Bonjour !
Je suis heureuse de publier cette nouvelle histoire, qui est un modern!UA inspiré du roman Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro (que je vous recommande fortement). Elle comporte à l'origine quatorze chapitres, que j'ai choisi de découper en deux en raison de leur longueur. Je posterai normalement le vendredi et le mardi.
Au niveau des ships, vous retrouverez principalement du Jaime/Cersei avec également un peu de Cersei/Alyssa (un OC de ma création) et de Jaime/Brienne ; cependant, si vous vous posez la question, un élément de cette fic que vous découvrirez rapidement fait qu'il n'y aura pas de foursome et que personne ne va quitter personne pour personne, aucune "guerre des ships" n'est donc nécessaire ici.
J'espère que ça vous plaira !
Et les étoiles disparaîtront
Chapitre 1 – Hautjardin
Partie 1
oOo
Tyrion rêvait.
Il était dans un endroit qu'il n'avait jamais visité auparavant, un endroit qu'il n'avait jamais aperçu que dans des livres ou des films. Il faisait chaud, très chaud, le soleil lui brûlait la peau et l'aveuglait. Le sable soulevé et transporté par le vent l'obligeait à se protéger le visage. C'était étrange – le vent semblait provenir de toutes les directions. Tyrion pouvait bien tourner la tête autant qu'il le voulait ou même partir en courant, cela ne changerait rien.
Il n'y avait pas d'échappatoire à ce désert sans fin. Le ciel était ironiquement bleu. Il regretta de ne pas être un oiseau et de ne pas pouvoir s'envoler loin, très loin de cet enfer de feu et de solitude. Il n'avait pas peur, pourtant.
Et ceci, davantage que ce désert qui lui était totalement inconnu, était peut-être bien ce qui le perturbait le plus.
Il était seul, il se trouvait dans un endroit hostile et dangereux où personne n'était là pour lui venir en aide. Il aurait dû être terrifié – n'importe qui aurait été terrifié.
Mais Tyrion n'avait pas peur.
Étrangement, il sentait qu'il était à sa place ici.
Et il n'y avait pas d'autre endroit sur la planète où il aurait dû se trouver – où il aurait voulu se trouver.
Un sifflement qui n'était pas celui du vent attira son attention. A quelques centimètres de lui, un gros serpent noir glissait sans un bruit sur le sable, l'astre solaire faisant luire ses écailles d'ébène d'un éclat hypnotisant. Tyrion eut la sensation de le connaître, même si évidemment, ce n'était pas possible. Ce n'était qu'un serpent, après tout. Un serpent comme il en existait des milliers d'autres.
Sans qu'il comprenne pourquoi, son cœur se mit à accélérer. Il trouva cela stupide. Pourquoi avoir peur ? Il était chez lui et le serpent était lui aussi chez lui. Depuis combien de temps le reptile était-il là, à l'observer ? Quelque chose lui soufflait qu'il s'était glissé dans son sillage dès l'instant où il avait débarqué dans ce désert.
Le serpent tournait autour de lui de plus en plus vite. Tyrion ne fit pas le moindre geste pour s'éloigner. Il était chez lui. A sa place. Et il n'y avait pas d'autre endroit au monde où il aurait dû se trouver.
Lorsque l'animal planta ses crocs venimeux dans sa chair, il ne hurla même pas.
C'était comme cela que les choses avaient toujours été supposées se terminer.
Tyrion ouvrit les yeux, troublé.
Le désert avait disparu. Une timide aurore rose et orange qui pointait à travers les rideaux verts avait remplacé le ciel d'un bleu cruel et le soleil brûlant. Par réflexe, Tyrion se redressa et tâta son mollet. Il ne trouva aucune trace de morsure.
Bien sûr qu'il ne trouva rien.
Il avait fait un rêve, rien de plus.
Réprimant un soupir, il contempla quelques instants supplémentaires les murs de sa chambre comme pour se convaincre qu'il avait bien quitté le désert, qu'il avait bien les pieds sur terre. Cette affreuse couleur vert pâle qu'il avait toujours détestée lui confirma qu'il était de retour au pensionnat de Hautjardin et que ce qu'il avait sous les yeux ne pouvait pas être plus réel.
