Je suis tellement, tellement contente d'enfin publier le premier chapitre de cette histoire ! Je travaille dessus depuis plus de six mois et je peux déjà vous dire que c'est mon histoire préférée, parmi toutes celles que j'ai écrites. J'y ai vraiment mis mes tripes et j'espère de tout mon cœur que vous apprécierez et serez autant touchés que moi par Marinette, Adrien et les autres.

Je vais pas mal parler mais je pense que ce sont des choses importantes à dire, alors prenez le temps de lire, s'il-vous-plaît. Déjà, par rapport à l'histoire en général :

— C'est clairement la chose la plus sombre et la plus compliquée que j'ai jamais écrite. Il y aura des passages difficiles, des mentions d'aggressions sexuelles, de viols, de dépression, de dépendance affective et d'autres choses qui peuvent être impossibles à lire pour certaines personnes. Je mettrai des trigger warning, évidemment, mais je préfère vous prévenir d'office.

Je ne cautionne aucun comportement dans cette histoire. Vous comprendrez en lisant mais je tiens à le dire dès maintenant. Ce n'est pas parce que je l'écris que je trouve que ce sont des choses acceptables, bien au contraire.

— J'apprends toujours. Sur l'écriture, sur la vie, sur les discriminations, sur les comportements à éviter, sur beaucoup de choses. Alors je m'excuse d'avance si certains propos sont maladroits ou offensants par rapport à certaines communautés. Si c'est le cas, je vous en supplie, dites-le moi.

Maintenant, par rapport à l'histoire plus en détails :

— Je re-préciserai certaines choses au début de chaque chapitre, notamment par rapport à ce que je prends en compte de la série ou non. Je n'ai plus regardé depuis la saison 3 donc il y a beaucoup de choses qui ne font pas partie de cette histoire. Encore une fois, je le préciserai à chaque fois pour que vous ne soyez pas perdus.

Il y a des incohérences avec le tome 1. Je n'avais pas prévu d'écrire un tome 2 et encore moins ce tome 2, donc forcément, certaines choses ne concordent pas. Je m'en excuse d'avance, même si ce n'est pas gênant pour votre lecture.

— En parlant du tome 1. Ceux et celles qui tombent sur cette histoire sans l'avoir lu, vous n'êtes pas obligés de faire demi-tour. Je vous encourage bien sûr à le lire au préalable mais vous comprendrez très bien même si vous ne le faites pas. (Résumé rapide : Marinette et Adrien couchent ensemble sans se dire réellement en couple, doivent rester discrets sur la nature de leur relation à cause du père d'Adrien et de sa célébrité. Marinette est amoureuse d'Adrien mais est tombée amoureuse de Chat Noir en chemin. Adrien est amoureux de Ladybug et se rend compte qu'il est tombé amoureux de Marinette. En parallèle, Gabriel continue d'être un père toxique et dictatorial. Ladybug et Chat Noir découvrent leur identité. Des catastrophes arrivent. Après de nombreux obstacles, Marinette et Adrien s'avouent enfin leur sentiments. Adrien découvre que son père est Papillon et qu'il sait qu'il est Chat Noir. Pour protéger Marinette, il piège son père en prenant son Miraculous, le donne à Marinette, ainsi que le sien, se retrouvant sans rien. Il lui dit de partir à New-York pour ses études sans lui. Ce qu'elle fait. J'ai dit rapide ? Oups.)

La temporalité est importante mais ne correspond pas forcément à la nôtre. Par exemple, je mentionnerai des films sortis en 2022 mais la temporalité se situera beaucoup plus tôt. Ne prenez pas ça en compte, je précise les dates surtout pour que vous vous situiez en termes d'années.

Il y aura une alternance de chapitres à partir du 4. Le 4 sera dans le passé, avant le tome 1. Le 5 sera à nouveau dans le présent, et ainsi de suite.

Voilà ! Après tout ce bla-bla, voici enfin le premier chapitre ! J'espère que vous l'aimerez autant que moi !


« She used to love me but it's

Over now

That was a good thing that's

Gone man, gone

My problem was

That I could not see

What was important

Right in front of me »

Gone Man – Eels


Août 2021

Un jeune homme pousse la porte d'un pittoresque magasin d'antiquités. Le ding de la cloche rompt le silence de plomb régnant dans la boutique. Chaque mètre carré est occupé. Chacune des étagères est remplie de figurines et de livres dont l'épaisseur ne rivalise qu'avec leur ancienneté. Bijoux, jeux de cartes, boussoles occupent les présentoirs poussiéreux. Un vieil homme est assis derrière le comptoir vernis. La brillance du meuble retourne au visiteur le reflet de ses yeux verts.

« Excusez-moi ? » demande-t-il. Le vieil homme lève sceptiquement les yeux de son livre, ses petites lunettes rondes au bout du nez. Il ne dit rien, se contente d'hausser un sourcil épais, zébré de poils gris.

Le jeune homme aux yeux verts ne se décourage pas pour autant. Il sort un livre de son sac. « Avez-vous déjà vu ceci ? »

Le gérant de la boutique ferme son livre, utilisant une vieille liste de courses froissée et cornée en guise de marque-pages. Ses doigts chevrotants redressent ses lunettes sur son nez et ses gros sourcils se froncent légèrement. Il tend la main, toujours sans piper mot.

Durant une seconde, leurs deux mains sont posées sur le grimoire. D'un côté, les doigts sont tremblants, la peau ridée, parsemées de taches de vieillesse. De l'autre, les articulations sont fines, la peau dépourvue de tout signe de l'âge – seulement recouverte de cicatrices blanchies par le temps.

Le vieil homme observe attentivement le livre. Celui aux yeux verts tapote nerveusement ses doigts contre ses cuisses en attendant, son regard vif allant et venant dans la boutique. Dehors, la pluie tombe contre les fenêtres. Ploc, ploc, ploc.

« Où avez-vous eu cela ? » demande finalement le vieil homme d'une voix rocailleuse, dans un anglais marqué par un accent tibétain.

« Dans cette même boutique, je crois.

— Quand ?

— Il y a quinze ans.

— Que voulez-vous ? »

Les yeux verts rencontrent les iris noirs. Le jeune homme remet une mèche de ses longs cheveux derrière son oreille et s'humidifie les lèvres. Il semble nerveux.

« Connaissez-vous... Connaissez-vous un moyen de...

— Non. »

Le vieil homme referme brusquement le grimoire qu'il feuilletait. Celui aux longs cheveux sursaute, les sourcils froncés.

« Veuillez sortir de mon magasin. »

Il hésite. Reprend le grimoire, fait un pas en avant, vers la sortie. Pose sa main sur la poignée. Et puis, il se retourne. Le vieil homme le regarde d'un air grave.

