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Bienvenue !
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L'effet Pewden est le nom scientifique de l'anomalie qui parfois entremêle le destin de deux sorciers à jamais. Albus Potter est le nom vernaculaire du décevant fils de Harry Potter, raté en tout, incapable même de voler sur un balai, et Scorpius Malefoy est le nom de son unique ami, son frère de cœur. Arrivés en cinquième année, le duo le plus détesté de Poudlard doit affronter les moqueries, les rumeurs, les insinuations, les cours particuliers et pire que tout : le changement effrayant de leur relation qui devient de plus en plus ambigüe. Sans compter cette émission de radio et son animateur complotiste, prêt à tout pour discréditer la famille Malefoy et répandre les pires rumeurs sur Scorpius. Alors, quand le regard des autres se fait trop pressant, quand le destin fauche la vie de personnes chères, quand son esprit se met à bouillonner de choses qu'il ne comprend pas, l'abîme se retrouve soudainement bien plus proche qu'il ne l'aurait cru.
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Bonjour à toutes bonjour à tous !
Je suis trop heureux et excité d'enfin pouvoir publier cette nouvelle fic ! J'ai plein de choses à dire alors je vais essayer d'être concis. Tout d'abord, un grand merci à Pouik et Shik-Aya-chan qui ont relu ce long texte et me permettent de publier avec confiance aujourd'hui ! On est partis pour un parcours de montagnes russes long de 220'000 mots environ, 31 chapitres au bas mot ! Là-dedans vous devrez vous attendre à du drama, de l'angst, de la romance slowburn, du fluff, du smut, de l'humour, des scènes violentes (je mettrai un warning au chapitre concerné), des scènes douces, des scènes amères, et tout cela finira bien, vous avez ma promesse... J'espère que tout le monde y trouvera son compte et appréciera cette histoire autant que j'ai aimé l'écrire.
Ensuite un deuxième merci pour Pouik qui n'arrête pas de me saucer sur sa propre publication, Guérir du passé, que je corrige également ! Si vous ne le faites pas déjà, allez vite lire cette petite merveille, c'est un vrai plaisir !
Enfin un dernier merci pour le Discord Potterfictions qui m'a soutenu tout le long des étapes finales de l'écriture de cette histoire, et qui est là encore aujourd'hui pour partager plein d'amour et de belles choses autour de l'écriture ! Venez nous voir si vous le voulez, ça sera l'endroit idéal pour échanger sur l'histoire !
Je ne vous retiens pas plus longtemps. On se retrouve dans 8'000 mots. Merci à vous d'être là !
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– Frères de cœur –
Chapitre 1
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À bord du monstre de métal
Clarisse n'était pas du genre excité. Elle ne s'enthousiasmait jamais outre mesure des petits éclats de la vie et n'était pas non plus du genre à les laisser l'affecter. La vérité était que tout cela ne la passionnait guère. Son unique intérêt était de se laisser vagabonder tout le jour dans la douce prairie d'herbe verte, sous le soleil doux et agréable de cette fin d'été anglais.
Elle adorait la nature. Sentir l'herbe lui caresser doucement la joue, le vent sur ses oreilles, la quiétude paisible du temps qui passe, dans ces lieux uniques où les secondes semblent plus longues… Clarisse était du genre spirituel. Elle aimait à se considérer comme une sorte de gardienne de la Terre. Ici était son domaine. Malheur, oh oui malheur à quiconque osait lui adresser le moindre signe d'irrespect.
Parfois, lorsqu'un intrus se pointait à l'horizon, il lui arrivait de cesser toute activité. Elle levait la tête et fixait de ses yeux perçants le nouveau venu, comme pour analyser son passé, son futur… son présent. Du coin de l'œil, elle pouvait apercevoir ses sœurs l'imiter. C'était alors toute une flopée de gardiennes qui menaçait l'impudent par la seule force de leurs regards.
Jusqu'à présent, elle n'avait encore jamais rencontré qui que ce soit qui eut nécessité son intervention, ou celle de l'une de ses sœurs. Elles étaient un peuple paisible, qui n'aimait pas avoir à attaquer. Mais Clarisse savait, oh oui elle savait parfaitement qu'elle avait tout ce qu'il fallait en elle pour défendre sa terre si le jour devait venir.
Aujourd'hui, pas d'inconnu cependant. Les lieux étaient des plus calmes, aussi avait-elle décidé de s'aventurer un peu plus loin que de coutume. Jusque dans les limites les plus reculées de la prairie, là où peu osaient fouler le sol. Et pour cause ! Des légendes racontaient que, six fois l'an, un énorme monstre de fumée surgissait du bout de la prairie, passait au loin et disparaissait à l'horizon. Clarisse ne l'avait jamais vu de ses propres yeux, ce monstre, mais elle en avait entendu parler si souvent ! Elle pouvait le décrire comme si elle le connaissait personnellement.
Grand, long, le bruit qu'il émettait était capable de terroriser le moindre insecte à dix lieues à la ronde ! Le monstre apparaissait généralement dans un grand panache de fumée et marchait si lourdement au sol que la terre tremblait sous son pas. Heureusement, il n'avait encore jamais violé le terrain de la prairie, non ! Il passait très proche, chaque fois un peu plus proche disait-on, mais jamais encore sur la belle et précieuse herbe.
Les plus sages affirmaient que ses apparitions entouraient systématiquement les solstices et parfois les équinoxes. « Bah ! » pensait Clarisse. « Superstition ! » Elle n'était pas très forte en date, mais tout de même, les histoires des plus anciennes érudites laissaient parfois pantois.
Clarisse alla s'allonger un temps à l'ombre d'un arbre du bout de la prairie. Elle respira profondément le doux air de la campagne inviolée. « Ces histoires de monstre sont des fariboles ! » pensa-t-elle. « Les autres sont des ânes, à refuser de venir dans un si bel endroit. »
Là, à l'ombre de l'arbre et sous le doux soleil de la matinée déjà bien avancée, Clarisse s'endormit, l'âme paisible.
À peine une heure plus tard, cependant, elle se réveilla en sursaut, l'œil endormi mais le cœur battant. Quelque chose n'était pas normal.
Pourtant le soleil était toujours là. Sur l'arbre, un couple d'oiseaux chantonnait gaiement. Mais quelque chose n'allait pas. Elle le sentait, au fond de son être.
Soudain, le sol se mit à vibrer. Doucement, au début, si doucement que Clarisse crut que c'était en vérité l'herbe agitée par le vent qui lui chatouillait les jambes. Mais bien vite, la vibration s'amplifia et elle ne put plus l'ignorer. Le doute n'était pas permis. C'était aujourd'hui ! C'était aujourd'hui !
