Chapitre 3
- Quoi ?! s'exclama Aisha.
- Tu n'es pas sérieuse ? renchérissait Terra.
- C'est une très mauvaise idée, approuva Bloom.
- Vous l'avez entendu, protesta aussitôt Stella, elle est la seule à pouvoir nous aider à vaincre cette chose. C'est la plus puissante fée de l'air qu'on connaisse.
Bloom, Aisha, Musa, Terra et Flora lui lancèrent des regards incertains. Comment Stella pouvait-elle-même envisager de la libérer ? pensaient-elles, bien qu'elles connussent déjà la réponse. Stella n'était pas objective. Cela faisait plus d'un an qu'elle ne l'était plus, dès qu'il s'agissait de Béatrix. Jusque-là, d'ailleurs, aucune de ses amies n'avait osé le lui faire remarquer. Mais peut-être était-il le temps pour qu'elles aient cette conversation, finalement, quand bien même Blake fut présent.
- Elle est dangereuse, Stella, lança Musa sur un ton plus doux. Je sais que tu ne t'en rends pas compte, mais elle a tué Calum et elle nous a littéralement données en pâture aux sorciers sanguinaires.
Les muscles de Stella se raidirent. Pourquoi ses amies ne comprenaient-elles pas que Béatrix avait fait tout ça au même titre que Bloom aurait pu le faire, elle aussi ? Pourquoi Bloom aurait-elle dû être la seule à bénéficier de circonstances atténuantes ?
- Elle cherchait juste des réponses, s'agaça la blonde avant de se tourner vers la fée du feu. Franchement, toi, ose me dire que tu ne comprends pas ça.
- Bien sûr que je le comprends, mais…
- Mais quoi ? s'énerva Stella. On va la condamner pour avoir commis les mêmes erreurs que toi sous prétexte qu'elle a été élevée dans la mauvaise famille ? Elle n'a jamais demandé à se retrouver avec Rosalind et Andreas. Tout comme toi, tu n'as pas eu ton mot à dire quand Rosalind t'a déposée dans le Premier Monde.
La tête de la rousse pencha légèrement sur la droite et son regard se riva, tour à tour dans celui des autres colocataires de la chambre. Elles ne semblaient pas convaincues.
Le cœur de Stella se serra dans sa poitrine. Elle se sentait trahie. Pire que ça, elle avait atrocement mal, car le peu d'espoir qui été né en elle, à l'idée de pouvoir revoir Béatrix, lui reparler, la toucher de nouveau, venait de s'éteindre aussi vite qu'il fût venu.
C'était trop pour la blonde. Toutes ces dures émotions qu'elle refoulait depuis des mois refaisaient surface en même temps. Ses yeux vacillèrent entre le vert et le jaune, témoignant de sa magie qui devenait instable, puis, finalement, ils reprirent leur teinte naturelle et, bien vite, sa vue en vint à se brouiller de larmes.
Jamais, au grand jamais, Stella ne s'autorisait à pleurer en public. À avoir l'air faible. Même devant ses meilleures amies. Néanmoins, là, toute la tristesse qu'elle avait enfouie au fond d'elle devenait trop grande pour être contenue. Une larme coula, bientôt suivie par une deuxième et, finalement, ces larmes solitaires se transformèrent en véritables sanglots.
- Vous vouliez savoir pourquoi je pleurais, la nuit, comme vous l'a confié Musa ? demanda-t-elle en essayant de garder le contrôle de sa voix. Pour ça. Parce que pour vous, c'est toujours tellement simple ! Vous avez toutes quelqu'un pour vous épauler dans les moments difficiles alors que moi, dès que je me rapproche d'une personne que j'aime, elle finit toujours par me quitter, de quelque manière que ce soit.
Terra s'apprêtait à se relever, prête à venir prendre l'héritière dans ses bras pour lui offrir le réconfort dont elle avait besoin, mais Stella lui fit comprendre d'un geste de ne pas s'approcher. Elle ne voulait pas du soutien de Terra, ni de personne d'autre d'ailleurs. Tout ce qu'elle voulait, c'était Béatrix. C'était de retrouver la fille qu'elle avait appris à connaître en cachette, cette fille si intelligente et dont la compagnie était si agréable.
- Je ne veux pas libérer Béatrix, avoua-t-elle. J'ai besoin d'elle. Et tant que vous n'aurez pas compris ça, vous ne pourrez pas me voir aller mieux.