« S'il-vous-plaît. Je veux juste savoir. Connaissez-vous un moyen d'exaucer le vœu sans réunir les deux bijoux ? »

Les yeux de son interlocuteur s'ouvrent en grand. Il se lève, faisant tomber le livre posé sur ses genoux. Ses mains tremblent sur le comptoir. « Ce que vous me demandez est contre-nature.

— Mais—

— Réunir ces bijoux pour exaucer un vœu constitue déjà un crime en lui-même. »

Le jeune homme déglutit. Une mèche de ses cheveux blonds retombe devant ses yeux. Il ne prend pas la peine de la repousser, cette fois-ci.

Le vieil homme soupire. « L'échange équivalent. » Ce sont les derniers mots qu'il prononce. Ensuite, il se rassoit, baisse ses lunettes sur son nez et ramasse son livre, reprenant sa lecture.

Le jeune homme aux yeux verts et aux cheveux blonds semble confus. « Bonne journée, » balbutie-t-il avant de pousser la porte du magasin. La pluie lui fouette le visage dès qu'il met un pied dehors, lui trempant les cheveux.

Son tee-shirt colle à sa peau, ses chaussures claquent contre le trottoir. Il ouvre la porte d'une voiture noire, s'engouffre à l'intérieur.

« Alors ?

— Toujours rien. »

Le véhicule démarre. Le jeune homme essuie le grimoire contre son pantalon trempé — inutile.

« Fais attention. Je pourrais finir par choisir la voie de la facilité. »

Il se crispe, les muscles de son dos se tendant sous son tee-shirt. Sa mâchoire se contracte et une résolution farouche se met à brûler dans le vert de ses yeux.


Juillet 2022

Lorsque Marinette ouvre les yeux, une douleur se met à pulser dans son crâne. Sa langue est pâteuse, son corps entier est lourd et courbaturé. Un gémissement plaintif s'échappe de ses lèvres asséchées.

Elle ne sait pas ce dont elle a le plus besoin : d'une journée entière de sommeil ou d'avaler un bidon d'eau entier. Peut-être les deux.

Marinette se recroqueville sur elle-même, son regard vitreux scannant sa chambre. Les photos toujours accrochées aux murs, la moquette blanche, la valise étalée sur le sol, les vêtements éparpillés un peu partout. Sur sa table de nuit, à côté d'une multitude de crèmes pour les mains et de baumes à lèvres se trouve une note, accompagnée d'un grand verre d'eau et de ce qui semble être un médicament.

Marinette se redresse le plus lentement possible mais ne peut s'empêcher de grimacer d'inconfort en s'asseyant dans son lit. Sa tête lui tourne pendant quelques secondes durant lesquelles il lui est impossible de déchiffrer les mots gribouillés sur le post-it.

« Pour ta tête. Envoie-moi un message quand tu seras réveillée.

Luka. »

Marinette fronce les sourcils mais avale l'antalgique et l'entièreté du verre d'eau, appréciant la sensation de fraîcheur contrastant avec la sécheresse de ses lèvres et la chaleur de sa gorge. Elle se laisse glisser sous sa couette, les yeux rivés au plafond, tentant désespérément de se souvenir de ce qu'il s'est exactement passé hier soir.

Elle se souvient du bar. Elle se souvient de l'alcool, de la musique et de la danse. Elle se souvient d'avoir beaucoup ri. Elle se souvient du corps de Lukas trop proche du sien, se souvient de s'être retrouvée à l'embrasser et elle se souvient que, tout à coup, ils étaient dans sa chambre. Le comment ils se retrouvés ici reste cependant un mystère.

Le reste, Marinette s'en rappelle mais ne préfère pas y penser. Elle soupire, presse ses paumes contre ses paupières et attends que les pulsations qui lui vrillent le crâne deviennent supportable pour sortir de son lit.

Parfois, elle se demande comment elle trouve la motivation pour activer son corps. Comment arrive-t-elle à s'extraire de ses draps un matin d'hiver, comment arrive-t-elle à se mettre à travailler sur un projet particulièrement ennuyeux, comment arrive-t-elle à vivre, tout simplement.

L'important n'est pas de savoir comment, mais de le faire.

Alors, Marinette attrape le premier vêtement qui lui tombe sous la main : un pull bien trop grand pour elle qui était déjà dans sa valise quatre ans plus tôt lorsqu'elle est arrivée à New-York. Une partie de ses cheveux se retrouve rapidement attachée au sommet de sa tête, l'autre moitié retombant contre ses clavicules.

Une odeur de café et de pancakes l'accueille dans la cuisine.

« Salut, rayon de soleil. »

Marinette se laisse tomber plus qu'elle ne s'assoit sur un des tabourets adjacents au plan de travail. Un grognement s'échappe de ses lèvres en guise de réponse.

« Tu sais, il y a quelque chose qui va vraiment pas me manquer, » déclare Atlas en se retournant. Un sourire au coin des lèvres, il dépose une assiette remplie de pancakes et de sirop d'érable et une tasse de café fumant en face d'elle. « Marinette avec une gueule de bois. »

Elle lui tape gentiment la main en secouant la tête, ignorant la douleur sourde qui accompagne son mouvement. « Je sais pas comment je ferai pour gérer les lendemains de soirées une fois rentrée à Paris, » lui dit-elle entre deux bouchées.

Atlas s'assoit en face d'elle et hausse les épaules, portant une tasse de café à ses lèvres. « C'est sûr que tu retrouveras pas un coloc comme moi.

— C'est certain. »

Marinette savoure la texture aérienne des pancakes, le sucre du sirop d'érable et la chaleur du café contre sa langue. Elle se demande si tout cela aura le même goût à Paris. Elle se souvient s'être dit que tout était différent ici, il y a quatre ans.

Le regard d'Atlas pèse sur elle. « Je peux te demander un truc ? »

Marinette lève ses yeux vers les siens et hausse un sourcil. « Depuis quand tu demandes la permission ? »

Atlas entrouvre ses lèvres, comme s'il allait répliquer, avant de se rendre compte de la rationalité de son propos. « Bon, d'accord. » Il attend quelques secondes, plisse ses paupières et rapproche son visage du sien. « Qu'est-ce qui s'est passé hier soir ? »

Marinette l'avait senti venir mais un désagréable poids s'abat tout de même sur sa poitrine. Elle baisse les yeux et prends une autre bouchée : tout a un goût amer, désormais. « J'en sais rien, » souffle-t-elle d'une voix qui ne lui semble même pas être la sienne.

Elle n'a pas besoin de le voir pour savoir qu'Atlas fronce les sourcils, l'inquiétude et la curiosité se mélangeant sur son visage. « Je t'ai vu partir avec Lukas, je me suis dit que vous étiez rentrés ici.

