Chapitre 1 : Manipulations et déchéance
Ses talons hauts claquaient sur le sol du hall de sa société. Elle jeta une salutation rapide à la standardiste, qui se rembrunit dans son siège, et attrapa sa tasse de café, toujours prête lorsqu'elle faisait son entrée dans ses bureaux. Regina Mills était respectée, mais surtout crainte par ses subordonnés. Elle était considérée comme la reine des abeilles, et tenait les rênes de sa société d'une main de fer dans un gant de velours. Elle était fière de sa réussite, et ne se privait pas pour le montrer. Elle savait être reconnaissante pour le travail fourni par ses équipes, mais elle pouvait aussi châtier les salariés décevants. Elle régnait en maîtresse incontestée et incontestable sur son domaine, et ne tolérait qu'à petite dose le conseil d'administration, qui l'avait enjointe à se présenter devant eux, ce matin-là. Elle s'observa dans le miroir, consciente que chaque geste, chaque défaut serait passé au crible de ces messieurs libidineux. Elle ne pouvait se laisser aller devant cette bande de vautours, et réajusta un pli sur sa jupe crayon, afin de se donner une contenance. Sa beauté en désarçonnait plus d'un, mais elle refusait d'en jouer. Elle avait une tête bien remplie et préférait mettre ses adversaires échec et mat par son intellect. Elle sortit de son antre et se dirigea vers la grande salle de réunion, où le silence se fit à son arrivée. Elle les contempla, un sourcil arqué, pressentant que cette réunion serait désagréable à subir. Elle leur jeta un regard noir, avant de s'installer au bout de la grande table, comme à son habitude. Elle hocha légèrement la tête, pour les saluer, et patienta. Elle ne comptait pas leur faciliter la tâche.
À l'autre bout de la table, le vice-président du groupe prit la parole, un air suffisant sur son visage bouffi.
- Regina, ma chère, nous vous avons convié ici, afin d'éclaircir un point crucial.
- Je vous écoute.
- Que pouvez-vous nous dire du dossier Storybrook ?
- Storybrook ? Je n'en ai guère de souvenirs… Il s'agit d'un investissement dans une conserverie de poissons, si je ne m'abuse.
- Tout à fait, quelle mémoire exceptionnelle. Mais alors, pourriez-vous nous expliquer pourquoi rien n'a été fait et que la conserverie en question avait déjà fait faillite, à l'époque du déblocage des fonds ?
- Pardon ?
- Votre signature est présente sur toutes les décisions de ce dossier. Pourriez-vous nous expliquer ce que cela signifie ?
Regina fronça les sourcils, sentant le piège se refermer sur elle. Elle n'avait pas été conviée à cette réunion, mais plutôt sommée d'y participer. Il s'agissait en vérité de sa mise à mort. Le conseil d'administration souhaitait placer à la tête du groupe un homme de paille, et cherchait depuis quelques semaines un argument suffisamment solide, afin de l'évincer purement et simplement. Elle grinça des dents, mais ne se départit pas de son masque de froideur, alors que ces couards attendaient qu'elle bégaie et disparaisse, afin de laisser la place à son successeur. C'était bien mal connaître Regina Mills.
- Je vais étudier tout cela, car je n'ai pas souvenance d'une telle irrégularité. Mais je ne puis en discuter ainsi, à brûle-pourpoint. Ce dossier remonte à plus d'un an, peut-être même deux. Il est étonnant qu'il ne ressorte que maintenant. Le service comptabilité l'avait-il égaré ?
La meilleure défense était encore l'attaque, et elle n'allait certainement pas montrer une once de pitié pour les incapables qui lui avaient probablement fait perdre de l'argent et sa réputation. Un sourire mauvais se dessina sur le visage de l'homme assis en face d'elle.
- Hé bien, vous en discuterez avec la brigade financière.
- Vous avez appelé la police, avant même de comprendre ce qu'il s'était produit en interne ? C'est quelque peu… Cavalier…
- Tous les documents portent votre nom, et votre signature. Nous ne voudrions pas que la société soit éclaboussée, alors que vous êtes seule responsable de ce fiasco.
- Ne croyez-vous pas mettre la charrue avant les bœufs ?
