Résumé: Après l'attaque sur le Chemin de Traverse, Harry a fini par avouer l'existence de sa fille à ses amants. Si l'acceptation de Lucius est totale, Severus a eu plus de mal à admettre d'être mis devant le fait accompli et prévenu si tardivement. Malgré tout, leur relation s'apaise et il finit par s'unir avec Harry dans la forêt, créant entre eux un lien magique d'une grande puissance. Quelques jours plus tard, ils retournent ensemble dans l'antichambre, sans Lucius, mais la séance ne se passe pas comme Harry l'avait espéré et ils en ressortent tous deux pleins de doutes et de culpabilité.
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Avant de commencer, je me permets un petit mot à l'adresse de tous ceux qui ont été choqués/ dérangés par la séance dans l'antichambre du chapitre précédent... Comme nous tous (et comme l'auteur également, de toute évidence), Harry et Severus sont faillibles et commettent parfois des erreurs.
La première erreur de Harry a été d'accepter cette séance alors qu'il n'était visiblement pas dans de bonnes dispositions pour le faire: il traverse à nouveau une période de "creux", de mal-être, sans tout à fait s'en rendre compte; il est particulièrement préoccupé par sa paternité et sa future relation avec sa fille, par sa présentation à ses amants et leur réelle acceptation de sa présence, il doute et il ne se sent pas à la hauteur; et enfin il ne va dans l'antichambre que pour être débarrassé de cette première fois après sa captivité, sans réelle envie, ni désir. Il sait qu'il doit franchir ce cap et il veut que ce soit fait rapidement, sans que le moment ou son état d'esprit ne soient adéquats. Sa seconde erreur est de choisir Severus pour officier parce qu'il craint davantage le regard (et les comparaisons) de Lucius. Mais ils n'ont pas l'habitude de ce rapport de "domination" entre eux, et étant donné le contexte (retourner dans l'antichambre pour la première fois), cette nouveauté est une perte de repères supplémentaire qui lui est préjudiciable. Et surtout sa principale erreur, mais qui n'est pas totalement de son fait, est de ne jamais dire "non"...
Severus, quant à lui, commet pendant cette séance dans l'antichambre l'erreur immense de résumer Harry à son statut de victime, plutôt que de voir en lui l'homme qu'il aime et auquel il vient de s'unir. Il cherche (maladroitement) à le rassurer et à lui permettre de dépasser ses craintes et ses souvenirs, mais il n'y a ni érotisme, ni désir dans son attitude; pas plus que de sensualité ou de tendresse. Il est venu dans une démarche qui tient plus du test que d'autre chose, dans le but de répondre à ses questions, et il en a oublié la beauté de la nudité du corps, le plaisir des caresses et toute l'excitation qui peut sous-tendre ce genre de moments.
D'autre part, ils viennent de s'unir par un lien magique qui a (et aura) bien plus d'effets sur eux qu'ils ne l'imaginent... Enfin, on est sur un point de vue focalisé (Harry) tout au long de cette séance, et sa perception des situations, des gestes de Severus est forcément biaisée par son état d'esprit. Son mal-être emporte tout le positif qu'il aurait pu ressentir.
Ceci dit, mea culpa si le chapitre précédent vous a profondément dérangés. Je comprends tout à fait et j'en suis désolée. J'aurais sans doute dû le découper autrement, ou peut-être l'écrire autrement, mais l'histoire comporte bien évidemment son lot de défauts, et celui-ci en est sans doute un. J'espère que ces quelques mots d'explication, ainsi que le chapitre qui vient, sauront faire passer ce goût amer. On n'assistera pas à toutes leurs discussions au sujet de cette séance, mais on verra que Harry prend un peu de recul, qu'il arrive à en parler avec une personne improbable, à pratiquer d'autres choses avec Lucius, malgré son mal-être latent, et à dépasser cet épisode.
Sur ce, je vous souhaite une bonne lecture...