— Oui.

— Tu vas bien ? »

Marinette lève à nouveau le visage et rencontre le regard noisette de son colocataire. Elle sourit malgré elle et hoche la tête. « Tout va bien. »


Le reste de la journée se déroule comme dans un nuage. Tout semble aller au ralenti. Une douleur sourde continue de pulser dans le corps de Marinette, mais rien que de l'eau et l'exquise cuisine d'Atlas ne puissent résoudre.

Ils passent la journée à faire du tri dans ses affaires et Marinette se rend compte de tout ce qu'elle a accumulé au fil des années. Des dizaines de livres, une montagne de magazines de mode, plus de vêtements que son placard ne l'autorise, une collection impressionnante de mugs et de bandeaux pour les cheveux.

« Mari, tu veux emmener tout ça ? »

Marinette, le dos appuyé contre son lit, est en pleine organisation de sa valise. Chaque centimètre carré doit être exploité intelligemment. Une tâche qu'elle aurait, en temps normal, accompli sans grand problème mais qui semble bien plus compliquée en pleine gueule de bois.

« Hmmm ? » marmonne Marinette, les sourcils froncés au-dessus de sa valise. Si seulement elle avait un peu plus de place. Elle se retourne vers Atlas, tordant son cou au-dessus du lit pour l'apercevoir à l'autre bout de la chambre. Son cœur tombe dans sa poitrine lorsqu'elle remarque à quoi il fait allusion.

Atlas est devant le dernier tiroir de sa commode.

Il tourne le visage vers elle au même moment où Marinette affiche une fausse expression de neutralité. Elle hausse les épaules. « S'il me reste de place. »

Quelques secondes passent. Secondes durant lesquelles son cœur bat trop vite, son souffle se bloque dans sa gorge et ses mains se mettent à trembler.

Elle n'avait pas ouvert ce tiroir depuis longtemps.

Très longtemps.

« Ça va ? »

Marinette sursaute en sentant la main d'Atlas se poser sur son avant-bras et en entendant sa voix tout près d'elle. Elle ne s'était pas rendu compte que ses paupières s'étaient fermées et que sa gorge s'était serrée.

Les yeux chaleureux d'Atlas cherchent les siens. « Mari ? » murmure-t-il d'une voix pleine de douceur. « Mari, qu'est-ce qui s'est passé hier soir ? »

Elle secoue la tête, le regard baissé vers la main d'Atlas contre son bras. Sa peau brune est chaude, réconfortante. Son toucher est suffisamment intense pour lui faire savoir qu'il est là mais suffisamment léger pour lui faire savoir qu'il peut aussi ne pas être là si elle en a besoin.

Marinette connait Atlas depuis près de quatre ans mais cette impression que lui ne la connait pas réellement ne l'a jamais quittée.

« J'ai pas pu, » finit-elle par avouer du bout des lèvres, toujours sans le regarder. Elle ne peut pas se résoudre à rencontrer ses yeux. Parce qu'elle serait terrifiée de ce qu'elle pourrait y trouver. « J'ai pas pu aller plus loin, » murmure-t-elle.

Atlas reste muet quelques secondes. « Est-ce que c'est vraiment grave ?

— Je suppose que non.

— Alors pourquoi tu trembles ? »

C'est à ce moment-là que Marinette se laisse happer par ses yeux aux reflets dorés. Ils brillent d'une telle sincérité qu'un sourire rempli de reconnaissance lui étire les lèvres malgré le nœud qui lui noue l'estomac. « Je... Je pensais être prête, » soupire-t-elle en laissant à nouveau tomber son dos contre son lit. « Mais visiblement pas du tout. »

Les sourcils d'Atlas se froncent et sa reconnaissance se change en tristesse teintée d'épuisement. Elle laisse tomber sa tête en arrière et ses paupières se fermer à nouveau.

« T'as pas peur de ce que tu trouveras à Paris en rentrant, » observe-t-il, « mais de qui tu retrouveras. »

Marinette ne répond pas mais la main d'Atlas se serre davantage autour de son avant-bras. « Je sens que je dois rentrer. Je sais que c'est la suite logique. Mais...

— Mais ?

— Je suis morte de trouille, Atlas. »

Lorsqu'elle se redresse et rouvre les paupières, la main d'Atlas lui ébouriffe gentiment les cheveux. « T'es la personne la plus forte que je connaisse. Tu vas le faire, » lui dit-il avec une sûreté qui lui réchauffe le cœur. « Tu vas le faire, » répète-t-il.

Il semble tellement convaincu que Marinette commence presque à y croire aussi.


« Il est à quelle heure ton avion, Mari ?

— Vingt-trois heures. Ça me fera arriver vers treize heures à Paris.

— Je travaille jusque dix-sept heures mais dès que je sors du travail, je file chez toi. »

Marinette sent un sourire étirer ses lèvres en entendant les mots d'Alya. Assise au comptoir de la cuisine, son téléphone posé devant elle, elle laisse la joie de son retour l'envahir, prenant momentanément le pas sur la peur.

« C'est toujours bon pour ce week-end ? » demande-t-elle en appuyant sa joue contre la paume de sa main.

Alya hoche la tête en mâchant énergétiquement son déjeuner – il est midi, à Paris. Ses yeux noisette brillent d'impatience alors qu'elle se met à taper joyeusement des mains. « J'ai tout prévu : le plein est fait, les snacks sont achetés et j'ai même préparé des jeux pour le trajet ! »

Marinette ne peut s'empêcher de rire : c'est tellement Alya.

Cette petite excursion est prévue depuis quelques mois. Marinette a calqué son vol de retour de manière à accompagner sa meilleure amie pour rejoindre Nino à un festival de musique dans le sud de la France – à Toulouse. Ce n'est pas le premier festival auquel il participe en tant que DJ mais c'est un des plus renommés.

Il y est déjà depuis le début de la semaine, pour répéter et passer du temps avec d'autres amis musiciens venant des quatre coins de l'hexagone. Il y est allé en voiture – avec un dénommé Paul, Marinette en est presque sûre — parce qu'il a tout un tas de matériel à emmener. Ce même Paul ne peut cependant pas le ramener jusqu'à Paris alors Alya s'est portée volontaire pour prendre sa voiture.

Elle était tout excitée à cette idée : passer des heures avec sa meilleure amie qui vient de revenir de l'autre bout de la planète. Et, pour être honnête, Marinette est plutôt enthousiaste aussi.

« J'ai hâte de te revoir, » déclare Marinette, le même sourire qui étend ses lèvres depuis le début de leur Face Time collé sur le visage.

