Bonsoir à tous !

Cela fait un petit moment que je n'ai pas publié sur ce site, mais je n'ai pas chômé pour autant ! Écrire une première fic sur Tsubasa m'avait beaucoup plu, et comme mon petit cerveau a continué d'être inspiré, j'ai décidé de remettre ça avec une deuxième histoire.

Cette fois-ci, l'intrigue se situera après la fin de Tsubasa, lorsque Shaolan, Fye et Kurogane reprennent leur voyage. Il s'agira d'une fic à chapitres, dont je ne peux estimer le nombre total vu que l'histoire n'est pas terminée, mais qui sera sans doute assez longue.

Et comme j'ai fait crever de chaud nos héros dans La Malédiction d'Atoum, j'ai décidé que ce coup-ci, ils allaient se les cailler (il faut bien varier les plaisirs, et puis c'est de saison).

Disclaimer : (Presque) tous les personnages de cette histoire sont la propriété des CLAMP.

Bonne lecture !


Chapitre 1 - Le tournoi de Tirmeíth

Un éclair illumina la forêt de conifères, des branches craquèrent et trois humains dégringolèrent dans une gerbe de fougères. Scandalisés par leur arrivée fracassante, une nuée d'oiseaux s'envola en croassant. Bien mal leur en prit, car ils se firent copieusement injurier par un homme brun aux yeux rouges vifs. Un deuxième homme aux cheveux blonds et aux yeux pâles se redressa en riant et en se moquant du premier. Le dernier membre du trio, un adolescent aux cheveux châtains et aux yeux noisette d'une intense volonté, se releva à son tour. Une drôle de petite boule blanche aux longues oreilles de lapin atterrit dans ses bras et clama :

– On est arrivés !

– Arrête de dire ça sur un ton tellement enthousiaste ! ragea Kurogane tandis qu'il retirait une à une les aiguilles de sapin qui s'étaient accrochées à ses vêtements.

– Ah là là, Kuro-chan, toujours en train de râler ! dit Fye en époussetant son manteau. Estime-toi heureux : pour une fois, tu ne m'as pas servi d'amortisseur à l'atterrissage.

– Et je devrais m'en réjouir ?!

– Évidemment. J'ai été magnanime et je t'ai épargné quelques bleus.

– C'est sur ta tronche que je vais coller des bleus si tu continues …

– Tu n'oserais pas.

– Je vais gêner, tiens !

Tandis qu'ils se chamaillaient, Shaolan ferma les yeux et inspira une grande bouffée d'air frais : le sol humide exhalait une odeur d'humus à laquelle se mêlait le parfum résineux des sapins. Aucun bruit ne troublait la paix de cette forêt centenaire ; une brume matinale figeait l'atmosphère dans la ouate et le silence. Un voile de condensation insaisissable déposait ses perles de rosée sur les vêtements et les visages avec la délicatesse d'une caresse. Au moment où ils avaient atterri, l'adolescent avait guetté le moindre bruit familier, une odeur connue, la sensation du sable chaud sous ses pieds … mais l'air froid qui s'était glissé dans son col avait aussitôt douché tous ses espoirs. Sa déception s'était confirmée lorsqu'il avait ouvert les yeux : aucun désert, aucune chaleur qui aurait signifié qu'ils avaient atteint la destination qu'il espérait. Il avait cillé, senti un nœud se former dans sa gorge et tant bien que mal, il était en train d'essayer de ravaler son dépit, quand il sentit une main se poser doucement sur son épaule.

– Ce n'est pas encore pour cette fois, lui dit Fye avec un sourire. Mais il ne faut pas te laisser abattre : je suis sûre que Sakura-chan pense à toi en ce moment.

Shaolan esquissa un petit sourire, qui ne parvint pas à masquer toute sa peine.

– Et puis, Kuropon, Moko-chan et moi, on est avec toi ! On va trouver quelque chose pour te changer les idées, tu vas voir.

Le sourire de l'adolescent s'étira un peu plus tandis qu'il dévisageait ses trois compagnons. Cela faisait près de deux ans, à présent, qu'ils avaient quitté le pays de Clow. Tout du moins, deux ans en ce qui les concernait, car le temps ne s'écoulait pas de la même manière dans toutes les dimensions. Deux années qui lui avaient parues plus longues qu'une décennie ; il n'avait revu Sakura qu'une seule fois et ce séjour avait été bien trop court à son goût. Malheureusement, ils dépendaient de Mokona pour voyager, et lorsque le manjuu déployait ses ailes, ils devaient se plier à sa magie. La semaine passée, ils avaient changé de dimension à cinq reprises et à chaque fois, Shaolan avait espéré, mais à chaque fois le même sentiment de déception lui avait lacéré le cœur. Mokona souffla sur ses minuscules pattes et vint se glisser sous sa cape, un peu pour se réchauffer, surtout pour le réconforter. Shaolan lui sourit.

– C'est vrai qu'il fait froid, ici …

– J'espère qu'il y a des habitants, dans ce pays, marmonna Kurogane. Et des êtres humains, pas des trucs bizarres comme ces bestioles poilues au long cou qu'on a rencontrées l'autre jour …

– Voyons, Kuro-chan, elles étaient très mignonnes, ces bébêtes !

– Mignonnes ? Elles puaient de la gueule, oui !

– Kuro-pi a raison, intervint la boule de poils, Mokona aimerait bien voir des humains.

– Allons voir par-là, proposa Shaolan en levant un doigt. On dirait que la forêt se clairsème dans cette direction.