Un long silence s'abattit sur la chambrée. Stella refoulait ses larmes du mieux qu'elle pouvait, refusant de continuer à paraître si faible alors qu'on lui avait toujours appris à être forte. Les cinq autres adolescentes échangèrent de longs regards, unies par des conversations tacites que l'héritière au trône royal de Solaria ne parvenait pas à décrypter.
Enfin, alors que Stella était finalement persuadée qu'elles ne démordraient pas, Bloom poussa un long soupir et se tourna vers la fée de la lumière.
- C'est d'accord. On va libérer Béatrix.
Cette annonce fut comme un ciel étoilé balayant la tempête dans l'esprit de Stella. Ses larmes, qu'elle avait déjà presque réussi à chasser, quittèrent ses iris vitreux pour de bon et un sourire soulagé étira ses lèvres tristes. Rien n'était perdu, tout compte fait. Mais il leur restait quelque chose à faire avant de se précipiter, tête la première, dans les entrailles de l'école pour délivrer la fée de l'air : trouver un plan. Et, de préférence, un plan solide, qui ne se solderait ni par un échec ni par le fait qu'elles se fassent surprendre la main dans le sac en train de commettre ce que la reine qualifierait d'affront au royaume.
- Merci, répondit Stella avec une sincérité palpable. Il ne nous reste plus qu'à trouver un plan pour la sortir de là.
- J'espère qu'on ne le regrettera pas, marmonna Aisha.
Un raclement de gorge attira l'attention de toutes les têtes. Blake, qui avait pris soin de se faire discret jusque-là, venait de leur rappeler sa présence. Arborant un sourire penaud, il se massa la nuque d'une main nerveuse et osa demander tout haut :
- Désolé de vous interrompre, mais… qui est Béatrix, au juste ? Parce que vous n'avez pas toutes vraiment l'air de la porter dans votre cœur.
- Béatrix est… commença Musa, sans avoir le temps de terminer, coupée dans son élan par la précipitation de Stella.
- Une de mes amies.
La fée de l'esprit leva un sourcil dubitatif. Une amie ? Que ne fallait-il pas entendre, songea-t-elle. C'était l'hôpital qui se foutait de la charité.
- Et il n'y a qu'elle qui la supporte, renchérit Flora en haussant les épaules.
- Ou qui ne veux pas réellement voir comment elle est, marmonna de plus belle Aisha.
Stella secoua la tête de droite à gauche en signe de dénégation.
- Vous ne la connaissez pas comme moi je la connais. Il n'y pas si longtemps de ça, vous me considériez exactement comme elle, je vous rappelle.
- Pas de tout, contra Terra avant d'ajouter d'une petite voix, toi tu étais juste une maniaque du contrôle psychorigide.
- Sympa, merci.
Blake se racla à nouveau la gorge pour attirer l'attention et faire cesser cette querelle amicale.
- Et comment vous comptez la libérer, au juste ?
Elles n'eurent pas à réfléchir. Bloom, qui s'était faite discrète et n'avait pas pris part à la conversation, jusque-là, avait déjà réfléchi à tout. Avec un petit sourire déterminé, elle annonça de but en blanc :
- J'ai déjà un plan. Je peux briser le sortilège qui l'enferme grâce à la flamme du dragon. C'est ce que j'avais fait pour Rosalind. Le reste est simple, mais on va avoir besoin d'un peu d'aide.
- Quel genre d'aide ? s'enquit Blake.
- Si on ne veut pas se faire repérer, il va falloir détourner l'attention de Silva et de la reine pendant que moi, Stella et les filles, nous entrerons dans la crypte.
- Je vais rester ici, indiqua Flora. C'est plus logique. Si des gardes viennent et ne nous trouvent pas dans nos chambres, ça semblera suspect.
- Je reste aussi, s'empressa d'ajouter Aisha. Si on est deux, ce sera encore plus crédible.
Bloom et Stella hochèrent simultanément la tête. Flora n'avait pas tort. Ce n'était pas le moment pour elles de prendre des risques inutiles alors qu'elles se savaient déjà hautement surveillées par la mère de Stella et ses troupes royales.
- Bonne idée, concéda Blake. Moi, je pourrais parfaitement créer une diversion en créant une fausse dispute avec Sky, si on le prévient avant.
- Pourquoi Sky ? s'étonna Bloom.
- Et bien, avant d'être avec toi, il sortait avec Stella, non ?
Les six fées de la chambrée affichèrent des airs incertains, peu sûres de saisir où il souhaitait en venir, exactement.
- Quel est le rapport ? demanda Stella.