Il se passa une main dans les cheveux et s'approcha de la fenêtre avant d'écarter les rideaux. Son réveil indiquait huit heures. Il avait dormi tard. Ce n'était pas dans ses habitudes. Ce qu'il aimait, c'était observer le lever du soleil par la fenêtre, contempler la nature s'éveiller tout doucement, entendre les oiseaux se mettre à chanter l'été, admirer le givre étinceler l'hiver. C'était presque comme un rituel. Jaime se moquait gentiment de lui, parfois – lui était plutôt du genre à quitter son lit à la dernière minute et à courir pour ne pas être en retard, le matin – mais Cersei le comprenait. Cersei se levait toujours à l'aube parce qu'elle estimait que dormir était une perte de temps. Il leur arrivait de sortir dehors et d'observer le lever du soleil tous les deux lorsque le temps le leur permettait. Ils brisaient rarement le silence presque religieux qui les enveloppait. Tyrion n'avait jamais été bavard et Cersei détestait parler pour ne rien dire.
Souvent, il lui disait qu'ils étaient faits pour s'entendre.
Et Cersei souriait.
Quelques éclats de rire tirèrent Tyrion de sa rêverie. Les enfants les plus jeunes étaient sortis et s'amusaient à sauter à pieds joints dans les flaques d'eau ou sur les tas de feuilles mortes. Mordane était visiblement chargée de les surveiller mais la gardienne n'avait jamais su faire preuve de beaucoup d'autorité – Tyrion en savait quelque chose. Il se perdit dans la contemplation du manteau rouge et doré qu'avait revêtu la nature avant de se détourner. Ses yeux se posèrent sur le calendrier accroché au mur.
27 octobre 2017
Halloween approchait à grand pas, ce qui n'était probablement pas étranger à l'état d'excitation permanent dans lequel se trouvaient les pensionnaires les plus jeunes. Un petit sourire amusé étira ses lèvres.
Il avait été comme eux à une époque pas si lointaine.
Il s'habilla rapidement tout en déplorant une nouvelle fois que la couleur des murs de sa chambre soit si laide. Celle de Cersei était peinte d'un joli bleu – Tyrion l'enviait un peu.
Le couloir était désert lorsqu'il quitta la pièce. Il hésita lorsqu'il passa devant la porte de la chambre de Jaime mais se résolut à ne pas frapper – il devait probablement être toujours profondément endormi. Ce fut donc seul qu'il acheva de traverser le couloir en laissant son regard se promener sur les photos de constellations accrochées aux murs. Il ne put résister à l'envie de s'arrêter devant celle qu'il préférait : le Lion.
Après quelques secondes, il se remit en marche et percuta par inadvertance une jeune fille qui tomba en arrière sans aucune élégance.
« Je suis désolé ! » s'exclama t-il en lui tendant la main.
Il la reconnut aussitôt. A dix ans à peine, Lyanna était pourtant la plus jeune Supernova du pensionnat. Comme tous les enfants qui atteignaient cet âge, elle avait quitté l'aile des Météores pour rejoindre l'aile des Comètes à peine quelques semaines plus tôt.
« Pas grave, » bougonna t-elle d'un ton peu aimable.
Elle refusa sa main tendue et se releva en se frottant le bas du dos. Sans un mot supplémentaire, elle s'éloigna. Tyrion devait admettre qu'elle l'impressionnait beaucoup. La plupart des enfants avaient du mal à s'adapter quand ils étaient séparés de leurs camarades et envoyés parmi les grands, comme ils les appelaient, mais pas Lyanna. Cette fillette n'avait jamais peur de rien.
Tyrion n'avait pas eu peur non plus, mais Tyrion avait eu Cersei et Jaime. Lyanna était plus courageuse qu'il ne le serait jamais.