Les quatre compagnons suivirent une pente raide en prenant garde de ne pas glisser sur le tapis de feuilles mortes détrempées qui recouvrait la terre. Ils débouchèrent sur un chemin pierreux à flanc de montagne : de là, ils dominaient une longue vallée couleur cannelle, saupoudrée d'une légère couche de neige. Logés dans le creux du vallon, des chalets de bois aux toits pentus se blottissaient les uns contre les autres. De leur position, le village paraissait tout petit, toutefois, il devait bien s'étendre sur trois kilomètres. Derrière la montagne qui dominait la bourgade, ils distinguèrent les crêtes enneigées d'une chaîne rocheuse dont les flancs se drapaient dans un brouillard fantomatique. Le ciel bas empêchait de savoir précisément quelle heure il pouvait bien être, toutefois, à la luminosité pastel des nuages Kurogane estima que le jour venait à peine de se lever.

– Il y a un village ! s'exclama Mokona. Donc, il y a forcément des habitants !

– Tu as raison, acquiesça Shaolan avec un sourire. Allons voir !

Mokona sur son épaule, l'adolescent entreprit de suivre le chemin caillouteux qui descendait vers la vallée. Kurogane s'apprêtait à lui emboîter le pas, quand il remarqua que le mage n'avait pas bougé d'un pouce. Il se retourna et vit que Fye fixait les montagnes aux sommets enneigés, au loin. Son visage était devenu aussi blême que le brouillard ambiant, comme s'il menaçait de s'y dissoudre. Une ride entre ses sourcils exprimait le doute, mais ses pupilles brillaient d'appréhension.

– Hé, le mage ! Tu comptes rester planté là longtemps ?

Fye cligna des yeux et tourna la tête vers lui : le sourire qu'il lui adressa était pâle, et s'il soutint son regard, ses yeux bleus ressemblaient soudain à deux rideaux de glace qui ne laissaient transparaître aucune émotion. Il y avait longtemps que Fye n'avait pas arboré cette expression-là, et la voir réapparaître ne plut pas du tout à Kurogane.

– J'arrive, Kuro-chan !

Le ninja grogna et se remit en marche. Fye se hâta à sa suite, en prenant toutefois garde de rester dans son dos. Au cours de la descente, il releva plusieurs fois la tête vers les montagnes : ces crêtes soulevaient dans son estomac un malaise inexplicable. Il ne les avait jamais vues, il en était presque sûr, et pourtant, tout son être éprouvait un sentiment de rejet viscéral lorsqu'il les regardait. Peu de choses étaient capables de lui tordre ainsi les boyaux : le souvenir de la mort de son jumeau, le jour où il avait compris quel monstre était devenu Ashura-O, leur dernier combat contre Fei Wang, et … non, ça ne pouvait pas être ça. Fye releva la tête vers les montagnes et son malaise s'accentua. Il secoua la tête pour dissiper cette affreuse sensation et s'obligea à mettre un pied devant l'autre.

Devant lui, Kurogane réprima un grognement. Stupide mage. Croyait-il donc qu'en se cachant derrière lui, il ne remarquerait rien ? Il n'avait pas besoin de voir son visage pour deviner qu'il était préoccupé, Fye aurait dû le savoir depuis le temps. À chaque fois que le ninja entendait son pas ralentir, il savait qu'il s'attardait pour jeter un œil en direction des montagnes. Sa démarche se faisait plus traînante, plus hésitante, ses pieds emportaient de petits gravillons du chemin. Kurogane fronça les sourcils : les intuitions de Fye se révélaient souvent justes. Si le mage était tendu, cela ne lui disait rien qui vaille.

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Malgré l'heure matinale et les températures hivernales, le village dans lequel ils pénétrèrent était en pleine effervescence. Des femmes discutaient sur le pas de leur porte tout en sermonnant des enfants qui se faisaient des grimaces dans leurs jupes, des adolescents déblayaient à grands coups de pelle métallique la neige tombée sur les routes, tandis que d'autres, un ballot de foin séché sur le dos, poussaient les gonds grinçants des étables pour nourrir des vaches qui les accueillaient avec un mugissement joyeux. Ils croisèrent des hommes chargés de sacs de bois ou de navets, et certains faisaient rouler des tonneaux devant eux, aidés par la fine couche de gel qui lissait les nids de poules. Kurogane suivit les barriques des yeux avec intérêt.

– Qu'est-ce que vous pensez qu'il y a, là-dedans ?

– Ça t'intéresse, Kuro-chan ?

– C'est pas de ma faute si on se les pèle, dans ce pays ! Un petit remontant ne nous ferait pas de mal.

À cet instant, une odeur chaude et moelleuse vint chatouiller leurs narines et faire gargouiller leur estomac.

– Mokona sent le pain !

– On dirait que ça vient de cette boutique, au coin de la rue, dit Shaolan.

– Mokona a faim !

– Oui, moi aussi, mais … on n'a pas encore d'argent de ce pays, malheureusement.

Ils remarquèrent alors un attroupement devant ce qui semblait être un haut panneau d'affichage en bois que les habitants pointaient du doigt en échangeant des commentaires exaltés. Intrigués, les voyageurs se rapprochèrent et levèrent à leur tour les yeux vers la grande affiche collée au-dessus de leurs têtes.

– Je n'arrive pas à lire ce qui est écrit, dit Shaolan.

– Moi non plus, dit Kurogane.

– Moi, si ! s'exclama Fye.