« Moi aussi ! » se réjouit Alya en prenant une nouvelle bouchée de son déjeuner. « J'ai tellement de choses à te raconter, si tu savais !

— On s'appelle toutes les semaines, Al.

— Il s'en passe des choses, en une semaine ! »

Marinette empêcher la crispation de son visage. Ce n'est rien, vraiment. À peine un rictus. Mais c'est suffisant pour Alya qui laisse tomber sa fourchette et plonge ses yeux accusateurs dans les siens. « Qu'est-ce que t'as fait ? »

Marinette lève les yeux au ciel et se réfugie derrière son verre d'eau. « Rien, » marmonne-t-elle.

« Marinette Dupain-Cheng, ne me mens pas — »

Soudain, la porte de l'appartement s'ouvre, révélant Atlas, un sac à la main. Ses clés atterrissent sur le comptoir et Marinette se raccroche désespérément à son arrivée pour distraire Alya : « Atlas ! Atlas est là ! Génial. Super, c'est... génial. »

Son colocataire hausse un sourcil et pose le sac Shake Shack à côté de Marinette qui se jette dessus plus par nécessité de se cacher derrière quelque chose que par réel appétit. Les yeux rivés sur son burger, elle peut deviner le regard qu'Alya et Atlas échangent et la discussion silencieuse qu'ils sont en train d'avoir.

« Qu'est-ce qu'il y a ? »demandent probablement les yeux d'Atlas.

« J'en sais rien, justement, elle est bizarre. Il s'est passé quelque chose ? »

Lorsqu'elle lève discrètement le regard vers ses amis et qu'elle rencontre l'expression crispée de son colocataire, Marinette sait qu'elle a vu juste.

« Quelqu'un peut m'expliquer ce qu'il se passe ? » Alya ne semble pas énervée, seulement inquiète.

Marinette avale difficilement un morceau de son burger et hausse les épaules, triturant nerveusement la salade qui dépasse. « Je t'en parlerai quand on se verra, d'accord ? »

Un silence inconfortable s'installe alors. « C'est à propos de... ? » demande Alya, en français, cette fois-ci.

Marinette sent son cœur se retourner dans sa poitrine. « Oui et non, » finit-elle par répondre. Elle jette un regard à Atlas qui s'installe à côté d'elle. Marinette lui est reconnaissante de ne pas se vexer de la difficulté qu'elle a à se confier. Elle lui est reconnaissante d'être lui et de ne pas se mêler de ce qu'elle veut garder pour elle mais d'être toujours là pour l'aider avec ce qu'elle accepte de partager.

C'est drôle, se dit Marinette. Il est à côté d'elle, en train de tremper ses frites dans du ketchup, sans se douter de la bouffée d'amour à son égard qui l'envahit actuellement.

« Et toi, c'est quand que tu viens à Paris ? » Alya lance à Atlas.

Marinette soupire de soulagement. Le burger a plus le goût de réelle nourriture et moins de ressentiments. Atlas lève les yeux de son téléphone posé contre le plan de travail et Marinette peut le sentir sourire.

Vous savez, ces personnes qu'on appelle solaires ? Ces personnes qui illuminent une pièce de leur présence et qui réchauffent les cœurs ? Atlas en fait partie.

« C'est quand que tu viens à New-York ?

— Dès que je gagnerai plus que ce qu'on accorde aux stagiaires.

— New-York sera immergé d'ici-là.

— Probablement, ouais. Tu penses que tu pourrais venir cet hiver ?

— Ça pourrait se faire. »

Marinette écoute leur discussion d'une oreille, perdue dans ses pensées. Ces deux-là se sont toujours bien entendus. Atlas a toujours été intéressé à chaque histoire que Marinette racontait à propos de sa meilleure amie et Alya a toujours été rassurée qu'il soit à ses côtés.

Ils se ressemblaient sur tellement de points que c'en était troublant parfois. La couleur de leurs yeux et la manière dont ils brillent avec chaleur et réconfort. La manière dont ils comprennent et respectent ses limites.

Et lorsque la noirceur dans son cœur prend le dessus, Marinette peut toujours compter sur eux pour passer outre ses déprimes et lui laisser tout l'espace dont elle a besoin. De la même manière, elle peut s'appuyer sur leur présence et leur soutien lorsqu'elle a besoin de se décharger de ce trop-plein d'émotions.

Elle n'aurait pas pu rêver d'un meilleur entourage, vraiment. Et Marinette en est infiniment reconnaissante.

« Bon, » déclare alors Alya en se levant et en débarrassant. « Il va falloir que j'y retourne, les gars. »

Marinette observe l'appartement de sa meilleure amie. Elle y est allée l'hiver dernier lorsqu'elle était rentrée à Paris pour les fêtes. C'est assez petit, mais pas d'une mauvaise manière. Plutôt d'une manière rassurante et chaleureuse. Le salon et la cuisine forment une unique pièce remplie de posters de groupes de musique et de photos de tous leurs amis.

Un concentré d'Alya et Nino.

« Je vais pas tarder non plus, » annonce Marinette en repliant l'emballage de son burger. « Je vais passer voir Luka avant de prendre l'avion, » explique-t-elle en se levant. Ses pensées sont toujours un peu floues, ses membres toujours un peu engourdis, comme si elle venait de se réveiller.

Atlas lui lance un regard en coin mais ne dit rien. Alya attrape son sac à main et hausse un sourcil, un léger sourire au coin des lèvres mais ne prononce pas un mot non plus.


« Luka ? » appelle Marinette en toquant à sa porte. « C'est moi. »

Des bruits de pas pressés. La poignée qui se tourne. La porte qui s'ouvre. Des yeux émeraudes qui happent les siens. Le sourire que Luka lui adresse la fait se sentir coupable.

« Entre, » lui dit-il de sa voix douce.

La porte se referme derrière elle et Marinette observe un instant l'appartement de Luka, plus pour ne pas le regarder lui que par réelle découverte – elle est déjà venue aussi des dizaines de fois. Des dessins et des toiles recouvrent les murs. Sa guitare est posée dans un coin du salon. Des coussins de toutes les couleurs sont posés sur le canapé. Une odeur de linge propre flotte dans l'air.

Marinette a toujours aimé venir ici.

« Il est à quelle heure, ton vol ?

— Dans quatre heures. »

Il ne répond rien, mais elle peut l'imaginer hocher la tête.

« Écoute, Luka— » déclare-t-elle en se retournant.

« Mari, je— » commence-t-il en même temps.

Il est bien plus proche que ce à quoi Marinette s'attendait. Tellement proche qu'elle doit lever les yeux pour le regarder. Les mains de Lukas agrippent ses épaules, un nouveau sourire étirant ses lèvres. La culpabilité lui fait l'effet d'un coup de poing dans le ventre.