- Nullement. Aujourd'hui, il faut être irréprochable, sinon les médias ont tôt fait de vous écharper.
- Et la présomption d'innocence ? Ça vous parle ?
- Votre éloquence ne vous servira guère ici. Vous devriez prendre un congé, pour quelque temps…
- Je vois. Ne comptez pas sur moi, pour vous obéir, tel un bon toutou.
- Nous nous doutions de votre réaction. Aussi, la brigade financière est déjà dans nos locaux, à saisir tous vos dossiers, et ils vont venir ici pour vous auditionner… Au poste de police, cela va sans dire.
Le masque de Regina se fendilla, mais elle sut garder sa dignité. Elle vit du coin de l'œil des hommes en uniforme s'emparer de caisses d'archives, et elle soupira d'agacement. Lorsque la porte de la salle de réunion s'ouvrit et que son nom fut prononcé, elle se leva, afin d'accompagner les policiers. Il était inutile de créer un esclandre, en présence de ces vieux serpents. Elle ne leur accorda pas un regard, et passa dans son bureau récupérer son manteau et son sac. Elle accompagna les policiers et descendit par l'ascenseur. Elle ne leur ferait pas le plaisir de ployer sous le poids des responsabilités. Néanmoins, alors qu'elle montait à l'arrière du véhicule banalisé, elle s'inquiéta de ce dossier, dont elle n'avait guère de souvenirs. Les prochaines heures seraient probablement très pénibles.
Elle fut accompagnée dans une petite salle d'interrogatoire et laissée seule pendant presque une heure, avant de voir âme qui vive. L'homme s'assit en face d'elle, un dossier épais entre les mains.
- Madame Mills, vous êtes soupçonnée de malversations et de blanchiment d'argent.
- Rien que ça ? J'ai peut-être aussi tué la mère de Bambi ?
- Ne prenez pas ce ton avec moi, ça ne fait qu'aggraver votre cas.
- Inutile de faire votre gros dur avec moi, ça ne fonctionne pas, cela m'agace, rien de plus.
- Répondez à mes questions, dans ce cas. Mais n'oubliez pas, vous n'êtes pas au-dessus des lois, même si vous êtes la présidente de la plus grosse société immobilière de la ville.
- Vous n'avez posé aucune question.
Le policier sentit la moutarde lui monter au nez. Il ouvrit violemment le dossier et étala divers documents sur la table, portant tous la signature de la brune.
- Alors, expliquez-moi ça !
- Je ne parlerai qu'à mon avocat.
- Ben voyons. Vous aggravez votre cas.
- Vous me considérez comme coupable, alors que je n'ai pas prononcé un mot. Je me moque de ce que vous pensez. Je veux mon avocat.
Le policier se redressa, et sortit de la pièce, sous le regard noir de Regina. Maître Gold saurait la sortir de ce mauvais pas, et annuler toute la procédure à son encontre. Après encore une heure et demie à attendre le bon vouloir de ses hôtes, elle vit son avocat arriver.
- Maître Gold, enfin, je ne vous attendais plus.
- Madame Mills, j'ai fait au plus vite.
- Trêve de bavardage, je sors quand de cet endroit putride ?
- Pas tout de suite, j'en ai peur. J'ai rapidement parcouru le dossier, et ils ont beaucoup de preuves à charge contre vous.
- C'est une plaisanterie ?
- Non. Je vous conseille de vous montrer magnanime, et de coopérer.
- Ne comptez pas là-dessus.
- Madame Mills, ils peuvent vous nuire.
- Je sors quand ?
- Je m'en occupe tout de suite.
Gold fit une fois de plus des miracles, et parvint à la faire sortir du commissariat deux heures plus tard, avec interdiction de quitter la ville. Lorsqu'elle respira l'air pollué de la ville, elle soupira d'aise. Elle vérifia l'heure et vit que son fils devait avoir fini sa journée d'école. Aussi, héla-t-elle un taxi et rentra directement.
Elle trouva Henri assis à la table de la salle à manger, en train de siroter un jus d'orange, tout en faisant ses devoirs. Elle s'approcha de lui et déposa un baiser sur son front, avant de passer une main dans sa chevelure brune.
- Tu as passé une bonne journée, Henri ?
- Oui, j'ai obtenu une bonne note en histoire.