Le sol vibrait de plus en plus fort tandis qu'au loin un grondement sourd se faisait entendre. Clarisse était pétrifiée. Seule au monde. Elle se releva, respira un bon coup. « Allez ! » se dit-elle « Tu es une grande, ma belle ! Tu es une gardienne de la Terre ! Qui que ce soit qui s'approche, réserve-lui ton plus féroce regard ! »
Mais ces paroles peinaient à la rassurer. Le grondement était de plus en plus fort et, au détour d'une colline, de hauts panaches de fumée avançaient droit vers elle. Son instinct se rappela soudainement à elle avec toute la violence du monde. Elle devait partir, il fallait fuir ! Peu lui importait à présent le soleil, le vent, l'herbe, cette terre était maudite, elle n'aurait jamais dû s'en approcher ! Il faudrait toujours écouter les anciennes. Le sol vibrait à présent comme sous les pieds d'une horde de très gros animaux. « Une horde de buffles ! », pensa Clarisse. Les buffles étaient les plus gros animaux qu'elle connaissait.
Les panaches s'approchaient, inexorablement. Le versant de la colline s'amenuisait. Clarisse sentait la terreur s'emparer de tout son être. Tout-à-coup, au bout de la prairie, elle le vit. Une énorme gueule rouge et noire qui surgit soudainement des enfers en fonçant droit sur elle dans un grondement à s'arracher les oreilles. Plus rien n'avait de cohérence à présent. Fuir ! Elle devait fuir.
Clarisse tourna les sabots et, avec un meuglement des plus paniqués, elle s'enfuit le plus loin possible.
— Oh, regarde ! Une vache !
Le garçon tout émoustillé trépignait sur la banquette du train, tout à son amusement d'avoir aperçu une vache s'enfuir à son passage. Son frère, juste en face, lui jeta un regard exaspéré.
— Bon sang, il était temps que tu quittes papa-maman, toi, lui lança-t-il.
Dans le couloir du wagon, un autre garçon qui avait assisté à toute la petite scénette affichait un sourire à la fois moqueur et amusé. Cette innocence lui rappelait la fois où, lui aussi, était monté dans le Poudlard Express lorsqu'il avait onze ans. Il aimait bien ce train. Il aimait bien cette ambiance. Le Poudlard Express était le lieu des premières fois. Les premières années se rencontraient, les anciens amis se retrouvaient et racontaient leurs récits… On voyait des vaches, on mettait ses habits de sorcier et, au loin, Poudlard se dressait soudainement, majestueuse…
Sa cousine lui avait dit lorsqu'il avait onze ans que cette première virée dans le mythique train était souvent l'occasion de trouver les amis de la première heure. Le garçon eut un sourire à l'évocation de ce souvenir.
Oh, il n'avait certainement pas échappé à la règle. C'était là, dans un compartiment, qu'il avait rencontré la seule chose qui comptait dans sa vie. Scorpius Malefoy, son ami le plus proche. Son seul ami à vrai dire, mais cela n'était pas un problème pour lui. Il préférait compter ses amis sur les doigts d'une main et les considérer comme ses propres frères, plutôt que de s'entourer d'une foule de gens mesquins et hypocrites. Il se souvenait même que, lorsqu'il avait tendu sa main à son nouvel ami à l'époque, le contact l'avait électrocuté. Cette simple coïncidence lui apparaissait aujourd'hui comme une évidence, la destinée qui lui assurait que, oui, ce garçon-là serait de sa vie, jusqu'à sa mort. D'ailleurs, il était en route pour le rejoindre, mais fut interrompu par une furie.
— WOAH !
Une fière demoiselle à la chevelure rousse venait de tirer le garçon hors du couloir et de ses rêveries. Elle ferma brusquement la porte du compartiment, les laissant seuls, tous les deux, à l'intérieur.
— Rose ! Merde, tu m'as fait peur… La douceur, tu connais ?
— Albus, faut qu'on parle.
Albus soupira. D'une part, il n'appréciait guère qu'on le brusque. Certes, il avait un caractère enjoué et énergique ; sa bonne humeur constante et contagieuse était appréciée de ceux qui le connaissaient, car passer une après-midi avec Albus Potter voulait dire qu'on en repartirait avec le sourire et le cœur léger. Néanmoins, malgré son caractère parfois impulsif et même sanguin, il était quelqu'un de rationnel, qui appréciait pouvoir analyser ses sentiments et ce qu'il se passait autour de lui. Pour toutes ces raisons, se faire happer par surprise dans un compartiment du train ne lui plaisait que moyennement.
D'autre part, il se doutait de ce que Rose lui voulait et la discussion l'ennuyait par avance. Cette discussion, ils l'avaient eue à plusieurs reprises depuis sa deuxième année, parfois dans le train, parfois ailleurs. À présent, il entrait en cinquième année, il avait bientôt seize ans, et il semblait que le rituel devait se répéter une fois de plus. C'était exaspérant.
— Tu ne veux pas essayer de…
— … de rencontrer d'autres personnes cette année ? coupa-t-il en imitant le ton ferme de sa cousine, les yeux au ciel.
Rose l'observa avec un air de défi. Albus vit une étrange détermination dans ses yeux, comme si elle s'était résolue cette année à enfin faire changer les choses. Il savait ce qu'elle pensait, ils en avaient bien assez parlé : elle s'étonnait qu'un garçon comme Albus, aussi charismatique et amusant, ne soit pas plus apprécié à Poudlard. Elle en imputait la faute à Scorpius.
Le souci de Scorpius, c'était que depuis son premier jour à Poudlard, des centaines de rumeurs avaient couru sur lui, toutes plus débiles les unes que les autres. La plus stupide était sans nulle doute celle qui l'accusait d'être le fils de Voldemort, et non de son père. Rose n'y croyait pas, bien sûr, elle était trop maline pour ça. Le problème, c'était que pas mal d'élèves de Poudlard pensaient que sur toutes ces histoires qu'on racontait, une au moins devait être vraie ! Et par conséquent, ils préféraient ne pas s'approcher de Scorpius et le laisser seul dans son coin. Or Albus était son meilleur ami, toujours fourré avec lui… Il subissait aussi la mise à l'écart de Scorpius.
Pas que cela le dérangeait ! Pas le moins du monde en vérité. Être populaire, c'était le truc de James, ça. Ou même de sa petite sœur, Lily. Lui n'était pas spécialement talentueux en cours, ni sur un balai, il n'était qu'un Serpentard, après tout. Son père avait beau lui avoir dit et répété qu'il s'en fichait, Albus sentait bien qu'il était traité différemment de James et Lily… C'était sans doute pour cela.