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A Gabrielle: Ravie de rencontrer un des lecteurs fantômes de cette histoire et merci pour ta très agréable review ;) Alors, il ne sera pas toujours question de douceur; même dans leur relation, ils vont connaître de sacrés passages à vide et ce ne sera vraiment pas toujours rose. Concernant le bdsm, merci de ton appréciation... Je ne commenterai pas en ce qui me concerne, mais j'essaye au moins de rendre cela le plus réaliste possible, que ce soit en positif ou en négatif. J'ai essayé dans cette histoire de brosser un aperçu assez large de plusieurs formes possibles de couple (homo, hétéro, en trouple, plus ou moins liés...) et de sexualité ( à deux, à trois, plus ou moins consentie, celle qu'on a pour "avoir la paix" ou après un traumatisme, etc... et jusqu'au bdsm, et je trouve que c'est un univers qui leur va particulièrement bien). Je ne vais pas poursuivre ici, mais la prochaine fois, crée-toi un compte que je puisse te répondre en message privé ;)
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– Vu ! lança Mark avec un sourire amusé.
Harry leva brusquement la tête, interdit.
– Vu quoi ?!
– Toi ! En train de rêvasser en contemplant ton alliance !
Harry gloussa sans chercher à se cacher. Mark avait vu juste et en plus, il ne savait pourquoi, sa remarque l'émouvait.
Quelques jours avaient passé depuis la cérémonie, une dizaine, presque deux semaines, et la sensation de ces alliances le surprenait toujours autant. Il pouvait les oublier, ne plus les sentir, ni les apercevoir pendant des heures, et puis tout d'un coup, un reflet, un éclat de lumière, une surface rigide et pourtant lisse sur sa peau... il tournait le regard vers sa main qui tenait la plume, et l'alliance était là. Il soulevait son autre main qui tenait un livre, observait son annulaire toujours un peu fléchi, et l'autre alliance était là également, une pour chacun de ses amants.
– Oh ! Ça va ! ricana-t-il. Ce n'est pas parce que tu es blasé que tu dois te moquer des autres !
– Je ne me moque pas, je trouve ça mignon, sourit Mark. Je sais bien que pour toi c'est important... Et puis techniquement, moi ce n'est encore qu'une bague de fiançailles ! D'ailleurs, je voulais te demander ton avis...
– Sur quoi ? Ta robe de mariée ?!
– Imbécile ! Viens ! On a assez travaillé pour aujourd'hui.
Ce n'était pas faux : depuis ce matin, ils travaillaient sans relâche dans le bureau de Lucius, ils avaient à peine pris vingt minutes pour déjeuner, et bu leur thé déjà de retour à leurs paperasses respectives. Il était encore tôt mais ils n'avaient pas volé cette pause.
Mark rangea rapidement ses dossiers, plumes et encriers et se leva plein d'entrain.
– Fais-moi servir un café, je reviens de suite.
Harry leva les yeux au ciel tandis que le jeune homme disparaissait dans la cheminée, et fit venir un elfe. Il hésita un instant puis fit servir leur collation dans la salle de billard qu'il n'avait pas encore inaugurée avec qui que ce soit. Mark revint quelques instants plus tard avec une pile de parchemins et de catalogues en papier glacé.
– C'est un peu tard pour faire ta liste de cadeaux pour le père Noël ! gloussa Harry en le guidant dans le couloir.
– N'inverse pas les rôles ! D'habitude, c'est moi qui me moque de toi ! Hey ! Mais on est où là ?!
– Nouvelle année, nouvelles envies... Tu aimes ?
Mark parcourut des yeux la pièce aux boiseries sombres et aux murs tendus de toile rouge. Une porte-fenêtre unique, voilée de tentures cramoisies, donnait une lumière faible, compensée par des lampes aux coins de la salle et une immense cheminée où brûlait un feu vif. Des sièges le long des murs, quelques fauteuils plus confortables près de l'âtre, où il avait fait servir leur collation, et au centre de la pièce, splendide de bois précieux et de vert sombre, une somptueuse table de billard.