– Ah ? fit le ninja. Et alors, qu'est-ce que ça dit ?

Fye se tourna vers eux avec un grand sourire.

– Tout d'abord, je vous annonce que le village dans lequel nous avons atterri s'appelle Tirmeíth. Quant à toute cette agitation, elle s'explique par le fait qu'un grand tournoi va avoir lieu aujourd'hui, ici-même. Le panneau précise que tous les habitants du pays sont invités à y participer.

– C'est un tournoi de quoi ? demanda Shaolan.

– Un peu de tout, si j'ai bien compris : duels à mains nues, duels armés et même duels de magie.

– Ça veut dire que les habitants de ce pays pratiquent la magie ?

– Il faut croire, pour certains en tout cas. Chaque match gagné dans l'une de ces trois catégories rapporte une somme d'argent au vainqueur. Ceux qui arriveront en tête de chaque catégorie recevront, eux, un prix beaucoup plus important. Je ne connais pas la valeur des choses ici, mais le nombre de zéros me laisse supposer que c'est un joli petit pécule.

Les trois amis échangèrent un regard complice.

– Voilà un bon moyen de nous payer rapidement un repas, dit Fye en se frottant les mains.

– N'importe qui peut y participer ? dit Shaolan.

– Oui, la seule condition est d'avoir au moins quatorze ans. Qu'est-ce que tu en penses, Kuropon ?

– Ça me dit bien, j'ai besoin de me réchauffer. Et puis, ce serait bien de pouvoir se loger, j'ai pas franchement envie de dormir dehors.

– Est-ce qu'il faut s'inscrire quelque part ? demanda Shaolan.

– Selon l'affiche, il y a un guichet sur la place centrale du village. C'est là que se tiendront les duels.

Les trois compagnons prirent la direction indiquée et débouchèrent sur une vaste place circulaire entièrement pavée au milieu de laquelle avait été érigée une estrade de pierre. Des marchands ambulants avaient installé leurs échoppes et de leurs étals émanaient des effluves d'alcool, de lait chaud, de galettes de pomme-de-terres, de saucisses et de gaufres. Un jour comme celui-ci représentait une aubaine commerciale à ne pas manquer, pendant laquelle on était certain de faire des bénéfices. Entre ceux qui participeraient au tournoi et ceux venus les encourager, tout le monde finirait par avoir faim ; les ventes étaient assurées.

La queue des inscriptions ne manqua pas d'impressionner les trois compagnons car elle faisait presque le tour de la place. Shaolan soupira.

– Bon, au moins, on ne manquera pas d'adversaires …

Ils se placèrent en bout de file et une longue attente débuta. Kurogane, bras croisés, mit à profit ce temps pour observer discrètement les hommes venus se présenter à la compétition. Leur maintien, leur manière de se déplacer et leur regard en disait déjà long sur leurs aptitudes. Les trois quarts d'entre eux n'étaient que des amateurs et n'avaient sans doute aucune véritable expérience de combat, ceux-là seraient faciles à vaincre. Il en détecta cependant une petite poignée avec une aura légèrement plus puissante, qui pouvait représenter des adversaires un peu plus coriaces, mais ils n'étaient pas très nombreux. Près de lui, Fye sourit :

– Oui, il n'y a pas beaucoup de gens dangereux, dans cette queue.

– Tant mieux, j'ai la dalle.

– Ça va être du gâteau.

– Arrête de parler de bouffe.

– Je croyais que tu n'aimais pas le sucré ?

– C'est pas une raison.

Après une heure à poireauter dans la file interminable, ils arrivèrent enfin au guichet. L'homme qui tenait le registre avait la peau ridée et des yeux d'un noir éclatant. Il avait dû être fort, jadis ; peut-être avait-il même participé à la compétition par le passé. Mais aujourd'hui, ses muscles avaient fondus, son dos s'était voûté, et sa participation au tournoi se réduisait à l'enregistrement des nouveaux participants. Shaolan s'inscrivit le premier : à la grande surprise de ses compagnons, il choisit la catégorie combat à mains nues.

– Tu ne voulais pas t'inscrire en duel armé ? s'étonna Fye. Pourtant, tu as encore progressé à l'épée ces derniers temps …

– Tu aurais même pu combattre en duel magique, ajouta Kurogane. Vu que tu es le descendant de ce magicien, Clow, là, tu en as largement les capacités.

– Je ne maîtrise pas encore correctement la magie, et je suis loin d'avoir la puissance de Clow. À ce niveau-là, Watanuki me surpasse largement. Mais surtout …

L'adolescent releva la tête vers ses deux amis.

– Je ne tiens pas à me battre contre l'un de vous. Je sais que vous allez vous inscrire en duel armé et en duel magique, alors je pense que le combat à mains nues est ce qui me conviendra le mieux.

Ses deux compagnons le dévisagèrent et sourirent : ils avaient été idiots de ne pas y penser. Vu le peu de concurrents réellement qualifiés, s'ils s'inscrivaient dans une même catégorie, il était presque inévitable qu'ils doivent à un moment ou à un autre s'affronter.

– Et puis, ajouta Shaolan, il y a quelqu'un contre qui j'aimerais bien me battre.

Il se retourna et ses amis suivirent son regard. À un peu à l'écart de la queue, un jeune homme de son âge discutait de manière animée avec un groupe d'hommes, levant un poing pour appuyer ses propos. Un bandeau blanc ceignait son front sur lequel retombaient des cheveux châtains en désordre. Ses yeux verts pétillaient d'un désir d'en découdre et d'une hardiesse presque téméraire.