- C'est très bien, je suis fière de toi. Tu as goûté ?
- Non, mais j'ai pris un jus d'orange.
- Alors, que dirais-tu si je te cuisinais les lasagnes dont tu raffoles tant ?
Le petit lâcha des yeux son livre et regarda sa mère, interloqué.
- Vrai ? Tu vas les préparer exprès pour moi ?
- Bien sûr. Alors, qu'en dis-tu ?
- Oui ! Merci maman !
- Je te laisse, si tu as besoin de moi, je suis à côté.
- Je vais continuer mes devoirs.
Regina tourna les talons et se mit aux fourneaux. Heureusement que son enfant était présent dans sa vie. Henri avait sept ans et était particulièrement éveillé pour son âge. Elle avait veillé à ce que son éducation soit parfaite, et il adorait sa mère. Elle souffla enfin pour la première fois de la journée. Elle prit un peu de temps pour elle et se servit un verre de cidre brut, afin de chasser les tensions accumulées par cette affaire stupide. Ils dînèrent tous les deux et se régalèrent, puis Regina autorisa un épisode de dessin animé à son fils, avant de lui lire un chapitre de son livre de chevet. Elle ne dérogeait jamais à cette règle, et l'enfant adorait ce moment privilégié partagé avec sa mère. Après tout, ils étaient seuls au monde. Sa mère esquivait toute discussion sur sa famille, et elle avait fait appel à un donneur anonyme pour son insémination. Ils ne comptaient donc que l'un sur l'autre et faisaient toujours front ensemble.
Le lendemain, elle mit un tailleur pantalon strict, et embrassa son fils, lorsqu'elle le déposa à l'école.
- C'est la nounou qui passera te prendre à l'école aujourd'hui.
- Comme tous les jours ?
Regina souffla un rire.
- Quelle répartie… En effet, comme tous les jours.
Elle aurait bien voulu venir le chercher à la sortie des classes, mais elle dirigeait une immense société, et elle s'octroyait déjà le plaisir de le conduire à l'école le matin. Elle ne pouvait en faire davantage. Elle redémarra dans sa berline de luxe et se gara sur sa place attitrée, dans le parking de l'immeuble de bureaux. Elle prit l'ascenseur, et salua distraitement la secrétaire, comme à son habitude. Mais lorsqu'elle voulut prendre sa tasse de café, elle eut la désagréable surprise de repartir les mains vides, alors que la secrétaire serait rentrée dans un trou de souris, bégayant des onomatopées inintelligibles. Elle rentra dans son bureau, de mauvaise humeur, et vit qu'elle était attendue. Elle se demanda pourquoi la secrétaire ne l'avait pas prévenu, avant de voir qui se trouvait dans son antre. Il s'agissait du vice-président et de son âme damnée.
- Regina, inutile de vous départir de vos affaires, je vous vire.
- Vous n'en avez pas le pouvoir, vieux fou.
- Moi non, mais le conseil d'administration, oui. Voici votre avis de licenciement, qui prend effet maintenant. Autrement dit, vous prenez vos cliques et vos claques et vous dégagez.
- Vous n'êtes qu'un mufle.
Elle lui arracha la feuille des mains, afin de lire le torchon absurde qui la boutait hors de sa propre entreprise.
- C'est n'importe quoi, le prétexte est fallacieux, mon avocat va vous démolir.
- Oh, j'attends de voir ça avec impatience. Vous oubliez que maître Gold assure également la défense de cette société et il devra choisir entre vous et cette entreprise. Vous me suivez ? Ce sera vite vu.
Regina pâlit légèrement, mais se retint de lui arracher les yeux. Elle prit son téléphone et appela Gold. Mais sa secrétaire lui fit barrage, lui expliquant qu'il était absent. Elle raccrocha, et grimaça de colère, devant l'air suffisant de ces deux crétins.
- Bien, maintenant que vous avez compris, on vous a amené un carton, nous ne sommes pas des monstres. Prenez vos affaires, et partez. À moins que vous ne préféreriez avoir affaire à la sécurité ?
Elle ne pouvait pas se battre contre tous ces hommes, et dut reconnaître sa défaite, temporairement. Elle prit la photo de son fils, qui trônait sur son bureau, et écarta d'un geste brusque le carton.