Il descendit les escaliers jusqu'au réfectoire qui commençait doucement à se remplir. Lorsqu'il se retrouva face aux deux longues tables, il hésita, et s'assura d'un coup d'oeil qu'Aerys Targaryen, le directeur du pensionnat et le fondateur du programme Constellation, n'était pas là. Ni lui, ni aucun gardien n'était en vue. Rassuré, il se dirigea vers la table des Soleils et se laissa tomber à côté de son ami Bronn. Celui-ci, le nez dans son bol de céréales, n'était visiblement pas très en forme, et Tyrion savait exactement pourquoi.
« Tu es sorti, la nuit dernière, » remarqua t-il en guise de bonjour.
Bronn roula des yeux.
« Rien ne me l'interdit. »
« Tu sais bien que les gardiens nous répètent qu'officiellement, on n'est pas censés passer la nuit en dehors du pensionnat. Tu devrais le savoir depuis... »
« Officieusement, c'est Baelish le boss, et il se fout pas mal de ce qu'on fait dans ou à l'extérieur du pensionnat, » rétorqua t-il.
Il leva le bras et désigna la petite bosse qu'il avait sur le creux du poignet – la bosse que tous les pensionnaires possédaient.
« Grâce à ça, il sait exactement où j'étais la nuit dernière, et il n'en a rien à cirer. C'est ce vieux fou d'Aerys qui... »
« Ne parle pas comme ça ! » le tança Tyrion.
« Du calme, le nain. Tu le vois quelque part ? »
« Non, mais... »
« Alors où est le problème ? »
D'un geste sec de la tête, Bronn désigna la table des Supernovas où Rhaegar, Viserys et Daenerys prenaient leur petit-déjeuner en bavardant tranquillement. Si Lyanna était la plus jeune Supernova, ils étaient les plus âgés du haut de leurs vingt-huit, ving-cinq et vingt-trois ans.
« Bien sûr, ce serait mauvais pour moi que ces trois-là aillent cafter. »
« Je ne vois pas pourquoi ils le feraient, » dit Tyrion sans grande conviction.
Un blanc s'installa entre eux. La conservation s'était aventurée en terrain glissant et aucun d'eux n'avait envie de se retrouver embourbé. Bronn acheva de manger son bol de céréales en silence, l'air maussade.
« Alors, » reprit Tyrion au bout d'un moment, hésitant. « Qu'est-ce que tu as fait la nuit dernière ? »
Le visage de Bronn se fendit d'un sourire carnassier. Tyrion roula des yeux et se traita mentalement d'idiot – c'était, après tout, évident.
« Elle s'appelait comment ? »
« Je ne me rappelle pas, » fit-il en haussant les épaules. « Mais bon sang, elle était belle. Si tu avais vu son... »
« J'ai saisi l'idée, » coupa Tyrion avec une légère grimace.
Bronn lui donna un coup de coude.
« Tu devrais venir avec moi, un de ces jours. »
« Non merci. »
« Tu as quel âge, déjà ? Dix-sept ans ? »
« Hmm... »
Bronn se leva et lui donna une tape dans le dos.
« Ça ne te ferait pas de mal de te décoincer un peu ! »
Tyrion rougit et se perdit dans la contemplation de son verre de jus d'orange pour éviter d'avoir à répondre.
« J'aurai dix-huit ans dans six mois, » conclut Bronn. « Je profite de la vie tant que je peux. »
Il n'y avait aucun apitoiement dans sa voix, pas même une forme de résignation. C'était un constat, rien de plus.
Tyrion hocha la tête et le regarda s'éloigner.
Son rêve lui revint en mémoire, une drôle de sensation prit naissance au creux de son estomac.
Une morsure de serpent imaginaire sembla lui brûler la jambe.
.
Cersei traversait les couloirs du pensionnat d'une démarche assurée. Elle jeta un coup d'oeil à sa montre – il était presque neuf heures. C'était parfait. Comme tous les matins, elle s'était fait un devoir de se lever tôt pour ne surtout pas être en retard. Alyssa aimait bien la taquiner avec ça, elle trouvait ça drôle – sauf les soirs où elle dormait dans la chambre de Cersei et où celle-ci la réveillait aux aurores.
