sourir. Mais l'inquiétude transforma l'expression en grimace.

- Quel âge a votre fille ? demanda Catherine.

- Douze ans.

- Douze ans ? répéta Steve.

- Bientôt treize, précisa Cindy, le regard fuyant.

Elle prit une gorgée de son café avant de continuer.

- Puis dans la soirée, le coach McFalls, l'entraîneur d'équitation de ma fille, m'a appelée à son tour. Melany n'est pas venue à l'entraînement hier soir. Je connais ma fille. Elle n'oublierait jamais d'aller s'occuper de Vivaldi. J'ai tout de suite essayé de l'appeler. Mais évidemment son téléphone est resté à la maison. Je suis donc venue à la première heure ce matin.

- Tu as bien fait de venir, la rassura Steve.

Il sentait la jeune femme gênée, comme si elle avait le sentiment de les déranger pour pas grand chose. Mais par expérience, Steve savait que l'instinct d'une mère était souvent le bon en de telles circonstances. Cindy lui sourit, sans pour autant se risquer à un contact visuel avec lui.

- Est-ce que ce pourrait être une fugue ? demanda Chin, avec prudence.

D'ordinaire cette question avait tendance à froisser les parents venus réclamer de l'aide. Mais Cindy n'en fut pas offensée.

- Je ne pense pas, répondit-elle en se tournant vers Chin. Bien qu'elle ne soit pas étrangère à ce genre de comportement.

Steve pouffa.

- Quoi ! s'offusqua Cindy en se tournant cette fois vers Steve. Comme c'est ma fille, c'était évident que des fugues soient inscrites à son palmarès ?

S'ensuivit un duel visuel entre Steve et Cindy. Pendant quelques secondes, plus un bruit ne se fit entendre dans le QG. Danny, Catherine, Kono et Chin osaient à peine respirer, échangeant tout de même des regards pour le moins troublés. Finalement, ce fut Steve qui craqua le premier. Danny, Catherine, Chin et Kono n'en revinrent pas.

Cindy poursuivit le portrait de sa fille.

- Les dernières fugues remontent à un petit moment déjà. Et nous n'avons pas eu de grosses disputes dernièrement. Juste quelques légers différends.

- Du genre ? demanda Danny.

- Pas plus tard que le début de semaine, à propos de la bagarre dans laquelle elle a été impliquée au collège.

- La bagarre ?

- Elle est intervenue pour défendre un camarade de Sixième année qui subissait du harcèlement de la part de trois élèves plus âgés. Ça ne leur a pas plu. Ils ont lâché les coups. Elle a riposté.

Les policiers ne surent pas comment réagir à la plaidoirie de Cindy. Devaient-ils être impressionnés ? Ou devaient-il condamner ce comportement ?

- C'est le troisième incident du genre depuis la rentrée, ajouta Cindy. Nous sommes tout juste à la mi-octobre ! Et le problème ? C'est que ce penchant pour l'héroïsme ne l'abandonne pas une fois les grilles du collège franchies.

Définitivement, les policiers ne savaient pas quoi penser de la moralité de l'adolescente. Mais cela commençait à leur donner une petite idée de ce qui avait pu lui arriver.

- Elle aurait vu quelque chose pendant son footing hier matin mais serait tombée sur plus fort qu'elle ? supposa Kono, exprimant haut ce que tout le monde pensait tout bas.

- Peut-être. Sûrement. Je ne sais pas, répondit Cindy. Honnêtement, j'espère juste qu'elle s'est perdue.

Les policiers ne surent pas dire si c'était préférable. Melany aurait aussi pu avoir un accident, se trouver dans un endroit isolé, dans l'incapacité de demander de l'aide, blessée ou…

- Nous comprenons.

Danny aurait préféré être plus réconfortant. Il aurait préféré lui promettre de ramener sa fille. Mais il connaissait la dangerosité d'une telle promesse.

- Autre chose que nous devrions savoir à propos de Melany ? demanda Steve.

C'était la première fois qu'il reprenait la parole depuis son léger accrochage verbal et oculaire avec Cindy. À nouveau, la jeune femme adopta une attitude fuyante.

- Non, rien, répondit-elle.

- Très bien, conclut Steve.

Il n'était pas certain qu'il n'y ait pas autre chose. Mais il préféra ne pas insister. Il attribua donc les missions à chacun. Tout le monde se mit aussitôt au travail. Plus vite ils retrouveraient cette adolescente et la ramèneraient saine et sauve auprès de sa mère, plus vite ils retrouveraient leurs lits.