- Allez vous faire foutre !
- Oh, pendant que j'y pense, vous devez nous rendre les clés de votre voiture et de votre maison. Ils vous ont été alloués dans le cadre de vos fonctions de dirigeante de la société, mais puisque vous n'êtes plus rien, vous n'avez pas à les utiliser.
- Pardon ?
- Vos clés !
- J'habite avec mon fils dans cette maison !
- Hé bien, nous vous donnons deux semaines pour trouver un autre logement. Vous n'appartenez plus à cette entreprise ! Par contre, les clés de la berline, je les veux maintenant.
Il tendit la main, jubilant devant son écrasante victoire. Regina bouillait intérieurement, mais ne pouvait pas passer outre cette requête. Aussi lui jeta-t-elle les clés à l'autre bout de la pièce, avant de partir, telle une furie. Elle héla un taxi dans la rue, afin de rentrer, mais une voiture de police la cueillit au passage.
- Madame Mills, vous êtes en état d'arrestation pour blanchiment d'argent et fraude. Tournez-vous !
Elle resta immobile, interdite devant le parfait timing des policiers. Ils avaient dû être appelés par ces corniauds, il n'était pas possible qu'il en fut autrement. Devant son manque de coopération, le policier la jeta brutalement contre la voiture et lui passa les menottes, avant de la propulser sur la banquette arrière. Sa tête percuta la portière opposée, et elle s'en trouva sonnée durant tout le trajet. Une fois devant le poste de police, les deux hommes l'empoignèrent et la traînèrent jusqu'à la même salle d'interrogatoire que la veille. Ils la firent asseoir et sortirent. Elle était vaguement nauséeuse, et ses idées étaient confuses. Elle ne parvenait pas à comprendre comment elle avait tout perdu en quelques minutes. Alors qu'elle tentait de rassembler ses idées, le policier de la veille revint avec un sourire carnassier.
- Aujourd'hui, nous allons peut-être enfin avoir une discussion sérieuse entre adultes, qu'en dites-vous ?
Regina ne répondit pas, fixant l'homme sans le voir. Il claqua des doigts devant son visage, la faisant sortir de sa bulle.
- Quoi ?
- Vous avez bu, ma parole…
- Non, bien sûr que non !
- On va vous faire un éthylotest, tout de même…
Regina dut souffler dans la machine et le résultat s'avéra négatif. Elle se sentit si humiliée, qu'elle en aurait pleuré. Elle ravala ses larmes et s'enquit de l'heure. Le policier la nargua.
- Vous êtes pressée ? On va passer un petit moment ensemble, alors prenez vos aises.
- Je vous ai demandé l'heure !
- Et je n'ai pas à vous répondre ! Maintenant, répondez à mes questions concernant Storybrook !
- J'ignore tout de ce bordel ! Je veux savoir l'heure !
Devant l'air buté et légèrement alarmé de la brune, le policier se plia à sa demande.
- Il est dix-huit heures…
- Mon fils… La nounou va partir, croyant que j'arrive… Il faut que je l'appelle pour lui dire de rester.
- Vous n'avez pas le droit de passer ce genre de coup de fil. Votre enfant patientera.
- Il a sept ans ! Je dois partir.
Elle se leva, mais fut projetée contre la table, où les menottes qu'elles portaient, y étaient entravées. Elle tira dessus de toutes ses forces, mais ne parvint qu'à s'abîmer les poignets et elle se rassit, essoufflée. Elle resta sans rien dire, avant de se tourner vers le policier.
- Je veux mon avocat.
- Maître Gold nous a signifié qu'il n'était plus votre défenseur. Voulez-vous un avocat commis d'office ?
- C'est une blague ? J'ai les moyens de m'offrir beaucoup mieux que ça.
- Je crois que vous ne comprenez pas dans quel pétrin vous vous êtes fourrée. Je vous explique. Vous êtes à la brigade financière, et tant que l'enquête ne sera pas bouclée, vos comptes en banque seront gelés. Vous n'avez plus accès à aucun compte bancaire.
- Quoi ?
- Dit autrement, vous êtes fauchée.
- Vous dites n'importe quoi, je veux un avocat !
- Très bien, direction une cellule, le temps de vous trouver un avocat d'office, qui soit libre ce soir.
