Une fois dans la sienne, Guillaume ferma la porte à clé et alla s'asseoir, songeur.
Wu ment comme il respire ! Non mais j'ai l'œil mon petit père, ce n'est pas la première fois qu'on me prend pour une bille ! Il n'y avait qu'au sujet de ses confrères qu'il a été honnête : Comme tout le monde, il croit que c'est un fou qui a tué Strahovski, Sheen et Karpyshyn. Non mais cinq heures pour faire le sentier de dix-huit kilomètres à Prairie Creek ? Conneries ouais ! J'en ai mis plus de six et je suis bon marcheur. Et ses cernes ! Je ne sais pas ce qu'il fait de ses nuits mais ce n'est pas des vacances qu'il passe ici. Et Mills et ses salamalecs ! Sourire Colgate mais faux-cul comme pas permis ! Le frère caché de Macron ! J'ai l'ouïe plus fine qu'il ne le croit. Comme par hasard il y a des travaux cet été à la salle de conférence au sous-sol ! Comme par hasard le bunker/labo est condamné ! Et c'est sans parler du garde au quai de déchargement qui m'a regardé de travers ! Non mais il se passe un truc là-dessous et Wu et Mills sont impliqués. Je suis sûr que le premier bosse en ce moment sur ce fameux Indoraptor dont m'a parlé Santagar ! Selon Claire et son concubin, un serait né à Burgo Nuevo mais où InGen l'as-il envoyé ? Continuons de jouer les touristes ce soir et demain matin. Je serais très probablement invité à la vente, afin de me montrer que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil mais ça ne va pas être la même là. Mais, il me faut une stratégie.
Guillaume sortit alors son ordinateur portable et ouvrit un logiciel de cartographie virtuelle. Il entra l'adresse du manoir et dès que la fenêtre montra ce dernier, il étudia le relief ainsi que les chemins et routes visibles. Il savait que le bunker était la clé mais comment y accéder ? Le quai de déchargement était probablement gardé nuit et jour, tout comme les portes y conduisant à l'intérieur du manoir.
Si Mills disait vrai tout à l'heure, au sujet de cette histoire de base pour la résistance, le bunker devait être doté d'une entrée secrète, éloignée du manoir, afin de permettre l'évacuation de ses occupants vers l'intérieur des terres en cas de prise du domaine par une force ennemie venant de la côte. Un tunnel, suffisamment grand pour laisser des véhicules l'emprunter. Mais où ?
Il regarda l'écran, étudiant la géographie.
On oublie l'ouest déjà. Au sud ? Non car au-delà des chapiteaux, le terrain descend trop abruptement. A l'est ? Non plus car le terrain y est ascendant. Au nord alors ?
Guillaume regarda le bois au nord du manoir. Il vit la route d'accès secondaire qui descendait directement sur Orick ainsi que la cuvette à l'ouest. Il repéra également la cabane près de laquelle il avait rencontré Maisie et il se remémora leur promenade.
Mais il n'y avait pas un chemin barré pas loin ? Interdit d'accès ?
Suivant celui qu'il avait parcouru plus tôt, il retrouva l'entrée barrée de ce chemin. Bien qu'il disparut rapidement sous les arbres, sa présence pouvait être devinée car certaines parties apparaissaient entre les cimes. Il descendait vers l'ouest sur un peu plus de cinq cent mètres, se courbant au passage pour épouser le dénivelé, avant de s'interrompre en ce qui ressemblait à un cul de sac. Guillaume marqua le lieu puis regarda le reste du domaine et lorsqu'il se rendit compte que ce cul de sac était la seule piste tangible qu'il avait, il se demanda si l'entrée du tunnel n'était pas là.
Sortant une feuille et un stylo de son sac, Guillaume commença à dessiner une carte du domaine et y indiqua l'emplacement du cul de sac.
Le lendemain matin, Guillaume se leva plus tôt que prévu. Alors que les aurores pointaient, il sortit un sachet de biscuits à l'origine prévu pour la route et les grignota avant de sortir de sa chambre, vêtu d'un jogging et chaussé de baskets. Il traversa silencieusement les longs couloirs déserts et descendit jusqu'au hall d'entrée. Il laissa échapper un petit soupir de soulagement en constatant que la porte était ouverte, et il sortit dehors, ne commençant à trottiner qu'une fois qu'il eut dépassé le pont.
Comme la veille, il prit à droite et disparut rapidement dans le bois embrumé. Lorsqu'il repassa devant le quai de déchargement et le vieil atelier, il fut rassuré de ne voir aucun garde et continua, ménageant ses efforts alors qu'il entreprenait l'ascension de la crête tandis que dans la cuvette, des hadrosaures entonnaient un chant cuivré.