Elle se sent stupide de se sentir mal à l'aise face à ce simple contact alors qu'il était à moitié nu dans son lit la nuit dernière.

« Vas-y, » l'encourage-t-il.

« Je suis désolée, » soupire-t-elle en baissant un instant les yeux. Lorsqu'elle le regarde à nouveau, il ne sourit plus et la culpabilité ressemble à un coup de poignard en plein cœur. « Je pensais que j'étais prête, mais... » Elle ferme un instant les paupières et ravale la boule qui se forme dans sa gorge. « Je suis désolée, Luka. »

Il fronce les sourcils, ses mains pressant gentiment ses épaules. « Mari, c'est pas grave, vraiment. On peut attendre, on peut prendre tout le temps dont t'as besoin. »

Elle hoche la tête, pressant ses lèvres l'une contre l'autre. « Tu comprends pas. »

Il rapproche son visage du sien, laissant tomber son front contre le sien. « Alors explique-moi. »

Marinette ferme les yeux, se laissant bercer par sa chaleur et par son odeur une dernière fois. « C'est pas juste à propos du sexe, Luka. Je suis pas prête du tout. » Prononcer ces mots la soulage et l'accable tout à la fois.

« Oh, » murmure-t-il d'une voix rauque. Son visage s'éloigne du sien, ses mains quittent ses épaules.

Marinette garde les paupières fermées quelques secondes de plus, retardant le moment où elle va devoir affronter le regard de Luka, où elle va devoir affronter le cœur qu'elle vient de briser, tout comme le sien a été brisé des années auparavant.

« Je suis désolée, » souffle-t-elle en rouvrant les yeux.

Il lui sourit. Un sourire triste, un sourire rempli d'espoir mourant. Mais il lui sourit quand même. Et, oh, à quel point Marinette voudrait être capable de l'aimer.

Sa vie serait tellement plus simple si elle en était capable.

« C'est pas parce que je pars ou parce que c'est toi, Luka. Vraiment, tu sais pas à quel point j'aimerais être prête pour toi. »

Il hoche la tête, les lèvres pincées. Sa pomme d'Adam s'agite sous sa peau au rythme de sa déglutition. « Je sais, » murmure-t-il.

Marinette l'observe une dernière fois. Observe la profondeur de ses yeux, la finesse de ses lèvres, la netteté de sa mâchoire, la bienveillance pure émanant de lui. Elle se dresse sur la pointe de ses pieds, dépose ses lèvres contre sa joue et finit par lui tourner le dos.

Soudain, une main agrippe son poignet, quelque chose de dur et de chaud se presse contre son visage et une paire de bras passe autour d'elle. « Fais attention à toi, Marinette. » Son ton presque suppliant lui fait froncer les sourcils. « Ne le laisse pas détruire tout ce que tu as réussi à reconstruire. »


Les au revoir avec Atlas lui laissent un nœud dans la gorge et un goût amer dans la bouche. Ses yeux sont secs mais son cœur est serré dans sa poitrine.

Marinette se laisse tomber sur son siège en soupirant. Dans huit heures, elle sera à l'autre bout de la Terre. Dans huit heures, elle retrouvera ses parents et ses amis.

Mais elle ne pense qu'à Atlas. Qu'à Luka. Elle ne pense qu'au campus de Pratt, au café où elle a — avait — l'habitude d'aller, aux longues promenades dans les rues de New-York, aux gratte-ciels interminables. Elle pense aux bars et aux soirées et aux karaokés et à tous ses amis qu'elle laisse derrière elle.

Est-ce que c'est ce même sentiment doux-amer qu'elle a ressenti lorsqu'elle a fait le chemin dans l'autre sens, quatre ans auparavant ?

Marinette ferme les paupières et attrape ses écouteurs. Elle n'a aucune envie de se remémorer la personne qu'elle était en venant ici. Et surtout pas maintenant.

Le vol se déroule calmement, sans turbulences. Marinette dort la majeure partie du temps, mettant définitivement sa gueule de bois derrière elle et se préparant pour le jet lag. Alors qu'elle survole les nuages, son esprit semble être dans le même état. Toutes les émotions et leur contraire s'entrechoquent, la laissant à fleur de peau et complètement submergée.

Comme dans un rêve, Marinette sort de l'avion, récupère ses valises, envoie un message à ses parents, Alya, Nino et Atlas pour les prévenir de son arrivée. Il est prévu que Sabine vienne la chercher pendant que Tom s'occupe de la boulangerie.

L'idée de pain frais et de croissant lui redonne presque le sourire. Alors qu'elle s'imagine croquer dans une viennoiserie, Marinette lève les yeux de son téléphone et sent son cœur se gonfler de réel bonheur, cette fois-ci.

Ses parents sont là, brandissant une pancarte où son prénom est écrit. Un énorme sourire lui redressant les lèvres, Marinette se précipite vers eux, descendant l'escalator le plus vite possible avec ses deux énormes valises. Elle heurte presque un inconnu aux cheveux blonds au passage mais réussi à l'éviter de justesse.

« Ma chérie, » murmure Sabine lorsque sa fille se réfugie dans ses bras. Tom les enveloppe toutes les deux de ses bras puissants et Marinette ne peut s'empêcher de rire en l'entendant renifler.

« Papa, pleure pas, » lui dit-elle en se dressant sur la pointe de ses pieds pour déposer ses lèvres contre sa joue.

« Je pleure pas, » se dépêche-t-il de rétorquer. « Je suis tellement content que tu sois rentrée !

— On a tellement de choses à te montrer !

— J'ai préparé ton gâteau préféré ! »

Marinette se contente d'hocher la tête, ne se faisant pas confiance pour parler sans éclater en sanglots.


Marinette ne râle presque pas lorsqu'ils passent au rond-point de l'Étoile. Elle ne soupire qu'une fois lorsqu'ils se font doubler par la droite.

Son esprit est trop occupé à se plonger dans la contemplation de sa ville natale. Avec un sourire, elle regarde les passants pressés dans les rues, les cyclistes, les boulangeries, les baguettes de pain entamées dans les bras des piétons.

Traîner ses deux grosses valises jusqu'à chez elle est loin d'être une partie de plaisir mais avec l'aide de son père, c'est une affaire vite expédiée. La façade de la boulangerie a été fraichement repeinte et l'intérieur est aménagé légèrement différemment. Derrière le comptoir, une photo d'elle et Atlas devant le campus de Prattest encadrée. Ce sont de petits changements, des détails qui la font sourire.

Le fond reste le même. L'odeur de son enfance lui chatouille toujours agréablement les narines. Les pâtisseries que ses parents et elle avaient passé des soirées à imaginer reposent toujours derrière la vitrine du comptoir. Ce comptoir derrière lequel elle avait passé tant d'heures pour aider Tom et Sabine.