– Je vois, fit Fye, avec un sourire. Tu veux te mesurer au Ryu-Ô de ce monde …

– J'ai vu qu'il s'était inscrit en catégorie main nues. Mon autre moi s'entendait très bien avec lui, alors j'aimerais voir si le courant pourrait passer entre nous aussi.

L'homme au comptoir les informa que la compétition commencerait par les combats à mains nues, qui comprenait le plus d'inscrits, et qui s'étalerait sur toute la matinée. Les duels armés occuperaient quant à eux le début de l'après-midi, et les duels magiques, la fin.

– Si je comprends bien, Kuro-chan, on va devoir patienter !

– Ouais, et ça m'agace, j'ai horreur d'attendre.

– Shaolan-kun, ça va être à toi de démarrer. Le tournoi commence dans un quart d'heure.

– Oui.

Peu à peu, la place se remplit d'une foule bruyante et joyeuse. Un périmètre de sécurité avait été établi tout autour de l'estrade avec des barrières en bois, afin d'éviter que les spectateurs ne soient blessés si certains concurrents sortaient du ring. Pour réchauffer l'atmosphère, les habitants allumèrent quelques feux à même le pavé, à différents endroits de la place. L'odeur de fumée vint se mêler à celle, alléchante, de la nourriture des étalages.

Un petit homme âgé, peut-être un édile local monta sur l'estrade et inaugura le tournoi d'un discours de circonstance.

Puis, les deux premiers combattants de la catégorie furent invités à se présenter. L'arbitre expliqua brièvement les règles, que tous semblaient déjà connaître. Il ne s'agissait pas de duels à mort : il était donc formellement interdit d'achever son adversaire.

– Dommage, fit Kurogane.

La défaite de l'un des deux participants était prononcée dans l'un des trois cas suivants : si l'un des deux hommes n'avait plus la force de combattre ; s'il sortait du ring ; s'il admettait de lui-même sa défaite. La foule, massée autour du ring, trépignait d'impatience. L'arbitre demanda aux deux premiers adversaires de se mettre en garde. Puis, il leva un bras, et d'un geste sec, l'abaissa. Les deux hommes s'adressèrent un sourire carnassier, puis chargèrent. Le combat ne dura que quelques minutes : l'homme de droite, un colosse à la tignasse de porc-épic et au cou de taureau, mit rapidement l'autre hors-jeu. Trois duels d'une longueur similaire s'ensuivirent, tous remportés par le même homme. Soudain, l'arbitre appela Shaolan. L'adolescent échangea un regard avec ses amis.

– J'y vais.

– Bonne chance, Shaolan-kun !

– Ne te déconcentre pas, l'avertit Kuorgane, même si tu penses que ton adversaire est moins fort que toi.

– Oui.

– Mokona va encourager Shaolan ! Pyuuu !

L'adolescent retira son manteau et le laissa à ses compagnons, qui s'accoudèrent à l'une des barrières de sécurité. Puis, d'un pas ferme, il monta sur l'estrade et se plaça face au géant qui avait écrasé tous ses adversaires. Même s'il avait un peu grandi ces derniers temps, Shaolan semblait encore bien frêle face à cet homme. La foule frémit de pitié pour ce pauvre jeune homme qui allait vite se retrouver à terre. Shaolan, lui, ne prêtait guère attention aux réactions de la foule ; toute son attention se concentrait sur son concurrent, afin d'évaluer ses forces et ses faiblesses. L'homme, fermement campé sur ses pieds, avait des mollets qui devaient faire trois fois la taille des siens, sans parler de ses bras de bûcheron et de sa tête, énorme, qui pouvait sans doute briser une mâchoire. Shaolan fronça les sourcils : cet opposant était fort, à n'en pas douter. Pour le moment, il ne décelait pas encore de faille dans son armure de muscles ; pour cela, il avait besoin de le voir en mouvement. L'arbitre abaissa son bras.

L'homme chargea, ses deux bras écartés pour les refermer sur lui et le réduire en bouillie. Shaolan bondit et évita l'assaut, se réceptionna puis leva une jambe pour le frapper au niveau de la nuque. L'homme se retourna aussi vite que l'éclair et attrapa sa jambe au vol. Shaolan grimaça : en plus d'être fort, l'homme était rapide. Sa poigne puissante pouvait sans doute lui casser la jambe sans le moindre effort. Il fallait qu'il se dégage de là, et vite : en force pure, il n'était pas de taille, il devait donc retourner l'énergie de son adversaire contre lui. Aussi, au lieu de chercher à se libérer, il saisit l'homme par le col et se laissa partir en arrière. Emporté par son propre poids, l'homme lâcha prise sur son mollet et bascula par-dessus lui. Il s'écroula lourdement sur la pierre et toute la place trembla. Shaolan se redressa d'un bond et recula de plusieurs mètres, poings levés et garde fermée. Il avait trouvé le point faible de son concurrent ! Sa tête, légèrement disproportionnée, déséquilibrait son axe de gravité : s'il réussissait à lui faire perdre pied, il pourrait le projeter hors du ring. L'homme s'était relevé en grognant, une bosse à la tête et les cheveux empoissés de sang. Il esquissa un sourire mauvais.