– C'est magnifique ! fit Mark en caressant le bois poli. Une lubie ?
– Une envie. Un souvenir de jeunesse... J'avais demandé à Lucius une pièce supplémentaire pour m'en faire un bureau, mais je n'aime pas travailler seul en réalité. Alors... Je m'installe. Je fais mon nid, comme dirait Severus ! Allez ! Montre-moi ce que tu voulais que je vois !
Ils s'assirent côte à côte devant le feu ronflant dont la chaleur restait filtrée par un sortilège et Mark étala sur ses genoux un vaste plan de table.
– Je suis désolé par avance mais je ne peux pas vous mettre à la table d'honneur, tu comprends bien... Il y a d'abord les témoins, la famille... enfin, celle de Håkon. Et je suis obligé de mettre Lucius à part, compte tenu de son statut de Ministre de la Magie... J'avais pensé le mettre à cette table, avec Francis Dorléans et Mandy. Ça me paraît pas trop mal, non ? Il y aura quelques autres personnalités politiques mais que Lucius connaît déjà...
– Je ne m'en fais pas pour Lucius, il adore les mondanités ! gloussa Harry en parcourant le parchemin du regard. Et Severus ?
– Protocolairement, je devrais le mettre avec Lucius, mais il va s'ennuyer s'il n'y a que des conversations politiques... Je l'ai mis ici, avec toi, Matthieu et Charlie...
– Je ne te cache pas que ça me ravirait, mais c'est impossible. Tu ne peux pas laisser Lucius seul à une table tandis que son mari dîne ailleurs. Et d'autant plus avec moi !
Si quelqu'un pouvait se rapprocher de lui en public, c'était plutôt l'aristocrate. Lucius pouvait se permettre d'avoir des amants – Severus n'avait pas de position sociale à défendre – mais pas de passer pour un mari trompé !
– Je vais demander à Lucius ce qu'il en pense, hésita Mark avec un regard ennuyé. Sinon, je les mets tous les deux ensemble, mais tu seras seul avec Charlie et Matthieu.
– Ce n'est pas vraiment être seul, ça ! fit Harry en riant. Ça me va très bien ! Et Severus s'entend bien avec Mandy... mets-les côte à côte.
– Bon, je vais corriger ça, dit Mark en roulant son parchemin. Autre question : est-ce que tu trouverais malvenu que je mette à ta table Sean et Antonio, les deux autres anciens mignons de Lucius ?
– Non, pourquoi ? s'étonna Harry. Tu fais comme tu veux... Enfin, tant qu'ils ne cherchent pas à lui sauter dessus !
– Ils n'essaieront pas ouvertement, promit Mark avec un sourire. Ils le taquineront discrètement mais ça s'arrêtera là... Et puis je pense que vous pourriez passer une bonne soirée avec eux. Ils sont assez... « délurés », et connaissant ce que tu peux dire comme bêtise avec Matthieu...
– N'exagère pas ! ricana Harry. Sans toi, nous serons sages comme des images ! Et puis, en public, je suis obligé de faire attention...
Le sourire de Mark s'effaça brusquement. Il n'avait peut-être pas songé à quel point, en dehors du Manoir et de la famille, il vivait dans l'ombre de ses amants, sans avoir le droit de révéler quoi que ce soit. C'était une habitude à prendre, pas très drôle, mais il n'avait pas le choix...
– Ils comprendront tout en un clin d'œil ! songea Mark en faisant la moue. Ils sauront être discrets mais il faut que je fasse attention à qui je mettrai avec vous cinq... Bon, je voulais aussi ton avis sur ça...
Sur ses genoux, Mark ouvrit un catalogue en papier glacé, chercha quelques instants la page avant de lui montrer un joli costume de mariage bleu roi.
– Tu crois qu'il m'irait ? J'ai peur que la veste soit trop cintrée... Je n'ai plus vingt ans !
Harry roula des yeux devant cette fausse coquetterie. Il l'avait déjà vu en maillot de bains et Mark était grand, mince et athlétique et il pouvait porter absolument tout ce qu'il voulait !