- Non, mon fils !
- Avancez !
Elle fut conduite dans une cellule minuscule et puante. Elle voulut se retourner, mais un gardien la poussa dans le fond et elle s'écroula sur la banquette crasseuse. Il partit, la laissant ressasser ses idées noires. Elle prit sa tête entre ses mains, et resta ainsi prostrée, en pensant à son enfant abandonné.
Le lendemain matin, un avocat lui fut assignée, et elle refusa encore de répondre à la moindre question. Elle voulait voir son fils. Elle fut relâchée, puisque sans liquidités, elle ne pouvait fuir nulle part, et l'enquête avait encore de trop nombreuses zones d'ombre, pour l'inculper. Elle déboula chez elle en trombe, après avoir pris un taxi. Elle trouva son enfant dans le canapé, anxieux, et en larmes.
- Henri !
- Maman ! J'ai cru que tu étais morte, mais je ne savais pas qui appeler et tu ne répondais pas !
- Pardon, mon bébé, je suis désolée… Tu es tout seul depuis hier soir ?
- Oui, la nounou est partie, comme d'habitude, mais comme tu n'as pas prévenu, elle ne savait pas qu'il fallait qu'elle reste.
- Tu as mangé ?
- Des biscuits…
Regina serra son fils dans ses bras. Elle devait s'occuper de lui, et comprendre ce qu'il se passait, avec le dossier Storybrook. Elle laissa une larme dévalée sa joue et resserra son étreinte. Elle devait agir, avant d'être à nouveau ramenée au poste de police.
Elle accompagna son fils à l'école, mais à pied, pour une fois, et lui expliqua qu'elle avait eu un problème avec la voiture. Elle se surprit à prendre le chemin vers son boulot, mais s'arrêta en plein milieu du trottoir. Elle n'avait plus sa place là-bas, ni même un badge pour entrer. Nul doute qu'un cerbère avait reçu des ordres, si jamais il la voyait débarquer, pour la mettre dehors manu militari. Elle se retrouva les bras ballants, et fit demi-tour, afin de rentrer chez elle. Là encore, elle se fit la réflexion que ce chez soi lui serait vite retiré. Elle se vautra sur son canapé, et tenta pendant deux heures d'avoir accès à ce fichu dossier, soit par le biais d'anciennes connaissances, soit par le réseau de la société, mais elle fit chou blanc systématiquement. Elle soupira et donna un coup rageur dans un coussin, qui atterrit quelques mètres plus loin. Décidément, cette journée ne pouvait pas être pire… La sonnette de l'entrée retentit et elle se leva pour aller voir qui osait la déranger. Un coursier lui sourit, et elle ouvrit.
- Oui, c'est pour un colis ? Je n'attends rien.
- Euh, non, vous êtes Regina Mils ?
- En effet.
- Alors tenez, ceci est pour vous.
Le jeune homme lui tendit un pli et elle signa le reçu, avant de le voir prendre la poudre d'escampette. Elle revint dans son salon et ouvrit le pli avec son coupe-papier. Elle faillit réduire en bouillie le document qu'elle tenait entre ses mains. Il s'agissait de l'avis d'expulsion, qui prenait effet dans moins de deux semaines. Le vice-président avait tenu sa promesse. Elle regarda autour d'elle et se sentit écrasée par le poids des ennuis qui s'abattaient sur elle. Elle se secoua, après s'être tourmentée en vain pendant plusieurs minutes, et décida d'appeler la société de déménagement qui avait fait un travail remarquable lors de son précédent changement d'adresse. Elle conclut un contrat avec eux, et prit sa carte de crédit pour les payer. Toutes ses tentatives furent des échecs. Elle se souvint alors des paroles du policier : tous ses comptes étaient gelés. Elle déglutit difficilement. Comment pouvait-elle y parvenir sans argent ? Elle téléphona à son banquier, qui d'ordinaire, la saluait chaleureusement. Son accueil fut nettement plus froid.
- Bonjour Madame Mills.
- Bonjour, je souhaiterais disposer de mes liquidités, et rapidement.
- C'est malheureusement impossible. La police nous a prévenu que vous étiez sous le coup d'une enquête et que vos comptes et avoirs étaient bloqués. Il ne m'est pas possible d'accéder à votre demande.