Lorsqu'elle atteignit l'aile des Météores, les enfants l'attendaient sagement devant la porte de la classe. Aujourd'hui, elle était chargée de donner un cours d'arts plastiques aux petits Soleils – il n'y avait plus de Supernovas dans cette partie du pensionnat depuis que Lyanna avait été transférée dans l'aile des Comètes. Elle ignorait si d'autres allaient bientôt les rejoindre puisqu'aucun pensionnaire n'était jamais au courant de ce genre de choses.
Après leur avoir offert un sourire rassurant, elle fit entrer les Soleils dans la salle. Elle ne savait pas pourquoi on lui avait confié le cours d'arts plastiques plutôt que celui d'anatomie. C'était Tyrion qui était doué pour les arts plastiques, pas elle. Quant à Jaime, il aurait tout à fait été capable de superviser ce cours, malgré son désintérêt pour la matière.
Oui, mais Jaime se lève toujours trop tard pour assurer les cours du matin, se souvint-elle avec agacement.
Les pensionnaires les plus âgés étaient chaleureusement invités à assister les gardiens et faire cours aux plus jeunes. Ni Aerys Targaryen, ni Petyr Baelish, qui était directeur adjoint, n'auraient permis à un Soleil de se dérober à ses devoirs, mais Jaime n'était pas un Soleil. Jaime était un Supernova et il était de notoriété commune que les Supernovas bénéficiaient d'un traitement de faveur.
Alors que les enfants s'installaient, elle se creusa la tête pour trouver quoi leur faire faire. Ce fut la petite Barra, qui s'était mise à gribouiller sur la table, qui lui donna une idée.
Elle distribua donc des feuilles et des crayons de couleur aux quatre Soleils. Mycah, le plus âgé, avait neuf ans. Barra en avait sept et Olly et Jeyne en avaient cinq. Il y avait d'autres Soleils plus jeunes à Hautjardin mais ils n'étaient pas encore assez âgés pour recevoir une instruction.
Alors que les enfants se mettaient à dessiner avec enthousiasme, elle s'approcha de la fenêtre. C'était une belle journée d'automne. Peut-être qu'elle pourrait retrouver Alyssa après le déjeuner pour une promenade au milieu des feuilles mortes. Cette pensée lui remonta un peu le moral et elle reporta son attention sur les enfants.
Leurs feuilles étaient recouvertes de bleu foncé et de jaune. Cersei fronça légèrement les sourcils.
« Ce sont des étoiles, » lança Barra, un grand sourire sur les lèvres.
Cersei cligna des paupières.
« Oh. Bien sûr. »
« Et les étoiles renaîtront ! » fit Olly.
« Et les étoiles renaîtront ! » répétèrent les trois autres.
Le cœur de Cersei manqua un battement.
Un petit sourire étira ses lèvres.
« Et les étoiles renaîtront, » murmura t-elle doucement.
Ces mots étaient profondément ancrés en elle depuis son enfance.
Lorsqu'elle laissa partir les enfants, elle sentit un frisson la traverser.
.
« Alors c'est toi qui as dû te charger du cours d'arts plastiques. »
Alyssa laissa échapper un petit rire. Cersei roula des yeux.
« Je m'en suis bien sortie. »
« Que leur as-tu fait faire ? »
« Du dessin. »
Elle haussa un sourcil et rejeta ses longs cheveux bruns en arrière.
« N'étais-tu pas censée leur enseigner quelque chose ? »
« Je leur apprends à développer leur imagination, » répondit-elle, faussement vexée.
Quelque chose dans cette phrase sonnait pourtant étrangement faux – l'image des quatre feuilles recouvertes de bleu et de jaune vint flotter devant ses yeux.
Alyssa pouffa et lui vola un baiser, auquel Cersei répondit bien volontiers. Le vent faisait voleter ses longues bouclées dorées – elle tenta de se recoiffer, sans succès.
« Tes cheveux sont très bien comme ça, » lui assura Alyssa avant de lui prendre la main et de l'entraîner sur leur banc préféré, celui qui faisait face au petit étang sur lequel les enfants patinaient, l'hiver.
