Un meilleur monde – partie 1
OOC : Bonjour à tous. Je vous présente le début de cette petite histoire alternative qui commence à la fin de l'Enfant de Gaia (fin de Défragmente-moi). Il s'agit en fait d'une autre fin qui ne remet pas en cause les évènements des histoires précédentes. Elle sera relativement courte, mais je vous conseille d'aller lire les précédentes pour comprendre son déroulement.
J'ai longtemps hésité à écrire cette partie de l'histoire et elle devait à l'origine faire partie de la collection, mais finalement j'ai décidé de la séparer pour en faire une histoire à part. Bonne lecture!
Il se tenait debout, face à la Rivière de la Vie.
Dans quelques instants, elle l'emporterait. Elle l'emporterait de manière définitive. Il n'y aurait plus de retour arrière possible.
La sueur perlait ses mèches de cheveux avant de couler le long de son front. Son cœur battait à toute allure dans sa poitrine.
Il avait peur. Il était terrifié.
« Les morts devaient rester morts. »
Pendant de longues minutes, Shiro s'était répété cette phrase encore et encore. Il repensait à la conversation qu'il avait entendu. Les mêmes images, les mêmes mots tournèrent en boucle dans son esprit.
« Ceux que tu as perdu sont morts, Shiro. Ils le resteront. »
La colère qui s'animait sur les traits de G... Le visage triste et compatissant d'Aerith qui l'avait prévenu de ce qui se produirait s'il choisissait cette alternative...
« Il n'y aura pas de danger pour la Planète si les évènements majeurs se produisent. Mais toi... tu risques d'en subir les conséquences directes. Tu serais en danger, Shiro. »
« Le futur se modifiera quand le cycle se reproduira. Mais cela vaudra pour un autre toi. Un autre Shiro, dans une autre réalité parallèle... qui n'est pas toi. »
« Weiss et Nero méritaient leur sort ! »
Lorraine... Lorraine l'attendait dehors.
Ceux qui constituaient désormais sa famille... ils l'attendaient tous.
Ensuite, ils iraient tous ensemble au festival d'été.
« Est-ce que tout cela en vaut la peine, Shiro ? Que tu dises au revoir à ce futur que tu mériterais plus que tout ? »
Shiro ferma les yeux. La mâchoire serrée, il se répétait qu'il n'y avait pas lieu de choisir cette alternative. Elle n'avait pas lieu d'être.
A quoi bon, d'ailleurs ? Aerith avait été claire à ce sujet. Les conséquences seraient désastreuses pour lui. Même s'il ignorait précisément quel serait son sort, une fois qu'il aurait rejoint la Rivière de la Vie, ses mots avaient été suffisamment éloquents.
Le fait même qu'il reste en ces lieux était en soi une absurdité.
Et surtout... même s'il y parvenait, ce ne serait pas lui qui retrouverait les proches qu'il avait perdus. Mais un autre Shiro. Un Shiro qui subirait le même destin que lui, voire un destin pire parce qu'il se souviendrait du futur et que, apeuré par ces images, il déciderait de le modifier.
Devait-il vraiment en arriver là ? Pourquoi rester ? Pourquoi ne pas faire demi-tour et repartir ?
Dire au revoir au futur qu'il méritait...
Lui dans l'église, entouré de ses proches, prêt à se lier à la personne qu'il aimait...
Les poings de Shiro se serrèrent. Il avait envie de crier, de hurler contre lui-même. Pourquoi faire ça ? Pourquoi n'arrivait-il pas à faire demi-tour, à marcher jusqu'à la sortie ?
Lui qui avait toujours critiqué Nero, qui l'avait toujours qualifié d'égoïste parce qu'il avait failli annihiler l'humanité pour faire revivre son frère, Shiro qui avait toujours répété que les morts restaient morts... le voilà qui était prêt à l'imiter, à faire quelque chose de tout aussi stupide.
Shiro était stupide. Stupide d'écouter sa curiosité, stupide de braver ce que le destin avait prévu pour lui...
Pourquoi, de toute manière ? Le résultat serait le même. Seulement ici, il disparaîtrait dans la Rivière de la Vie et abandonnerait tous ceux qui comptaient pour lui... pour revenir dans le passé et s'assurer, en vain, qu'un autre Shiro ne commettrait pas ses erreurs.
De toute manière, pensa-t-il en observant attentivement la réaction de ses reflets, un autre agirait à sa place, hein ? Un autre « lui », d'une autre réalité, changerait le destin ? Il n'aurait pas à le faire, hein ?
Mais il avait beau attendre, aucun de ses autres « lui » ne choisirent d'agir. Les mots d'Aerith les atteignaient. Ils étaient prêts à rentrer et transmettre à Cloud et Tifa le message qu'Aerith avait pour eux.
« Je suis contente pour leur fille. »
Mais lui... seul lui avait choisi de rester en arrière. Seul lui avait décidé d'agir envers et contre tout. Pour des raisons idiotes.
Pour quelles raisons ? L'adolescent de seize ans soupira amèrement.
Peut-être parce qu'au bout du compte, il n'arriverait jamais à faire son deuil de manière définitive. A aller de l'avant, comme il l'espérait. Ou peut-être parce qu'il était arrogant et qu'il croyait pouvoir, à lui seul, défier le destin.
Ou peut-être parce qu'il ne supportait pas l'idée qu'un autre « lui » ne subisse ces horreurs et ne soit hanté par les images qui le hantaient encore aujourd'hui.
Il y avait plein de raisons, après tout. A commencer par l'idée qu'il n'était qu'un poids pour ses amis. Qu'il avait toujours été un poids pour les autres.
Il pensait à ses grands-parents qui n'avaient pas supporté sa présence parce qu'il était le résultat même du viol de leur fille... mais il pensait également au calvaire que Lorraine devait subir chaque jour. Elle restait avec lui, elle ne l'abandonnait pas alors que c'était son oncle qui avait anéanti sa famille. Il ne comptait pas Jin Satsu dedans.
Pourtant, elle méritait bien mieux. Elle méritait un garçon qui ne lui rappelait pas de tels traumatismes. Une relation normale, loin de lui. Et peut-être la privait-il de cette relation qu'elle méritait ? Même Sonon, qui s'occupait de lui alors qu'il était le neveu de celui qui l'avait poignardé et emmené à Deepground... Que devait-il ressentir à chaque fois qu'ils interagissaient ?
Oui. Peut-être que chacun se porterait bien mieux sans lui. Et au moins, il essayerait quelque chose. Ses autres « lui » ne l'avaient pas choisi, mais il pouvait essayer.
C'était perdu d'avance, mais il n'aurait certainement plus d'autres occasions.
Plus d'autres... occasions... à part la Traversée du Destin...
Plus Shiro fixait la lumière verdâtre de la Rivière de la Vie, plus il se sentait quitter son propre corps... Peut-être était-il déjà parti la rejoindre sans qu'il ne le sache ?
« Ouaf ! »
Un aboiement le sortit de sa torpeur. Shiro se retourna pour faire face à celui qui avait été son compagnon de voyage depuis le début.
« ... Tu as réussi à me rejoindre », lui adressa-t-il avec un triste sourire.
Ruby le toisa avec curiosité et inquiétude. Il ne comprenait pas l'attitude de Shiro. L'adolescent laissa les bras tomber le long de son corps avant de s'abaisser à sa hauteur pour lui caresser la tête. Une manière vaine de le rassurer...
Ruby continua d'aboyer sans comprendre. Il lui demandait des explications.
Ses amis lui diraient certainement qu'il avait tort. Qu'il était un idiot. En vrai, il était certain que ses autres « lui » le critiqueraient. Pour abandonner son Carbuncle. Pour abandonner ses amis qui avaient tant fait pour lui...
Et surtout, il... il abandonnerait Lorraine.
« Je dois partir quelque part... »
Est-ce que l'appel de la veille était le dernier échange qu'ils auraient ?
Il lui avait promis... il lui avait promis qu'il serait là. Qu'ils passeraient la soirée à s'amuser.
« ... ouaf. »
Ruby posa son museau contre la paume de Shiro, avant de presser dessus. La gorge nouée, l'adolescent secoua la tête.
« Non. Tu ne peux pas venir avec moi. Pas cette fois. »
« Ouaf ! »
Ruby protesta. Shiro refusa. Il aboya encore, avec davantage de force.
« Non. N'insiste pas. »
Ruby se redressa sur ses pattes arrières et ses griffes s'accrochèrent au tee-shirt de l'adolescent.
Il voulait venir avec lui. Il ne voulait pas le lâcher. Les yeux du Carbuncle indiquaient de l'angoisse, de la peur. Il lisait les sentiments de Shiro mieux que personne.
« ... Je suis désolé, Ruby », s'excusa Shiro. « ... je suis désolé, Lorraine. Je suis désolé, Vincent, Sonon, Denzel, Marlène, Tifa, Cloud... »
Sa voix se brisa tandis qu'il récitait le nom de toutes les personnes qui l'avaient épaulé, aidé, depuis le début...
