Stiles était un jeune homme solaire, un adolescent qui ne savait pas vraiment ce qu'était une descente aux enfers. Des choses, il en avait vécu et elles étaient loin d'être faciles. Pour autant, il avait toujours pu s'en remettre parce que ça allait. C'était un garçon à la force d'esprit aussi grande que son sarcasme, quelqu'un qu'on ne pouvait pas faire tomber aussi facilement. Enfin, c'était ce qu'il pensait. N'importe qui pouvait venir à bout d'une certaine résistance à force d'insister.
Stiles n'était pourtant pas quelqu'un qu'on pouvait briser si facilement : il avait de l'expérience en matière d'évènements compliqués à vivre. La mort de sa mère, sa possession par un esprit démoniaque, et puis toutes ces fois où son meilleur ami l'avait presque laissé mourir pour aller satisfaire ses hormones, cette fois-là aussi où il avait tué par accident, où il avait tenté de survivre à un wendigo qui voulait sa peau mais aussi celle de son père… On pouvait dire qu'il avait une vie mouvementée, une vie dirigée par le surnaturel.
Il appréciait par conséquent beaucoup les moments de calmes qui arrivaient parfois, ceux qui lui donnaient l'impression qu'il avait encore une vie normale. Boire un verre avec Isaac dans le café du coin faisait partie de ces habitudes qu'il voulait conserver, histoire de ne pas traîner que dans le surnaturel. Garder les pieds sur terre, c'était sa ligne de conduite. Était-ce pour cela qu'il refusait toujours de devenir un loup-garou et arguait avec opiniâtreté que rester un humain avait ses avantages ? Probablement.
Stiles posa ses yeux brillants de désir sur son Bubble Tea au caramel. Depuis le temps qu'il n'en avait pas pris ! Il se lécha ostensiblement les lèvres en pensant au goût qui inonderait ses papilles et ferait frissonner son corps de plaisir. Face à lui, Isaac souffla du nez, pour ne pas dire qu'il se retenait carrément de rire. Stiles était vraiment un sacré personnage et s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer. Il était curieux, s'émerveillait de tout et profitait de chaque jour qui passait comme si c'était le dernier. Isaac était admiratif de cet aspect de lui : Stiles prenait tout comme ça venait – même s'il râlait un peu pour la forme – et continuait d'avancer tout en aidant les autres.
C'était un peu, comme Isaac aimait à le dire, la maman de la meute : toujours là pour chacun de ses membres quel que soit le temps, quelle que soit l'heure, quelle que soit la situation. D'ailleurs, c'était pour le remercier d'être venu l'aider la nuit dernière qu'Isaac avait invité Stiles à boire un verre – un Bubble Tea, Stiles adorait les Bubble Teas. La meute n'était pas vraiment au courant mais le bouclé continuait de faire des cauchemars de temps à autres. Leur récurrence était moindre par rapport à sa première année en tant que loup-garou, mais tout de même. Chaque fois, c'était violent. Il avait beau savoir que son père ne pourrait plus le frapper, des réminiscences de ses mauvais traitements venaient parfois le torturer. Il n'en parlait pas, même s'il savait parfaitement que ses amis comprendraient. Mais Isaac avait honte et ne comprenait pas lui-même la raison pour laquelle il avait du mal à tourner la page. Stiles avait beau lui répéter que c'était tout à fait normal, Isaac continuait de se dire qu'il aurait déjà dû se remettre de tout ça. Pourquoi ce petit hyperactif à la langue bien pendue était-il au courant de son presque secret dont il avait réellement honte comme s'il s'agissait d'une bêtise sans aucune importance ? Parce qu'il l'avait surpris en pleine crise d'angoisse alors qu'il rentrait chez lui. De là, il l'avait aidé, passant outre ses refus, jusqu'à ce qu'enfin, Isaac cède et lui raconte son histoire un peu plus en détail que ce que le reste de la meute savait, en passant par ses différents déboires et cauchemars. Toutefois, ce n'était pas parce qu'il s'était confié qu'il voulait que les autres soient au courant : Stiles l'avait rassuré sur ce point, il serait donc une tombe – de luxe, selon ses dires, puisqu'il n'était pas contre un petit Bubble Tea offert de temps en temps.
Cette sortie là entre eux était la première de ce genre qu'ils faisaient mais tous deux s'accordaient déjà à dire que c'était fort agréable de sortir du contexte de la meute, des cours, de toutes ces affaires surnaturelles qui leur prenaient un temps monstre. Stiles songeait même à élargir ce genre de petits rituels avec d'autres membres de la meute. Ce qui était bien avec eux c'était que mis à part leur détecteur de mensonge auditif et leur capacité bien envahissante à détecter les émotions dans les odeurs, ils étaient normaux. Ne lui faisaient pas trop ressentir sa différence qui restait pour lui une force.
- Bon, tu le bois ton Bubble Tea ou je dois te le voler pour te faire réagir ? Rit doucement Isaac.