« Tu sais que je déteste être décoiffée. »
Jaime se moquait parfois de son obstination à prendre soin de son apparence. Tyrion, refusant de prendre parti, ne disait rien. Alyssa la complimentait tous les jours sur sa beauté, et c'était la seule chose qui comptait à ses yeux – il n'existait pas de plus douce musique à ses oreilles.
« Tu es magnifique même quand tu es décoiffée, » susurra Alyssa en l'embrassant dans le cou. « Un vrai chef-d'oeuvre. C'est toi que les enfants devraient étudier en cours d'arts plastiques. »
Cersei gloussa et se pressa contre celle qui faisait battre son cœur. Le soleil allumait des paillettes dorées dans ses yeux.
« Comment s'est passé le cours de sport ? »
« Plutôt bien. Ils ont l'air d'apprécier l'escrime. »
« L'escrime... ou celle qui la leur enseigne ? »
Alyssa leva les yeux au ciel.
« L'escrime, voyons. »
« Ils ont donc des goûts étranges. »
Elle enroula les bras autour d'Alyssa et enfouit le visage dans son cou.
« Tu me manques, » avoua t-elle. « J'ai l'impression de ne te voir qu'en coup de vent. »
Alyssa soupira.
« Tu sais bien qu'Aerys n'aime pas que les Soleils et les Supernovas se fréquentent d'un peu trop près. »
« C'est ridicule, » siffla Cersei. « Même Baelish s'en moque. »
La brune s'écarta et haussa les épaules. Cersei se mordit la lèvre mais n'ajouta rien. Poursuivre cette conversation mènerait inévitablement à une dispute et aucune d'elle n'en avait envie. Alyssa avait raison, dans un sens. Le directeur ne s'était jamais privé de faire savoir qu'il désapprouvait que les Soleils et les Supernovas passent du temps ensemble, mais dans les faits, rien ne les empêchait vraiment de le faire, sinon la crainte d'assister à une des colères noires dont il avait le secret. Cersei pensait qu'il était fou. Elle le disait à voix haute, parfois, et ses propos horrifiaient Alyssa et Jaime – elle avait pris l'habitude de se taire, même si les mots lui brûlaient la gorge, même si la rage lui brûlait le cœur. Elle aimait Alyssa et Alyssa l'aimait – qu'est-ce que ça pouvait bien faire, que l'une était une Soleil et l'autre une Supernova ?
Cersei plissa les yeux. Le doux vent d'automne qui avait ruiné sa coiffure lui apportait des odeurs d'enfance et de feuilles mortes. L'eau de l'étang ondulait et un millier de petits diamants semblaient recouvrir sa surface, douce illusion solaire qu'elle ne se lassait pas de contempler.
« C'est bientôt ton anniversaire, » lâcha Cersei, verbalisant le sentiment d'angoisse qui la tenaillait depuis quelques jours.
Alyssa acquiesça doucement, nullement triste, nullement inquiète.
« C'est vrai. »
Alyssa allait atteindre son dix-huitième anniversaire dans moins de deux semaines. Toutes deux savaient ce que ça signifiait.
Le vent se mit à souffler plus fort. Agacée, Cersei rabattit ses cheveux derrière ses oreilles.
« Ça ne te fait rien ? »
Sa voix s'était faite plus sèche qu'elle ne l'avait voulu. Comme pour s'excuser, elle prit la main d'Alyssa et la pressa doucement.
En guise de réponse, celle-ci lui adressa un regard interrogateur.
« Qu'est-ce que tu veux dire ? »
« Tu n'es pas triste ? »
Cersei eut l'impression d'avoir dit quelque chose de saugrenu, et c'était effectivement le cas, comme n'aurait pas manqué de le lui rappeler Baelish s'il l'avait entendue.
« Pourquoi le serais-je ? »
« Parce que... parce que... »
Elle posa une main sur la petit bosse située sur son poignet. Son cœur lui faisait mal, et le fait que son cœur lui faisait mal était quelque chose de mal en soi.