Peut-être qu'en ce moment, un autre « lui » était en train de profiter d'eux au festival. Peut-être était-il en train de savourer le Yakitori, de boire à la manière du Wutaï, de jouer au Chamboule-tout, riant aux éclats avec le groupe...
Alors que lui avait décidé de...
« Ruby, s'il te plaît... » l'implora-t-il presque. « J'ai besoin que tu fasses quelque chose pour moi. »
Ruby se sépara de lui. Les oreilles baissées, le Carbuncle poussa un gémissement plaintif. Une façon pour lui de dire « ne pars pas. »
« ... Occupe-toi de Lorraine, s'il te plaît. Pour moi. C'est la moindre des choses qu'elle mérite. »
Shiro se releva difficilement. Il se détourna de Ruby et, sans ajouter quoi que ce soit d'autre, il effectua un pas vers la Rivière de la Vie.
Puis, un deuxième.
Il avait l'impression que ses jambes pesaient une tonne. Derrière lui, Ruby se mit soudainement à hurler. Son cri résonna en écho, l'atteignant au cœur.
C'était comme s'il sentait que quelque chose était sur le point de se produire. C'était comme s'il hurlait à la mort.
Ne pars pas, le suppliait-il. Ne pars pas ! Ne me laisse pas !
Shiro jeta un regard par-dessus son épaule.
« ... Laisse-moi essayer de faire les choses bien, pour une fois », lui adressa-t-il, le ton vide. « Je veux au moins essayer de faire... quelque chose que le destin ne me dictera pas. »
Quelque chose, quand bien même il ignorait encore quoi.
« Prends soin de Lorraine », répéta-t-il une dernière fois.
Ruby ne se tut pas. Il ne cessa de hurler désespérément.
Cela lui déchirait le cœur... Shiro tourna les talons et revint vers le Carbuncle, mais seulement pour le serrer fortement contre lui.
« Au revoir, mon ami. »
Au revoir, tout le monde...
Shiro se revoyait, trois ans auparavant, sur le dos de Chocobo, adressant de grands gestes à sa famille tandis qu'il abandonnait Edge derrière lui.
Quelques pas le séparaient de la Rivière de la Vie. Essayant d'ignorer les cris de son Carbuncle, Shiro inhala, exhala. Il essayait tant bien que mal de se donner du courage.
Le visage de Lorraine s'immisça dans son esprit. Lorraine qui l'attendait à l'extérieur...
L'adolescent ferma les yeux, faisant le vide dans son esprit.
Enfin, il prit son élan et plongea.
Autour de lui, les courants de la Rivière de la Vie l'entouraient, l'emportaient.
Shiro essaya tant bien que mal de nager, au début... mais finalement, il se laissa entraîner, les bras le long du corps.
La Rivière de la Vie ne lui voulait aucun mal... il n'avait pas à lutter contre elle.
Des voix... des milliers de voix parvinrent à ses oreilles... des hommes, des femmes, des enfants...
L'âme de ceux qui avaient rejoint la Rivière de la Vie... Shiro les entendit rire, chanter, pleurer...
« Ce n'est pas un sacrifice. C'est seulement du suicide. »
Shiro reconnut la voix de G.
Au fur et à mesure qu'il s'approchait du fond, il réalisa que ses mains, ses pieds se rapetissaient...
Il toucha son visage.
Ce n'était plus le visage d'un adolescent de seize ans...
Non... il avait treize ans, maintenant...
Puis, huit ans...
Il était redevenu un enfant...
La Rivière de la Vie était le socle de la mémoire, du cycle de la vie... Shiro tendit le bras alors que des visages apparurent devant ses yeux.
Il crut entendre la voix d'Aerith au loin.
Aerith priait. Elle priait pour lui.
Elle lui disait qu'il n'y avait rien à craindre... qu'il n'y avait pas à avoir peur...
Ses mots l'apaisèrent. Shiro ferma les yeux, un sourire aux lèvres.
Et avant même que ses pieds ne touchent le sol, il eut à nouveau cinq ans.
Shiro rouvrit les yeux et releva la tête, fixant droit devant lui.
Il était toujours au même endroit, au milieu des décombres de l'ancienne Tour Shinra, de l'ancien Deepground... Alors qu'il recherchait la boîte, la boîte aux images de couleurs et aux personnages heureux, cette voix l'avait appelé.
Viens.
Et Shiro l'avait suivi. La voix l'avait conduit jusqu'à la Rivière de la Vie. Et dès qu'il l'eut touchée, un flot d'images avait fait irruption dans son esprit. Des images qui s'étaient enchaînées les unes après les autres, comme des flashs.
Des images... représentant des choses qu'il ne comprenait pas.
Certaines d'entre elles étaient heureuses... les images d'un enfant aux cheveux blancs, lui-même, dans les bras de quelqu'un qui le protégeait, avec qui il observait les étoiles à travers la fenêtre d'un appartement. D'autres de lui-même, à huit ans, qui riait aux éclats avec deux autres enfants, un peu plus âgés que lui...
Lui, à treize ans, qui dansait et chantait au Gold Saucer, avec une jolie fille qui lui plaisait...
Mais d'autres étaient tristes. Lui, à huit ans, qui suppliait de sortir, qui implorait d'épargner le monde extérieur. Une autre où il attendait, seul dans un parc, une fleur de lys à la main, quelqu'un qui ne venait jamais.
Et d'autres où il assistait à des adieux... Il voyait quelqu'un disparaître dans la lumière. Une autre où il pleurait sur le corps ensanglanté d'une femme.
Et une dernière où il tenait désespérément la main de quelqu'un qui rendait son dernier souffle dans les ténèbres...
Et plusieurs d'entre elles le firent sursauter à plusieurs reprises.
« Viens sur mes genoux, Shiro. »
Dès que sa main quitta la Rivière de la Vie, dès que les souvenirs douloureux prirent fin, l'enfant de cinq ans sauta en arrière, rampant le plus loin possible de la Rivière de la Vie.
Une fois qu'il fut suffisamment loin, Shiro se recroquevilla sur lui-même, tétanisé et effrayé.
L'instant d'après, il se laissa aller et se mit à sangloter.
Pourquoi ?
Pourquoi avait-il vu toutes ces horribles choses ? Qu'est-ce que cela signifiait ? Que signifiaient ces visions de la Rivière de la Vie ?
Qu'est-ce que la Rivière de la Vie lui voulait ? Il n'avait jamais visité ces endroits... il n'était jamais sorti d'ici... Il avait toujours été enfermé dans cette pièce sombre, sans couleur ni chaleur...
Avec Madame et...
La pensée de Monsieur Cigarette lui donna la nausée et les larmes de terreur redoublèrent.
Il n'avait rencontré ces personnes... alors, pourquoi les connaissaient-ils ? Pourquoi savait-il tout d'eux ?
Non... non ! Il voulait qu'on efface ces images ! Il voulait seulement retrouver la boîte... il voulait seulement revoir ces couleurs, ces sons, ces personnages...
Il voulait juste...
Il avait peur. Il voulait... il voulait son papa. Il voulait sa maman. Il voulait ses parents.
Le voilà qui se mit appeler ses parents qu'il n'avait jamais rencontré... encore et encore...
Il avait besoin d'eux, il avait besoin qu'on le rassure, qu'on le protège, qu'on lui dise que tout irait bien...
« Tu n'es pas seul. »
Shiro releva la tête, son visage trempé de larmes.
Devant lui, une femme lui souriait tendrement. Elle portait une robe rose, ses cheveux bruns noués dans un nœud de même couleur.
Un doigt sur la bouche, elle s'approcha doucement de lui. Shiro ouvrit la bouche pour crier, mais aucun son n'en émana. C'était comme si son corps ne lui obéissait plus.
La femme s'abaissa auprès de lui et plongea ses yeux bleus dans les siens.
Tiens... il avait l'impression de la connaître...
Mais impossible... il ne l'avait jamais rencontré.
La femme posa sa main sur son épaule. Et un nouveau flash apparut devant les yeux de l'enfant de cinq ans.
Il fut bref, ne dura que quelques secondes... mais quand Shiro revint à lui, la femme avait disparu, le laissant seul.
Aerith...
Aerith avait souhaité lui dire quelque chose.
« Tu es très courageux. »
Shiro sécha ses larmes d'un revers de manche. Ses yeux étaient encore humides, mais il n'avait plus peur.
C'était comme si elle s'était volatilisée au contact d'Aerith... Shiro leva la tête vers le ciel brumeux.
Il s'en souvenait, maintenant.
Il... il avait déjà vu cet endroit. Il savait ce qu'il ferait prochainement. Il savait qu'il continuerait à chercher la boîte avec les personnages dedans et qu'à un moment donné, il ramasserait une arme. Mais il n'y avait pas d'arme ici, hein ?