– Pas mal petit, pas mal …

Il fonça de nouveau vers lui, poing droit tendu. Shaolan voulut attraper son bras, mais au dernier moment, l'homme le replia. Zut, c'était une ruse ! De sa jambe musclée, son adversaire lui fit un croche-pied et il s'effondra. L'homme s'apprêtait à le frapper à nouveau, mais Shaolan roula sur le côté et se releva. Bon sang, il s'était fait avoir … l'homme n'était pas aussi bête qu'il l'avait cru, finalement. Mais cela ne changeait rien, il devait le déséquilibrer afin de prendre l'avantage sur lui. Son opposant reprit l'assaut et déchaîna sur lui une pluie de coups qui le contraignit à privilégier la défense pour ne pas être éjecté en dehors de l'estrade. Tandis qu'il résistait, bras croisés, une idée traversa son esprit : mais oui, bien-sûr ! Il savait comment piéger son ennemi. Il continua de reculer sous ses coups, se rapprocha de plus en plus du bord du ring. Il voyait le sourire de son adversaire s'élargir ; sans doute pensait-il que sa victoire était acquise. Quand Shaolan ne fut plus qu'à quelques centimètres de l'estrade, l'homme leva un poing pour lui asséner le coup final. À cet instant, Shaolan décroisa les bras et sauta. Il appuya ses deux mains sur les épaules du colosse et ses jambes passèrent au-dessus de lui. Au moment où il retombait, il se cambra et ses pieds frappèrent violemment le dos de son adversaire. Projeté tête la première, l'homme perdit pied et bascula en avant. Sans aucune prise pour se retenir, il s'effondra au bas de l'estrade en faisant trembler tout le pavé de la place. Shaolan se réceptionna souplement et se redressa, le souffle court. Il se rendit alors compte que toute la foule s'était tue, sidérée par ce renversement de situation. Pas un bruit ne troublait la brise d'hiver, hormis le crépitement des saucisses sur le grill des échoppes et les feux de joie aux quatre coins de la place. Soudain, une voix qu'il connaissait bien rompit la stupéfaction générale :

– Hyuuu, Shaolan ! Ça, c'était bien vu !

Assis sur la rambarde comme s'il assistait à une séance de théâtre, Fye applaudissait avec énergie. Sa réaction fit sortir la foule de sa torpeur et tous acclamèrent le vainqueur. Shaolan rougit, mal à l'aise devant tant de ferveur ; il ne fallait pas qu'il ne relâche. Il avait remporté une première manche, mais il devait accumuler d'autres victoires s'il voulait remporter une somme d'argent convenable. L'arbitre mit fin au match et le combattant suivant monta sur l'estrade. L'adolescent se remit en position.

Il gagna les huit duels qui suivirent sans trop de difficultés ; les hommes qui lui firent face étaient beaucoup moins coriaces que le premier. Quand il vit le visage de son dixième adversaire, Shaolan sentit un regain d'énergie l'envahir : Ryu-Ô ! S'il s'était accroché jusque-là, outre la récompense, c'était parce qu'il désirait l'affronter. Ce dernier lui adressa un sourire de défi.

– Alors comme ça, il semblerait que tu sois fort … ça tombe bien, ça faisait un moment que je m'étais pas battu à fond !

Shaolan sourit : le Ryu-Ô du monde d'Oto avait dit exactement la même chose à son clone. Son adversaire leva ses poings et attaqua avec fougue. Le duel dura plus d'un quart d'heure : les forces des deux adolescents étaient équilibrées, ils passaient tous les deux habilement de l'attaque à la défense et ils se déplaçaient à une vitesse comparable. La seule différence résidait dans leur technique d'attaque : Shaolan se servait surtout de ses jambes, tandis que Ryu-Ô faisait davantage confiance à ses poings. Cependant, Shaolan fatiguait : il avait mené beaucoup plus de duels que Ryu-Ô et sa force s'en ressentait. Il tenta d'acculer le jeune homme au bord de l'estrade, comme il l'avait fait avec son premier opposant. Alors qu'il s'apprêtait à le mettre hors-jeu, une pierre se détacha soudain de l'estrade et Ryu-Ô bascula avant qu'il ne puisse le frapper. Les yeux de Shaolan s'écarquillèrent, il s'élança et rattrapa le bras du jeune homme juste à temps. La stupeur se peignit sur les traits de Ryu-Ô : ce gars … venait de lui sauver la mise ? Shaolan tira de toutes ses forces et le ramena sur l'arène. À cet instant, il sentit des pierres glisser à son tour sous ses pieds et il chavira. Ryu-Ô réagit trop tard et ne put pas le retenir : Shaolan atterrit bas de l'estrade sans trop de mal. Il releva la tête vers le ring et vit que Ryu-Ô le dévisageait, bouche bée.

– Pourquoi tu m'as aidé ? Si j'étais tombé, tu aurais gagné !

– Ça n'aurait pas été une victoire honnête, répondit Shaolan en se relevant. C'est parce que cette pierre s'est désagrégée que tu es tombé, et non à cause de mon coup.

– Mais toi aussi, tu viens de tomber à cause d'une pierre !

Shaolan haussa les épaules avec un sourire.

– Ce n'est pas grave. J'ai déjà remporté pas mal de victoires. Tu dois avoir envie de te mesurer à d'autres combattants, non ?

– Tu veux dire … que tu as fait exprès de ne pas te retenir ?

Il vit que l'adolescent le fixait sans répondre, un sourire étira les lèvres de Ryu-Ô.

– Tu sais que t'es un peu trop gentil comme gars, toi ? Tu me plais bien !

Shaolan sourit en entendant ces mots, et se rappela la course de Dragonfly.