Mais bref, il se moquait d'être populaire. Lui, ce qu'il voulait, c'était passer du bon temps avec les gens qu'il aimait. Cela incluait principalement Scorpius, mais aussi sa sœur Lily et son frère James, Rose bien sûr… Il y avait Neville, son parrain, qu'il appréciait, et ses enfants les jumeaux Londubat étaient sympathiques bien qu'un peu jeunes… Tous les autres pouvaient bien l'ignorer, il s'en fichait. D'ailleurs, la plupart du temps, il les ignorait aussi.
Rose, en revanche, s'était mise dans la tête qu'être impopulaire était anormal pour lui. Qu'il était bien trop sympa pour être ignoré par Poudlard. Après tout, il était un Potter, et tous les Potter étaient aimés, pas vrai ? Quelles conneries…
Rose reprit sa contenance puis avoua, sèche :
— Exactement, il faut que tu rencontres d'autres personnes ! Enfin quoi, Al, tu rentres en cinquième année ! Tu as seize ans dans deux mois ! Tu ne peux pas rester inlassablement l'éternel, euh… Comment dire…
— Raté ? C'est ça le mot que tu cherches ?
Elle lui envoya un regard mi-résolu, mi-désolé.
— Euh… Peut-être pas si dur… mais l'idée est là. Pardon si ça te paraît méchant, c'est la vérité ! C'est vrai quoi, James était littéralement la mascotte de Gryffondor, à l'époque, et Lily n'est qu'en troisième année mais elle est déjà une des attrapeuses les plus efficaces de l'équipe de Quidditch ! Toi, en attendant, les gens se souviennent de toi comme…
— De l'infatigable nerd de Serpentard, ami avec le fils caché de Voldemort, et qui fait honte à sa famille et surtout son père ! rétorqua Albus, dont la voix transpirait d'une amertume qu'il ne pouvait pas dissimuler.
Albus trouvait sa cousine ingrate. Méchante, même. Ce n'était pas lui qui avait demandé tout cela ! Il n'avait jamais demandé à ne pas savoir tenir sur un balai ou être nul en sortilèges ! Il n'avait pas souhaité avoir pour père Harry Potter, ni n'avait-il jamais voulu être envoyé à Serpentard ! Il se moquait d'être populaire, cette course générale à la reconnaissance ne l'intéressait guère. Pourtant, le monde autour de lui semblait considérer qu'être un élève lambda ni préfet ni capitaine de l'équipe de Quidditch était un déshonneur pour un Potter…
Il n'avait rien voulu, lui. Juste être tranquille ! D'ailleurs, il se moquait bien de ce que pensaient les autres. Mais sa cousine Rose n'était pas une « autre ». Elle comptait pour lui, elle avait toujours été là… et ce discours commençait à lui faire mal.
— Je vois pas le rapport avec Scorp. Enfin quoi, tu es intelligente, Rose, tu ne vas quand même pas me dire que tu crois ces histoires sur Voldemort, si ? Sa mère va déjà pas bien, un peu de respect serait pas de trop, tu sais !
— Tu sais bien que j'en crois pas un mot ! protesta Rose avec vigueur. Mais il t'empêche d'atteindre ton potentiel, Al, c'est évident ! Les gens sauraient à quel point tu es un type bien s'ils te parlaient, ils t'aideraient pour tes cours, tu deviendrais bien meilleur… Je te jure, crois-moi, ta vie serait bien plus simple si tu avais ne serait-ce qu'un seul autre ami !
— Ah ? Pourtant, c'est bien moins un raté que moi, lui, tu l'as déjà vu voler ? Bizarrement, les gens ne l'approchent pas malgré ça, curieux pas vrai ?
— Tu changes le sujet, Al. C'est toi qui devrais savoir voler !
Albus se remémora son premier cours de vol. De toute la classe, il fut le seul incapable de faire se lever son balai. Il craignait la hauteur, et n'appréciait pas du tout la sensation d'insécurité qui allait avec le vol. Les pieds bien campés sur la terre ferme, voilà où il était en sécurité. Scorpius, en revanche, avait fait montre d'une spectaculaire aisance à maîtriser son balai.
De manière générale, Albus n'était pas un élève modèle. Il n'était pas un beau gosse adulé par sa maison comme son frère, une attrapeuse respectée comme sa sœur, ou une sorcière prodigieuse comme sa cousine. Il était un élève basique de Poudlard, si ce n'est qu'il était « le fils du sauveur ». « Quel enfer », se disait-il parfois, lui qui n'aspirait qu'à couler des jours heureux aux côtés de son ami qui était, semblait-il, l'unique être qui le comprenait parfaitement.
— Oui, eh bien je ne sais pas. J'y peux rien si seuls les mecs qui savent voler sont cools dans cette foutue école ! Et encore, il doit y avoir des exceptions, parce que sinon Scorp rentrerait dans la catégorie !
— Ce n'est pas vrai, Al, tu le sais. Faut juste que tu t'ouvres un peu aux autres. Fais-toi d'autres amis, mais pour cela tu dois t'éloigner au moins un peu de Scorpius. Pourquoi ne veux-tu pas simplement essayer ? demanda-t-elle avec un ton qu'elle voulait rassurant.
Albus sentit la colère monter en lui. Sa réponse voltigea, claquante et bien plus sèche qu'il ne l'aurait voulu :
— Essayer ? M'éloigner ? T'es pas sérieuse, Rose…
Il y eut un silence. Albus reprit, la voix tremblante, presque suppliante.
— Rose… on est de la même famille. Pourquoi tu agis comme... comme si tu ne comprenais rien à ce que je ressens ?
Elle se mordit la lèvre. Que répondre ? Elle n'était jamais à court de mots, en général, et pourtant elle ne savait que dire. La pointe de désespoir qu'elle avait entendu dans la supplique de son cousin l'avait désarçonnée. Elle savait que le sujet était sensible, mais Albus laissait l'émotion le gagner et cela la touchait.
Sans réponse de sa part, son cousin haussa les épaules en reniflant, puis tourna les talons. Elle le vit poser sa main sur la porte coulissante, puis se retourner.
— On reparlera de ça à Poudlard, Rose. J'en ai marre que tu essayes de me faire devenir un mec que je ne suis pas. Je suis pas populaire, je suis pas un joueur de Quidditch, et je suis heureux comme ça. Lâche-moi un peu le cul, tu veux ?
— Et Scorpius ?