C'était seulement un rêve... mais Aerith lui disait que ce n'était pas le cas. Que tout était lié. Qu'il était courageux.
Pourquoi... ? Pourquoi lui disait-elle cela ?
Ces visions... Etait-ce des évènements qui se produiraient bientôt ? Shiro se raidit à nouveau, les bras croisés sur sa poitrine. A nouveau, il faillit appeler ses parents.
Pourquoi voir son futur ?
Il ferait vraiment tout cela... ou plutôt, avait-il vraiment fait tout cela ?
Il se souvenait de tout... de lui, à seize ans, qui laissait Ruby derrière avant de rejoindre la Rivière de la Vie.
L'agitation monta en lui. Jamais il n'aurait abandonné son Carbuncle ! Jamais il n'aurait abandonné ses amis... C'était cruel et injuste. Pourquoi faire une telle chose ? Ruby avait l'air si gentil...
Tifa, Cloud, Vincent, Sonon, Denzel, Marlène... ils avaient tous l'air si gentil.
Quand il pensa à Lorraine, Shiro sentit une boule dans la gorge. Elle devait sûrement s'inquiéter... Elle devait l'attendre en se demandant ce qu'il faisait... Jusqu'à ce qu'il se rappelle qu'ils ne se connaissaient pas encore, à l'heure actuelle.
Tout était si flou... c'était comme si tout était mélangé. Ses souvenirs du passé et du futur ne faisaient plus qu'un...
Shiro se prit le visage dans les mains. Il avait mal à la tête. Il souhaitait juste... se cacher quelque part, en attendant que le danger se passe, en espérant que toutes ces visions disparaissent...
Il souhaitait juste... retrouver la boîte.
Il se releva avec difficultés. Puis, sans réfléchir, il se mit à courir à travers les décombres. Il reprit ses recherches, beaucoup plus désespéré.
Tout lui était tellement familier...
Puis, alors qu'il errait sans savoir où aller, son pied heurta quelque chose, le faisant tomber à plat ventre. Hagard, l'enfant de cinq ans vérifia derrière lui.
Une arme.
Un revolver.
Non... ce n'était pas une coïncidence. Il se souvenait bien de cet instant. Et comme si c'était écrit, il était destiné à trouver cette arme.
A s'en servir...
Ce qui signifiait qu'après...
Shiro se redressant, s'appuyant sur ses mains. Il était seul. Personne ne viendrait le chercher ici, hein ?
Si...
Si c'était écrit, il savait ce qui se passerait.
Shiro demeura assis au sol, immobile. Son regard se perdit dans ce ciel sans couleurs.
Des couleurs...
Une image précise refit surface dans sa mémoire.
« Je dois t'offrir un cadeau ! »
« C'est ton anniversaire. Je t'offre ce que tu souhaites ! »
L'image d'un dessin. Un dessin qu'il avait offert en cadeau pour un anniversaire...
Shiro se remit debout. Il avait tellement envie de retrouver cette boîte, de s'évader dans ce monde imaginaire pour fuir ces visions... mais il lui prit soudainement une envie de dessiner. De faire ce dessin qu'il offrirait plus tard...
Il jeta un coup d'œil à l'arme au sol.
Devait-il faire comme dans ses souvenirs et la ramasser ? Shiro se mordit la lèvre, hésitant. Qu'est-ce qui se passerait s'il ne la prenait pas ?
A nouveau, l'enfant de cinq ans fut pris de frayeur. Il avait peur qu'on le punisse s'il ne la ramassait pas.
Alors, il s'abaissa et la rangea à sa ceinture.
Puis, au lieu de chercher la boîte, il dériva ses recherches sur autre chose.
Un crayon... une feuille...
Il voulait dessiner.
Il finit par trouver ce qu'il chercha au bout d'une heure. En soulevant des décombres, il parvint à mettre la main sur un carnet sale de feuilles de papier vierges. Il trouva également un crayon noir en mauvais état, dont la pointe était cassée, mais qui pouvait encore être utilisable.
Shiro s'assit dans un coin. Posant l'arme à côté de lui, il se mit à dessiner.
Les personnages de sa mémoire, ensemble sur la même feuille, main dans la main.
Une fois achevé, Shiro posa son crayon pour observer.
C'était le même... exactement le même qu'il offrirait plus tard, dans trois ans.
Shiro arracha la feuille de papier, la séparant du carnet et la rangea en boule dans sa poche. L'enfant de cinq ans s'humecta la lèvre. Il avait faim. Mais il avait peur de se rendre ailleurs. Il avait peur d'être puni.
Pourquoi... pourquoi serait-il puni ?
Au fond de lui, un pressentiment lui disait qu'il n'avait pas intérêt à quitter cet endroit. Et Shiro était trop effrayé pour ne pas écouter ses instincts.
« N'aie pas peur. »
Shiro reprit son crayon et dessina autre chose.
Il dessina d'abord la boîte...
Puis, il dessina d'autres personnes. Les personnes de ses souvenirs.
Son père, sa mère... mais avant eux, il dessina la personne la plus importante de sa vie. Il recouvrit toute la page de son visage, de ses yeux avant d'arracher la feuille à son tour.
Il la serra contre son cœur, fermant les yeux, se répétant encore et encore qu'il s'agît probablement d'un rêve.
Puis, sans réfléchir, il dessina les autres. Il dessina Denzel et Marlène, il dessina Vincent, il dessina les membres d'AVALANCHE...
Il dessina Lorraine. Il arracha également celui-ci.
Qu'arriverait-il ?
Pouvait-il dessiner tous ses souvenirs ? Pour ne pas les perdre de vue ? Pour s'assurer qu'il ne serait pas puni s'il ne faisait pas ce qu'on lui demandait ?
C'était ce qu'il fit.
Il dessina les évènements qu'il considéra être les plus importants, au regard de sa mémoire. Il dessina un Chien de l'Enfer, il dessina le Nocher, il dessina le Jour...
Il dessina le Naga. Il dessina la Pierre de Chintamani. Il dessina la brèche.
Il dessina Omega...
Il dessina les Ténèbres...
Ereinté, le carnet entier fut recouvert des dessins de Shiro. En silence, l'enfant les feuilleta les uns après les autres.
Avait-il vraiment vécu tout cela ? Ou plutôt, vivrait-il toutes ces choses ?
Peut-être devrait-il suivre le fil et rechercher à nouveau la boîte ?
Shiro cligna des yeux.
Tout de suite, il se redressa, son carnet à dessins sous le bras. L'enfant de cinq ans fut à nouveau en alerte.
Quand devait-il venir ?
Quand devait-il...
Il remarqua quelque chose.
Ce n'était pas ici qu'il se souvenait l'avoir rencontré. Pas dans cet emplacement précis.
Et s'il restait ici au lieu de se rendre à l'emplacement destiné, que se produirait-il ? Tel un robot, Shiro effectua un pas, prêt à se rendre au lieu où la rencontre s'effectuerait, avant de s'arrêter brusquement.
Et s'il ne s'y rendait pas ? Cette rencontre aurait-elle lieu dans d'autres circonstances ?
Shiro serra son carnet de toutes ses forces, demeurant immobile. Même si son instinct lui criait d'obéir, il ne bougea aucunement.
Il serait puni s'il n'obéissait pas. Il le savait. Pourtant, il ne fit aucun geste.
Il attendait seulement. Il attendait que l'heure passe.
Le raterait-il ? Que se passerait-il s'ils se manquaient ?
Dans sa tête, Shiro compta les minutes. L'heure prévue s'approchait dangereusement, et rien ne se passait.
Non. Il n'y avait que le bruit du vent qu'il entendit. Personne ne venait. Les ténèbres n'apparaissaient pas.
A nouveau, Shiro eut envie de crier, mais il se retenait de toutes ses forces. Il devait tenir. Il voulait attendre que l'heure passe.
Plus que quelques secondes... quelques secondes avant la rencontre...
Les visions... le futur...
Shiro retint son souffle, ses yeux bleus fixant droit sur l'horizon, prêt à le voir apparaître.
Rien.
Il n'était pas là. Pourtant, c'était l'heure. Shiro demeura dans la même position, pas certain de ce qu'il devait faire maintenant.
Avant même qu'il ne puisse agir, son attention fut attirée par un bruit sinistre provenant de derrière lui.
Tout de suite, Shiro se retourna, apeuré.
Là... juste devant lui...
Quelque chose était sorti du mur délabré sur lequel il s'était appuyé pour dessiner...
Qu'est-ce que... ? On aurait dit un spectre ! Non ! Une silhouette encapuchonnée à la forme de serpillère de couleur noire...
Shiro se raidit, paralysé par la terreur.
Qu'est-ce...
La silhouette flottait au-dessus du sol, demeurant à l'emplacement même où se tenait Shiro quelques minutes plus tôt.
Puis, sans avertissement, elle fondit droit sur Shiro pour l'attaquer.