– Hé, dis ! Comment tu t'appelles ?

– Shaolan !

– Moi, c'est Ryu-Ô ! Je fais mordre la poussière à tous les concurrents de la catégorie mains nues, et après, je t'offre à manger ! Ça te va ?

– Ça me va !

Shaolan se redressa et rejoignit ses amis, un sourire sur les lèvres.

– Ryu-Ô est vraiment pareil, quelle que soit la dimension où on le rencontre.

– Tu es content de l'avoir laissé gagner, alors ? lui demanda Fye.

– Oui. En tout cas, on va pouvoir bien manger ce midi, vu l'argent que j'ai gagné. Même si je ne suis pas le vainqueur de la catégorie, j'ai tout de même remporté neuf victoires. Et puis, Ryu-Ô m'a dit qu'il me payait mon repas.

– Tu entends ça, Kuro-chan ? On ne sera pas obligés de se battre le ventre vide !

– Ouais, c'est une bonne nouvelle.

La matinée s'acheva sans que la lumière du ciel blanc et immobile n'ait permis de deviner le passage des heures. Fidèle à sa promesse, Ryu-Ô termina vainqueur de la catégorie mains nues et reçut 20 000 argeads, nom de la monnaie locale. Il ne tarda pas à retrouver Shaolan, qui lui présenta ses compagnons de voyage. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'il découvrit Mokona et il demanda, perplexe :

– Mais … t'es quoi au juste ?

– Mokona, c'est Mokona !

– Euh … t'es une créature magique, pas vrai ? À quoi tu sers ?

– On se le demande, ricana Kurogane. À part à manger à tous les râteliers …

– Pyuuu ! Kurogane est méchant ! Mokona est très utile !

– C'est vrai, acquiesça Shaolan. Sans lui, on ne pourrait pas voyager comme on le fait.

– À ce point-là ? s'étonna Ryu-Ô.

– Eh bien … oui, acquiesça l'adolescent avec un sourire mystérieux.

– Bon, on peut aller manger, maintenant ? ronchonna Kurogane.

– Oh, Kuro-toutou a les crocs, dépêchons-nous ! rit Fye.

Ils achetèrent des galettes de pommes-de-terre et des saucisses à un marchand ambulant. L'odeur de viande grillée chatouillait les narines de Mokona, tandis que Fye demanda :

– Auriez-vous aussi quelque chose à boire ?

– Vous voulez du vin chaud ?

– Du vin chaud ? répéta Kurogane, surpris.

Le marchand souleva le couvercle d'une lourde marmite suspendue au-dessus des braises. Kurogane s'approcha, dubitatif. Un liquide bordeaux et bouillonnant aux effluves d'épices et d'orange embauma l'air. Hum, ça sentait bon. Finalement, ce n'était peut-être pas mauvais, comme breuvage.

– Tu peux y aller Kuro-chan, ça va te plaire !

– Tu connais ?

– Oui, à Sélès on en buvait. Quand il fait froid, c'est un breuvage très agréable.

– Ok. Tu en veux ?

– Évidemment, voyons !

– Bon, alors deux verres, s'il vous plaît.

– Trois ! s'exclama Mokona en sautant sur l'épaule du ninja. Mokona veut goûter, lui aussi.

– T'es vraiment qu'un pochtron, manjuu.

– Pyuuu, Kurogane peut parler !

– Mettez quatre verres ! ajouta Ryu-Ô en tendant de la monnaie. Et toi, Shaolan, tu n'en veux pas ?

– Euh … je ne tiens pas très bien l'alcool, alors je préfère éviter.

– Ha ha ! Mais tu sais, tu n'as plus à te battre, la compétition est finie pour toi. Tu ne veux pas essayer ?

– Eh bien, pourquoi p… non, non, vraiment, sans façon.

– Ha, ha, t'es vraiment trop sérieux, comme type !

Ils allèrent s'asseoir sur un muret et dégustèrent leur repas. La chaleur des aliments et du vin leur procura une douce sensation de réconfort et apaisa les bruyants gargouillis de leur estomac. Shaolan avait remporté 900 argeads pour ses combats ; chaque victoire rapportait donc 100 argeads. Le prix de leur repas (3 argeads chacun, en comptant le vin) leur suffit à comprendre qu'ils étaient riches, et que même si Fye et Kurogane ne pas participaient au tournoi, ils n'auraient eu aucun mal à trouver un logement avec de telles économies. Néanmoins, ils s'étaient inscrits, et la perspective d'une bonne bagarre enthousiasmait trop Kurogane pour qu'il y renonce.