Marinette se met alors à remarquer d'autres choses. L'accès à la porte de service qu'elle avait tant de fois emprunté durant l'été précédant la terminale. Les macarons au fruit de la passion. Une autre photo, d'elle seule cette fois-ci, mais Marinette sait très bien qu'il n'y avait pas que ses parents derrière le téléphone.

« Ma chérie, je te monte tout ça dans ta chambre ? »

Son cœur bat trop vite.

« Marinette ? »

Elle cligne des paupières, chassant les souvenirs de sa mémoire. Se racle la gorge. Enfonce nerveusement ses ongles dans ses paumes. « Oui, s'il-te-plaît. »

Tom hoche la tête et disparait à l'étage. Une bouffée de réconfort envahit alors Marinette lorsque Sabine passe un bras autour de ses épaules, la guidant jusqu'à l'appartement.

Ils ont voulu lui garder la surprise et ont décidé de fermer la boulangerie pour la journée. Marinette leur a répété qu'ils n'auraient pas dû, que mercredi est une des meilleures journées en termes de recettes mais ils n'ont rien voulu entendre, rétorquant qu'ils s'en sortaient très bien en ce moment et que ce n'était pas un jour en moins qui allait changer ça.

Lorsqu'ils se retrouvent tous les trois assis à la cuisine, café et thé à disposition, Marinette commence à peine à retrouver un rythme cardiaque acceptable. Ça lui arrive par moment, d'être comme submergée par une vague du passé. Parfois, elle arrive à garder la tête hors de l'eau et à continuer à nager. Mais, plus rarement, elle se retrouve complètement immergée, incapable de remonter à la surface.

Heureusement, aujourd'hui n'en fait pas partie. Elle arrive à passer outre le nœud dans son estomac et au léger tremblement qui agite ses mains, cachant son angoisse derrière sa tasse de thé et la discussion avec ses parents.

« Tu penses t'installer quand ? » lui demande sa mère.

Marinette hausse les épaules. « Le plus vite possible. C'est pas que je veux pas rester avec vous, c'est juste que—

— On sait, ma chérie. J'étais pareil, à ton âge ! Ce sentiment d'indépendance, d'être capable d'habiter seul, une fois qu'on y a goûté, impossible d'y renoncer ! »

Elle ne peut qu'être d'accord avec son père.

« Mais ce sera différent, tu n'auras pas de colocataire ici, » remarque Sabine. « Tu penses que ça ira ?

— Ça me fera du bien de me retrouver seule, de réfléchir un peu à ce que je veux. »

Ses parents acquiescent d'un hochement de tête, un éclat de fierté brillant dans leurs yeux.

Il est prévu que Marinette aille s'installer dans l'appartement familial. Il est dans la famille depuis plusieurs années maintenant mais n'est occupé qu'occasionnellement, lorsque de la famille du côté de Sabine séjourne à Paris et qu'ils veulent un peu de tranquillité.

Mais cet appartement a surtout été un investissement pour Marinette. Elle leur en est aujourd'hui infiniment reconnaissante : les prix des loyers à Paris sont absolument exorbitants. Et, avec un prêt étudiant à rembourser et des courses à payer, c'est un poids en moins sur les épaules de Marinette de ne pas avoir à s'inquiéter de l'endroit où elle habite.

Sa mère se met à lister toutes les affaires qu'il reste encore dans sa chambre : des dizaines et des dizaines de livres, de jeux vidéo, plus de vêtements qu'elle ne le devrait – vêtements qui ne lui vont probablement plus, d'ailleurs – et une quantité infinie d'albums photos et de Polaroïds.

« Je peux t'emmener tout ça ce week-end, quand tu seras au festival, » propose son père.

Marinette hoche la tête, buvant une gorgée de son thé.

« Quand commence ton stage, ma chérie ? » lui demande Sabine en se levant. Elle sort du réfrigérateur un gâteau recouvert de framboises. Son préféré.

Marinette ne peut s'empêcher de sourire. « Le mois prochain. Mi-août. »

C'est sa cinquième et dernière année d'étude, si elle le souhaite. Elle n'est pas encore certaine du cursus qu'elle souhaite emprunter ensuite. Cette dernière année est composée majoritairement d'un stage en entreprise avec obligation de le faire à l'étranger. Paris, Milan, Tokyo étaient parmi les villes proposées. Rentrer à Paris semblait alors le plus logique pour elle.

« Tu sais déjà où ce sera ? » questionne Tom.

Marinette hoche la tête énergiquement. « Je serai à l'atelier de Jean-Paul Gaultier ! »

Ses parents écarquillent les yeux au même moment et le sourire de Marinette ne se fait que plus large.

À cet instant, elle se sent tellement bien d'être rentrée que le monde extérieur n'a pas grande importance.


Ce même sentiment perdure, au plus grand soulagement de Marinette. Après avoir passé l'après-midi avec ses parents à discuter de ses projets et de ses aventures new-yorkaises, une bonne douche et une petite sieste régénérative, elle passe la soirée avec Alya dans le même appartement qu'elle ne voyait qu'à travers son téléphone vingt-quatre heures auparavant.

Les rires fusent, les pintes de bières sont vidées, les souvenirs de chacune sont évoqués.

« Ça fait tellement bizarre que tu sois ici ! » déclare Alya en attachant ses interminables cheveux roux en un chignon au sommet de sa tête. « D'un côté, c'est comme si t'étais jamais partie et d'un autre, c'est comme si on s'était pas vues depuis des années. »

Marinette hoche la tête, laissant tomber son dos contre le dossier du canapé. Un genou ramené contre sa poitrine, elle attrape une poignée de chips du paquet déjà à moitié vide. « C'est perturbant. J'ai l'impression que c'était juste un rêve, que j'ai jamais réellement été à New-York. »

Ce n'est pas la première fois qu'elle réagit de cette manière : lorsqu'elle a cessé d'être Ladybug, quatre ans plus tôt, elle a longtemps eu la sensation de n'avoir jamais été une super-héroïne.

« En parlant de ça... » débute Alya avec tact. Ses doigts tapotent nerveusement ses cuisses. « Tu vas m'expliquer ce qui s'est passé l'autre soir ou pas ? » Il n'y a aucune inflexion injonctive dans sa voix. Il s'agit d'une réelle question.