Elle n'était pas censée être triste.
« Parce que tu vas partir. »
Un horrible goût d'amertume se répandit dans sa bouche, quelque chose qui lui évoqua un automne pluvieux, gris et triste.
Un automne sans Alyssa.
Sa petite-amie lui sourit avec gentillesse.
« Les étoiles renaîtront, » lui rappela t-elle, comme si Cersei aurait pu l'oublier, comme si elle n'y pensait pas à chaque seconde, comme si ça ne lui faisait rien. « Ne sois pas triste, Cersei. Les étoiles renaîtront et... c'est quelque chose de beau. »
Les yeux de Cersei la brûlaient – c'est en baissant les yeux vers ses mains humides qu'elle s'aperçut qu'elle pleurait.
« Alors tu n'es pas triste de me quitter ? »
Alyssa posa une main sur sa joue et l'embrassa.
« Je t'aime, Cersei... et je ne regrette pas un seul instant le temps que nous avons passé ensemble... mais c'est mon destin. Notre destin à tous. »
Cersei, incapable de la regarder dans les yeux plus longtemps, se détourna. Elle fit courir ses doigts sur le banc, sur la petite gravure en forme de cœur qu'Alyssa avait laissée dans le bois quelques mois plus tôt. Cersei avait trouvé ça stupide mais elle avait insisté – c'était quelque chose qu'elle avait vu dans un film quelconque, quelque chose qu'elle trouvait incroyablement romantique.
C + A
Bientôt, elle serait la seule à se souvenir que cette gravure existait.
Cersei secoua la tête et, sans rien ajouter, elle se leva. Alyssa la suivit en silence.
.
Cersei s'amusait avec Jaime et les autres enfants : un peu plus tôt dans l'après-midi, elle avait eu l'idée de lancer une immense partie de cache-cache à travers tout le pensionnat. Elle avait neuf ans – dans quelques jours à peine, elle allait fêter son anniversaire.
Elle allait quitter ses camarades de jeu, aussi. Elle allait faire partie des grands et par conséquent, elle allait déménager dans l'aile des Comètes. Si elle était tout excitée à l'idée d'avoir une nouvelle chambre et de retrouver les pensionnaires les plus âgés, elle était aussi peinée de devoir laisser derrière elle ses amis. Oh, elle les verrait toujours, bien sûr, mais ce ne serait plus pareil – pas vraiment.
« C'est toi qui comptes ! » lança t-elle à Jaime, les yeux brillants.
Tyrion, du haut de ses huit ans, parut horriblement déçu. Ses yeux se remplirent de larmes.
« Je voulais compter... » hoqueta t-il.
Cersei s'approcha de lui et sortit un mouchoir de la poche de son pantalon.
« Ne pleure pas, » lui sourit-elle.
D'un air conspirateur, elle se pencha et lui murmura à l'oreille :
« Toi, il vaut mieux que tu te caches. Tu es si petit que Jaime ne te trouvera jamais ! »
Les yeux de Tyrion s'écarquillèrent.
« C'est vrai ? »
Ses larmes s'arrêtèrent de couler mais Cersei savait que ce n'était pas uniquement à cause de la perspective de remporter la partie. Les autres enfants se moquaient parfois de lui à cause de sa petite taille – elle tenait à lui montrer que son apparence pouvait être un avantage.
Les autres commençaient à s'impatienter, Oberyn et Elia en particulier. Bronn n'avait même pas attendu que Jaime se mette à compter et était déjà parti en quête d'une cachette, tout comme Margaery et Loras. Robert patientait tranquillement, les mains derrière le dos – il avait à peine quelques mois de moins que Jaime et Cersei. Lui aussi rejoindrait bientôt l'aile des Comètes. De leur côté, Alyssa et Brienne semblaient plus intéressées par la contemplation du ciel que par la partie de cache-cache.
« Je peux y aller ? » demanda Jaime à Cersei après s'être assuré lui aussi que Tyrion allait bien.