Aussi, lorsque la compétition reprit et que son nom fut appelé pour ouvrir le bal des hostilités, le ninja se leva, fit jaillir Sôhi de sa main droite sous les yeux ébahis de Ryu-Ô et se dirigea d'un pas ferme vers l'estrade, un sourire de chasseur sur les lèvres. Hélas, le gibier se révéla désolant. Le premier adversaire qu'il affronta tenait mal la garde son épée ; ce ne fut pas bien compliqué de le désarmer et de l'assommer d'un coup de poing à la tempe. Le second s'avéra tout aussi lamentable. Son aura était extrêmement faible et il était incapable de transmettre de l'énergie à son arme pour augmenter la portée de son coup : il fut à terre en quelques secondes. À ce train-là, le ninja songea qu'il n'aurait besoin d'utiliser aucune de ses attaques spéciales. Le suivant tenta de l'impressionner avec sa masse d'arme, qu'il faisait tournoyer au bout d'une chaîne, mais Kurogane eut tôt fait de lui envoyer un coup de pied dans le bras, lui faisant lâcher son arme, et l'envoya valser hors du ring. Enfin, des adversaires un peu plus expérimentés se présentèrent. Plus habiles, un peu plus âgés que les crâneurs qu'il avait affrontés jusqu'à présent, trois d'entre eux avaient un excellent jeu de jambe. Mais il manquait de la souplesse au premier, de la rapidité au second et de la puissance au dernier. Kurogane repéra rapidement ces défauts et sut les utiliser à son avantage. Trois autres concurrents se succédèrent, adroits, mais pas assez face aux aptitudes du ninja qui avait passé des années à s'entraîner. Shaolan et Ryu-Ô s'étaient accoudés à l'une des barrières et suivaient le combat d'un œil attentif. Shaolan sourit : il ne cesserait jamais d'admirer la technique de celui qui avait enseigné l'art du sabre à son clone, et grâce auquel il savait, lui aussi, manier une lame. Ryu-Ô, qui s'était d'abord moqué du faible niveau des épéistes, voyait à présent que même les plus chevronnés ne faisaient pas long feu face à Kurogane. Sa sidération croissait à chaque nouvelle victoire du ninja, car les combats ne duraient jamais plus de cinq minutes.

Fye revint à cet instant avec deux cornets d'oublies dans chaque main. Il en garda un pour lui, en tendit un autre à Shaolan, un autre à Ryu-Ô, et enfin un à Mokona. Tout en s'appuyant à la barrière, il porta un morceau de gaufre à sa bouche et sourit :

– Kuropon s'ennuie.

– Il est incroyable, votre pote ! s'exclama Ryu-Ô. Cela ne fait même pas une heure que les duels armés ont commencé et il a déjà mis à terre plus de quinze participants.

– Oh, et encore, ça c'est rien. Il aurait pu être plus rapide, s'il l'avait voulu.

– À ce rythme-là, ils vont être obligés d'avancer l'heure de début des duels magiques.

– Hum … ça ne serait pas pour me déplaire. Moi aussi, j'ai besoin d'un peu de sport …

Le vingt-septième combattant s'écrasa au bas de l'estrade avec un bruit sourd.

– Suivant ! s'exclama Kurogane.

– Hyuuu, Kuro-chan, quel frimeur ! lança Fye bien fort pour que tout le monde l'entende.

– Ta gueule, le mage !

Un homme de la carrure du ninja monta alors sur le ring. Tout comme lui, il portait un sabre, maîtrisait bien son qi, semblait bien entraîné et rapide. Le duel fut plus acharné et pour la première fois depuis le début de la compétition Kurogane dut renforcer ses techniques de défense. L'homme savait manier son sabre et visait des points sensibles, pas assez pour le tuer, mais assez pour le déstabiliser et le jeter hors de l'estrade. Il para ses coups, puis attaqua à son tour pour reprendre l'avantage. Les frappes qui s'enchaînèrent étaient serrées, mais finalement, le ninja parvint à frapper l'homme au tibia, puis au genou, achevant de lui faire perdre l'équilibre. L'homme s'effondra et la lame du ninja, éclatante, se posa sur sa gorge.

– C'est terminé ! cria l'arbitre. Victoire de Kurogane ! Les combats armés s'achèvent !

Kurogane sourit, même s'il savait qu'il n'avait remporté que des victoires faciles. Ses adversaires n'étaient pas de taille et il ressentait une légère frustration de n'avoir pas pu se défouler comme il l'entendait. Mais bon, il ne pouvait pas reprocher à ces hommes d'être moins forts que lui. Il revint vers ses compagnons, un sac d'argeads sous le bras.

– Eh bien, Kuro-myu, ça n'a pas traîné ! dit Fye avec un sourire.

– Vous étiez impressionnant ! le complimenta Ryu-Ô.

– Bof, tu sais, ils n'étaient pas très coriaces …

– 2800 argeads, plus une prime de 1000 argeads parce que tu as remporté tous les matchs, compta Shaolan, admiratif. On va bientôt avoir plus d'argent qu'on en a besoin …

– Vous êtes sûrs que vous voulez que j'y aille ? demanda Fye.

Il avait posé sa question d'une voix traînante, exprès pour faire sortir Kurogane de ses gonds ; cela ne rata pas.

– Oh que oui ! s'exclama le ninja avec une lueur menaçante dans les yeux. Tu n'as fait que t'empiffrer de sucreries jusqu'à présent, espèce de flemmard ! Alors maintenant, bosse un peu, toi aussi !

Le mage lui adressa un grand sourire. C'était tellement facile !

– Très bien, très bien, j'y vais !

Au même moment, l'arbitre annonça le début des duels magiques et appela le nom de Fye. Tout guilleret, le mage se précipita vers l'estrade comme un enfant qu'on aurait invité à essayer un nouveau jeu. Kurogane secoua la tête, exaspéré :

– Mais quel pitre …

Il vit le blond se mettre en position face à son premier adversaire. Il se tenait nonchalamment, sans la moindre peur dans les yeux. Pourtant, celui qui lui faisait face était bien plus âgé et plus costaud que lui. Mais en magie, la condition physique n'est pas la seule clé pour réussir. La dextérité, la créativité et la rapidité jouent tout autant ; Kurogane ricana.