- Mais enfin, c'est n'importe quoi ! J'ai besoin de mon argent pour déménager !
- Je me répète, je ne peux rien faire pour vous.
- Je vais vous étriper !
- Madame Mills, avant d'en arriver à de telles extrémités, songez que vous pouvez vendre vos biens, tels que vos meubles, ou bijoux. Vous auriez alors la possibilité de déménager.
Regina en resta muette de stupeur. En être réduite à brader ses possessions, afin de pouvoir survivre… Elle était tombée bien bas. Elle raccrocha au nez de son interlocuteur, et balança le téléphone contre le mur. Il se brisa en mille morceaux, et elle en fut particulièrement satisfaite.
Elle réfléchit le reste de la journée à la suggestion de son incapable de banquier. Elle ne voulait pas se résoudre à une telle extrémité, mais elle ne voyait guère d'autres solutions. Et elle avait un besoin urgent de liquidités. Elle jeta un regard à ses biens, et ravala sa colère. Elle fit le tour de la maison, notant ce qu'elle voulait vendre. Elle fit une dernière tentative pour sauver son train de vie, et prit son téléphone fixe, puisque son portable était en miettes. Elle appela ses amis, afin d'obtenir leur aide. Cette expérience se solda par un échec cuisant, personne ne daigna décrocher son téléphone. Elle avait été mise sur liste noire. Ce genre de rumeur allait bon train dans son milieu, et elle n'avait aucun doute que le mot avait été donné qu'elle était devenue persona non gratta. En soupirant, elle dut se résoudre à l'impensable et prit contact avec un marchand de meubles, afin d'en tirer un bon prix. Elle parcourut au passage les annonces immobilières, et fut déroutée par le prix des biens à louer. Ils étaient presque hors de sa portée, si elle souhaitait rester dans le quartier. Elle dut chercher dans un quartier beaucoup moins bien côté, et plus éloigné des commodités, mais sans revenu fixe, elle essuya maints refus. Henri rentra avec la nounou, et Regina vit dans ses yeux une gêne palpable. Henri partit dans sa chambre, laissant seules les deux femmes.
- Madame, je suis désolée de ce qu'il vous arrive, mais…
- Mais vous aimeriez être payée, et maintenant.
- En effet, je ne peux me permettre de travailler pour rien.
Regina grinça des dents, et alla chercher son portefeuille. Elle sortit une poignée de billets, couvrant le début de la semaine.
- Voici. Inutile de revenir, je ne peux plus payer, et comme je suis à la maison, je n'ai de toute façon plus besoin de vos services.
La nounou la regarda bizarrement et partit, sans demander son reste. Regina souffla de dépit. Elle passa la soirée avec son enfant, se décidant à lui expliquer, sans entrer dans les détails, les tracas qui la secouaient. Elle le prévint qu'ils allaient devoir déménager, et le petit ne s'en offusqua guère. Il se contenta de la serrer dans ses bras et de lui faire un bisou sur la joue. La belle brune faillit en pleurer, mais se contint juste à temps.
Deux jours plus tard, Regina comprit qu'elle ne pouvait se loger sans revoir à la baisse ses prétentions. Ces dernières s'écroulèrent comme neige au soleil, et elle se rabattit sur un appartement composé de deux pièces, dans un quartier en périphérie de la grande ville, tenue par une vieille femme peu avenante. Elle rappela le marchand de meubles, puisqu'elle ne pouvait presque rien emporter, la chambre d'Henri et son canapé, ainsi que sa bibliothèque et son bureau, qui leur servirait de table en attendant mieux, seraient du voyage. Elle laissa tout le reste à l'appétit vorace du marchand, lui permettant de mettre une jolie somme de côté. Elle finit d'enterrer son ancienne vie en une grosse semaine, après avoir été de nouveau entendue par la police, en vain. Lorsque le camion de déménagement arriva au pied du petit immeuble vétuste, mais correctement entretenu, elle souffla un grand coup, afin de ne pas s'écrouler, à l'instar de sa vie.
- Et voilà Henri, c'est notre nouveau chez nous.
L'enfant porta son regard sur leur logement et les alentours.
- C'est… Euh… Différent ?
Regina émit un petit rire triste.