Marinette fourre ses dernières chips dans sa bouche et essuie ses mains l'une contre l'autre. Une grande inspiration plus tard, elle se tourne vers Alya, ses yeux bleus rencontrant son regard ambré. « J'ai rompu avec Luka... en quelque sorte. »

Alya hausse un sourcil. « Vous—

— Non. Non, non, on était pas ensemble. Pas vraiment. Mais j'ai... j'ai arrêté ce qu'il se passait entre nous. Peu importe ce que c'était. »

Sa meilleure amie la regarde avec un mélange d'inquiétude, de curiosité et de confusion. « C'est pas à cause de la distance, c'est ça ? »

Marinette remue timidement la tête. Les yeux d'Alya se mettent alors à briller de compréhension. Ses sourcils s'haussent, sa bouche s'entrouvre. « Oh, Mari, » souffle-t-elle.

Elle n'aime pas la réalisation qui se dessine sur son visage. À cet instant précis, elle déteste même le fait qu'Alya la connaisse aussi bien. Elle se sent désarmée, vulnérable.

« Me regarde pas comme ça, » murmure-t-elle en baissant les yeux. « Je sais, Al. Je sais. Je suis vraiment la dernière des connes

— Non, dis pas ça. » La main qu'Alya pose sur son genou lui fait lever la tête. « T'es juste pas prête. C'est pas un drame. Et si Luka comprend pas ça, alors c'est juste un abruti. »

Marinette soupire. « C'est bien ça le problème. Il comprend très bien. Il est parfait. Et ça m'énerve, parce qu'il mérite tellement mieux que ça. »

Alya hausse les épaules. « C'est bien pour ça que t'as coupé court, non ?

— Oui, mais—

— Y a pas de mais. T'as fait la chose à faire. Si tu t'étais accrochée à lui en lui mentant et en te mentant à toi-même, là, ç'aurait été discutable. Mais t'as fait exactement ce que tu devais faire. Comme à chaque fois, Mari. » Un léger sourire redresse les lèvres d'Alya. « Sois pas trop dure avec toi-même. Tu fais ce que tu peux, avec ce que t'as. »

Marinette baisse à nouveau le regard. « Avec ce qu'il me reste. »

Un silence trop bruyant accompagne ses mots. Tout ce qu'elles ne disent pas, tous ces sous-entendus sont lourds, tellement lourds que Marinette les sent peser sur ses épaules, son angoisse du début de la journée l'agrippant à nouveau au creux de l'estomac.

« Ah, les hommes ! » s'exclame Alya en se laissant dramatiquement tomber contre le dossier du canapé.

Marinette se sent sourire mais sa gorge continue de se nouer et son cœur de se serrer. « Alya, » murmure-t-elle d'une voix rauque. « Je sais pas quoi faire, » avoue-t-elle du bout des lèvres.

Elle peut sentir les yeux de sa meilleure amie sur elle, même si les siens restent fixés sur ses mains tremblantes.

« De mon point de vue, t'as deux solutions. Solution numéro une : tu t'inscris sur Tinder ou tu vas dans un bar ou n'importe où et tu voies d'autres personnes. Tu connaissais Luka avant, là je te parle de rencontrer quelqu'un de nouveau, de t'amuser. »

Marinette grommelle quelque chose d'incompréhensible.

« Bon, d'accord, peut-être que tu préfèreras la solution numéro deux.

— Qui est ?

— Tu continues ta vie. Tu attends. Tu travailles, tu vois tes amis, tu t'amuses, sans forcément avoir de relation amoureuse ou tout ce que ça implique. »

Marinette soupire et laisse tomber sa tête en arrière, les paumes pressées contre ses paupières. « C'est ce que j'ai fait, pendant quatre ans ! J'ai vécu ma vie !

— Continue, alors.

— Tu donnes vraiment les pires conseils. »

Pourtant, Marinette ne peut empêcher un éclat de rire de s'échapper de sa bouche, rapidement suivi par un autre. Alya la rejoint rapidement et elles finissent toutes les deux complètement hilares, larmes aux yeux et crampes à la mâchoire.

La tête échouée contre l'épaule de sa meilleure amie, Marinette soupire, un sourire toujours figé sur le visage. L'angoisse est toujours là, enfouie sous une couche d'amitié inaltérable et d'autodérision.

« Vois les choses comme ça : t'as paniqué avec Luka parce que c'était pour du sérieux. Ce qui est carrément normal. »

Marinette lui répond par un rire à mi-chemin entre le rire et le sanglot.

« Quoi ? » s'inquiète Alya.

« Bah... j'ai pas que paniqué à cause de ça.

— Ce qui veut dire... ?

— L'autre soir, on est rentrés ensemble à l'appart avec Luka, et... Alya, je crois que j'ai un vrai problème.

— Vous avez couché ensemble et c'était nul ?

— J'aurais préféré. »

Marinette finit par lever les yeux vers sa meilleure amie. « J'ai pas pu. On s'embrassait, et à partir du moment où s'est devenu un peu chaud, j'ai juste... pas pu.

— Pas pu parce que tu pensais à... ?

— Yep.

— Putain de merde.

— Hmmm. »

Son prénom reste en suspens dans les airs. Comme un mot à ne pas prononcer.

« Comment il peut toujours me coller à la peau à ce point ? Même après quatre ans ? »

Alya ne répond rien. Elle passe son bras autour de ses épaules et la serre contre elle, emballant Marinette dans un cocon de chaleur et d'amour.


Le lendemain, Marinette se lève du bon pied. Des rêves plein la tête, des résolutions prêtes à être tenues et une détermination à toute épreuve. Après avoir passé une bonne partie de la nuit à discuter avec Alya, elles en sont venues à la conclusion que Marinette avait besoin de prendre du recul et de relativiser.

Certes, elle n'est pas prête à avoir de relation amoureuse — de quelque nature qu'elle soit. Certes, il reste coincé dans sa mémoire, emprisonné dans sa tête, l'empêchant parfois d'avancer. Certes, sa mémoire corporelle l'empêche même d'avoir une vie sexuelle.

Certes.

Mais il ne fait plus partie de sa vie. Plus maintenant. Et même s'il reste collé à sa peau, d'une manière ou d'une autre, son cœur s'en est délogé depuis un moment. Elle ne repense plus au passé avec nostalgie ou tristesse mais plutôt avec scepticisme, comme si son cerveau lui jouait des tours et que son adolescence n'avait pas vraiment ressemblé à ça. Parfois, une pointe de rancœur vient entacher ce sentiment. Parfois, c'est un véritable torrent de haine envers lui qui s'abat sur elle.

Marinette est certaine d'être capable de tourner la page. Elle est même convaincue d'avoir fait la majeure partie du travail. Peut-être que Luka n'était juste pas la bonne personne et que, comme Alya l'a justement souligné, elle a seulement besoin de voir de nouvelles têtes.