Il atteignit le chemin à l'entrée barrée un peu plus tard et s'arrêta devant, d'une part pour reprendre son souffle après sa course mais aussi pour s'assurer qu'il n'était pas suivi ou épié. Lorsque ce fut fait, il passa sous la poutre et trotta le long du chemin, le suivant jusqu'au cul de sac qu'il avait repéré sur les prises de vues aériennes. Il s'arrêta et regarda autour de lui. Devant lui, des arbres ; à droite, des arbres ; derrière, le chemin ; et encore des arbres à gauche, une paroi rocheuse recouverte de plantes grimpantes et haute d'une demi-douzaine de mètres.
Une paroi ?
Guillaume l'observa et remarqua que le sol était aplani et la terre comprimée au pied de la paroi, comme si cette portion était une extension du chemin. Il s'avança vers la paroi et regarda entre les feuilles et les tiges, étudiant la roche. Au premier abord, elle semblait avoir le même aspect sur toute la paroi mais en regardant de plus près, le directeur du CSMD nota que la texture était étrange au centre, qu'elle était trop nette. Alors qu'il s'apprêtait à poser la main sur cette partie de la paroi, un rugissement féroce le fit sursauter. Un second rugissement répondit au premier et Guillaume soupira en réalisant qu'ils étaient poussés par des théropodes prédateurs au camp. De la poche à fermeture éclair de son jogging, il sortit sa carte et stylo, déplia la première et dessina un cercle au niveau de son emplacement actuel.
Il eut un nouveau sursaut lorsqu'il entendit une branche craqueler non loin. Il recula et balaya les alentours du regard avec des yeux alertes, craignant qu'il ne soit pas seul dans cette partie du domaine. Les dinosaures étaient enfermés certes, ou du moins ils étaient supposés l'être, mais ils n'étaient pas les seuls grands animaux des environs. Il y avait aussi ceux qui étaient natifs de la zone. Guillaume avait lu qu'un randonneur avait été attaqué par un cougar dans la région et ces félins étant capables de bonds extraordinaires, ils pouvaient s'introduire sans problème dans le domaine, surtout que son périmètre n'était pas entièrement délimité par des murs ou des clôtures et qu'au niveau de ces brèches, seul un panneau « Propriété privée » indiquait que l'on s'apprêtait à pénétrer dans le domaine. Le domaine et InGen y avaient envoyés des gardes les sécuriser mais un cougar pouvait aisément échapper à leur vigilance. Le ou les cougars des environs avaient dû appris à éviter les alentours immédiats du manoir ainsi que la cuvette et l'odeur des dinosaures qui y était associée, mais ce chemin interdit était excentré, et non seulement Guillaume était seul, mais il n'avait dit à personne qu'il se rendait là ou même qu'il allait faire un jogging matinal. Tout pouvait lui arriver.
Remettant la carte et le stylo dans sa poche, il jugea bon de ne pas s'attarder et de revenir sur le chemin autorisé avant qu'on ne le voie traîner dans cette zone, bien qu'il envisagea de prétendre s'être perdu en allant uriner dans le bois si jamais on le surprenait. De toute manière, il avait trouvé ce qu'il était venu chercher.
Tout en surveillant les alentours, il remonta le chemin sans encombre et après avoir tendu l'oreille pour percevoir tout éventuel bruit de pas ou de course, Guillaume s'avança, passa la poutre et revint sur le chemin de promenade. Alors qu'il se tenait sur le bord du chemin, se reposant un peu avant de reprendre son jogging, il entendit des personnes courir et parler. Le directeur du CSMD se retourna et vit deux autres joggeurs derrière lui sur le chemin. Il les reconnut. C'était Elijah et la femme athlétique aux cheveux sombres qu'il avait vue au petit-déjeuner la veille.
— Monsieur Vuillier ! Le héla le premier. Il ne faut pas vous arrêter en si bon chemin ! Lui lança-il sans s'arrêter.
— Je faisais juste une pause ! Répondit Guillaume.
Il les salua lorsqu'ils le dépassèrent et attendit encore un peu avant de se remettre à courir.
— C'est ça, fais le finaud… Tôt ou tard, toi et Wu allez passer à la casserole, marmonna-il en français tout en regardant Eli.
Comme prévu, Guillaume quitta Orick en milieu de matinée, et ce afin d'être de retour à San Francisco d'ici le début de soirée. Alors qu'il roulait vers le sud, il ne put s'empêcher de repenser aux conditions d'hébergement des animaux et à l'attitude de Wu. Il grimaça en se rappelant qu'il n'avait pas eu l'occasion de demander au généticien s'il savait des choses au sujet des origines de la dispute que Lockwood et Hammond avaient eue en 1993, celle mentionnée par Iris. Il aurait eu surement une réponse négative mais il aurait au moins essayé.
D'un côté, ce week-end l'avait reposé et un peu détendu, mais il avait été également instructif. Quelque chose se tramait sous le manoir et le directeur du CSMD devait savoir quoi. L'enquête Bethany allait devoir attendre un peu, il y avait bien plus urgent, surtout qu'il était actuellement au point-mort et craignait qu'elle n'aboutisse à rien si jamais les recherches effectuées par Michaela s'avéraient infructueuses.