« Oui, vas-y. Mais n'espère pas nous trouver ! »
Jaime s'appuya contre le tronc d'un arbre et se mit à compter. Les enfants encore présents décampèrent aussitôt. Robert s'approcha de Cersei.
« Est-ce que... est-ce qu'on peut chercher une cachette ensemble ? » demanda t-il à la petite fille.
« Désolée, je vais me cacher avec Tyrion. »
« Oh... bien sûr. »
Il n'insista pas et s'éloigna, la tête basse. Cersei ne put s'empêcher de se sentir coupable face à sa mine déconfite. Robert était toujours si gentil avec elle...
« Robert ! »
Il s'arrêta et se retourna. Cersei déposa un petit baiser sur sa joue – ses yeux bleus se mirent à étinceler.
« Une prochaine fois, » sourit-elle.
Puis, elle prit la main de Tyrion et l'entraîna vers le pensionnat, puis à travers les couloirs. Lorsqu'il s'aperçut de l'endroit où elle l'entraîna, il se figea aussitôt, les yeux ronds.
« C'est l'aile des Comètes, ici, » s'effara t-il. « On n'a pas le droit d'être ici. »
« Justement, » répondit-elle avec le sourire. « Jaime ne pensera jamais à nous chercher ici. »
Cersei et Tyrion traversèrent le couloir où se trouvaient les chambres des Supernovas – elle se demanda laquelle allait bientôt devenir la sienne.
Tyrion se figea.
« J'entends quelqu'un. »
Effectivement, des voix que Cersei reconnaissait bien se faisaient entendre, et elles étaient proches. Trop proches. Si jamais on les trouvait ici, ils auraient de sérieux ennuis. Sans réfléchir davantage, la fillette ouvrit l'une des portes au hasard, poussa Tyrion à l'intérieur de la pièce et referma derrière elle.
« Pas un bruit, » lui intima t-elle.
Curieuse, elle colla l'oreille contre la porte pour tenter d'entendre ce qu'Aerys Targaryen et Petyr Baelish disaient. Elle ne trembla pas lorsqu'ils s'arrêtèrent à quelques mètres à peine de l'endroit où elle et Tyrion se cachaient – ils n'avaient absolument aucun moyen de savoir qu'ils étaient là.
« Pour la énième fois, je ne vois pas ce qui vous dérange dans le fait que les Soleils et les Supernovas suivent les mêmes cours et passent du temps ensemble, » dit Petyr Baelish.
« Et moi, je ne comprends pas pourquoi vous insistez toujours pour qu'ils reçoivent une instruction. »
« Quoi que vous et le monde extérieur en disiez, ce ne sont pas des enveloppes vides – ils méritent d'être traités avec considération. »
Aerys s'esclaffa avec mépris.
« Peut-être pas des enveloppes vides, mais ce ne sont pas des êtres humains. »
Cersei sentit un frisson lui parcourir le corps. Elle ne saisissait pas tous les enjeux de la conversation qu'elle était clandestinement en train d'entendre mais quelque chose la mettait mal à l'aise.
« Nos clients payent une fortune pour le service que nous leur proposons, » reprit Petyr. « Les clients du programme Supernova payent simplement plus cher – et à juste titre. Cependant, les Soleils et les Supernovas sont destinés à la même chose, indépendamment de qui a été leur modèle. Nous ne faisons pas pousser des légumes, Aerys. Il est vital que ces enfants soient éduqués et jouent ensemble – une mauvaise santé mentale pourrait avoir des conséquences désastreuse. »
Les deux hommes se remirent en marche. La dernière chose que Cersei entendit fut un cri rageur d'Aerys.
Le silence revint.
« Qu'est-ce que ça veut dire ? » lui demanda Tyrion alors que Cersei se laissait glisser contre la porte.
Il s'avança jusqu'à elle, une lueur interrogatrice dans les yeux.
« Pourquoi est-ce qu'on ne pourrait pas jouer avec les Soleils ? »
« Je ne sais pas, Tyrion... » répondit Cersei. « Je ne sais pas... »
Et, elle en était sûre, elle n'avait aucune envie de le savoir.