Immédiatement, l'enfant hurla et se mit à courir pour lui échapper, la serpillère le poursuivant sans pour autant le rattraper. Shiro était très rapide et peut-être que sa vitesse extraordinaire se manifestait déjà !
« Lâchez-moi ! Au secours ! » appela-t-il désespérément.
Il n'avait pas pensé à utiliser son arme... dans sa course, elle avait glissé et était tombée au sol. La créature terrifiante gardait le silence et continuait de le pourchasser.
« Au secours ! »
Pourquoi... ?
Il ne se souvenait pas de ça ! Il ne se souvenait pas d'avoir été poursuivi par une créature pareille à cinq ans. A moins qu'il ne s'agisse d'une créature de la Rivière de la Mort...
Shiro accéléra, mais la créature ne le lâchait pas. Qu'arriverait-il si elle le rattrapait ? Allait-elle le manger ?
Où aller... où devait-il aller pour le lui échapper ?
Il avait peur...
Aerith...
Papa... maman... quelqu'un... !
Shiro sentit le souffle rauque de la créature dans sa nuque. Ses poils se dressèrent et il continua de crier de manière stridente.
C'était fini !
Mais avant même que la créature ne puisse l'atteindre, Shiro ne regarda pas devant lui.
Dans sa course, l'enfant percuta quelqu'un de plein fouet, l'arrêtant net.
« Comment t'appelles-tu ?
- Viens. Je ne te laisserai pas seul ici.
- Mais…pourquoi ?
- Je te l'ai dit. On a un lien…et… Je ne veux pas être seul. Et je ne veux pas te laisser seul. Suis-moi. »
Sa vision se brouilla. Tout était flou autour de lui.
L'enfant gisait au sol, sonné par le choc. Shiro cligna des yeux, essayant de reprendre ses esprits.
La créature s'était emparée de lui. Maintenant qu'elle l'avait rattrapé, elle allait le dévorer !
Shiro jeta un œil par-dessus son épaule, s'attendant à voir la créature fondre sur lui tel un vautour sur sa proie.
Hein ?
Il n'y avait plus rien. Plus personne ne le poursuivait.
La créature avait disparu aussi vite qu'elle n'était apparue. Comme ça, sans prévenir.
« ... Où crois-tu aller comme ça, toi ? » murmura une voix calme et sèche derrière lui. « Je vais t'absorber. »
Dès l'instant où il reconnut la voix, un frisson parcourut l'échine de l'enfant de cinq ans. Immédiatement, Shiro se retourna pour faire face à celui qu'il avait percuté.
Quand il le vit, la vue de l'enfant s'embua.
Il en oublia sa peur. Il en oublia presque la créature qui le pourchassait à l'instant.
Cette silhouette... ces cheveux noirs, ces yeux magenta le fixant derrière la camisole qui lui cachait le visage...
Le paysage s'était assombri. Les ténèbres léchèrent le visage de l'enfant de cinq ans, avant de faire marche arrière.
« Suis-moi... »
A la vue de l'enfant aux cheveux blancs, les yeux magenta se plissèrent avant de s'écarquiller de surprise.
Shiro regarda autour de lui.
C'était ici.
C'était le lieu même où ils s'étaient rencontrés pour la première fois. Raide, Shiro ne détacha pas ses yeux de l'homme de ses souvenirs.
Le silence tomba. Shiro n'arrivait pas à parler. Les mots étaient coincés dans sa gorge.
« ... On s'est déjà rencontrés ? » lui demanda doucement Nero, inclinant la tête sur le côté.
Le visage de Shiro se déforma tandis que les larmes lui montèrent aux yeux. Les lèvres tremblantes, son cœur s'accéléra dans sa poitrine.
« ... Weiss... ? » articula Nero avec prudence.
Il était décontenancé par son apparence.
Sa voix était teintée de tremblements. L'homme effectua un pas dans sa direction. Shiro ne bougea pas. Il continua de pleurer à chaudes larmes.
« ... N'aie pas peur », le rassura Nero, les ténèbres se dissipant autour de lui. « Je ne te ferai rien. »
Oui... comme dans son souvenir...
- ... Je le sais, répondit Shiro, la voix brisée.
Il savait qu'il ne lui ferait rien. Shiro s'essuya les larmes avec sa manche, sans succès. Sa réponse parut surprendre Nero. Perplexe, il fixa Shiro.
- Pourquoi pleures-tu ?
Shiro s'efforça à sourire à travers les larmes.
- ... Parce que je suis heureux de te voir.
Il était sincère.
C'était comme si une éternité était passée depuis qu'ils s'étaient quittés... Shiro et lui s'étaient déjà dit adieu. Ou plutôt, ils se le diraient dans le futur...
Leur destin était lié.
Comment ne pouvait-il pas être heureux de le voir ?
- Excuse-moi ?
Shiro ne répondit pas. Il détourna le regard. Bien sûr... il était soulagé de ne plus être seul. Mais il était le seul qui avait vu le futur. Nero ne pouvait pas comprendre de quoi il parlait.
Et cette fois-ci, il ne le menaçait pas avec son arme.
- Comment t'appelles-tu ?
C'était tellement étrange...
Tellement étrange de se présenter à la personne, après tous les souvenirs qu'ils avaient partagés ensemble...
- ... Shiro, répondit l'enfant.
La voix de Nero se radoucit. Oui. Il savait très bien à qui il devait penser, à l'heure actuelle.
- Tu es né à Deepground ?
Shiro acquiesça.
- Oui.
- Tes parents... ?
Shiro repensa à leur premier échange. A tous ce qu'ils s'étaient dits, avant que Nero ne l'emporte avec lui dans les Ténèbres.
- Shiro ?
- ... Mon père s'appelle Weiss, expliqua Shiro.
Il n'y avait... aucune raison qu'il se passe quelque chose, s'il le lui confirmait ? Nero devait déjà s'en douter, après tout.
- Je le savais. Tu lui ressembles. Tu as son regard.
Le ton de Nero devint immédiatement plus chaleureux. Shiro devinait qu'il souriait à travers son masque. Il semblait sincèrement ravi de le voir autant que l'enfant ne l'était.
- Je ne vais pas te tuer, lui déclara le Tsviet sombre, comme s'il avait lu dans ses pensées.
Il marqua un temps, avant d'ajouter.
- Si tu es le fils de Weiss, alors, toi et moi... Nous partageons un lien. Un lien indéfectible.
Et surtout, il ne voulait pas être seul.
Il ne voulait pas le laisser seul.
Shiro ne répondit pas, le laissant poursuivre.
- En réalité, j'allais te proposer de venir avec moi. De me suivre.
« Suis-moi »
Nero lui tendit la main, l'invitant à la prendre.
En silence, Shiro la fixa.
Oui. Il s'agissait de suivre le cours du destin.
Dans ses souvenirs, Shiro prenait la main de Nero. Ce dernier l'emportait avec lui dans les Ténèbres...
Et ensemble, ils vivraient dans cette dimension cachée dans les Ténèbres. Durant trois ans, jusqu'à ce que Shiro s'enfuie...
Ce serait si simple. L'enfant ne serait plus seul. Il serait prêt à tout accepter. Parce qu'à ce moment-là, Nero avait été son gardien, son protecteur.
Son monde.
Shiro se redressa et s'avança doucement dans la direction de son futur gardien.
Il était prêt à saisir la main de Nero... à se laisser entraîner dans les Ténèbres...
« Suis-moi... »
Shiro se mordit la lèvre.
C'était le destin, après tout. Il serait puni s'il n'obéissait pas.
Il y aurait des conséquences s'il allait à l'encontre de son destin...
Mais peut-être était-ce la raison de ces visions ? La raison pour laquelle il avait lu son futur... ?
Tout était lié... s'attendait-on à ce qu'il suive le cours de son destin ? Même en sachant tout ce qui arriverait, dès l'instant où il rencontrerait Nero ?
Il repensa à la dernière fois qu'il avait tenu la main de Nero... c'était à Banora, à l'ombre d'un pommier...
« Allons tous ensemble jouer dans la cascade... »
Et aujourd'hui, il avait l'occasion de retrouver son oncle...
Le cœur battant, Shiro n'entendit pas les mots de Nero. Il n'avait que cette image à l'esprit...
Si Nero était mort, c'était parce qu'il avait connu Shiro.
S'il n'avait pas connu Shiro, il ne serait pas allé affronter Héméra seul. Il n'aurait pas pris cette peine car le monde des humains, l'humanité en général, n'avait jamais rien représenté pour lui.
Il était resté parce que Shiro avait choisi ce monde... parce qu'il l'avait choisi au détriment de Deepground...
Il ne voulait pas revivre ça. Non. L'idée même lui était trop douloureuse.
« ... Non. »
Shiro laissa retomber sa main le long de son corps. Les yeux cachés par ses cheveux, il fixait ses pieds.