Lorsque Marinette sort de l'appartement d'Alya, l'après-midi est déjà bien entamé. Être restée éveillée une grande partie de la nuit, combiné au décalage horaire n'aide pas à se lever de bonne heure. Après avoir passé le déjeuner avec Alya — qui enchainait les cafés pour ne pas somnoler au travail — et avoir rangé l'appartement, Marinette finit par se promener dans les rues de Paris.

Le soleil du mois de juillet lui chauffe la peau. Les cyclistes fusent, les fleuristes sortent leurs plus beaux bouquets et les robes à fleurs des passants colorent la capitale.

« Papa t'a déposé tes valises à l'appartement ce matin, » l'informe sa mère lorsque Marinette entre dans la boulangerie. Tom s'occupe d'une mère et de son fils tandis que Sabine recharge les vitrines d'une fournée de croissants tout juste sortie du four. « Il faudra que tu mettes dans des cartons les affaires de ta chambre que tu veux emmener, aussi. »

Marinette se penche pour embrasser la joue de sa mère et adresse un sourire à son père. « D'accord, » répond-t-elle. « Je monte prendre une douche et je file à l'appart pour commencer à m'installer.

— Appelle-nous si tu as besoin de quoi que ce soit. »

Après un dernier remerciement adressé à ses parents, Marinette file à l'étage.

Une douche fraîche lui fait le plus grand des biens. Une agréable odeur de pêche flottant dans l'air, elle retourne dans sa chambre et fouille dans ses tiroirs pour trouver des sous-vêtements propres et une tenue portable. La culotte qu'elle déniche est légèrement trop grande et la large chemise blanche sur laquelle elle jette son dévolu l'intrigue — elle ne se rappelle pas l'avoir achetée ou même confectionnée.

Finalement, c'est avec un débardeur blanc un peu trop transparent à son goût, un short en jean trop large pour elle, une paire de Converse qui a trop vécu et sa chemise sur les épaules que Marinette quitte l'appartement familial. Ses cheveux mouillés tombent contre ses clavicules et son visage est nu de tout maquillage.

Un tote bag rempli de tout et n'importe quoi au bras, Marinette ne met pas plus de trente minutes pour se rendre dans son nouvel appartement. Il est plutôt bien placé, assez proche du métro mais assez éloigné du reste pour être tranquille.

Le bâtiment n'a pas été rénové depuis trop longtemps pour que ce soit légal et l'ascenseur ne lui inspire pas suffisamment confiance pour que Marinette soit découragée par les escaliers — elle est seulement au troisième, de toute façon. Un parquet grinçant en bois foncé recouvre les couloirs. Le palier sur lequel se trouve son appartement ne semble pas être très habité. Il n'y a aucun bruit, ce qui est un soulagement pour Marinette.

L'intérieur de l'appartement est identique à la dernière fois qu'elle y a mis les pieds — il y a des années de ça. Le salon, la cuisine et l'entrée sont regroupés en une pièce assez spacieuse pour un appartement parisien. Le canapé est petit, la cuisine assez limitée et la table à manger est tout juste assez grande pour deux personnes mais tout cela est suffisant pour Marinette. La salle de bain n'est accessible que par la chambre qui est tellement exigüe que le lit prend presque toute la largeur.

Elle s'imagine déjà remplir la bibliothèque, coller des photos et des posters aux murs et collectionner les plantes. L'atmosphère est diamétralement opposée à celle de son appartement new-yorkais. Là-bas, tout était neutre, sobre et spacieux. Ici, tout est coloré et minuscule. C'est plutôt rassurant : elle n'aurait pas aimé avoir trop d'espace en vivant seule. Ici, elle se sent comme dans un cocon.

Marinette s'étire en souriant, regardant autour d'elle. Ses yeux atterrissent sur l'atout maître de l'appartement : le balcon. Il est accessible par une large baie vitrée qui projette une lumière chaleureuse dans toute la pièce à vivre.

Lorsque Marinette met un pied dessus, une légère brise d'été vient lui caresser le visage. Ce n'est pas très grand mais c'est suffisant pour s'y sentir à l'aise — et peut-être même pour y installer de quoi s'asseoir. Marinette se dresse sur la pointe de ses pieds en se penchant au-dessus de la rambarde, pensant à toute la vitamine D qu'elle pourrait collecter en restant là tout un après-midi.

Son regard circule le long de la rue surplombée par l'immeuble. Heureusement, ce n'est pas une rue très fréquentée. Elle entend à peine le bruit des voitures. Son sourire s'agrandissant, Marinette se laisse retomber sur la plante de ses pieds, toujours accrochée au garde-fou. Ses cheveux humides virevoltent au-dessus de ses épaules, dispersant une douce odeur de vanille dans les airs.

Soit ses voisins de droite sont inexistants, soit ils ne se sont pas chez eux. Mais, compte tenu de l'état du balcon, Marinette penche plutôt vers la première option. Ses voisins de gauche, cependant sont bien chez eux.

Une bouffée de gêne la fait rougir lorsqu'elle réalise à quel point ils sont chez eux. Leur balcon est bien plus grand que le sien. Tellement qu'une banquette y est aménagée, suffisamment large pour accueillir deux personnes. Enfin, plutôt une personne sur les genoux de l'autre.

La jupe de la femme remonte dangereusement le long de ses hanches, aidée par les mains de l'homme qui sont suffisamment larges pour recouvrir une bonne partie du bas de son dos. Ses cheveux blonds sont grossièrement regroupés à l'arrière de sa tête mais semblent être assez longs pour lui arriver aux épaules.

C'est lorsque Marinette réalise ce détail qu'elle se rend compte que son observation commence à s'apparenter dangereusement à du voyeurisme. Mais, Marinette étant Marinette, elle trébuche sur du vide et attire le regard du blond aux cheveux longs.

Tout se passe en une seconde. En un battement de cœur. Un clignement d'yeux. C'est assez incroyable : comment un si petit instant peut radicalement changer le cours des choses.

Marinette se raccroche à la baie vitrée. Une paire d'yeux verts aimantent les siens. La femme assise au-dessus de lui éloigne suffisamment son visage du sien pour que le cœur de Marinette s'immole dans sa poitrine.

Des yeux aussi verts que la bague qui brille à son annulaire. Des cheveux aussi blonds que le soleil. Un visage aussi parfaitement ciselé que celui d'une statue. Des mains dont elle ne souvient que trop bien.

Son souffle bloqué dans sa gorge, Marinette ne trouve même pas la force de prononcer le prénom imprimé sur toutes les cellules de son corps.

Adrien.


J'ai hâte de lire vos avis !

Je publierai le prochain chapitre lundi prochain. Pour l'instant, il y a 13 chapitres écrits donc vous devriez, si tout se passe bien, avoir un chapitre toutes les semaines.

À la semaine prochaine !

— Lucie.