- Si on se bat en faisant croire à tout le monde que Sky a peur pour Stella, car je m'intéresse supposément à elle, Silva et la reine se sentiront forcément concernés par le conflit. Ça pourrait les occuper suffisamment longtemps pour vous laisser assez de temps pour vous faufiler dans le bureau de Luna et libérer Béatrix.
Les jeunes fées restèrent un instant sans voix. Puis, après un instant de réflexion, l'héritière du royaume de la lumière approuva.
- C'est vrai que ce n'est pas bête.
- Je vais prévenir Sky, accepta Bloom. On passe à l'action demain après-midi, après notre cours de magie au cercle de pierre.
oOoOoOo
L'heure était venue pour Stella, Bloom, Musa et Terra de mettre leur plan à exécution. La diversion engendrée par Sky et Blake avait eu l'effet escompté. Les couloirs qui menaient au bureau de la reine étaient déserts. Pénétrer dans le bureau, puis dans la crypte, s'était avéré être d'une simplicité enfantine.
Les quatre amies étaient tellement vite arrivées au pied de la barrière magique qui encerclait la fée de l'air que Stella avait l'impression que le temps s'écoulait plus rapidement que la normale. Toute cette marche, tous ses couloirs qui étaient si interminables, la veille encore, étaient devenus totalement dérisoires. Raccourcis.
- Vous êtes toujours sûres de vouloir faire ça ? osa demander Terra en brisant le lourd silence qui les enveloppait depuis plusieurs minutes.
Bloom s'avança doucement jusqu'à ce que sa main tendue puisse toucher la barrière d'énergie. Ce n'était pas la première fois qu'elle se tenait là, elle y avait même été enfermée quelques heures, pourtant elle se sentait transcendée de part en part, comme si elle découvrait quelque chose de nouveau. C'était une sensation à la fois étrange et agréable.
- Nous n'avons pas le choix, leur rappela Stella. On doit la sortir de là.
- Tu n'as pas les idées claires, intervint Musa auprès de son amie à la chevelure blonde.
- Si tu pouvais avoir la gentillesse d'arrêter de ressentir ce que je ressens, maugréa-t-elle en retour.
- Alors, je le ferais. Mais je ne le peux pas.
- C'est bon, les filles, les temperas Terra en s'immisçant entre leurs deux corps, les bras levés vers le ciel. On ne va pas se disputer maintenant.
Ni Stella ni Musa ne répondirent quoi que ce soit. La fée de l'esprit se contenta de soupirer tandis que l'héritière de Solaria, elle, se tourna vers Bloom pour l'observer. Le temps pressait et elle en avait marre d'attendre que la rousse décide enfin de passer à l'action.
- Dépêche-toi, Bloom. Ma mère pourrait revenir dans son bureau à tout moment.
Arrachée à l'agréable sensation que provoquait la barrière magique sur sa peau par la voix de Stella, Bloom recula d'un pas.
- Écartez-vous, leur ordonna-t-elle.
Lorsque ces amies eurent obtempéré, Bloom écarta ses bras devant elle et ferma les yeux. La quantité de magie était tellement grande, tellement forte, que la fée du feu avait besoin de mobiliser l'entièreté de son pouvoir pour faire céder la barrière. Et ce, du picotement anodin dans ses doigts au brasier ardent qu'enflammait la flamme du dragon dans son estomac.
Bloom concentra son pouvoir tout entier au creux de sa poitrine et ramena ses mains devant elle. La magie s'échappa alors de ses doigts tendus et, en seulement quelques secondes, la barrière magique qui retenait Béatrix prisonnière depuis des mois vola en éclats.
oOoOoOo
Le corps de Béatrix avait été en suspension depuis tellement longtemps que, lorsque la barrière qui la retenait prisonnière cessa finalement d'être, son esprit, bien alerte, lui, n'avait pas été en mesure de faire fonctionner ses muscles endoloris. La fée de l'air tomba alors jusqu'à rencontrer la froideur des pavés avec violence.
Stella s'était bien précipitée vers elle pour lui éviter cette douleur inutile, mais sans grand succès puisqu'elle n'avait pas su la rattraper à temps. Une humiliation dont Béatrix se serait volontiers passée, si elle l'avait pu. Néanmoins, la fée de l'air ne lui en voulait pas pour autant. Elle était trop heureuse de voir que Stella était présente pour être en colère contre elle.
- Béatrix ! s'était-elle exclamée en bondissant vers l'avant.