Steve et Danny roulaient en direction du Kaimukï Middle School, Steve derrière le volant de la Camaro, bien évidemment.

Il pouvait sentir les regards insistants de Danny se poser sur lui encore et encore. Aussi, il voyait très bien du coin de l'œil son meilleur ami se redresser pour parler mais finalement se raviser et retomber dans le fond de son siège. Au début, Steve parvenait à faire abstraction. Mais ce manège incessant commençait à devenir sérieusement agaçant.

- Vas-y Danny, pose ta question, craqua Steve.

- Ah… super ! se réjouit Danny.

Il se redressa et se tourna vers Steve, encore une fois. Mais cette fois, des sons sortirent de sa bouche.

- Qui est-ce ?

Steve soupira. Il avait espéré que la question porterait sur la révélation qu'il lui avait faite dans son bureau.

- Ce ne sont pas tes affaires, répliqua-t-il abruptement.

- Bien sûr que si ! Cette femme vient de drastiquement réduire mon espérence de vie en me privant davantage de sommeil. Alors je suis parfaitement en droit de savoir pourquoi.

- Très bien, céda Steve. C'est une vieille connaissance.

- Qui a compté.

Steve replongea dans ses souvenirs.

- Oui.

- Avec qui tu couchais.

La remarque de Danny sortit Steve de sa nostalgie. Il se tourna vivement vers son passager.

- Pas besoin d'être un enquêteur chevronné pour le comprendre, signifia Danny.

Steve ne répondit pas. Il ne voulait pas. Ce retour inattendu remuait déjà beaucoup trop de choses dans son esprit pour que son remuant partenaire y aille de son tractopelle. Malheureusement, la machine était en marche.

- On se croirait presque dans une de ces horribles comédies romantiques au scénario déjà tellement vu et revu où le héros s'apprête à épouser la femme de sa vie mais son ex-petite-amie débarque. C'est toujours le début des emmerdes.

Steve freina brusquement, espérant ainsi faire taire Danny. Mais bien que la brutale décélération ait failli engendrer une violente rencontre entre le tableau de bord et son nez, Danny poursuivit sa conversation à un participant.

- Mais, dis-moi ! À quand remonte ton histoire avec cette vieille connaissance ?

- Une quinzaine d'années. Où veux-tu en venir ?

- Nulle part.

- Tant mieux. Parce que nous sommes arrivés.

Puis Steve sortit de la voiture.


- C'est pire que de chercher une aiguille dans une botte de foin ! s'emporta soudainement Steve, faisant sursauter toute son équipe. On n'a absolument rien. Pas la moindre piste, pas de scène de crime. On ne sait même pas si on a un crime !

- Steve… tenta Catherine.

Si d'ordinaire, la jeune femme parvenait à l'apaiser lorsqu'il se laissait submerger par ses émotions, cette fois, Steve ne lui adressa même pas un coup d'oeil. À vrai dire, Steve l'avait évitée toute la matinée.

L'après-midi était déjà bien entamée. La pause déjeuner s'était limitée à un sandwich avalé en vitesse par chacun. En revanche, le café coulait à flot. Cindy était repartie depuis longtemps déjà pour aller travailler.

Tous voulaient clôturer cette nouvelle affaire le plus vite possible et de la meilleure manière possible. Hélas, rien ne se mettait de leur côté. Ils n'avaient aucun élément. La visite du collège n'avait rien donné de pertinent. L'ensemble du corps enseignant avait dressé le portrait d'une élève compliquée : des résultats époustouflants mais un comportement laborieux, querelleur. Le principal, Monsieur McGowan, avait avoué se sentir parfois dépassé par les évènements avec Melany. Pas un seul jour ne passait sans que son nom ne revienne à ses oreilles. Bien qu'elle soit absente, ce jour-là ne dérogeait pas à la règle. Le directeur du collège tenait un classeur consacré à la jeune fille et à ses frasques. Relevés de notes, rapports disciplinaires, passages à l'infirmerie, plaintes de parents, plaintes de professeurs… Tout y était consigné. Mais rien n'apportait l'ombre d'une piste. Interroger les amis de Melany s'était révélé aussi vain et d'une rapidité sans égale ! L'adolescente disparue n'avait qu'une amie proche : Keala Tel. Extravagant était le mot le plus approprié pour décrire le style parfaitement assumé de cette charmante adolescente. Malheureusement, Keala n'avait pas pu éclairer davantage le 5-0. Ils avaient également interroger le Coach McFalls, du Hawaiian Horse Club. Encore une impasse. L'inspection de la chambre de Melany et la fouille de son ordinateur et téléphone n'avaient rien donné non plus.

