Faute de mieux, ils furent simplement relégués dans le système, parmi les "secondes classes". Ils avaient toujours le droit aux soins d'urgence et à ce que leurs enfants aillent à l'école- il y avait parmi eux une jeune fille encore mineure qui aurait pu intégrer le système scolaire plutôt que de se réengager dans la marine.

-C'est le mieux que je puisse faire, dit Dessler à Kodai, qui râlait décidément encore plus que Starsha.

En face de lui, le terron eut un sourire amer.

-"Au moins, vous n'êtes pas sur Iscandar"?

-Croyez-moi, vous n'aimeriez pas.

Kodai eut un réflexe, levant à moitié la main avant de la baisser à nouveau et Dessler faillit s'excuser. Il n'avait jamais vu lui-même les blessures de Kodai mais son médecin avait évoqué le mot torture à plusieurs reprises.

-Vous ne leur avez pas dit? demanda-t-il plutôt.

Kodai détourna le regard.

-J'ai bien dû le faire.

-Comment ont-ils réagi?

-À votre avis? (Kodai inspira à fond. Il faisait ça tellement souvent, ces temps-ci, que Dessler en venait à se demander si c'était pour se détendre ou pour tenter de reprendre son souffle, avec ses métastases aux poumons.) Ils sont contents d'être ici. Horrifiés. Mais contents.

-Contents?

-Au moins, ils ne sont pas sur Iscandar. Ils espéraient... ils espéraient trouver de l'aide.

Dessler grimaça. De l'aide, hein. Ils levèrent les yeux, presque de concert, vers la planète au dessus de leur tête. Baleras avait été bâtie dans cet endroit spécifique, au plus près d'Iscandar la Grande.

-Je sais… commença Kodai. Que je… que nous ne rentrerons jamais sur Terre. Mais vous… vous pourriez peut-être faire évacuer ceux qu'il reste.

Dessler hocha machinalement la tête, le regard toujours levé vers le ciel. Bien sûr qu'il y avait déjà pensé, et il était presque certain que Starsha le laisserait faire. Mais il avait Sasha sur le dos, actuellement, et il doutait que son état-major approuve une telle mesure. Dietz, peut-être, et Talan. Hyss aussi. Celestella aussi, s'il arrivait à la convaincre, et Gimleh, sûrement. Les autres, ça risquait d'être plus compliqué. Zoellick, tout particulièrement.

-Je vais faire ce que je pourrai.

Un jour, Sasha aurait sa tête. Mais il réitéra sa promesse.


-C'est une très mauvaise idée, argua Celestella, le lendemain, après la réunion.

Il y avait beaucoup de gens qui se présentaient chez lui, ces temps-ci. Il retint son agacement. Tout ce qu'il voulait, c'était franchir cette porte, aller prendre un bain et passer le reste de la soirée avec sa fille.

-Vous étiez obligée de me suivre jusque chez moi pour me dire ça?

Celestella eut un vague geste d'excuse, pas le moins du monde contrite.

-Elle m'attend.

-Elle joue.

-Elle m'attend quand même.

-C'est une très mauvaise idée, réitéra-t-elle. Dame Sasha n'attend qu'un prétexte.

-Ce n'est pas Sasha qui est reine.

-Parce que vous croyez qu'elle manque de pouvoir?

Elle marqua une minuscule pause.

-Écoutez, je… je sais que c'est horrible. Mais nous sommes, et de loin, plus nombreux sur Gamilas qu'ils ne sont encore sur Terre. Vous devez penser à Gamilas avant de penser à la Terre.

À son tour, il prit un instant pour réfléchir, en la regardant. Il savait que ses prochains mots la blesseraient, et il en était désolé à l'avance, mais il devait quand même le faire. Elle cilla avant même qu'il n'ouvre la bouche, et il espéra qu'elle sache aussi qu'il s'en voulait.

-Tu sais, à l'époque, on m'a dit la même chose, pour Jirel.

Elle détourna les yeux.

-C'est un coup bas.

-Pardonne-moi.

-C'était différent. Nous… nous étions différents. Pacifistes. Sans autres armes que nos esprits pour nous défendre. Eux, ils ouvrent le feu sans sommation, ils…

-Je sais déjà ça. Mais quelle civilisation effrayée agirait autrement?

-Une civilisation moins belliqueuse, objecta-t-elle.

Ça ne voulait pas dire qu'ils méritaient de vivre moins que les siens. Mais elle refusait toujours de s'impliquer.

-Et si je peux agir sans qu'Iscandar le sache, tu m'appuieras?

Il la vit hésiter, incrédule.

-Comment?

Il sourit.

-Je trouverai une solution.

Celestella lui jeta un regard… désespéré?

-J'aimerais vous dire de ne rien faire d'absurde.

-Tu ne seras responsable de rien.

Ça ne la rassura pas. Mais c'était le mieux qu'il pouvait faire.

-Et quand ils seront là? lui lança Celestella. Vous ferez quoi?

Il grimaça. Il l'ignorait.