L'héritière du trône royal s'agenouilla près de son amie, respirant l'inquiétude de la voir ainsi étalée sur le sol sans bouger. La fée de la lumière glissa une main forte sous le dos de son amie pour l'aider à se redresser et, aussitôt, les fourmis qui habitaient les muscles de Béatrix se dissipèrent. Leurs peaux ne se touchaient pas, mais c'était bien suffisant pour que la chaleur de la blonde réchauffe le corps glacé de la fée de l'air.
- Salut, Stella, répondit-elle en esquissant un sourire furtif.
Elle n'aimait pas sourire. Ou plutôt, elle n'aimait pas qu'on la voie sourire de gaieté. Ça entacherait l'image qu'elle s'était donnée tant de mal à bâtir.
- Est-ce que ça va ?
Béatrix ne répondit pas tout de suite à cette question. Avant, elle se relevait tranquillement, prenant conscience que ses muscles étaient de nouveau connectés à son esprit. C'était un soulagement évident, mais elle se garda bien de le montrer aux trois autres fées qu'elle avait repérées derrière Stella.
- J'ai survécu à plus dur qu'une petite chute.
- Tiens, voilà ce qui n'avait manqué à personne quand elle était là-dedans, déclara Musa un peu plus fort qu'elle ne l'aurait voulu. Son sarcasme.
Béatrix avait initié un pas vers l'avant, prête à en découdre avec la fée de l'esprit qui l'accueillait tout de suite si mal dans le monde des vivants. Mais la main ferme et forte de Stella qui se posa sur son bras la dissuadait de faire quoi que ce soit de stupide. Ça n'avait pas vraiment l'air d'être le moment pour régler les comptes qui étaient restés en suspens après sa condamnation à l'état de stase.
- Désolée de vous dire ça, lança Terra sur un ton pressé, mais ce serait sympa que vous passiez la seconde. On n'a pas tout le temps du monde devant nous pour sortir d'ici.
- D'ailleurs, je peux savoir où on va et pourquoi vous venez de faire un truc aussi stupide ? s'enquit Béatrix avec une condescendance qu'elle n'essayait même pas de cacher.
Les Winx échangèrent un regard lourd de sens. Pourquoi avaient-elles fait ça ? À cet instant, elles ne le savaient même plus. La fée de l'air était si bien dans sa prison que peut-être auraient-elles dû l'y renvoyer, se disaient Musa, Terra et Bloom. Puis leurs regards croisèrent tour à tour celui de Stella et les raisons leur revinrent comme un boomerang. Elles l'avaient avant tout fait pour Stella. Pour qu'elle aille mieux et qu'elle n'ait plus l'air d'une morte-vivante qui se trainait partout, car il le fallait.
- On te le dira quand on sera en sécurité dans la coloc, répondit Bloom sur un ton sec.
Sans attendre de réponse de la part de quiconque, la rousse s'était mise en chemin. Alors, les quatre autres filles n'avaient eu de choix que de la suivre, les sens aux aguets, en espérant que leurs mouvements ne seraient pas repérés.
Une chance que la bagarre qu'avaient déclenchée Sky et Blake eut rassemblé tout le personnel scolaire, et la plupart des étudiants, dans la cour. Ainsi, les cinq fées avaient pu passer inaperçues jusqu'à rejoindre la grande porte en chêne qui les séparait de leur lieu de vie. Et une fois leurs pieds posés à l'intérieur, toutes leurs craintes s'évanouirent en ne laissant plus place qu'à un sentiment de victoire.
Le plan avait fonctionné.
oOoOoOo
Dans l'intimité de leur chambre, si tant est qu'elles aient réellement eu de l'intimité un jour, les quatre Winx qui accompagnaient Béatrix s'étaient considérablement détendues. Bloom avait rejoint l'un des canapés au centre de la pièce, où était déjà assise Aisha, en pleine lecture d'un livre d'histoire, semblait-il. Terra, elle, s'était approchée de sa cousine, Flora, occupée à arroser les plantes qui faisaient office de décoration, avant qu'elles n'arrivent. Musa l'avait rapidement imitée pour finir par se laisser tomber sur un pouf à l'allure confortable, près de la grande fenêtre de la chambre.
Stella avait donc été la seule à être restée près de Béatrix, intruse dans cet environnement rayonnant que les six jeunes femmes s'étaient donné tant de mal à construire. L'héritière du trône n'avait de cesse de jeter des coups d'œil vers son amie, mesurant difficilement que tout cela était réel. Que Béatrix était bien là, debout non loin d'elle. Tout cela semblait bien trop beau pour être vrai.