Albus se figea, la main toujours sur la porte coulissante. Ah, Scorpius… De tous les déshonneurs qu'il avait pu faire cascader sur son père, avoir pour meilleur ami le fils de son ancien rival était sans doute le plus impardonnable. Car si en façade, son père jouait la carte de l'apaisement avec la famille Malefoy, il gardait une rancune tenace envers eux, et n'avait pas pardonné certains horribles épisodes de la guerre. Il se serait contenté d'une indifférence de son fils envers le fils Malefoy, rien de plus… Oui mais voilà, ils étaient meilleurs amis. Seuls amis. Un fait impardonnable, pour son père, et même pour le monde !
Or, en cet instant, Rose ne lui apparaissait comme rien d'autre que l'une de ces personnes horribles dont le monde était rempli. Une de ces personnes pleines de suffisance, de prétention, capable de lire le malheur en chacun des hommes, excepté en eux-mêmes. Il sentit les larmes lui piquer les yeux. Rose valait mieux que ça ! Elle était importante, dans sa vie ! Il ne comprenait pas...
Lorsqu'il se retourna, il vit qu'elle eut soudainement la crainte d'être allée trop loin. Albus était divisé entre la colère et la tristesse, et elle en était la cause. Il s'assura que le ton qu'il employa soit aussi glacial que possible.
— Scorpius est mon ami, et plus rien ne changera jamais ça. Quand je me serai calmé, je parviendrai peut-être à t'expliquer qui est ce mec pour moi, et à quel point il compte.
Il vit à son expression qu'elle avait compris avoir dépassé les bornes. Jamais Albus ne lui aurait parlé sur ce ton autrement. Elle observa son cousin claquer la porte du compartiment, la gorge nouée. Rien ne s'était passé comme prévu.
Dans son bureau, Neville faisait les cent pas. Le silence de la pièce n'était interrompu que par les battements rythmés de ses talons contre la pierre, ainsi que le léger coassement occasionnel de Trévor, dans son vivarium.
La pièce était une des plus belles du château, et pour cause : elle était au sommet de la Tour du Directeur. Les fenêtres derrière son bureau offraient un panorama magnifique qui s'étendait de la Forêt Interdite au parc dans un tourbillon de couleurs et de lumières somptueuses. Mais de tout cela, c'était la vue sur le Lac Noir qu'il préférait. Elle était à la fois rassurante, attendrissante et mélancolique. En un sens, elle lui rappelait ses années dans la Tour de Gryffondor. Sous ce bureau se trouvaient ses appartements, si bien qu'il pouvait parfois passer des journées entières sans quitter la tour.
Quand sa tête était trop chargée d'informations contradictoires, comme c'était le cas en ce moment, Neville aimait à se remémorer le passé, repenser à ce qui l'avait mené jusqu'à ce poste. Après la seconde guerre magique, il s'était immédiatement mis au service de Poudlard. Il avait participé à la reconstruction de l'école, à sa protection et tout son réaménagement, puis avait été nommé pour son plus grand bonheur premier assistant de Pomona Chourave. Alors, il l'avait aidée tous les jours à entretenir les serres, dénicher les plants les plus rares, il l'avait remplacée en donnant ses cours lorsqu'elle tombait malade… Si bien que lorsque le moment fut venu pour elle, à peine six ans après la guerre, de prendre sa retraite, Neville fut naturellement nommé professeur de botanique et récupéra l'entière responsabilité des serres, vergers, jardins et plants rares de Poudlard.
À peine un an plus tard, McGonagall, vieillissante, dut rendre son poste de directrice de Gryffondor pour se concentrer sur la direction de l'école. Neville n'osait pas l'avouer, mais il trouvait effrayant qu'une femme d'un âge sans doute égal à celui du château puisse encore avoir autant d'énergie.
Elle tint pourtant quinze ans avant de devoir renoncer à son dernier poste au sein de Poudlard. Cela avait été un jour particulier pour Neville. Il avait toujours connu ce château avec McGonagall, il n'imaginait pas que cette dame puisse avoir une vie en dehors de ses murs. En un sens, il se sentait aussi triste que lorsque Poudlard avait perdu Dumbledore.
Désormais, plus un professeur ne restait de l'ancienne époque et trois semaines à peine après avoir passé la main, en juillet, la sage Minerva McGonagall s'éteignit. Neville se souvenait de son enterrement comme d'un moment particulièrement touchant, tant un nombre époustouflant d'anciens élèves et collègues étaient venus lui rendre un dernier hommage. Il avait notamment revu tous ses anciens camarades de Gryffondor, sans exception. C'était comme si tout le Poudlard présent et passé s'était arrêté de vivre avec son ancienne directrice.
Mais bien vite, la vie dut reprendre son cours. Ainsi, lorsque fut venu le moment de penser à sa succession, il s'avéra que Neville était le professeur le plus expérimenté en poste. Luna l'avait rejoint quelques années après qu'il fut nommé professeur, et elle avouait elle-même qu'elle n'accepterait jamais le poste. Elle affirmait qu'il fallait « être bien trop proche du sol pour ça. »
Ce fut donc assez naturellement que le conseil de l'école lui proposa le poste de directeur, qu'il accepta avec émotion. Toutefois, Neville était de son propre aveu trop peu organisé pour être à la fois directeur de l'école et de Gryffondor. Par ailleurs, il avait depuis deux ans, en guise de collègue, l'homme idéal dans son équipe pour s'occuper de cette charge.
Neville affichait un sourire insouciant depuis qu'il s'était replongé dans ses pensées, mais il fut interrompu par le raclement de gorge bruyant de son interlocuteur. D'un coup, tous les soucis qui l'avaient inquiété depuis plus d'une heure revinrent à la charge et s'emparèrent de son esprit.
— Et vous affirmez qu'il n'y a rien que l'on puisse faire ? demanda le directeur.
— Contre ?
La réponse venait d'un petit homme au gros ventre qui se trouvait assis sur le fauteuil faisant face au bureau du directeur. Il était si petit que ses pieds ne touchaient pas tout à fait terre, mais semblait parfaitement sérieux pour autant. Il avait le visage fermé, sévère, avec une moustache travaillée qui soulignait son air renfrogné. Il portait un costume trois-pièces dont le gilet de soie était mauve à rayures noires, surmonté d'un chapeau melon.
Neville répondit à sa question d'un hochement de tête.
— Non. Enfin, si, il faudrait les séparer, les placer l'un à l'opposé de l'autre sur le globe. Et ça serait douloureux, extrêmement douloureux, pour tous les deux. Mais, s'ils survivent à cette douleur, s'ils parviennent à la surmonter sans que leur esprit ne se brise, cela finirait effectivement par disparaître définitivement.
Le directeur interrompit sa balade sur place et se laissa tomber dans son fauteuil. Il laissa échapper un long soupir accablé.