– Pourquoi tu t'embêtes ? Va voir le tailleur de Lucius ! Il va te faire une tenue qui t'ira comme un gant ! C'est lui qui m'a fait plusieurs costumes et entre autres, celui que je portais au mariage de Lucius et Severus... Ce sera parfait !
Mark semblait hésiter, à la fois tenté par l'idée et à la fois réticent pour il ne savait quelle raison. Certainement pas l'argent car avec Lucius, Harry lui avait laissé en cadeau de mariage de quoi se faire faire plusieurs garde-robes et un voyage de noces magnifique.
– Je ne sais pas où c'est, fit Mark avec une moue gênée. Et puis... je n'ai pas l'habitude de ce genre de choses. Tu m'accompagnerais ?
– Bien sûr ! s'exclama Harry avec un large sourire. Si tu me fais l'honneur d'une partie de billard !
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À demi allongé sur la table pour se mettre en bonne position, Mark dévoilait un fessier à faire pâlir hommes et femmes, de jalousie ou d'envie ! Il n'y aurait eu que Luna et Padma pour rester insensibles à cette vue !
– Pourquoi un billard ? demanda Mark en se redressant après avoir empoché une bille. Tu aurais pu te faire une bibliothèque personnelle... Tu dis toujours qu'il n'y a plus assez de place là-bas pour ranger les livres correctement.
Harry haussa les épaules en faisant le tour de la table pour jauger de son prochain coup.
– À une époque, j'ai beaucoup joué au billard; pas très longtemps mais j'adorais ça... Quand je suis passé par Beauxbâtons, je sortais avec un garçon dont c'était la passion et qui passait sa vie dans une salle de billard avec sa bande de copains. Nous étions un couple gay, au milieu d'une bande d'hétéros... et les plaisanteries à base de « boules » poussées dans des « trous » à l'aide d'une « queue » allaient bon train toute la nuit... C'était très bon enfant, très bienveillant... Je sortais de Durmstrang où j'avais été très solitaire. J'ai beaucoup aimé cette ambiance un peu sombre, un peu enfumée, les parties qui durent tard dans la nuit et les rires autour des tables... la bière... les corps qui se frôlent... Après ça, je n'ai plus fait l'amour pendant dix ans ! Alors, forcément, j'en ai un bon souvenir !
Mark le regarda d'un œil torve avant de tourner la tête vers la bille qui roulait sur le tapis vert.
– J'ignorais que tu étais passé par Beauxbâtons...
Harry gloussa. C'était peut-être la chose la plus insignifiante à soulever dans ce qu'il venait de dire mais Mark était français. Tout comme Matthieu, il était passé entre ces murs, et pour lui, l'école était un signe d'appartenance fort.
– À l'époque où je fuyais Severus... Quel temps perdu pour finalement revenir vivre ici ! marmonna Harry.
– Tu as connu Severus autrefois ? s'étonna Mark. Je veux dire... autrement que comme professeur ?!
– C'est possible, gloussa à nouveau Harry devant la surprise du jeune homme. Il y a encore quelques bricoles que tu ignores sur Severus et moi. Pour un peu, il aurait même pu être mon père, et il est mon...
– Mari ? suggéra Mark en souriant.
– Ne sois pas romantique comme ça ! grimaça Harry. Lucius et Severus sont mariés. Nous, on est... unis.
– Une union qui lui permet de savoir quand quelqu'un te touche ?! Je m'en souviendrais de ce coup-là !
– C'était le premier jour de l'union... Les choses se sont calmées depuis.
Ils avaient fini par trouver leur rythme de croisière... Severus s'était approprié la magie qu'il lui avait transmise. Il avait à présent une puissance bien supérieure à celle de Lucius, et même à la sienne, mais il la contrôlait sans problème. Harry, lui, se sentait moins perdu avec sa magie légèrement diminuée, il avait appris à compenser d'autres façons... ou peut-être à moins se reposer dessus. Et entre eux, si le rapport resterait toujours assez inégal, ils avaient appris à respecter un équilibre.