- Est-ce que l'une de vous va enfin m'expliquer la raison pour laquelle je suis là ? demanda cette dernière en croisant les bras contre sa poitrine.
Cet air agacé, qui lui était si propre, était revenu sur son visage dès lors que la fée de l'air était entrée dans l'enceinte du nid douillet de ses comparses féériques. Aucun doute, c'était bien Béatrix, ne put s'empêcher de penser Stella en réprimant un mince sourire.
Elle ne l'avouerait devant personne, mais c'était ce même air, cette même pointe de condescendance dans sa voix qui l'avait fait tombée sous le charme de celle qui avait, jadis, était leur ennemie. Jamais personne n'osait lui parler comme Béatrix le faisait, la prendre de haut comme si elle n'était pas la personne plus importante sur Terre… et c'est précisément ce qui faisait du bien à Stella. Qu'on lui rappelle que, malgré son titre, malgré son avenir déjà tout tracé de souveraine, il y avait quelqu'un dans l'Autre Monde qui la considérait comme n'importe quelle autre adolescente de son âge. Sans privilège.
- Tu es là uniquement, car on a besoin de ton aide, lui répondit Bloom en coupant la blonde dans ses réflexions personnelles. Et parce que Stella est persuadée que tu n'es pas qu'une garce égocentrique pourrie gâtée.
Un sourire en coin, indéchiffrable, s'immisça sur les lèvres de la fée de l'air.
- Sympa l'accueil, releva-t-elle. Mais puisque vous avez tant besoin de mon aide, il serait peut-être plus intelligent d'éviter de m'insulter ouvertement, tu ne crois pas ?
- Ça suffit, les arrêta Stella en faisant les gros yeux à son amie rousse. Ce n'est vraiment pas le moment de vous prendre la tête pour des absurdités.
Elle se tourna vers Béatrix, penaude, les lèvres pincées.
- Une nouvelle menace pèse sur l'école et on a vraiment besoin de toi pour nous aider à l'anéantir. S'il te plaît, Béatrix.
La fée de l'air laissa planer le silence sur la demande de la jolie blonde qui lui faisait tourner la tête depuis des mois. Pouvait-elle réellement refuser quelque chose à Son Altesse en herbe ? Elle savait bien que non. Mais elle était la seule à le savoir, ce qui ne l'empêchait donc pas de les faire tourner en bourrique si bon le lui semblait. Et autant dire qu'après avoir passé six longs mois enfermés dans cette prison magique, elle ressentait plus que jamais le besoin de jouer l'égoïste et de reprendre le pouvoir sur l'héritage qu'elle avait laissé en suspens.
- Je ne prendrais aucune décision ce soir, annonça-t-elle sur un ton catégorique en fixant les six fées qui l'observaient, au centre de la pièce. Je suis courbaturée, fatiguée et j'ai besoin d'une bonne nuit de sommeil.
- Tu n'as qu'à dormir sur le canapé, lui lança Flora avec sarcasme. Il paraît qu'il est très confortable.
À peine ces mots furent-ils sortis de la bouche de la fée de la terre qu'elle les regretta. Le regard assassin que lui lançait Stella ne lui annonçait rien de bon.
- Ou tu peux prendre mon lit, rectifia-t-elle avec un sourire forcé, je peux parfaitement dormir sur le canapé.
Cette reprise soudaine fit sourire un peu plus Béatrix, ravie de voir qu'un regard de Stella suffisait à faire changer d'avis ses amies si peu accueillantes à son égard. Mais avant qu'elle ne puisse ne serait-ce que penser à accepter, Stella avait rétorqué :
- Non, tu ne vas pas dormir sur le canapé, enfin. Je vais laisser mon lit à Béatrix, après tout, c'est moi qui vous ai convaincues de la libérer.
- La princesse Stella de Solaria qui abandonne le confort de son super lit deux places pour l'offrir à une autre ? demanda Musa dans un étonnement surjoué. Mon Dieu, faites une croix dans votre calendrier !
Les Winx, à l'exception faite de Stella, bien entendu, pouffèrent de rire et, bien malgré elle, les joues de l'héritière du trône se teintèrent d'une couleur rosée. Avec soin, elle évita le regard pétillant et le sourire en coin que lui lançait Béatrix, trop gênée d'être ainsi malmenée. C'était sans compter sur cette dernière qui, le plus naturellement du monde, rebondissait sur la phrase de Musa en prenant le ton de l'évidence :
- Ou je pourrais simplement dormir avec Stella, plutôt que de déloger quelqu'un de son lit. Je suis peut-être mauvaise, mais pas à ce point. On a tous droit à notre confort.