- On va dire ça. Mais tu as ta propre chambre.
- Ouais, trop cool !
- Et il y a un parc juste à côté. Nous pourrons nous y promener.
- Et il y a un toboggan ?
- Je l'ignore, mais nous le découvrirons bientôt.
Les déménageurs eurent tôt fait de tout emmener à l'étage, où se situait le minuscule appartement. Lorsque Regina ferma enfin la porte sur leur nouveau foyer, elle sentit sa gorge se serrer. Elle n'avait pas dit à Henri toute la vérité. Elle avait voulu le préserver. Et peut-être aussi garder un peu de dignité vis-à-vis de son fils. Il avait bien vu que beaucoup de meubles avaient disparu, et elle lui avait simplement dit qu'ils n'en avaient plus besoin dans leur nouveau logement. Mais elle n'avait pu emmener toute sa garde-robe, non plus. Elle en avait vendu une bonne moitié, pour une somme finalement dérisoire, mais n'avait pas touché à ses bijoux. Elle ne se faisait néanmoins guère d'illusions. Elle avait passé la semaine à passer des coups de fil, afin de retrouver un poste, même beaucoup moins qualifié, mais elle fit à nouveau chou blanc sur toute la ligne. C'est à ce moment qu'elle s'aperçut qu'elle n'avait aucun véritable ami. Quant à sa famille, c'était plus ou moins la même chose, mais elle préféra chasser cette pensée rapidement, avant de s'effondrer sur place. La seule chose qu'elle avait sauvé était sa bibliothèque. Elle y tenait beaucoup, et avait passé des années à l'enrichir. Elle trônait aujourd'hui contre le plus long mur de la pièce de vie, qui ne comportait en plus qu'un canapé, la télévision, et son bureau avec deux chaises. La cuisine était équipée et aménagée, ce qui l'arrangeait bien. Seuls les meubles de la chambre d'Henri avaient été entièrement remis dans la seconde pièce, afin de l'épargner au maximum. Son lit, son petit bureau, sa commode et ses jouets et peluches étaient tous rassemblés dans une même pièce. Au moins, lui ne paraissait pas en souffrir, ou en tout cas, ne le montrait pas. Mais après avoir fait le tour de son nouveau domaine, il ne vit pas de lit pour sa mère.
- Maman, tu dors où ?
- Sur le canapé, il est convertible.
- Mais tu n'as pas de chambre…
- Ce n'est pas grave, Henri, tout ça est temporaire.
- Mais…
Regina comprit tout le mal-être de son garçon, et l'attrapa dans ses bras.
- Henri, je vais être bien ici, au milieu de mes livres. Je ne veux pas que tu t'inquiètes. Je vais retrouver du travail et nous aurons un nouvel appartement, plus grand, et beaucoup plus sympa. D'accord ?
- Oui, mais c'est pas juste.
- C'est la vie, Henri. Il faut parfois serrer les dents et avancer coûte que coûte.
Leur première soirée fut calme et ils découvrirent, malheureusement un peu tard, que les murs étaient assez fins, et leurs voisins peu respectueux du bien-être des autres. Henri s'éveilla plusieurs fois dans la nuit, et vint près de sa mère, en pleurs.
- Maman, y a des monstres partout…
- Henri ?
Regina souffla. Cela faisait bien longtemps qu'il ne faisait plus de cauchemars de ce type. Elle ouvrit sa couette et le berça, lui caressant les cheveux. Elle avait peut-être tout perdu, mais le lien avec son fils s'était ressoudée, et elle en était très heureuse.
Le lendemain, sa nouvelle logeuse, que tout le monde appelait Granny, toqua à sa porte et lui donna son bail, tout en comptant les billets pour les deux premiers mois.
- Parfait, madame Mills, j'espère que vous vous plairez ici, avec votre gamin. Au fait, tenez, disons que c'est un cadeau de bienvenue.
La vieille femme repartit chez elle, laissant là la brune, qui déplia le morceau de papier qu'elle venait de recevoir. Il s'agissait d'une petite annonce, une entreprise de nettoyage cherchait une nouvelle femme de ménage. Elle fronça les sourcils. Pourquoi lui avait-elle donné ça ? Certes, elle avait des difficultés temporaires pour retrouver un emploi à sa convenance, mais elle n'allait pas s'abaisser à faire des ménages ?! Elle, Regina Mills, multi-diplômée, avec une expérience de chef d'entreprise ! Elle allait jeter le papier, mais dans un soubresaut, elle se contenta de l'épingler sur le frigo, avec un aimant. Elle eut un mauvais pressentiment.
