Donner c'est donner, reprendre c'est voler
Monge tremblait, le doigt posé sur la gâchette, convaincu que sa vie allait s'arrêter. Ça devenait impératif, paradoxalement quasi vital. Tout devait se terminer. Ici et maintenant. Il fallait mourir pour oublier. Oublier ces conditions de travail inexorablement mortifères. Oublier la perte des êtres aimés. Oublier cette souffrance destructrice.
Tous l'observaient sombrer peu à peu dans la folie. Ils ne contrôlaient plus rien. Il ne contrôlait plus rien. Son esprit était partagé entre l'écoute de ses démons intérieurs et l'écoute de sa collègue.
Monge s'accrochait à ces yeux océans qui le fixaient. « Donnez-moi votre arme… ». Ces quatre mots résonnaient, se bousculaient dans son esprit, perturbaient ses convictions. Une voix intérieure lui soufflait d'appuyer, la sienne de relâcher. Peu à peu, elle prit le dessus. Le convainquant de tout arrêter. L'ange s'apprêtait à vaincre la face démoniaque qui sommeillait en lui. Tout redevenait quasi paisible.
Tous retenaient leur souffle, observant avec minutie le geste du brigadier. Candice avait presque gagné. En ayant réussi à faire taire cette voix intérieure, elle avait réussi à redonner un sens à sa vie. Il avait encore plein d'amour à donner.
Monge retrouvait ses esprits. La noirceur qui l'entourait s'éclaircissait, blanchissait… Un blanc si paisible qui perdit son éclat lorsqu'une tâche apparut dans le fond. Un élément perturbateur qui plongea à nouveau le brigadier dans l'obscurité. Ismaël. La panique fit son retour.
Tous étaient devenus dangereux.
Tous étaient devenus cible.
Tous méritaient la mort.
Un premier coup de feu.
Un blessé.
Un second coup de feu.
Un mort.
. . . . .
« Pourquoi tu m'as rien dit ?
- Qu'est-ce que t'aurais fait ?
- Je sais pas ! On aurait trouvé une solution ! Il a pas à nous dire si on doit être ensemble ou pas !
- Non ! Mais il peut nous changer d'affectation et on peut abandonner notre poste à cause de ça… Non ! J'ai… Euh… Moi j'étais pas prête à ça Antoine !
- Ouais mais t'as choisi de me le cacher…
- Mais j'l'ai fait pour toi ! Pour être avec toi !
- Non ! Non ! Non ! Arrête avec ça ! T'as choisi ton boulot ! Au lieu de m'en parler et de savoir ce que j'aurais dit… Ce que j'aurais fait… »
Ces paroles tournaient en boucle dans sa tête. Voilà la dernière discussion sérieuse qu'ils avaient eu à propos d'eux deux. Une discussion particulièrement révélatrice de ce gros manque de communication dans lequel ils baignaient depuis tant d'années. À chaque fois c'était pareil. Elle se murait dans le silence, l'entraînant lui, dans l'incompréhension. Et à chaque fois se mentait à elle-même. Et à chaque fois il en payait les frais…
Mais dans cette salle d'attente, alors que l'autre était entre la vie et la mort, plus rien n'importait. Seul comptait sa survie. Parce qu'au fond, la survie de l'un signifiait la survie de l'autre… L'attente était interminable, insoutenable même. Dès heures que cette salle d'attente était bercée par les va-et-vient des blouses blanches, des bruits stridents des monitorings, des plaintes de certains patients, des visiteurs... Pourtant, de son côté le silence était de mise. Un silence lourd… Pesant…
Son esprit fut soudainement frappé par les dernières images qui l'avaient conduites à l'accompagner d'urgence à l'hôpital.
Un premier tir. En sa direction. Monge avait tiré.
Un second tir. Le retour de la médaille. Monge avait sombré.
Ses yeux se fermèrent, embués par les larmes.
La panique. Les cris. Le premier tir. Sa chute. Son inconscience.
Tout lui revenait. Tout s'emmêlait. Tout était désormais entre les mains de ce chirurgien.