— Pardonnez-moi, Monsieur le Directeur, mais je ne comprends pas. On ne parle tout de même pas d'une malédiction ! D'accord, il s'agit de deux garçons, ce qui ne va pas leur faciliter la vie… Mais s'ils sont bien accompagnés pendant tout ce processus, pendant tout ce qui leur reste d'adolescence, il s'agit tout de même d'une vie relativement heureuse à deux, n'est-ce pas ?
Neville se prit la tête dans les mains. L'homme devant lui s'appelait Herbert Pewden, et il était un scientifique qui travaillait depuis plusieurs années avec les Langues-de-plomb du Ministère, si bien qu'il se considérait comme l'un d'entre eux à présent. Le Département des Mystères avait été le seul endroit capable de leur fournir, à lui et son équipe, les moyens de mener à bien leur expérience, vu qu'elle touchait tant au cerveau humain qu'à ses interactions avec les autres – le tout évidemment baignant dans la magie. Or, leur expérience avait dépassé toutes leurs espérances, toutes leurs théories, et, à ce que Neville en avait compris, il ne restait plus qu'à valider sa théorie sur le terrain. Pewden attendait ce moment depuis des années : le détecteur de l'une des écoles s'était enfin déclenché !
Mais tout s'était aggravé lorsque ce gros homme lui avait annoncé les noms des deux concernés. À présent que Neville savait ce qu'il se passerait s'ils essayaient de changer le cours des choses, il apparaissait clairement que ce n'était pas une option envisageable.
— Ce ne sont pas eux le problème. Tout cela ne peut pas rester de la simple amitié ?
L'homme parut considérer la question sincèrement. Il répondit lentement, en prenant bien la mesure de chaque mot.
— Il y a eu des cas, dans le passé. Ce n'est pas impossible, surtout s'ils sont déjà amis.
Neville retrouva soudainement des couleurs.
— Vraiment ?
— Oh, ce n'est pas de l'amitié classique, Monsieur le Directeur. C'est une relation fusionnelle, emplie de magie. C'est presque plus compliqué, car ce sont deux amis qui ne pourront pas supporter d'être éloignés, de ne pas se voir… Cela pose de grands problèmes quand on est censé avoir une vie de famille !
— Et comment cela doit-il se faire ?
— Eh bien pour commencer, aucun des deux ne doit avoir la moindre attirance physique. En fait, cela se résume très bien comme cela : il faut que tous les deux soient sincèrement heureux de cet amour platonique. S'ils peuvent s'en contenter, sans pression familiale, sans rien pour les éloigner l'un de l'autre, ou les rapprocher au-delà de… enfin, vous voyez, la simple amitié, cela peut suffire. Mais c'est rare.
Neville s'enfonça dans son siège.
— En effet, je n'y crois pas. Pas d'attirance, tss… Des gamins de même pas seize ans !
Pewden eut un petit rire.
— Vous sembliez dire que ce n'était pas eux le problème… Alors quoi ?
— Leurs familles, annonça Neville gravement.
— Oh, Merlin, pas encore…
Pewden paraissait avoir trop connu de sujets dont l'expérience tournait au fiasco à cause des pressions familiales. Neville était inquiet, et il avait raison de l'être. Si ce que cet homme lui racontait était vrai, et s'il n'agissait pas avec beaucoup de précautions, Albus Potter et Scorpius Malefoy étaient en grave danger. Et personne n'en avait aucune idée...
Soudain, un petit éclat blanc attira l'œil du directeur de Poudlard. Une petite lettre fraîchement décachetée qui lui avait été envoyée dans la matinée. D'un revers de main, il balaya les feuilles de papier accumulées au-dessus de la lettre et observa, l'air interdit, le cachet de cire qu'elle arborait. Il représentait cinq anneaux disposés en quinconce, liés les uns aux autres, et au-dessus des anneaux imbriqués, se tenait perché un aigle au regard fier. Alors une idée lui vint. Neville se saisit de la lettre, la déplia et se mit à la relire frénétiquement.
À chaque nouvelle lecture, une pièce du puzzle se mettait en place. C'était comme si un vaste plan s'écrivait en direct dans sa propre tête, un vaste plan avec de multiples ramifications, terriblement dangereux s'il venait à échouer, mais qui était pour le moment son unique espoir.
Il sortit un bout de papier écorné, se saisit d'une plume, et se mit à écrire à toute allure et sans interruption, si bien qu'après cinq minutes sans la moindre once d'attention à son égard, Herbert Pewden se racla bruyamment la gorge.
— Si vous n'avez plus besoin de moi, Monsieur le Directeur, puis-je me retirer ?
Neville hocha la tête en guise de réponse et, toujours en écrivant, fit s'ouvrir la porte d'un geste de la main. L'homme sortit en grommelant.
— Si j'ai besoin de plus d'informations, je vous enverrais un hibou, Monsieur Pewden, annonça Neville d'une voix forte en guise d'adieu.
À présent qu'il était seul, il pouvait parler. Et tandis qu'il écrivait, écrivait et écrivait encore, il disait à voix haute ce qui lui passait par la tête, et les raisons de son excitation. De cette manière, les tableaux accrochés au mur pouvaient écouter et le plus imposant d'entre eux, qui représentait Albus Dumbledore, paraissait passionné par ce qu'il entendait. Tout autour du bureau du directeur, une cinquantaine de portraits étaient accrochés, les plus récents représentant Dumbledore, Rogue et McGonagall.
Ce genre de plans secrets pour le bien-être des élèves étaient presque devenus une tradition de la direction de Poudlard. Chaque directeur ou directrice y était allé de son petit arrangement, de sa petite machination, aussi quand le directeur en poste se lançait dans l'élaboration d'un nouveau complot, tous les tableaux participaient avec assiduité.
Ainsi, le directeur et ses prédécesseurs travaillèrent à l'élaboration du plan de Neville pendant un temps qui parut interminable. Une fois que ce fut fait, une fois que tout le monde se fut mis d'accord sur tous les aspects, il se saisit de sa baguette, la pointa sur sa gorge, et d'une voix qui résonna doucement dans chaque salle de Poudlard, il annonça :
— Réunion des directeurs dans mon bureau, d'ici quinze minutes !
Il y eut un petit silence, puis une voix grave, profonde et rassurante résonna. Elle venait d'un tableau qui surplombait entièrement le bureau de Neville, et annonça :
— C'est un pari risqué.
— Mais qui en vaut la peine, n'est-ce pas ?
Neville se redressa au fond de son fauteuil, les yeux fixés en hauteur, sur le portrait de Dumbledore qui venait de lui adresser la parole.
— Pour les garçons ? Peut-être. Mais pour leurs pères, cela va être une épreuve, et je crains qu'ultimement, tout cela ne retombe qu'en souffrance sur les deux petits. Tu dois avoir l'œil, Neville. Harry et Drago ne vont pas accepter cela aussi facilement.