Nero ne répondit pas à ce refus tout de suite. Mais Shiro sentait le regard perçant de celui qui était son oncle lui brûler le corps.
- ... Pardon ?
Shiro inhala, exhala.
C'était dur... après tout ce temps, tout ce temps il avait souhaité être réuni avec la personne la plus importante de sa vie, il avait enfin l'occasion de retrouver ces moments perdus avec lui.
Le voilà qui le rejetait.
- Je ne te suis pas.
Pas cette fois.
Et sans un mot de plus, Shiro tourna les talons pour faire marche arrière. Il se mit à courir le plus vite possible, loin de son oncle.
Les larmes aux yeux, les pensées tourbillonnaient dans la tête de l'enfant.
Hors de question qu'il ne perde Nero à nouveau ! Si Nero ne le connaissait pas, il ne mourrait pas !
« Je suis vraiment désolé pour les choses que... que je t'ai dite, Papa. Toutes ces choses... Pour t'avoir dit que tu étais un monstre, pour t'avoir dit que je te détestais... »
Derrière lui, il entendit Nero l'appeler. Mais Shiro ne se retournait pas et continuait de courir.
C'était mieux comme ça... Si Nero ne le connaissait pas, si Weiss et Ophelia ne le connaissaient pas, ils ne mourraient pas !
Si Lorraine ne le connaissait pas, elle ne perdrait pas sa mère, sa sœur et son frère. Elle ne souffrirait pas à cause de lui !
C'était mieux comme ça, se répétait-il. Cela lui déchirait le cœur mais c'était mieux comme ça !
Idiot.
Mais sans le savoir, en courant, Shiro laissa tomber quelque chose.
Et avant même qu'il ne puisse le ramasser, une ombre malfaisante surgit derrière lui.
Quand Shiro se retourna, il poussa un cri à en perdre la voix.
La serpillère était de retour !
Peut-être était-il véritablement devenu fou.
Enfin, il était sûrement devenu plus fou qu'il ne l'était déjà. Après avoir été rejeté par la Rivière de la Vie, après avoir été séparé une nouvelle fois de son frère adoré lorsqu'ils étaient devenus un pour rejoindre Omega, Nero cherchait Weiss partout.
Au point de croire le retrouver dans le premier enfant qui venait de Deepground et qui lui ressemblait...
Non. Il en était sûr. Il s'agissait de son fils. Il sentait Weiss en lui...
Mais cet enfant ne souhaitait pas le suivre... Sûrement parce que Nero l'avait effrayé, parce qu'il était terrifiant en apparence... Parce qu'il portait les Ténèbres...
Weiss ne l'aurait jamais rejeté. Nero secoua la tête, désapprobateur.
Il pouvait tout simplement le tuer en l'absorbant. Mais il avait autre chose à faire... Weiss l'attendait quelque part.
Il ne resterait pas séparé de lui une seconde de plus. Il devait le retrouver plutôt que de perdre son temps à poursuivre un gamin qui ne voulait pas de lui.
Même s'il s'agissait du fils de Weiss, même s'ils faisaient partie de la même famille, pensa-t-il à regret. Il jeta un dernier regard vers la direction par laquelle l'enfant s'était enfui, avant de se dissoudre dans les ténèbres.
Weiss l'attendait...
Mais c'était étrange. Nero... avait la nette impression d'avoir déjà rencontré cet enfant. Quelque part. Mais il avait beau se souvenir, il ne voyait pas dans quelles circonstances.
Alors qu'il était sur le point de disparaître, un cri l'alerta. Nero changea ses plans et se dirigea à toute hâte vers la source du cri.
C'était Shiro, devina-t-il.
Il l'aperçut au loin, en train de se battre contre quelque chose d'invisible. Il effectuait de grands gestes du bras, complètement terrifié. Comme si on l'attaquait.
C'était quelque chose qu'il ne discerna pas bien. Nero plissa des yeux et s'approcha.
Ce fut bref...
Mais pendant un instant, Nero crut percevoir un fantôme de couleur sombre tourner autour de Shiro.
Sans attendre, le Tsviet sombre déversa ses Ténèbres sur la chose, prenant soin de ne pas toucher le fils de Weiss.
Mais avant même qu'elles ne puissent l'atteindre, le spectre s'était déjà enfui, laissant Shiro terrorisé et choqué par ce qui venait de se passer.
Une fois qu'il fut certain que le danger était bien passé, Nero s'approcha doucement de l'enfant.
« ... Qu'est-ce que c'était ? » lui demanda l'enfant.
Nero haussa les épaules.
- Je l'ignore. Probablement un dernier vestige d'une expérience de Deepground. Si tu viens de Deepground, tu dois déjà avoir assisté à de telles monstruosités, n'est-ce pas ?
Plus rien ne le surprenait. Shiro le contempla, ébahi. Nero fronça les sourcils. Il avait beau dégager l'aura de Weiss, on aurait dit un petit chiot perdu. Et cet enfant avait survécu à Deepground et à ses expériences ?
Comment était-ce possible ? Quelque chose le dépassait...
- Bien. Je vais te laisser seul, désormais. Quelqu'un m'attend, lui adressa Nero pour mettre fin à la discussion.
- Merci, Nero.
Ce remerciement franchit les lèvres de l'enfant sans qu'il ne réfléchisse à ce qu'il venait de dire. Nero était sur le point de partir, mais quelque chose l'interpella.
Immédiatement, il se retourna pour faire face à l'enfant.
- ... Je ne t'ai jamais dit mon nom, Shiro.
Non. Il se souvenait de leur échange. Il ne s'était pas présenté. Cela le dépassa. Comment est-ce que Shiro pouvait connaitre son nom ?
Immédiatement, l'enfant se couvrit la bouche, comme s'il avait dit quelque chose qu'il n'aurait pas dû dire. Même lui s'en rendait compte.
Non... ce n'était pas une coïncidence. Shiro lui disait quelque chose... mais ils ne s'étaient jamais rencontrés auparavant. Sinon, Nero s'en souviendrait. Il se souviendrait que Weiss avait un fils.
A moins que les scientifiques n'aient déjà parlé de lui ? Parce que s'il était le fils de Weiss... cela signifiait que Shiro était son neveu.
- Je...
Shiro tourna la tête. Tout de suite, Nero s'approcha de lui. Sa patience atteignait ses limites.
- Qui es-tu ?
- Je...
- Qui es-tu, Shiro ? Que caches-tu ?
L'enfant ne répondait pas.
Nero effectua un autre pas, mais il marcha sur quelque chose qui gisait au sol. Nero abaissa le regard et remarqua que sa botte était sur un carnet ouvert et dont les feuilles étaient froissées et éparpillées.
Des dessins... beaucoup de dessins... Nero ne comprenait pas ce que cela faisait là. Mais quand il observa plus attentivement, certains des dessins qu'il découvrit le scièrent.
Il en remarqua un... Un avec une figure représentant l'enfant, tenant la main à une représentation de lui-même. C'était abstrait, mais Nero se reconnaissait. Le masque, les cheveux noirs, la combinaison, les nuages de ténèbres...
Qu'est-ce que... ?
- Non ! s'écria Shiro dès que Nero se pencha pour ramasser le carnet et l'étudier plus attentivement.
Il le feuilleta. Chacun des dessins qui lui apparurent le décontenança.
Un portrait de lui... un portrait d'une femme qu'il ne connaissait pas...
Un autre qui représentait Vincent Valentine... un qui ressemblait à la gamine qui se prétendait Ninja du Wutaï...
Un autre qui...
Nero manqua de lâcher le carnet à dessins à l'instant même où il y reconnut Weiss. L'apparition du frère bien-aimé qu'il recherchait désespérément lui creusa le cœur.
Un lourd silence tomba entre Nero et Shiro.
- ... Que signifie ceci ? lui adressa-t-il d'une voix sourde. Tu sais où se trouve Weiss ?
Il les avait dessinés. Pas besoin d'une confirmation. Sa réaction signifiait tout. Nero continua d'éplucher le carnet.
Toujours plus de dessins...
Des images mettant en scène des choses qui n'avaient ni queue ni tête... un trou dans le ciel, des chiens, Weiss qui se tenait, fier et digne, devant une entité ailée...
Omega ?
Il n'avait quand même pas dessiné Omega !
Frustré et furieux de ne pas comprendre, Nero manqua de balancer le carnet sous un coup de rage. Il resserra le carnet entre ses mains tremblantes et foudroya Shiro du regard.
Il n'avait toujours pas donné d'explications.
Etait-ce un piège ? Une création de ce scientifique fou qui avait possédé le corps de son frère ?
Cela ne pouvait être que ça !
- ... Je répète ma question, lui adressa-t-il en insistant bien sur chaque mot, au cas où l'enfant n'aurait pas compris. Que. Signifie. Ceci ?
