Notes
Suggestions musicales :
Letter from Matriarch — Trevor Jones, Dinotopia. (jusqu'à 02:30)
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Continuant sur le chemin dans la direction par laquelle Iris était venue, ils atteignirent le haut de la crête et débouchèrent peu après sur un autre chemin, plus large que le précédent. Ils tournèrent à droite, de manière à faire le tour de la cuvette dans le sens des aiguilles d'une montre.
— Je lui ai déjà dit d'éviter de fraterniser avec les ratons-laveurs, dit la gouvernante alors que Maisie les devançait et essayaient d'apercevoir le camp, ses enclos et ses animaux sur leur droite, derrière une végétation plus ou moins dense. Ils deviennent moins craintifs et viennent ensuite fouiller les poubelles et mendier à la porte de la cuisine. On a déjà eu des problèmes avec eux. Et j'évite de lui dire que ces problèmes se règlent souvent avec un fusil…
— L'essentiel, c'est qu'elle ne cherche pas à les nourrir ou à les attraper. Ce sont des animaux sauvages, il faut respecter leur quiétude.
— C'est ce que j'essaie de lui inculquer mais je préfère qu'elle voie les animaux de la forêt comme ses amis plutôt qu'elle reste toute la journée devant l'ordinateur et se fasse d'étranges et inquiétants amis humains sur la toile.
— En effet.
Ils passèrent devant l'entrée d'un autre chemin sur leur gauche mais contrairement à celui emprunté plus tôt, il était barré par une poutre levante en bois. A côté, il y avait un panneau de sens interdit accompagné de la mention « Interdit aux visiteurs et aux clients. Seuls les employés agrées ont l'autorisation d'emprunter ce chemin ». Etant donné le degré d'écaillement de la peinture du panneau ainsi que les taches et les mousses qui le recouvraient lui et son support, Guillaume sut qu'il était là depuis au moins quelques années et qu'il était antérieur aux enclos d'InGen. Il n'y prêta pas plus attention, supposant que le chemin devait mener à un local quelconque ou qu'il était trop dangereux pour que le manoir laisse ses hôtes l'emprunter.
— Elle m'a dit qu'elle était scolarisée à domicile, dit-il à Iris. Pourquoi, si ce n'est pas indiscret ?
— Benjamin en a décidé ainsi… Il a dit qu'elle apprendrait davantage et mieux ici que dans une salle de classe avec d'autres enfants. Il pense qu'elle est plus en sécurité ici et à son âge, il aimerait savoir qu'elle n'est pas loin, qu'il suffit de l'appeler pour qu'elle vienne…
— Je trouve ça dommage, personnellement.
— J'aurais aussi préféré qu'elle aille à l'école, fréquente d'autres enfants et se fasse de vrais amis. C'est ce qu'on avait fait avec sa… mère.
— On apprend aussi beaucoup de choses hors du confort et de la sécurité de chez soi, déclara Guillaume alors que le chemin montait doucement.
— Vous êtes loin de chez vous en tout cas, Monsieur Vuillier. La France n'est pas la porte d'à côté. Vous n'avez pas le mal du pays ?
— Pas particulièrement.
— Vous êtes comme mes parents. Mon père était anglais et ma mère espagnole. Ils ont émigrés d'Europe juste avant que la guerre n'éclate. Je suis née quelques années plus tard, en Californie, et j'y ai passé la majeure partie de ma vie.
— Vous travaillez pour Lockwood depuis longtemps ?
— Oh ça oui. J'étais déjà là lorsque lui et Hammond se sont rencontrés si c'est ce que voulez savoir. Je suis arrivée ici en 65, comme simple domestique.
— 65…, répéta Guillaume avant d'émettre un sifflement admiratif. Plus d'un demi-siècle…
— Autant vous dire que je ne connais que cet endroit comme foyer. J'ai vu Benjamin devenir un homme, succéder à son père, reprendre ses affaires, les fructifier, fonder InGen avec Hammond, fricoter avec Susan avant de tomber amoureux d'Elizabeth, se marier, devenir père… et plus tard grand-père… J'étais là aussi bien lors de ses meilleurs que de ses pires moments.