— Je ferai de mon mieux.
Albus marchait dans le couloir les yeux fermés, en se forçant à prendre de grandes inspirations. Il avait une boule énorme dans la gorge, qui l'empêchait de respirer. Il espérait trouver Scorpius rapidement, mais il se retrouva bloqué derrière le chariot de la dame aux friandises qui était en train de fourrer une quantité déraisonnable de chocolats dans les mains d'un garçon blond aux cheveux drus et à la carrure massive. C'était un Gryffondor de sixième année qu'Albus ne connaissait que trop. Un certain Flinch McLaggen.
— Tiens, Potter. T'es pas avec ton chéri ?
— Ferme la, McLaggen. J'suis pas d'humeur, protesta Albus, la voix déjà tremblante de colère.
Il avait toujours détesté ces sous-entendus nuls sur Scorpius et lui. Même après quatre ans, il s'étonnait encore de l'effet de ces banales insultes sur lui : après tout, elles étaient fausses et donc ne devraient pas l'atteindre. Pourtant, elles l'atteignaient. Elles le piquaient au vif, même. Rien ne l'agaçait plus que lorsqu'on laissait entendre que Scorpius et lui étaient ensemble, et que c'était une mauvaise chose.
Et puis, de manière générale, il détestait qu'on s'en prenne à Scorpius d'une quelconque façon.
— Oh, non ! Qu'est-ce que je vais faire, les gars, Potter n'est pas d'humeur ?
Albus entendit des rires gras s'élever du compartiment de McLaggen. Sans doute ses amis, aussi stupides que lui. Ils étaient mêlés au son d'une radio, qui diffusait une émission où parlait un animateur avec une voix pleine de chaleur, qu'on avait envie d'écouter.
— Du calme, du calme, les enfants, appela la dame au chariot. On ne va tout de même pas se disputer le jour de la rentrée, n'est-ce pas mes chéris ?
Elle reprit son chemin et avança dans le wagon suivant sans attendre de voir si la dispute se calmait effectivement.
— Heureusement que ta sœur est un peu plus intéressante que toi, Potter. Elle au moins nous fait gagner la coupe de Quidditch.
— C'est bien, McLaggen, t'as la coupe de Quidditch, t'es vraiment mon idole, envoya Albus dans un sarcasme agacé.
— J'ai la classe, moi, au moins, Potter. Je traîne pas avec un pestiféré comme Malefoy. Enfin, je devrais dire Jedusor, pas vrai les gars ?
Il y eut de nouveau rires gras mêlés au bruit de la radio. Albus soupira. Il était évident qu'un imbécile de la carrure de McLaggen allait croire à ces bêtises.
— J'aimerais vraiment avoir toute ta classe, McLaggen. Tu dois baigner dans les filles tellement t'es classe, pas vrai ? Ah, mais j'oubliais… T'es un immense abruti et tout ce que tu baises c'est ta main droite ! J'suis con, j'oublie toujours…
McLaggen perdit son sourire stupide immédiatement et Albus sut qu'il avait fait mouche. Le silence dans le couloir n'était troublé que par la voix de l'animateur à la radio. S'il y avait bien une chose qui reliait tous les garçons imbéciles, c'était la fragilité de leur virilité.
— Retire ça tout de suite, grogna McLaggen en serrant le poing.
— Sinon quoi ? Tu vas me forcer à écouter ton tuto à la radio sur comment ne pas être puceau toute sa vie ?
McLaggen eut un rire mauvais.
— Tu connais même pas Maury ? Ça m'étonne pas, vu comment il parle de ta princesse…
— Qui ? Maury ?
Albus bouscula un peu McLaggen pour s'approcher de la porte du compartiment. Il n'entendit qu'un extrait de l'émission, mais cela lui suffit.
— … et je vous le dis, moi, que les Fils du Phénix ne sont pas une menace ! disait la voix charismatique de l'animateur. Alors oui, ils dérangent, oui, on veut les censurer, mais on est en démocratie, et chacun a le droit de dire son avis ! Vous en pensez quoi, Arogado ?
— Je suis bien d'accord, fit la voix du dénommé Arogado. Les médias de masse ne parlent jamais de nous, et il n'y a que chez Maury qu'on est invités. La seule émission qui ose dire ce qui fâche ! Les Fils du Phénix pensent que le Magenmagot a été trop laxiste avec les anciens Mangemorts, et que l'Ordre a failli à sa tâche en ne terminant pas sa mission. On a le droit de le dire, tout de même ! On dit ce que tout le monde pense tout bas !
— Exactement, reprit Maury. Quant à l'histoire de la famille Malefoy, on ne me fera pas croire qu'il n'y a pas quelque chose de louche dans tout ça ! Il ne faut pas oublier…
Albus lança un juron.
— Bordel, tu écoutes ces conneries, McLaggen ? C'est qui ce mec ? J'ai déjà oublié son prénom.
— J'me doutais bien qu'il te passerait au-dessus de la tête, Potter. T'es trop con pour écouter des gens brillants parler. Retourne te taper ta princesse, va, avant de me contaminer !
Et il claqua la porte de son compartiment. Albus soupira. En temps normal, il aurait été incapable de garder son calme face à de telles provocations, mais il avait déjà été épuisé mentalement par sa cousine.
L'amitié de Scorpius lui avait coûté beaucoup, tant dans sa famille qu'à Poudlard. Il se souviendrait toujours des premières lettres qu'il avait envoyées à ses parents, où il parlait de Scorpius, de Serpentard, de sa vie qui s'annonçait si exceptionnelle à Poudlard… En retour, il n'avait reçu que des mises en garde de son père au début, alors il avait cessé de parler de lui. Sa mère, elle, paraissait plus encline à accepter son ami.
À l'école, les gens étaient avec lui soit indifférents, soit agressifs, comme cet imbécile de McLaggen. Quand ils ne se moquaient pas de sa nullité en cours en l'insultant de cracmol, ils sous-entendaient qu'il était gay et que Scorpius était son petit ami, et ça l'enrageait aussitôt.
C'était trop bête… Ces bêtises, il s'en fichait bien, lui ! Oui il était très proche de Scorpius, mais loin d'être amoureux de lui. Et puis, même s'il l'était, pourquoi cela devait-il compter ? Il faisait ce qu'il voulait, bordel !
Albus finit par reprendre ses esprits, la gorge toujours nouée. Sa marche dans le couloir du Poudlard Express durait depuis trop longtemps à présent, l'angoisse puis la colère qui l'avaient saisi avaient été suffisamment fortes pour qu'il ne fasse même plus attention aux compartiments qu'il croisait. Pourtant, son instinct effectua un travail redoutable puisque, lorsqu'il leva les yeux, il vit à travers la porte du dernier compartiment une tête bien connue et, heureusement, amicale.