Shiro tremblait comme une feuille. Nero savait qu'il lui faisait peur et c'était le but. Il voyait des images qu'il ne reconnaissait pas. Des dessins de personnes qu'il connaissait.
Des dessins de lui et de Shiro alors qu'ils étaient de parfaits étrangers...
Las, Nero fit tourner les ténèbres autour de ses doigts. Il perdit patience et son ton devint bien plus menaçant.
- Dernière chance, Shiro. Si tu ne m'expliques pas tout de suite, je t'absorbe.
- Non...
Ce fut tout ce qu'il parvint à dire.
- Je me moque que tu sois mon neveu ou non, cracha Nero, l'agitation montant en son être. Maintenant, je ne suis même pas certain que tu le sois. Si ça se trouve, tu n'es qu'une expérience créée par Hojo.
Sa réponse déconcerta l'enfant. Shiro écarquilla les yeux, interdit.
- Quoi ? Moi ? Créé par Hojo ?
- C'est la seule explication plausible, gronda Nero. Autrement, comment peux-tu posséder autant d'informations ? Sur moi, sur mon frère, sur Omega ? Hein ? Explique-toi si tu ne désires pas faire un avec les Ténèbres.
- ... Non...
- Cela ne me surprendrait pas, venant de sa part.
Shiro ouvrit la bouche avant de la refermer. Immédiatement, il se recroquevilla sur lui-même. Nero demeura méfiant. Il avait peut-être l'air inoffensif, mais il n'avait jamais appris à baisser la garde.
- Très bien.
- Non ! s'exclama Shiro, la voix tremblante. Je... je ne peux pas te le dire !
Stupéfait, Nero dévisagea Shiro en haussant un sourcil.
- ... Excuse-moi ?
- Je... je ne peux pas te le dire, bredouilla l'enfant.
Le visage de Nero se durcit.
- Tu as deux secondes pour t'expliquer, l'avertit-il avec froideur. Sinon, je t'absorbe et je continue ma route. Et crois-moi, ce n'est pas parce que tu es un enfant que j'éprouverais de la pitié. C'est mal me connaître.
Shiro voulut protester, mais les ténèbres léchèrent ses chevilles avant qu'il ne puisse répondre quoi que ce soit.
Il devait le savoir.
- Explique-moi ces dessins.
Shiro cligna des yeux. Finalement, il baissa la tête, vaincu. Il s'assit à son emplacement, serrant ses jambes contre lui. Il était en position de parfaite vulnérabilité.
- Shiro ? Alors ? s'impatienta Nero.
- ... Promets-moi seulement que tu m'écouteras jusqu'au bout.
Shiro lui expliqua. Il expliqua tout dans les moindres détails, cherchant précautionneusement ses mots dans le but de se faire comprendre.
Il expliqua qu'il venait de la Rivière de la Vie. Ou plutôt, qu'il possédait les souvenirs de son futur et, de manière collatérale, celui de Nero. Des personnes qui l'entouraient.
Il lui raconta la manière dont ils s'étaient rencontrés. Qu'ils vivraient ensemble. L'arrivée de Charon. L'apparition des Chiens de l'Enfer. Le marché. Le fait qu'il était l'Hôte d'Erebus, l'entité des Ténèbres. Leur combat.
Leur réunion avec Weiss... leur temps passé ensemble. Puis, le départ de Weiss. La brèche. La menace d'Héméra. La Pierre de Chintamani. Cerbère.
Et pour finir, la mort de Nero.
Il lui raconta tout depuis le début.
Au final, alors qu'il poursuivait son récit, Shiro réalisa qu'il avait commis une énorme erreur en rejetant Nero.
Parce que s'il l'avait rejeté, que serait devenu Sonon ? Le Ninja serait encore coincé dans les Ténèbres, à l'heure actuelle.
Et puis... qu'aurait fait Nero, seul, livré lui-même ? Peut-être serait-il devenu un danger pour la Planète.
Ou peut-être que Charon aurait mis la main sur Nero en tant qu'Hôte, le forçant à fusionner avec les Ténèbres pour revoir son père.
Oui... Shiro avait commis une faute qui aurait pu s'avérer irréversible. Heureusement que Nero n'était pas encore parti quand il s'était fait attaquer par cette serpillère...
A moins que... cette serpillère n'apparaisse pour une raison précise ? C'était encore flou dans la tête de l'enfant.
« ... Tu sais tout. »
Une fois que Shiro acheva son récit, le poids de tous ses souvenirs le rattrapèrent. Il était éreinté. Il avait l'impression qu'il avait vieilli d'un coup, que son corps pesait une tonne.
Nero n'avait pas desserré la mâchoire durant tout son récit. Il l'avait écouté jusqu'au bout, comme promis.
Derrière son masque, il le toisait d'une expression de glace, indéchiffrable. Pourtant, ses épaules indiquaient qu'il était tendu. Il s'était davantage tendu lorsque Shiro avait mentionné ses retrouvailles avec Weiss et la manière dont ils s'étaient séparés, mais il n'avait rien dit. Il avait gardé le silence.
Aurait-il dû ne rien dire ? Ne rien lui révéler ? Comment réagirait-il ?
Shiro attendit, retenant son souffle.
Finalement, les yeux de Nero se plissèrent d'amusement.
« ... Tu dois avoir beaucoup d'imagination. »
Scié, Shiro le toisa.
Quoi ?
- C'est l'histoire la plus folle et la plus stupide que je n'ai entendue, releva Nero, le ton amer. Il avait cessé de rire.
- Mais... c'est vrai ! s'insurgea Shiro. C'est vrai !
Nero secoua la tête.
Pourquoi ne le croyait-il pas ?
- Moi ? Passer un marché avec les anciens de la SHINRA ? Ceux-là même qui nous ont retenus captifs durant toutes ses années, mon frère et moi ? Ceux qui nous ont traités comme des bêtes, qui ont laissé Restrictor nous asservir et nous utiliser à sa guise ? Moi ? Accepter un marché avec Rufus Shinra ? Je ne rêve que de l'étriper et me baigner dans son sang. Tout comme Reeve Tuesti ! Tout comme Vincent Valentine ! Pourquoi aiderais-je Vincent Valentine ? Pourquoi aiderais-je les humains, Shiro ?
Il s'agitait de plus en plus. Shiro se raidit. Les pupilles dilatées, Nero le fixait dangereusement.
- ... C'est vrai, protesta Shiro d'une petite voix. Tu recherchais Weiss. Tu souhaitais me protéger.
- Je ne veux protéger que Weiss, lui adressa Nero avec acidité.
Ce fut un coup dur à essuyer. Mais d'un autre côté, Shiro et lui ne se connaissaient que depuis une heure environ.
- Et pour le retrouver, acheva Nero, j'aurais remué ciel et terre. C'est vrai. Mais je n'aurais jamais laissé l'ORM m'utiliser à sa guise comme arme de guerre.
- Nero...
- Et autre chose ? J'ai lu les rapports cachés de la SHINRA. S'il y avait eu une quelconque Rivière de la Mort, je l'aurais su. Erebus, Charon, Héméra... ces dieux n'ont jamais existé. Leur existence n'a pas été prouvée de manière scientifique. Ils n'ont jamais été mentionnés. Les seuls dieux qui existent parmi nous sont les Armes de la Planète, ainsi que ceux comme Ifrit, Bahamut, Shivah... mais il n'y a aucun lien entre moi et une quelconque divinité des Ténèbres. Sinon, je l'aurais su, Shiro. Je l'aurais su à la naissance.
Shiro plissa les yeux. Nero rejetait son histoire, ses explications. Pourtant, il s'attendait à ce qu'il le croie ! Il devait le croire !
- C'est vrai...
- Non. Les expériences t'ont rendu fou, Shiro. Je suis désolé pour toi, mais il n'y a rien de crédible à ton histoire. Ce sont de pures balivernes. Il n'y a pas de Charon. Il n'y a pas de Traversée du Destin. Et même si un tel endroit existait, ce n'est pas un enfant de cinq ans qui changerait le destin. Même si tu es le portrait craché de Weiss. Weiss tout puissant.
Les lèvres de l'enfant tremblèrent. Il fixa Nero intensément, essayant de ravaler ses larmes. Le Tsviet sombre le regardait avec une forme de compassion. Il ne se moquait pas de lui. Il croyait sincèrement ce qu'il disait.
Il croyait que tout cela venait de l'imagination de Shiro. A moins qu'il ne soit dans le déni... qu'il ne nie l'évidence...
- Papa Nero... je...
- « Papa » ?
Les yeux perçants de Nero s'écarquillèrent. Il ne s'attendait pas à ce qu'il l'appelle ainsi.
- Oui, je t'appelle « Papa » Nero. Je voulais t'appeler « Papa », mais tu m'interdisais de le faire car tu croyais que Weiss reviendrait. Tu disais que c'était mon seul père.
Nero cligna des yeux. Derrière son masque, son visage se fissura un peu, avant de céder à nouveau à la froideur.