Il savait que Severus avait accès à son aura comme si elle n'était pas bridée – il aurait même pu avoir facilement accès à ses pensées s'il l'avait voulu – Harry ne pouvait plus user d'occlumencie à son encontre – mais il avait aussi compris qu'il pouvait mettre en avant les émotions qu'il souhaitait... Faire croire à Severus qu'il avait accès à une réalité nue et crue alors qu'en réalité, il poussait en avant un sentiment de fragilité simplement parce qu'il voulait un câlin alors qu'il était plutôt serein. Et inversement, parfois cacher ses moments de vague à l'âme derrière un sentiment plus joyeux. Il ne pouvait pas tricher complètement, et mentir avec ses émotions... mais sur plusieurs sentiments présents en même temps, il pouvait mettre en avant celui qui l'arrangeait. Une façon de protéger ce qu'il ne voulait pas toujours dévoiler...
– Et qu'est-ce que vous allez dire à vos familles ? interrogea Mark en manquant à nouveau son coup.
– Quelles familles ? sursauta Harry. Je n'ai pas de famille et Severus non plus.
– À vos proches... À Draco, à Blaise... à Matthieu et Charlie... à tes amis.
– Heu... rien. Les alliances, c'est juste un cadeau de leur part. Ils n'ont pas besoin de savoir.
– Alors, pourquoi je suis au courant, moi ?!
Mark s'était redressé pour le regarder droit dans les yeux. Pourquoi lui et pas les autres ? Harry n'en savait rien. Mark avait été là, c'est tout. Mark avait vu les détails, il y avait eu de vieilles conversations qu'il n'avait pas forcément eues avec d'autres, sa présence quotidienne au Manoir, cette façon de s'ancrer peu à peu dans sa vie...
– Il fallait bien que je le dise à quelqu'un...
Mais pourrait-il vraiment le cacher aux autres ? Lucius lui avait dit de ne simplement pas répondre aux questions, d'ignorer les curieux... mais cela valait davantage pour ceux qui ne faisaient pas partie de leur cercle familial, n'est-ce pas ?
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– Arrête de tripoter ta queue et joue ! gloussa Harry.
– Je vois que tu n'as pas oublié tout ton vocabulaire français ! ricana Mark. Et je comprends mieux d'où vient cette maîtrise de la langue de Molière ! Pour information, je ne me tripote pas la queue, j'ai un mari qui est chargé de ça.
Il joua malgré tout, tapa trois bandes sans empocher sa bille et grimaça de dépit.
– Je manque d'entraînement ! Ça fait trop longtemps que je n'y ai pas touché.
– Tu parles de quoi au juste ? gloussa Harry.
– De billard, pour une fois !
– Et toi et Håkon, ça va ? demanda-t-il en se souvenant des tensions entre eux avant Noël.
Mark s'éloigna une seconde pour aller boire quelques gorgées de la bière qui avait succédé au café, puis avoua en haussant les épaules.
– Moi je prépare le mariage, ça m'occupe. Je parle à sa mère tous les soirs par cheminette pour organiser la déco, le menu, la liste des invités... Lui, il travaille trop. Comme Lucius, j'imagine... Ils sont encore toute la semaine à Bruxelles...
Mark remarqua son air étonné.
– Tu ne savais pas ?
– Je ne suis pas trop au courant de tout ça. Lucius n'en parle pas et je ne pose pas de questions.
Mark ne fit pas plus de commentaires mais son regard en disait long sur son étonnement face à son manque de curiosité.
– Enfin bref. Tous les soirs, Håkon finit tard, il a des réunions jusqu'à point d'heure, il est invité à dîner ou à un cocktail quand ce n'est pas l'ambassade qui reçoit...
– Tu n'y participes pas ?
– De temps en temps. Je fais une apparition, je serre deux-trois mains, je bois un verre et je rentre me coucher. J'adore sortir, hein !... Mais pour aller au théâtre, danser, ou visiter une expo... Pas pour être en représentation à chaque fois que je fais un pas ou que je dis un mot !