– Dommage pour eux qu'ils aient appelés Fye dès le premier combat …

– Pourquoi ? s'étonna Ryu-Ô. Lui aussi, il est aussi fort que vous ?

Kurogane sourit intérieurement. Aussi fort ? Non, le mage était probablement bien plus fort que lui. Enfin, c'est ce qu'il supposait puisqu'il n'avait jamais pu le vérifier : Fye se dérobait toujours comme une anguille dès qu'il lui proposait un véritable duel. Néanmoins, au cours des différents combats qu'il avait menés à ses côtés, il avait pu constater que le magicien n'avait rien à lui envier sur le plan physique : s'il n'avait pas autant de force que lui, sa rapidité, son agilité et sa précision compensaient largement. Quant à ses pouvoirs magiques, il n'en avait eu que de brefs aperçus, lors de leur bataille contre Ashura, puis contre Fei Wang Reed, et à l'occasion de petites démonstrations qu'il leur avait faites. Cependant, ils ne s'étaient pas retrouvés dans des situations suffisamment périlleuses depuis qu'ils avaient repris leur voyage pour que le mage ait besoin de recourir à toute sa puissance. L'étendue de ses pouvoirs demeurait donc encore un grand mystère pour le ninja, et même si Fye avait donné la moitié de sa magie à la Sorcière des Dimensions pour payer son bras artificiel, Kurogane était persuadé qu'il restait très puissant. Il aurait donné cher pour voir ce dont il était capable lorsqu'il se donnait à fond et il devinait que ce qu'il avait vu des sortilèges du blond ne représentait qu'un quart (non, que disait-il, un dixième) de ce qu'il pouvait réellement faire. Cette simple pensée était en soi effrayante et exaltante, et lui donnait encore plus envie de le défier. Le regard de ninja revint à l'estrade des duels et il émit un petit ricanement. Pauvres petits magiciens ; ils n'avaient aucune chance.

L'homme qui se tenait face à Fye le toisait avec un sourire méprisant : ce frêle blondinet ne pourrait pas lui tenir tête bien longtemps. Pourtant, il ne semblait pas s'inquiéter de l'issue du combat et l'observait d'un œil désinvolte, un sourire tranquille sur le visage, les mains croisées dans le dos. L'homme décida qu'il était temps d'ouvrir le feu.

Il leva ses paumes vers le ciel et un sortilège orangé en jaillit en sifflant. Des langues de feu s'enroulèrent sur elles-mêmes et fusèrent vers Fye comme des serpents. En une fraction de secondes, le mage changea radicalement d'expression : toute léthargie envolée de son visage, une lueur de fauve dans ses pupilles claires, il tendit les bras à une vitesse stupéfiante et déplia les doigts : les lettres mauves d'un sortilège s'en échappèrent en grésillant, s'unirent devant lui et formèrent un bouclier protecteur. Son adversaire comprit – trop tard – qu'il s'était fait avoir. Pendant qu'il croyait que le blond l'observait distraitement, il traçait déjà des runes dans son dos et avait gardé le sortilège caché dans ses paumes, attendant patiemment qu'il lance le premier assaut. Avant même qu'il n'attaque, l'autre avait déjà une longueur d'avance sur lui. Toutes ces pensées fugitives traversèrent son esprit tandis que son sortilège courait vers le bouclier mauve, ricochait dessus et lui revenait en pleine figure sans qu'il n'ait le temps de se protéger. Il fut projeté hors de l'estrade et alla s'écraser dix mètres plus loin, provoquant les cris de la foule qui s'ouvrit en un sillon pour éviter de se faire écraser. Tous les yeux se tournèrent vers Fye et des murmures parcoururent les l'assemblée : le combat n'avait même pas duré deux minutes. Kurogane sourit : à ce rythme-là, le mage expédierait encore plus vite ses adversaires que lui.

Un autre participant monta sur l'estrade, plus petit, au regard vif. Kurogane se dit qu'il devait être de ceux qui réfléchissent avant de parler. Celui-là n'attaquerait pas en force : il avait tiré les leçons de son prédécesseur et prit soin d'entourer son corps d'un bouclier avant d'agir. Puis, il tenta une feinte en lançant un sortilège sur la gauche de Fye pour détourner son attention, tout en le contournant pour l'attaquer par derrière. Mais le subterfuge ne prit pas : Fye s'était cambré et avait souplement évité le sort, puis passa la main droite derrière son dos et riposta en direction de son assaillant. L'homme fut propulsé en dehors du ring avec la même force que le premier. Les adversaires s'enchaînèrent ainsi, tombant comme des mouches après seulement quelques minutes de combat. Certains essayaient de nouvelles techniques, de nouveaux pièges, mais cela ne marchait jamais, et parfois, ils se faisaient même prendre à leur propre jeu. Peu à peu, Kurogane entendit des spectateurs prendre des paris dans son dos. Sans rire, ils misaient sur le mage ? Bah, au fond, ils avaient raison. Avait-on parié sur lui, lorsqu'il se battait en duel armé ? Cette pensée le laissa songeur. À cet instant, le trentième participant fut éjecté hors du ring et Fye se redressa avec un sourire rayonnant : il semblait bien s'amuser. Kurogane secoua la tête :

– Et après, c'est moi qui frime … non mais, qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre !

Shaolan sourit. Il ne resterait bientôt plus de combattants en duel magique ; ils pourraient enfin trouver un logement et prendre un peu de repos. L'arbitre appela alors le dernier magicien à se présenter. Quand celui-ci gravit les marches de l'estrade, Shaolan se figea.