Chin était parvenu à confirmer que l'adolescente était bien partie courir jeudi matin grâce aux vidéos de surveillance. Mais Kapahulu, le quartier où elle vivait, était si mal couvert par les caméras qu'il avait été impossible d'établir son itinéraire de course.

- Il faudra aller faire du porte à porte là-bas quand les habitants seront rentrés du travail. Peut-être que quelqu'un a vu Melany ou une activité suspecte.

- Et si on demandait l'aide d'une ou deux patrouilles, suggéra Kono. Histoire de couvrir la zone plus rapidement.

- Bonne idée. J'appellerai Duke pour organiser ça.

- Je pense que tu n'auras pas besoin de sortir ton téléphone.

Danny désigna l'entrée du QG. Le Sergent Lukela en franchissait les portes en verre.

- Duke, tu tombes bien, l'accueillit Steve. Nous avions justement besoin de toi.

Le policier en uniforme s'arrêta à la hauteur de l'équipe et salua tout le monde d'un signe de tête formel. Steve lui fit part de sa requête.

- Pas de problème, dès que je retourne au district, j'envoie quatre ou cinq hommes là-bas.

- Merci Duke. Je suppose que ta venue n'est en rien une visite de courtoisie.

- Non, en effet. Tu aurais un moment ? Pour discuter.

Duke s'adressait à Steve et seulement à Steve, avec gravité.

- Oui, bien sûr. Allons dans mon bureau, invita Steve, soucieux.

Il fit signe à son équipe de continuer à creuser tandis qu'il allait s'enfermer avec Duke dans la pièce d'à-côté.

- Hier soir, le 9-1-1 a reçu un appel, commença Duke. L'opératrice n'a pu discuter avec personne. En revanche, elle a entendu du bruit qui laissait penser qu'il y avait lutte. En plus l'adresse correspondait à une supérette à Kalihi pour lequel nous avions reçu l'alerte d'une alarme de sécurité.

- Une effraction ?

Duke tendit à Steve le dossier qu'il avait apporté avec lui. Steve commença à le feuilleter, il était essentiellement composé de photos, mais il ne comprenait pas bien en quoi ce cas concernait le 5-0.

- Effectivement. Une patrouille a été dépêchée sur place. Mais en arrivant sur place, mes hommes n'ont trouvé personne. Par contre, les lieux étaient saccagés. Serrure forcée, bris de verre, rayons renversés. Mais ils ont surtout trouvé un message, écrit sur l'écran de la caisse. Avec du sang.

Steve trouva la photo correspondante.

- " À l'aide E-N-L-E", lut-il.

Il releva le nez du dossier.

- Un enlèvement ?

- Il semblerait. Malheureusement, les bandes des vidéos de surveillance ont été volées ou détruites. Impossible donc de voir ce qui s'est passé dans ce commerce. L'analyse de l'enregistrement de l'appel n'a rien donné non plus. Mais nous avons analysé le sang du message. Dans un premier temps, nous avons pu déterminer qu'il appartient à un individu de sexe féminin, une adolescente a priori, d'après le taux de protéines contenues dans l'échantillon. Mais aucune correspondance directe n'est sortie.

- Dans un premier temps ? Correspondance directe ? répéta Steve.

- Le technicien qui s'est occupé de l'analyse, le jeune Barry, brillant élément. Vu l'âge de la victime présumée, il a décidé de rechercher une correspondance avec un éventuel parent.

Steve hocha la tête, impressionné. Il approuvait grandement l'initiative et son ingéniosité. Ce Barry était novice. Fraîchement sorti de l'école, il exerçait depuis quelques mois seulement. Steve avait déjà eu l'occasion de collaborer avec lui sur quelques affaires et ne pouvait que confirmer les états de services remarquables de cet élément. Consciencieux, appliqué, efficace, savant user de discernement comme de discrétion, il était un véritable atout pour la HPD et le 5-0.

- Barry m'a appelé dès que le résultat est tombé.

- Une correspondance ?

- Oui, à cinquante pour-cent. C'est la raison de ma présence ici.

Duke tourna les pages du dossier, toujours dans les mains de Steve, jusqu'à atteindre la dernière.

- Est sorti ton nom.