– On croirait entendre Severus ! sourit Harry en allant chercher sa propre bière.
– On se croise le matin, entre le réveil et le petit-déjeuner. On éponge de temps en temps la frustration... Et le dimanche, il essaie de se dégager de toute obligation et on passe toute la journée au lit pour compenser !
Le regard de Mark était redevenu plus espiègle, cela faisait plaisir à voir.
– C'est pour ça que le lundi matin, tu as souvent plein de courbatures et tu as du mal à rester assis ? ricana Harry. Moi qui croyais que tu faisais du footing ou du sport le dimanche !
– Mais c'est du sport ! protesta Mark en riant. Et dis donc ?! Qui est-ce qui a mis un sortilège de coussinage sur sa chaise l'autre jour ?!
– Ce n'était pas pour les mêmes raisons !
– Comment ça « pas pour les mêmes raisons » ?!
– Il n'y avait pas eu de sexe ! grimaça Harry en levant un regard faussement exaspéré vers les boucles blondes de Mark. Il te faut un dessin ?!
Il y eut un temps d'arrêt avant que le jeune homme ne comprenne et grimace à son tour.
– Ohh... Vous n'y allez pas de main morte ! Remarque, c'est peut-être ça que je devrais faire avec Håkon ! pouffa-t-il. L'attendre nu sur le lit avec un jockstrap, une cravache et les mains attachées dans le dos... Peut-être que ça l'inciterait à rentrer plus tôt ? Une claque sur le cul, ça n'a jamais tué personne, non ?!
– C'est ça ! ricana Harry. Fais-moi penser la prochaine fois que vous venez dîner à vous offrir une panoplie du parfait débutant en sado-masochisme... Je suis curieux de voir sa tête et celles de Severus et de Lucius !
– Tu n'oserais pas, hein ?! fit Mark avec une pointe d'angoisse.
– À moins que je ne demande à Lucius si on n'a pas des trucs en double, ou dont on ne se sert pas, songea-t-il à voix haute en pianotant du doigt sur son menton.
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Une fois de plus, Harry traînait dans les couloirs de Poudlard sans s'être annoncé auparavant. Il était venu un peu sur un coup de tête, en se disant que cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu sa fille – une dizaine de jours s'il comptait bien – et il arrivait maintenant un peu honteux, sans comprendre comment le temps avait pu filer si vite depuis sa dernière visite.
Comme la dernière fois, il frappa doucement aux appartements de Luna et Padma, de peur de réveiller Aria, et patienta un long moment, au point de songer qu'il n'y avait personne dans l'appartement. Il allait tourner les talons quand la porte s'ouvrit enfin sur un visage trop masculin, une silhouette trop grande et des bras trop larges pour que ce soit logique. Seul le bébé aux cheveux noirs et aux yeux sombres à peine entrouverts entre ces bras correspondait à une situation normale.
– Harry !
Il était si surpris de ne pas trouver là, avec sa fille, ni Luna ni Padma, qu'il mit quelques secondes avant de reconnaître Matthieu.
– Matt ?! Mais... je me suis trompé d'appartement ?!
– Mais non, idiot ! Je fais juste la baby-sitter ! fit Matt en riant. Entre !
Légèrement hébété, Harry entra dans le salon. Les meubles, l'agencement, les couleurs... c'était bien le salon de Luna et Padma, mais il avait toujours du mal à comprendre.
– Où sont les filles ? balbutia-t-il.
– Padma devait régler quelques soucis à l'Institut de Médicomagie, et comme Charlie est en Roumanie, Luna doit faire l'intérim auprès des Gryffondor... Quant à ta fille, elle est là et elle dort tranquillement. J'avais peur de la réveiller, c'est pour ça que j'ai tardé à ouvrir...
Trop d'informations en trop peu de temps. Harry secoua la tête.
– Répète !