Scorpius était un beau garçon. Albus avait toujours pensé cela sans pour autant rougir : ce n'était que pure vérité. Il le trouvait bien plus beau que lui en tout cas. Il avait des cheveux blonds comme de la paille qu'il coiffait très simplement – vers la droite. Il avait un petit nez et des yeux bleus assez clairs. Son visage était fin et plein de la grâce toute noble héritée de son paternel, mais il y avait aussi une touche plus ronde et plus douce qui lui venait de sa mère, et cela lui donnait un air foncièrement amical. Albus n'avait jamais croisé Astoria Malefoy que sur le quai de la voie 9 ¾, mais elle avait toujours un port noble et altier, elle était une très belle femme.
Cependant, ce qui attrapait systématiquement l'œil d'Albus, c'était la capacité de son ami à remarquablement bien s'habiller. Non pas que lui soit incapable de tout bon goût, il avait de beaux vêtements et autres fringues qu'il appréciait plus que d'autres, et il aimait à penser qu'il ne s'habillait pas spécialement mal. Mais comparé à Scorpius, il faisait pâle figure. Aujourd'hui, son ami portait un pantalon brun, ainsi qu'un simple t-shirt noir au-dessus duquel il avait mis une chemise blanche dont il avait retroussé les manches.
À quinze ans, Scorpius commençait à beaucoup changer, pensa Albus. En à peine deux mois et demi durant lesquels ils ne s'étaient pas vus, il lui trouvait les traits plus marqués, des muscles qui se dessinaient légèrement sur son corps et pour finir il avait encore grandi malgré sa taille respectable ; l'ensemble lui donnait un air mi-enfantin, mi-viril… Il restait toutefois un peu plus petit qu'Albus, et cela lui convenait parfaitement !
Albus sentit son cœur se réchauffer. Scorpius avait le regard perdu à travers la vitre et il souriait distraitement, comme à son habitude. Il tenait un livre ouvert dans sa main droite, qu'il ne lisait apparemment que par intermittence. Son ami avait une nature calme. Ses émotions, bien que parfois impétueuses, restaient souvent enfouies à l'intérieur de son être car il avait un peu de mal à s'ouvrir aux inconnus. D'aucuns le disaient timide, tout simplement. En revanche, lorsqu'on le connaissait, il devenait soudainement un garçon plus expansif et chaleureux, qui ne craignait pas de s'exprimer.
Albus était heureux de l'avoir trouvé. Après l'épisode avec Rose, passer le reste du voyage avec son ami au cœur léger et au sourire rassurant était la meilleure chose au monde.
Albus ouvrit la porte du compartiment au moment où Scorpius décida de se lever de son siège, ainsi se retrouvèrent-ils bêtement l'un face à l'autre, les bras ballants et le visage niais de surprise. Bien vite cependant, Scorpius s'illumina d'un large sourire et s'exclama :
— Hey Albus ! Ça fait plaisir de te voir.
Ces simples mots déclenchèrent en lui un élan d'affection qu'il n'avait encore jamais ressenti – pas même envers quelqu'un de sa famille. Un autre effet de sa discussion avec Rose et des provocations de McLaggen, sans doute. N'empêche qu'Albus agit d'instinct et enserra son ami dans une étreinte solide et débordante d'émotion – enfin, de son côté du moins.
— Woah, euh… Ok, reprit Scorpius maladroitement. C'est un câlin. Hum… On se fait des câlins, nous, maintenant ?
Albus ne sut que répondre, il se sentit rougir de la stupidité de la situation. Jamais, en quatre ans d'amitié, ils ne s'étaient fait le moindre câlin non. Difficile d'être moins viril. Néanmoins, il se décida à être bon public et eut un petit rire léger avant de laisser son ami retrouver l'usage de son corps.
— Désolé vieux. Je, euh… Trop plein d'émotions, je suppose.
Albus était honnête, avec Scorpius. Il répugnait lui mentir, d'autant que son ami excellait dans l'art de repérer ses mensonges.
Scorpius était un garçon définitivement malhabile avec ce genre de démonstration d'affection, même lorsqu'elles se déroulaient en privée comme dans ce compartiment. Toutefois, il savait bien que quelque chose de fort avait dû se passer et qui avait poussé Albus à agir ainsi.
— Toi ? Trop plein d'émotions ? demanda Scorpius tandis qu'il reprenait sa place contre la fenêtre. Tu plaisantes, Al, j'espère ? Tu es le champion de l'impassibilité !
Sa voix transpirait le sarcasme. S'il y avait bien une capacité qu'il n'avait pas, c'était l'impassibilité… Albus soupira, toujours debout, les yeux dans le vague du paysage qui se construisait et se déconstruisait au gré de leur voyage.
— J'vois bien que tu te fous de ma gueule, débile ! protesta Albus avec un petit rire. J'étais énervé. J'ai croisé ce con de McLaggen.
— Oh ! C'est vrai que ce n'est pas une perle pour l'humanité, ce type. J'espère que tu ne vas pas commencer à me faire des câlins chaque fois que tu es énervé, quand même. Vu ta patience avec les potions, je vais devoir passer tous les cours avec un garde du corps !
Albus eut un nouveau rire en imaginant la scène.
— J'le défonce ton garde du corps moi. Mais j'avoue, c'est pas parce que j'étais énervé, le câlin. C'est plutôt parce que j'étais frustré...
— Et tu viens te coller à moi quand tu es frustré ? envoya Scorpius avec un sourire en coin.
Albus eut un rire un poil plus nerveux qu'il ne l'aurait pensé. Il se passa machinalement la main dans la nuque.
— Ok, ok, tu me tiens. Pas frustré alors. Disons un peu triste.
— Oh… Et quel est le saligaud qui t'a rendu triste, que j'aille le secouer un peu ! lança Scorpius avec un sourire, en faisant semblant de se lever pour aller se battre
— Rose, avoua-t-il lentement.
Scorpius laissa échapper un petit « oh » entendu, comme pour dire qu'il comprenait la portée de la conversation. Il se laissa retomber sur la banquette.
— Tu veux t'asseoir ? proposa Scorpius après un petit silence. Je m'apprêtais à aller te chercher dans le train mais on dirait bien que tu m'as retrouvé tout seul.
Albus pouvait affirmer avec certitude que Scorpius avait senti son inconfort et essayait de changer de sujet pour lui redonner le sourire. C'est donc tout naturellement qu'il acquiesça et s'assit.