Susan ? Susan Lynton ? Se demanda Guillaume, avant de réaliser qu'il était tout à fait concevable qu'elle et Benjamin Lockwood aient été en couple à une époque.
— Et j'entends être là lorsqu'il s'éteindra. Ne nous leurrons pas, il mourra avant moi, ajouta Iris dans un murmure après s'être assurée que Maisie ne les écoutait pas. Sauf imprévu…
Le chemin bifurqua et à droite de celui-ci, le terrain descendait en pente raide entre les arbres. S'approchant prudemment du haut de la pente, Guillaume regarda en contrebas et vit qu'à une trentaine de mètres plus loin, il y avait un à-pic. Maisie copia son exemple.
— Maisie, éloigne-toi du bord s'il te plaît, lui ordonna Iris. C'est trop dangereux, le terrain est glissant. Tu vas tomber dans leur enclos et te faire manger toute crue.
La gouvernante se tourna vers Guillaume, qui venait de réaliser que l'à-pic était la falaise contre laquelle avait été construit l'enclos des acrocanthosaures, la seule partie du périmètre où on ne trouvait ni grande clôture périphérique, ni miradors de surveillance.
— Ils devraient mettre une barrière à ce niveau. Imaginez que certains au camp s'enivrent et viennent s'amuser par ici, ou qu'un cerf trébuche et tombe dans sa panique.
InGen a dû penser que la falaise était certes suffisante pour empêcher les prédateurs de sortir du camp mais ils ont oublié de songer à la situation inverse.
Iris enjoignit Maisie à ne pas s'attarder sur cette portion de chemin risquée et ils continuèrent. Lorsqu'un mirador occupé par une sentinelle et le début de la grande clôture apparurent, la gouvernante se détendit. D'un air morose, elle regarda entre les barreaux.
— Cette cuvette était autrefois magnifique. On y a eu bien des pique-niques à l'ombre des arbres, entre les herbes hautes et le ruisseau qui y coulait, au milieu du chant des criquets et des oiseaux, décrivit-elle avec nostalgie. Dommage qu'on l'ait détruite pour accueillir ces monstres…
— Ce ne sont pas des monstres, mais des animaux, rétorqua le directeur du CSMD.
— Pour certains, c'est du pareil au même. Pourquoi ne les ont-ils pas envoyés au premier parc, celui de San Diego ? Ils ont de quoi les héberger là-bas, une vente aux enchères peut facilement s'organiser et c'est plus proche d'une grande ville et des infrastructures qui y sont associées. La venue des acheteurs va occasionner tout un remue-ménage…
— Bien que vingt-deux ans se soient écoulés depuis cet incident avec le tyrannosaure, vous pensez bien que l'arrivée d'un grand nombre de dinosaures à San Diego, dont des grands prédateurs, engendrait une levée massive de boucliers chez ses habitants.
— Au final, tout ceci n'est qu'un jeu où on cherche à se refiler la patate chaude que ces créatures sont.
Ils remarquèrent que Maisie regardait les hadrosaures dans l'un des enclos centraux.
— Comment elle fait pour les aimer ? Se demanda Iris.
— De nombreux enfants sont passionnés par les dinosaures, répondit Guillaume avec un haussement d'épaules. Cette passion disparaît chez certains mais reste chez d'autres…
— Sa mère aussi les aimait. Benjamin l'a même emmenée lorsqu'ils sont allés rendre visite à Hammond dans les îles au Costa Rica.
L'attention du directeur du CSMD crût.
— Quand était-ce ?
— Je ne me rappelle plus trop. C'était peu avant l'incident. Elizabeth venait de mourir. Une maladie rare l'avait emportée et Benjamin voulait changer les idées de leur fille. Mais le séjour ne s'est pas passé comme prévu… Benjamin et son vieil ami se sont disputés au cours de ce dernier.