- Laisse-moi admirer encore un peu cette œuvre d'art qui va bientôt couler dans ma gorge et me faire jouir de bonheur, rétorqua tout naturellement Stiles d'un ton étrangement sérieux.
Pour lui, la dégustation de Bubble Teas était tout un art. Il ne fallait pas aller trop vite, de sorte à profiter un maximum de l'intensité et de la diversité d'une même saveur dans cette boisson. Et puis… Celui-ci était au caramel et qu'est-ce qu'il aimait le caramel ! Isaac, quant à lui, éclata franchement de rire après avoir légèrement rougi. Parce que, bon, Stiles n'avait vraiment pas sa langue dans sa poche et ce qui sortait de sa bouche était parfois… Cru. L'hyperactif n'avait aucun filtre et c'était ce qui rendait certaines situations beaucoup moins dramatiques qu'elles ne l'étaient réellement. Le faisait-il exprès pour détendre l'atmosphère ? Parfois oui, parfois non. Ça sortait comme ça venait.
C'était Stiles. Pétillant, cru, honnête, solaire. Il n'y en avait pas deux comme lui.
Les deux jeunes hommes discutèrent un peu et Stiles finit enfin par porter la paille à ses lèvres. Isaac, lui, ne l'avait pas attendu : il sirotait déjà son mojito sans alcool depuis belle lurette. Les yeux de Stiles s'emplirent d'au moins un million d'étincelles et son odeur transpira le bonheur tant celui-ci était intense. Isaac pouffa à nouveau de rire et se moqua gentiment de lui. S'ensuivit alors une discussion tout à fait normale et agréable comme ils en échangeaient rarement. Parce que Stiles avait cette image de l'hyperactif insupportable qui lui collait à la peau, on ne lui parlait pas toujours pour les bonnes raisons et Isaac s'en rendait compte depuis qu'il l'aidait à se remettre de son propre passé. C'était aussi pour cela qu'il l'avait invité aujourd'hui. Il prenait conscience que Stiles était un véritable ami, ami dont on devait prendre soin et pas seulement s'en servir pour réaliser des plans et stratégies d'attaques contre leurs bons vieux ennemis surnaturels. Stiles méritait mieux que ça, tout comme il méritait d'être considéré à sa juste valeur. Ce qui titillait Isaac, c'était de constater que parallèlement à tout ça, Scott s'éloignait de Stiles. C'était lent et progressif, mais il ne pouvait que remarquer ce fait, qu'il voyait se profiler depuis plusieurs semaines. Stiles n'en parlait pas, mais Isaac était certain que ça le touchait, tout comme il ne devait pas en connaître la raison puisque dans son odeur subsistait un parfum de confusion lorsque Scott était dans les parages. Commençant à connaître Stiles, le bouclé savait qu'il ne lui dirait rien s'il le lui demandait : l'hyperactif était humain mais mettait un point d'honneur à garder ses problèmes et interrogations pour lui. S'il devait lui dire quelque chose, ce serait de lui-même et pas parce qu'il y serait poussé. Parce que Stiles était sacrément têtu et le faire changer d'avis lorsqu'il campait sur ses positions n'était pas une chose aisée. Isaac attendrait. Si Stiles devait finir par lui parler de Scott, il le ferait.
Stiles reposa bruyamment sa boisson sur la table. Il l'avait finie. Dégustée durant de longues minutes. Entre chaque gorgée qu'il avait fait en sorte de multiplier au maximum – ne boire que des petites lichettes histoire de faire durer le plaisir – il avait discuté avec Isaac de choses et d'autres, en passant par la meute, le lycée et puis en enchaînant avec des choses simples telles qu'un échange de banalités par rapport à leur temps libre respectif. C'est ainsi qu'il apprit que son petit bouclé aimait bien les jeux-vidéos même s'il n'était pas très doué et qu'il lui arrivait parfois de lire des romans en tous genres. Et il apprécia réellement ce temps d'échange qu'ils eurent, sans avoir à se soucier d'un problème à régler rapidement, d'un wendigo à attraper, d'un omega à renvoyer chez lui… Quel bonheur ! Quoi que mieux qu'une petite sortie entre amis pour se changer les idées et se sortir un peu de tout ça ?
Oui mais le temps passait, l'heure tournait bien trop vite aux yeux d'Isaac, qui devait aller voir Derek aux alentours de dix-sept heures. Et il était déjà seize heures et quarante-cinq minutes. Aller voir celui qui était passé d'alpha à bêta n'était pas un problème, il l'adorait : simplement, il était bien. Le temps était ni trop chaud ni trop frais et la brise, légère. Il avait bien choisi son jour pour l'inviter dehors. Un serveur vint déposer l'addition et Stiles commença à sortir son portefeuille pour régler son Bubble Tea d'amour lorsqu'Isaac l'arrêta. Il tendit au serveur un billet qui réglait leurs deux boissons et sourit à Stiles en lui disant qu'il l'invitait, c'était cadeau. Au départ, Stiles était gêné. Puis, il insista pour payer sa boisson avant de rapidement capituler parce que l'air de rien, il n'avait plus beaucoup de sous sur son compte ce mois-ci et dans un sens, qu'Isaac l'invite l'arrangeait bien. Il n'y avait pas de petites économies, comme disait son père, dont le salaire n'était pas extrêmement mirobolant et qui peinait encore à payer ses derniers frais d'hospitalisation en date. Toutefois, il lui dit qu'il lui revaudrait ça et que, techniquement, il toucherait sa paye d'ici deux petites semaines.