- Sur ce point... je te l'accorde. C'est bien ce que j'aurais dit. Sur ce point, je te l'accorde. Mais je ne t'aurais même pas laissé m'appeler « Papa Nero ». Nous ne nous connaissons pas, toi et moi. Même si tu es mon neveu.
Il ne le croyait pas...
Pourtant, il devait trouver un moyen de le croire. Après tout, il avait déjà assisté à des choses plus folles que ne lui racontait Shiro.
- Shiro ?
- ... Tu m'as dit de te suivre.
Nero haussa un sourcil.
- Tu voulais m'emmener avec toi. A l'origine, je te suivais et tu m'emmenais dans ta dimension. Celle à l'intérieur de tes Ténèbres. Il n'y a pas qu'une seule dimension, mais je t'évoque celle avec le ciel verdâtre, le volcan et les terres en suspension...
- Comment... ?
Cette fois, ce fut au tour de Shiro de crucifier Nero.
Peut-être qu'en décrivant un endroit que seul Nero devait connaître, le Tsviet le croirait. Shiro lui adressa une description détaillée de l'endroit durant lequel il avait vécu durant trois ans. Puis de celui où il l'emmènerait plus tard.
Les montagnes, le lac... le nouveau Deepground que reconstruirait Weiss.
A nouveau, le visage de Nero se décomposa sous ce flot d'informations.
- ... Ces dimensions n'existent pas, fit Nero, le visage dur comme la pierre. Peut-être que... tu as lu des rapports précisant la dimension dans laquelle je t'ai emmenée...
- Mais c'était bien ton but de m'y emmener, non ?
- ... je l'ignore.
Cela laissa Nero sans voix. Les bras croisés sur sa poitrine, Shiro devinait qu'il réfléchissait à pleine vitesse dans le but de dénicher une explication.
- Il n'y a pas de rapport. Personne n'est au courant de cette dimension... à part toi et Vincent Valentine que tu as affronté.
L'enfant baissa les yeux.
- Si tu ne me crois pas, tu peux chercher la dimension montagneuse dans les Ténèbres. Tu en as ce pouvoir. Et... East, Este-D... ils sont encore vivants à l'heure actuelle. Ils sont emprisonnés dans les quartiers de l'ORM.
- Quoi ?
- Ils ont appartenu à la rébellion de Weiss. East est un instructeur, un trouillard et... Este-D est le médecin, non ?
- Tu les as sûrement déjà croisés à Deepground.
- Pas encore, rétorqua Shiro.
Shiro devinait que Nero était à court d'arguments.
- ... Mais quel âge as-tu ? lui demanda Nero, le ton bas.
Shiro sourit tristement.
- ... Cinq ans.
- Mais... tu as des souvenirs appartenant à ton futur.
Il avait les souvenirs de lui à seize ans.
- Je ne vois pas comment c'est possible.
- Pourtant, ce n'était pas possible de ressusciter Weiss en invoquant Omega. N'est-ce pas ?
Même si cela avait été scientifiquement prouvé...
- Essaie, Nero. Essaie de trouver la dimension, insista doucement Shiro. Tu verras que j'ai raison. Et... il en existe également une autre, beaucoup plus lointaine. Quelqu'un s'y trouve. Sonon Kusakabe, le Ninja que tu as affronté il y a trois ans... tu l'as épargné pour qu'il serve à la rébellion de Weiss.
- Impossible... il est mort.
- Il s'y trouve. Il y a survécu grâce aux ténèbres en toi. Que tu lui as infligé durant votre combat.
- Comment... ?
Les épaules de Nero montèrent et redescendirent. Sa respiration devint sifflante. C'était comme s'il n'était plus en possession de son propre corps. Autour de lui, les Ténèbres s'agitaient de manière erratique.
- ... Papa Nero...
Nero ne releva rien. Il se contenta de s'éloigner de l'enfant, les bras croisés sur sa poitrine. Il essayait tant bien que mal de se calmer.
Au bout de longues secondes qui lui parurent être une éternité, Nero se retourna vers Shiro, le regard vide.
- ... Si tu es au courant du futur... saurais-tu où est Weiss à l'heure actuelle ?
Shiro secoua la tête.
- Non. Je ne connais pas tout. Mais je sais où il sera, dans trois ans.
Nero ferma les yeux, pensif. Malgré tout, la réponse le heurta.
- Et quel est ton but ? Si tu es au courant de ce futur... de notre futur... que comptes-tu en faire ?
Le sourire de Shiro s'élargit.
Il n'en était pas certain au départ... mais si on lui avait montré les souvenirs du futur, c'était sûrement pour une bonne raison, non ?
- ... je l'ignore encore.
- Et si on lutte contre l'ordre des choses ? Qu'arriverait-il ?
- Je l'ignore. Certains évènements doivent se produire. C'est la seule chose que je sais...
Shiro observa Nero. Oui. Son oncle n'avait jamais été du genre à accepter la mort de Weiss.
Il ne serait pas du genre à accepter son propre destin, surtout si cela signifiait un destin où il serait définitivement séparé de Weiss...
- Je sais que tu m'emmènes dans cette dimension par la suite. Mais... cette fois-ci, on n'y va pas. On peut rester ici, à l'abri des regards... Mais on ne se cache pas.
Au fond, c'était ce que désirait Shiro. Ne pas rester enfermé dans cet endroit durant trois ans, sans possibilité d'en sortir un jour.
Même si cela avait été dans l'intérêt de le protéger...
Nero demeura silencieux. Il inclina la tête sur le côté, pour y réfléchir. Pourtant, la proposition de l'enfant parut le séduire.
- Cela peut fonctionner, insista Shiro.
Son oncle reporta son attention sur l'enfant. En silence, il sembla peser le pour et le contre.
Rester ici... affronter le monde extérieur, cette fois-ci. Ensemble.
- Shiro...
Le yeux brillants, l'enfant sourit. Shiro en était sûr. Il allait accepter !
Mais avant même que Nero ne puisse répondre, une force invisible frappa violemment Shiro au ventre.
L'enfant fut projeté en arrière et valsa dans les airs. Lorsqu'il reprit conscience, il releva le menton vers la chose qui flottait au-dessus de lui.
La serpillère était revenue... mais cette fois-ci, elle l'avait agressé frontalement alors qu'au début, elle ne se contentait que de le poursuivre ou de voler près de son visage.
Pourquoi... ?
- Shiro !
Nero ne perdit pas de temps et invoqua ses ténèbres pour éloigner la serpillère de Shiro.
Immédiatement, la serpillère se détourna de Nero et fondit sur lui pour l'attaquer au visage. Le Tsviet sombre ne se laissa pas approcher et créa une barrière de ténèbres pour se protéger, mais la serpillère passa au-travers, le frappant violemment au visage et au ventre, de manière répétée.
Shiro se redressa sur ses coudes et observa la scène, choqué. Nero se laissa faire, percuté de tout côté. Il ne cherchait même pas à se défendre. Il n'émit aucun cri de douleur ou de gémissement...
Non. Au contraire, il riait.
- Oh ! Vas-y ! continue ! Continue !
La serpillère ne cessait pas et le frappait encore et encore.
- J'adore ! Donne-moi ces sensations de douleur ! De mort !
Bientôt, Nero atterrit à côté de Shiro, heurtant lourdement le sol. L'enfant tourna la tête vers lui, son attitude le laissant interdit. Il remarqua que Nero souriait derrière son masque. La chose ne le laissait pas tranquille et continua ses assauts, ne lui laissant aucun temps mort.
- Papa... l'appela Shiro.
Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase que la serpillère s'éleva dans les airs, avant de fondre sur l'enfant, le traversant de part en part.
Un flot de sang émana de la bouche de Shiro. Tout de suite, Nero cessa de rire. Il étendit le bras vers la serpillère, les tentacules de ténèbres s'élançant sur lui pour l'emprisonner.
Mais cela ne faisait aucun effet sur la serpillère...
Qu'est-ce...
La serpillère ne s'arrêterait pas. Elle agressa Shiro à nouveau en le traversant. Cette fois, Shiro saigna du nez et de la bouche. Il se mit à pleurer de douleur et de peur. Les défenses de Nero étaient inefficaces, même avec le pouvoir des ténèbres...
On peut rester ici, à l'abri des regards... Mais on ne se cache pas.
Alors qu'il se faisait frapper par la serpillère, Shiro repensa à ses propres mots.
La serpillère était apparue quand il avait convaincu Nero de rester ici, au lieu qu'il ne l'emporte avec lui dans les Ténèbres...
Tout comme elle était apparue quand Shiro avait refusé de suivre le Tsviet... tout comme elle était apparue quand Shiro avait laissé passer l'heure de la rencontre, en restant à un emplacement où il n'aurait aucune chance de croiser Nero...
Est-ce que cette serpillère intervenait quand Shiro décidait de ne pas suivre le cours des choses ?