— Elle pense toujours que tu serais mieux avec d'autres amis ? demanda-t-il avec une voix qu'il voulait légère, comme s'il énonçait un simple fait, mais qui se fit plus affectée qu'il ne s'y attendait.
— Malheureusement, soupira Albus en réponse. Je ne comprends vraiment pas. Je te défends toujours quand ils se mettent à me parler de toi, je leur propose de venir te parler cinq minutes ! Juste cinq minutes, bordel ! Il ne faut pas plus de temps pour se rendre compte que j'ai besoin de personne d'autre !
— Eh bien, je te remercie ! répondit Scorpius avec un rire dans la voix.
Albus avait besoin de penser à autre chose. Il savait que Scorpius ne lui en voudrait pas de changer de sujet une fois de plus, aussi il demanda :
— C'est quoi ton livre ?
— C'est du Rimbaud.
— Qui ?
— Rimbaud. Arthur Rimbaud ? Ça te dit rien ?
Albus secoua la tête.
— Un poète moldu. Un Français.
Scorpius avait des étincelles dans les yeux à l'évocation du poète. Albus s'étonna :
— Tu lis de la poésie française, toi, maintenant ?
— J'ai découvert les trois tomes de ses œuvres complètes dans la bibliothèque de mon père cet été, au hasard. Ce type me fascine, c'était un petit génie mais qui ne s'est jamais senti à sa place. Il avait notre âge, et il n'a pas arrêté de fuguer, d'écrire sur la liberté, sur la jeunesse, sur ce qu'il ressentait à notre âge dans un monde qui sortait d'une guerre… Il s'est enfui de chez lui pour aller à Paris, est tombé amoureux d'un autre poète qui avait genre deux fois son âge, et il s'en fichait…
— Attends, attends… Il est tombé amoureux d'un autre poète ? Un mec ? Qui avait deux fois son âge ? Tu veux dire que c'est comme si nous on sortait avec quelqu'un de, genre, trente piges après avoir fugué ?
— Ouais ! s'enthousiasma Scorpius avec un rire. Il l'a convaincu de quitter sa femme et tout, c'était n'importe quoi ! Ils sont allés vivre ensemble en Belgique, et même à Londres ! Ils s'aimaient autant qu'ils se détestaient, c'est le pur amour de roman.
— Je vois. Et ça se finit bien cette histoire ?
— Non, pas très bien…
— Pas très bien genre ils se séparent ? essaya Albus, curieux.
— Pas très bien genre ils se séparent et Rimbaud finit avec une balle de revolver dans l'épaule, puis abandonne toute sa vie de poète pour s'enfuir et devenir braconnier et trafiquant en Afrique. Il n'a plus rien écrit après ça.
— Ah ouais, ok, conclut Albus, un peu consterné. Tu lis les histoires d'un mec complètement fou !
— Juste amoureux… Tu ne sais pas ce que ça peut faire aux gens, d'être aussi follement amoureux.
Scorpius parlait à nouveau avec des petites étoiles dans les yeux. Il continua :
— Et puis imagine le courage : ils vivaient au dix-neuvième siècle ! Imagine le courage qu'il fallait, à l'époque ! Tout le monde devait leur lancer des cailloux, la police les poursuivaient…
— Pas cool, commenta Albus, un peu désintéressé.
— Et puis on s'en fiche, à la fin. Car ce qui compte, c'est que ce type avait notre âge et il écrivait des trucs si beaux que son livre me dure des jours et des jours entiers !
Tandis que Scorpius parlait, les yeux d'Albus dérivèrent vers le petit agenda couvert de cuivre noir qui était posé sur la tablette du compartiment, à côté duquel se trouvait une magnifique plume d'oie dont le bout était noir. Albus se remémora avec un sourire la discussion stupide qu'ils avaient eu sur l'intérêt des plumes alors que des stylos bien plus efficaces existaient depuis des années chez les moldus.
— Ton été à toi s'est bien passé ? demanda Scorpius par pure politesse, une fois qu'il eut fini de parler de son poète.
— Ça peut aller. On m'a laissé tranquille en fait.
— James ne t'a pas trop ennuyé ?
— Si, à l'occase. Mais je gueule, et il commence à comprendre que ça sert à rien. J'crois même qu'il est prêt à t'apprécier, Scorp.
Scorpius parut surpris par la nouvelle. Il hocha la tête avec un petit sourire.
— Tu sais, parfois je t'envie, glissa Albus en fixant ses pieds. Je préfèrerais n'avoir aucun frère et être fils unique. Je m'engueulerais peut-être moins avec mon père si c'était le cas.
— Tu ne devrais pas dire ça, Al. Ce n'est pas spécialement la belle vie chez moi non plus...
Albus n'avait pas écouté sa réponse. Mélancolique, il observait le paysage glisser à travers la fenêtre.
Scorpius n'aimait pas voir Albus comme cela. Il lui rappelait lui-même, dans ses périodes passées où tout lui paraissait fade, sans goût. Il se levait le matin, apathique, et n'appréciait ou n'haïssait rien. Il vivait, sans plus, tel un mollusque qui se traînait d'un jour à l'autre sans rien attendre ni chercher.
Depuis qu'il avait Albus à ses côtés, ces moments avaient tous disparus. Quand il commençait à se sentir seul l'été, ou quand la maladie de sa mère faisait revenir ses pensées noires, il pouvait simplement prendre une plume et lui écrire, laisser divaguer ses pensées sur un long parchemin… Il était assuré, systématiquement, de recevoir une réponse dès le lendemain, un tout aussi long parchemin qui l'emplissait d'une chaleur douce et lui faisait reprendre goût aux choses. Au bas de celui-ci, toujours le même prénom, la même signature qui lui faisant tant de bien…
C'était cette même chaleur qu'il avait ressentie, quelques minutes auparavant, quand il avait vu Albus se jeter sur lui et l'enserrer contre lui. Il se sentait un peu coupable, mais il avait apprécié ce câlin. Après deux mois sans se voir, à ne parler que par lettres, c'était une démonstration d'affection touchante… Car non seulement Albus le comprenait, mais il lisait en lui comme dans un livre ouvert. Il utilisait toujours les mots qui perçaient droit dans sa carapace pour l'atteindre immédiatement au cœur. C'était cela qu'il aimait tant chez Albus.
— Mon père est directeur de Gryffondor désormais.
— Vraiment ? répondit Scorpius, lentement. Le mien de Serpentard... Oh, ça ne va pas être une année très agréable pour nous…
Albus n'aurait su dire si son ami était sérieux ou non, mais il avait effectivement l'impression que cette année commençait avec un peu trop d'émotion à son goût.
Merci de m'avoir lu ! On se retrouve vendredi 15 juillet pour le chapitre 2 : Le plan de Neville !
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Vince