- La prochaine fois, c'est moi qui t'invite, et pas de discussion ! Lâcha-t-il d'un air sérieux malgré le sourire dans son regard.
C'est qu'il l'aimait beaucoup, ce petit – grand – bouclé et il était hors de question de ne pas lui rendre la pareille. Isaac insista, lui dit que ce n'était pas la peine et qu'il lui avait offert le Bubble Tea pour lui faire plaisir, mais Stiles n'en démordit pas. Avait-on déjà dit qu'il était têtu ? Eh bien, c'était à un point où Isaac finit par capituler après une bonne dizaine de minutes riches en batailles verbales et en argumentations plus ou moins solide des deux côtés. Parce que Stiles était adorable – et un poil opiniâtre. Mais si on lui demandait, l'hyperactif préfèrerait dire qu'il était déterminé, c'était moins péjoratif.
Stiles, en grand seigneur qui aimait sacrément bien la compagnie d'Isaac, décida de l'accompagner chez Derek ou plutôt, de l'y amener. Oui, parce qu'il s'avérait que le bouclé comptait y aller à pied. Il avait raté son permis pour la deuxième fois une semaine plus tôt et la voiture qu'il avait lui était donc parfaitement inutile pour l'instant. Stiles, lui, aimait à dire qu'il l'avait eu du premier coup mais puisqu'il s'agissait de son ami, il n'alla pas se vanter.
- Allez, c'est pas tout ça, mais l'heure tourne alors bouge tes fesses beau gosse, on y va ! Lâcha Stiles en commençant à se lever.
Le ton de Stiles était jovial et pas le moins du monde aguicheur malgré les mots employés qui pouvaient laisser penser, si l'on ne connaissait pas le contexte, que la situation pouvait être fort différente de ce qu'elle était réellement. Enfin, il fallait avoir un esprit tordu pour que cela soit le cas.
Isaac rit un peu tant Stiles était… Stiles. Il allait se lever lorsqu'il capta une forte odeur d'excitation qui lui emplit d'un seul coup les narines et lui fit perdre toute envie de rire. En fait, il grimaça : être un loup-garou avait son lot de désavantages et ce n'était pas la première fois qu'il sentait des odeurs indésirables. Toutefois, celle-ci avait quelque chose de différent. Non seulement elle était forte, mais elle se rapprochait. Du coin de l'œil, il vit une grande main se poser un peu brusquement sur la table, non loin de Stiles. Il leva la tête et comprit que l'odeur d'excitation venait de cette personne. Cet homme. Grand et à l'air un peu sinistre, il hérissa tout de suite les poils de son loup, si bien qu'il se leva pour toiser l'homme de sa haute stature, parce qu'il était un peu plus grand que lui. Mais l'individu ne faisait pas attention à lui, oh non.
Il regardait Stiles d'un air qui en disait long. Il avait faim et ne semblait pas gêné pour un sou du fait de le montrer.
- C'est combien pour l'heure ? Demanda-t-il d'une voix absolument pas agréable à entendre.
Stiles ne lui répondit pas, bien trop abasourdi pour ne serait-ce que comprendre la situation, tout comme il ne fit pas le lien entre sa phrase précédente et… Ça, ce… Cette… Demande. A vrai dire, Isaac ne le fit pas non plus et il était fort probable que personne n'aurait compris, pas même les autres membres de la meute s'ils avaient été là.
Sans aucune expression, l'homme sortit son portefeuille d'une poche de sa veste et en extirpa un billet, qu'il écrasa contre la table.
- Cent dollars pour une heure, suffisant ou il te faut plus ?
Même si la situation était pour le moins cocasse et incompréhensible, Isaac prit Stiles par le bras et lui dit simplement :
- Viens, on y va.
Il n'aimait pas le regard de cet homme, encore moins cette demande, cette proposition dont il commençait tout doucement à comprendre l'indécence – contrairement à Stiles qui paraissait toujours aussi abasourdi, incapable de lâcher quelque parole que ce soit. Les mots lui manquaient tant la situation lui paraissait… Surréaliste. Impensable.
- Reprenez votre argent, il n'a aucun service à vendre, lâcha-t-il ensuite en passant cette fois son bras autour de l'hyperactif, histoire de lui montrer qu'il se trompait sur son compte et qu'il ne s'approcherait absolument pas de lui.
Isaac tempéra la montée d'émotions qui montait en lui, repéra la Jeep de Stiles et il l'emmena rapidement loin de cet homme qui ne le lâcha absolument pas du regard jusqu'à ce qu'il ait disparu de son champ de vision.