- Shiro ! l'appela Nero.
Le sang recouvrait le tee-shirt de Shiro. L'enfant tendit le bras vers son oncle et ce dernier l'imita, leurs doigts se frôlant.
- Emmène-moi... dans la dimension ! articula-t-il avec douleur.
La serpillère s'éleva à nouveau, prête à fondre sur Shiro une nouvelle fois pour l'achever.
Nero comprit tout de suite. Sans un mot, il agrippa la main de Shiro dans la sienne, les ténèbres les encerclant.
Avant que la serpillère ne puisse le toucher une nouvelle fois, Shiro disparut dans les ténèbres.
Retour à la case départ...
Ce furent les pensées qui traversèrent Shiro dès l'instant où le ciel verdâtre de la dimension dans laquelle il vivrait avec Nero apparut sous ses yeux.
Alors qu'il tenait la main de son oncle, Shiro ne put réprimer le dépit et le désespoir en son être.
« Ces créatures... ces serpillères... »
Est-ce qu'elles intervenaient réellement pour empêcher les choses d'être modifiées ? Parce que Shiro avait souhaité ne pas rencontrer Nero ? Parce qu'il avait souhaité rester dans le monde extérieur ?
Mais qu'est-ce que cela signifiait ? Qu'il était condamné à demeurer dans cette dimension durant trois ans ? Comme le lui dictait le destin ?
« Shiro... tu saignes... »
L'inquiétude apparut dans les yeux de Nero. Shiro se toucha le nez de sa manche.
Il saignait toujours du nez...
Il y a plus de mauvaises choses qui ressortiraient de cette aventure que de bonnes. Pour toi en premier lieu.
Peut-être... Mais aujourd'hui, il était ici. S'arrêtant au bord de cette surface en suspension, Shiro se laissa tomber par terre, ses pieds pendant dans le vide.
Le volcan était encore endormi.
Dans trois ans, cet endroit serait détruit par Charon...
« Je crois qu'on ne peut pas modifier le destin comme on le souhaite », conclut Shiro, le ton sombre. « Les serpillères sont sûrement là pour nous rappeler de notre vraie destinée. Celle qu'on doit suivre. »
Nero avait raison. Ce n'était pas lui, un enfant de cinq ans, qui saurait modifier le cours du destin.
Que croyait-il ? L'autre Shiro, celui du futur, avait été bien arrogant pour envisager une telle chose.
Que pouvait-il faire, maintenant ?
Nero se tenait derrière lui. Il fixa l'horizon, songeur.
- C'est exactement l'endroit dont tu te rappelles ?
- Oui, lui répondit doucement Shiro.
Cela réduisit Nero au silence.
- Que doit-on faire, maintenant ?
- ... J'imagine qu'on doit rester ici. Pendant trois ans. Jusqu'à ce que je me lasse de cet endroit.
Non...
Il y avait forcément un moyen de contourner cela... de contourner les serpillères. Shiro ferma les yeux, enfouissant son visage dans ses genoux.
Il aimerait tellement que les choses soient simples.
- ... Je vais chercher la dimension dont tu me parlais dans les Ténèbres, lui adressa Nero, le ton résigné. Celle avec les montagnes, celle avec les étoiles... celle dans laquelle on vivrait avec Weiss. De cette manière, je serais sûr de ce que tu m'as dit.
Shiro hocha la tête.
- Ensuite, on avisera.
Peut-être qu'avec un peu d'aide, il pourrait accomplir cela. Mais il était clair qu'il n'y arriverait pas tout seul.
Nero fit demi-tour. Il était sur le point de se séparer de Shiro quand l'enfant l'interpella.
- ... J'ai faim. J'ai besoin de manger et de dormir.
Le Tsviet sombre plissa les yeux à cette demande.
- Que crois-tu ? Que je vais te préparer à manger ? lui adressa-t-il, sarcastique. Je ne suis pas ton serviteur. A Deepground, si on avait la chance de nous nourrir, on ne mangeait que des restes et de la chair fraîche. Surtout que...
Il secoua la tête, avant de soupirer.
- ... Tu as besoin de Mako. Ton corps ne pourra vivre sans.
- Je sais. Mais tu n'auras qu'à me donner ce que tu trouveras.
En réalité, il n'avait pas vraiment faim. Mais il souhaitait partager un moment anodin avec son oncle.
Un moment où il n'aurait pas à penser aux visions.
- ... Les serpillères... commenta Nero.
- Je pense que tant qu'on est ici, on est en sécurité.
Dire qu'il avait fui cet endroit, autrefois...
Aujourd'hui, c'était différent. Et Shiro espérait qu'il y ait un moyen pour que ces évènements ne se reproduisent pas. Qu'il n'ait pas fait tout cela pour rien.
Qu'il n'ait pas abandonné Lorraine, ni les autres, pour rien...
Nero acquiesça et, sans ajouter autre chose, il disparut dans les ténèbres, laissant Shiro seul.
Il n'avait pas peur.
Cet endroit avait été sa maison durant trois ans.
Une pomme.
Assis par terre, Nero à côté de lui, Shiro dévora la pomme avec appétit.
Il avait oublié combien il aimait cela...
Nero s'accouda sur son genou, l'observant d'un œil attentif.
« Si on m'avait dit que je serais en charge d'un enfant, un jour », soupira-t-il. « Azul et Rosso se moqueraient bien de moi. Même si tu es le fils de Weiss... »
Shiro ferma les yeux, un fin sourire sur ses lèvres.
- Je sais. Mais crois-le ou pas, tu m'as déjà préparé de la soupe une fois.
- De la soupe ?
- De la soupe violette. Je n'étais pas sage et tu m'as donné de la soupe sans te rappeler ce que tu avais mis dedans.
Nero détourna la tête, incrédule.
- Tu n'es pas obligé de me croire, le rassura Shiro tout en terminant sa pomme.
- Pourquoi revenir dans le passé, Shiro ? Si c'est la vérité... Que souhaites-tu changer ?
Shiro hésita.
Changer le passé qui ne saurait être modifié...
Après, il en avait déjà assez dit. Autant aller jusqu'au bout...
- ...Parce que je souhaitais te revoir, lui adressa Shiro.
Il inspira, avant d'ajouter.
- Tu as été mon premier papa.
Le visage de Nero se décomposa.
- Ton père est Weiss, le corrigea-t-il, le ton bas.
- Comme je l'ai dit, tu es mon premier papa.
Shiro tourna la tête vers son oncle, le fixant droit dans les yeux.
A nouveau, le silence tomba.
La vision de Shiro s'embua à nouveau. Il n'eut plus la force de manger. Non. A la place, il profita.
Il profita de ce vestige... Ce moment, c'était l'un de ceux qu'il avait partagés avec Nero autrefois.
Un moment calme, anodin, à manger ensemble et à profiter l'un de l'autre...
- Shiro ? Tu pleures...
Shiro s'essuya le visage. Oui. Il s'en rendait compte. Les larmes tombaient sur son tee-shirt.
- Tu pleures beaucoup, nota Nero.
- Est-ce que...
Shiro renifla. Il reposa son trognon et, sans crier gare, il se cala contre Nero.
Son oncle sursauta. Il fixa Shiro, perplexe. Mais l'enfant ne le lâcha pas. Il posa simplement sa tête contre son épaule.
- ... J'ai l'habitude que les gens me fuient. Pas qu'ils me touchent, releva Nero, la gorge serrée.
- Je sais... mais ils ne devraient pas te fuir.
Nero marqua un temps, comme s'il assimilait la situation.
- ... Weiss me disait cela, aussi.
Shiro sourit avant de fermer les yeux.
- Restons juste comme ça... un moment. S'il te plait, Papa Nero.
Il n'eut pas le loisir d'en ajouter plus.
L'enfant s'était déjà endormi.
En silence, Nero demeura immobile.
Il ne repoussa pas l'enfant. Il ne chercha pas à le chasser.
Tout cela... lui était étroitement familier.
Disait-il vrai ?
N'importe qui trouverait cela insensé... mais Nero sentait qu'il ne mentait pas. Peut-être croyait-il à une réalité qui n'existait pas... peut-être était-il sincère dans ce qu'il disait...
Mais il ne mentait pas.
Et ces informations... elles étaient trop précises pour que Nero y fasse abstraction.
Pourquoi faire tout cela...? Pourquoi faire tout cela pour le revoir? Weiss avait été le seul qui l'avait jamais aimé...
Finalement, il laissa l'enfant dormir sur son épaule.
Si le destin existait réellement... et qu'il y avait possibilité de le modifier...
Un nuage de ténèbres apparut devant lui, flottant dans le vide. Sans un mot, Nero ferma les yeux.
Suivant le conseil de Shiro, il fouilla à l'intérieur de ses ténèbres pour trouver la dimension dans laquelle il vivrait avec Weiss.
Celle dans laquelle ils verraient les étoiles ensemble...