— A quel sujet ?
— Je ne l'ai jamais su. C'était Charlotte qui m'en avait parlé. Après cette dispute, plus rien n'a été comme avant…
— Charlotte ?
— Sa mère.
Guillaume acquiesça.
— Comment Charlotte est-elle…, commença-il.
— Un accident de voiture, le coupa-elle. Elle n'était qu'un bébé lorsque c'est arrivé.
Guillaume hocha la tête en silence et ils continuèrent, passant au-dessus d'une buse qui permettait autrefois à un petit cours d'eau, celui mentionné par Iris, de s'écouler librement dans la cuvette et au-delà. Avant le début des travaux, Lockwood l'avait fait murée, forçant l'eau à s'écouler ailleurs.
Un peu plus tard, alors que le camp d'InGen était en vue plus loin, Maisie revint vers Iris et Guillaume.
— Iris ! Regarde les baies que j'ai trouvées, dit-elle en lui présentant la paume de ses mains.
La gouvernante s'approcha de Maisie et vit qu'elle tenait des baies noires luisantes de la taille d'une petite cerise. Elle fronça les sourcils.
— Donne-les-moi s'il te plaît.
Maisie lâcha un soupir et les lui tendit.
— Ne les mange pas, hein, dit-elle.
Mais Iris ne répondit rien, trop occupée à étudier une des baies. La gouvernante remarqua que le calice était de forme étoilée, avec cinq dents courtes, et écrasa ensuite la baie entre son index et son pouce, révélant une pulpe juteuse violacée. Ses yeux s'écarquillèrent et elle releva vivement la tête pour regarder Maisie.
— Maisie, ne…
Trop tard. Maisie avait le cou arqué en arrière et venait de jeter une baie en l'air. Iris regarda la baie cesser de monter en l'air, s'arrêter une fraction de seconde, puis chuter vers la bouche grande ouverte de la jeune fille, avant de soudainement disparaître dans la main de Guillaume, qui s'était élancée aussi vivement qu'une langue de caméléon allant attraper une mouche. Il jeta la baie par terre et Maisie remit sa tête droite.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Demanda-elle, surprise par le geste du Français et le regard inquiet de la gouvernante qui soupirait de soulagement.
— De la Belladone, la cerise du diable…, lui dit Iris.
— De la Belladone ? C'est un poison il me semble, se rappela Guillaume.
— Un poison ? Répéta Maisie d'une voix hésitante.
Iris hocha la tête d'un air grave.
— Oui. Agrippine la jeune et Macbeth s'en sont tous deux servis comme contre leurs ennemis, l'informa-elle.
— Il faudra penser à se laver les mains en rentrant…, dit le directeur du CSMD en frottant les siennes sur son pantalon.
— Je veillerais à ce qu'elle le fasse, déclara Iris. Allez… Rentrons, Maisie. C'est bientôt l'heure de dîner.
Ils se remirent en route et atteignirent le village, qu'ils traversèrent avant de redescendre au manoir par le même chemin que celui que Guillaume avait emprunté la veille avec Elijah.
Ils se séparèrent dans le hall d'entrée mais alors que Guillaume s'apprêtait à prendre l'escalier, le gérant de la fondation Lockwood le héla :
— Monsieur Vuillier !
Guillaume s'arrêta.
— Oui ?
— Vous avez prévu d'aller dîner quelque part en particulier ce soir ?
— Non. Pourquoi ?
— Monsieur Lockwood et moi aimerions vous inviter à notre table ce soir. Accepteriez-vous ?
— Ce sera avec plaisir, répondit poliment le directeur du CSMD. Je dois juste me laver et me changer avant. J'ai été en randonnée toute la journée.
— Pas de soucis, il ne commence que dans une heure. Ce sera dans la salle à manger privée. C'est juste à côté de celle où vous avez pris votre petit-déjeuner ce matin.
— D'accord.