Après trois semaines de recherches intensives, et aucune rentrée d'argent frais, Regina fixait chaque jour le bout de papier d'un œil mauvais. Elle ne voulait pas faire cela. Elle se sentait si humiliée, qu'elle peinait à respirer. Elle avait un poids sur la poitrine depuis plusieurs jours, et elle ne pouvait pas passer ses nerfs sur sa secrétaire incompétente. Elle arracha le bout de papier du frigo et attrapa son téléphone. Elle composa le numéro et patienta quelques secondes.
- Net&clean, bonjour !
- Bonjour, j'appelle pour… L'annonce… Pour l'offre d'emploi…
- Oh oui, bien sûr, je vous passe le patron.
La conversation dura moins de deux minutes, et elle raccrocha, abasourdie. Elle s'assit sur le canapé, et resta interdite, fixant son téléphone.
- J'ai un boulot… De femme de ménage… Moi. Mais qu'est-ce qui se passe dans ce monde ?
Elle annonça à son fils qu'elle avait retrouvé un travail et qu'elle commençait le lendemain. Elle pouvait toujours s'occuper de son garçon, mais le salaire était dérisoire. Jamais elle ne pourrait s'en sortir en gagnant si peu. Cela serait à peine suffisant pour couvrir son loyer et la nourriture, ainsi que les frais annexes, comme les billets de métro. Par contre, l'école d'Henri était chère, et si elle avait réglé la totalité de l'année scolaire à la rentrée, elle savait qu'elle ne pourrait jamais le scolariser une année supplémentaire, si sa situation n'était pas assainie. Elle gémit d'impuissance, la tête dans son oreiller. Elle en avait marre de tout supporter seule, et de ne jamais recevoir d'aide. Sa solitude, ce soir-là, lui éclata à la tête, telle une bombe à retardement. Elle ne put trouver le sommeil, et emmena son fils à l'école, pour ensuite se présenter à son nouvel employeur, Robin Hood, le directeur de Net&clean.
Dans l'ancienne société de la brune, une femme patientait dans l'ascenseur, avant d'atteindre l'étage de la direction. Lorsque les portes s'ouvrirent, elle fut accueillie par le vice-président en personne.
- Bonjour, madame Charming, quel plaisir de vous rencontrer enfin.
- Bonjour.
- Permettez-moi de vous emmener dans votre bureau, la vue y est splendide.
- Ce n'est pas la vue qui occupera mon temps…
- Bien évidemment, mais voici votre nouveau lieu de travail !
- Merci.
La belle blonde posa ses affaires sur le canapé en cuir, et s'assit à son nouveau bureau.
- Où sont mes dossiers ?
- Votre secrétaire va vous les apporter de suite.
Il claqua des doigts et une femme se présenta, avant de repartir chercher ce que désirait sa nouvelle patronne. La blonde ne put s'empêcher de remarquer une chose.
- Est-ce normal qu'elle ait l'air terrorisé ?
- Disons que la personne que vous remplacez était… Assez autoritaire.
- Je vois. Je ne sais pas qui c'était, et je m'en moque. Inutile d'en discuter.
La secrétaire revint et déposa une pile de dossiers sur le bureau.
- Bien, voici de quoi m'occuper.
La signification du coup d'œil au vice-président était parfaitement clair. Aussi prit-il congé de la nouvelle dirigeante de l'entreprise. Emma Charming, quant à elle, prit le premier dossier et le parcourut, afin de se familiariser avec les gros clients. Elle sortit son téléphone et observa la photo en fond d'écran. Tout cela lui manquait déjà, mais elle avait dû faire un choix. Elle soupira et ferma son portable. Elle reprenait sa vie de zéro, et elle devait se montrer à la hauteur de son nouveau poste. Aussi, de son air le plus assuré, elle compulsa soigneusement les dossiers, un œil rivé sur sa nouvelle équipe. Une nouvelle vie s'ouvrait à elle.