Tous les regards se tournèrent désormais vers la princesse de Solaria qui s'efforçait de garder la tête haute, même si la seule envie qui l'assaillait à cet instant était de disparaître. Elle aurait pu le faire, d'ailleurs, c'était parfaitement dans ses cordes. Toutefois, la gêne n'était pas quelque chose qu'elle pouvait se permettre, ô combien la situation était embarrassante. Une future reine se devait d'être forte et de garder la face. Alors elle remonta son regard dans celui de ses amies, puis dans celui de Béatrix et, avec une assurance des plus feintes, elle déclara :
- Bien sûr. Nous n'avons qu'à faire ça.
- Parfait, répondit Béatrix en scellant leur accord. Pas la peine de me montrer le chemin, je sais déjà où la chambre se trouve.
- Je vais t'accompagner quand même. Il va falloir que je te fasse de la place.
Ni une, ni deux, Stella s'était empressée d'emboiter le pas à la fée de l'air, déjà en chemin vers la pièce dans laquelle son amie partageait ses nuits avec Flora. Béatrix connaissait parfaitement l'endroit, car elle s'y était déjà réveillée, peu avant sa condamnation, lorsque Stella avait remué ciel et terre pour la retrouver après qu'elle se soit fait kidnapper. C'était d'ailleurs le seul bon souvenir que Béatrix retenait de ce jour-là. Elle avait été effrayée, désorientée et, dans la tourmente, c'était Stella qui s'était occupée d'elle et qui l'avait accompagnée dans cette épreuve, aussi dure, fût-elle.
- C'était traître, l'accusa Stella dès lors que la porte de la chambre fut fermée derrière elles.
- Ne tends pas le bâton si tu ne veux pas te faire battre, rétorqua Béatrix.
Cette dernière prit nonchalamment place sur le lit de la blonde. Leurs regards se croisèrent, s'ancrèrent l'un dans l'autre, faisant naître une douce chaleur au creux de leurs deux ventres. Un désir partagé qu'elles n'eussent plus ressenti depuis bien trop longtemps, ce qui le rendait d'autant plus douloureux.
- Ça m'étonne que tu te sois démenée pour me faire libérer, avoua Béatrix en quittant enfin son air hautain. J'étais persuadée que tu ne me pardonnerais pas, cette fois.
Un soupir s'échappa de la bouche de Stella. Spontané. Incontrôlé.
- Je ne t'en ai jamais voulu, avoua à son tour la fée de la lumière. J'étais juste tellement en colère…
Stella marqua une pause durant laquelle elle eut l'audace de prendre place sur le lit, près de son amie.
- Je suis venue te voir tous les jours.
- Je sais.
- Tu sais ?
L'étonnement de Stella fit sourire Béatrix. C'était exactement l'effet qu'elle avait voulu causer en prononçant ces deux petits mots. Lentement, elle pivota vers Stella pour lui faire face et initia l'un des rares contacts physiques qu'elles avaient eu jusque-là en posant sa main sur la sienne.
- L'état de stase c'est… particulier. Ton corps est figé dans le temps, mais ta conscience est pleinement active.
- Alors tu as entendu tout ce que je t'ai dit, devina Stella en devenant un peu plus honteuse encore. Tu dois me trouver tellement pathétique maintenant…
Béatrix haussa les épaules tout en récupérant sa main posée sur celle de la blonde. Trop de contact aurait été exagéré aux vues de leur relation actuelle.
- Ça l'était, avoua Béatrix avant d'ajouter avec sincérité, mais c'était ce qui m'a aidé à tenir. Le temps est long quand tu le passes seule.
Le cœur de Stella s'était gonflé à cette réponse. Elle aurait voulu ajouter quelque chose. Lui dire que ces visites avaient été pleinement nécessaires à ce qu'elle tienne elle aussi. Que sans Béatrix, elle se sentait incroyablement seule dans la multitude. Mais tous ces mots restèrent coincés dans sa gorge. Stella ne pouvait décemment pas les prononcer à voix haute, car ça l'engagerait bien trop. Et par chance pour elle, elle n'eut pas de réponse à donner.
Quelques coups furent portés sur la porte, incitant les deux adolescentes à s'éloigner pour ne pas paraître trop proches, et Flora fut irruption dans la pièce pour s'affaler sur son lit. Le temps était venu pour elles de dormir. Une lourde et longue journée les attendait sans doute le lendemain.