– Luna et Padma avaient toutes les deux des choses à faire... elles m'ont demandé de garder Aria une heure ou deux. Je ne m'en sors pas si mal, tu sais !
– Et Charlie est en Roumanie...
– Ouais. Depuis cinq jours, grimaça Matthieu.
Il n'avait rien su. Il n'avait rien su de rien. Ni du nouveau départ de Charlie, ni du fait que Matthieu devait encore se morfondre seul à Poudlard, ni du besoin des filles de faire garder Aria pour faire face à leurs obligations... Et Luna qui devait gérer les Gryffondor en plus des Poufsouffle. Et des Serdaigle de Padma... à moins que celle-ci n'ait repris une partie de sa charge de travail.
– Merde !
Brusquement, Harry s'en voulait. Terriblement. Une fois de plus, il était resté centré sur lui-même, sur sa petite vie tranquille au Manoir, en dehors du monde, il s'était concentré sur son union avec Severus, sur leur vie de couple à trois, sur ses recherches, sur ses conversations avec Mark... et il avait oublié qu'en dehors de tout ça, le monde continuait à tourner, avec ou sans lui. Et en l'occurrence, sans lui.
– Hey ! Assieds-toi ! fit Matthieu, inquiet de le voir soudain si crispé. Tiens, prends-la, c'est ta fille, après tout... Je vais nous chercher des bières.
Harry se débattait encore entre honte et culpabilité qu'il se retrouva assis dans le canapé et sa fille dans les bras. Il baissa les yeux. Elle avait grandi et pris du poids. Pas beaucoup, mais assez pour que ce soit significatif pour lui qui ne l'avait pas vue depuis dix jours. Ses cheveux avaient poussé aussi. Et son petit minois endormi était toujours aussi mignon. Elle portait un joli pyjama blanc et violet très clair, avec une petite coccinelle brodée sur le devant. Ses mains paraissaient toujours aussi minuscules mais elle avait l'air d'une grande fille avec ses ongles un peu longs. Et sa bouche entrouverte contre son pull en cachemire laissa échapper un petit filet de lait caillé aussi odorant qu'écœurant.
– Merde !
– C'est tout ce que tu sais dire, aujourd'hui ? gloussa Matthieu en lui tendant un bavoir d'une main et une bière de l'autre.
Harry essuya tant bien que mal la tache sur son pull en essayant de ne pas réveiller sa fille, avant de songer qu'il pouvait utiliser la magie. Mais lancer un sortilège de nettoyage aussi près du visage de sa fille était-il bien raisonnable ? Comment faisaient les filles ? Avec Axaya, il se posait moins de questions, mais elle était encore si petite !
– Excuse-moi, je suis désolé, finit-il par dire en renonçant à la magie. J'ai été surpris par ta présence, je ne m'attendais pas à...
– Remets-toi, hein ! Il m'arrive de la garder quand les filles ont besoin... Je suis deux étages au-dessus, et quand Charlie n'est pas là, je n'ai rien de mieux à faire.
Harry prit sa bière et but longuement, le temps d'avaler ce qu'il venait d'entendre, puis il ferma les yeux. Il ne pouvait pas en vouloir à Matthieu. Certainement pas à Matthieu ! Même si c'était douloureux de comprendre que son ami avait plus de contacts avec sa fille que lui-même...
Il était seul coupable de cette situation. Il avait dit qu'il voulait s'investir et il ne faisait pas. Il n'était pas présent, il n'avait pas proposé son aide, les filles s'étaient organisées autrement... Elles voulaient bien qu'il fasse partie de la vie d'Aria, mais elles n'iraient pas le chercher.
Harry sursauta quand la porte s'ouvrit brusquement sur un tourbillon de cheveux blonds et de grands yeux bleus surpris de le voir.
– Ah tu es là, toi ?! s'exclama Luna avant de tourner la tête vers Matthieu. Excuse-moi, ça a un peu traîné en longueur... Tout s'est bien passé ?
– Aucun souci. Elle a pris son biberon et elle dort depuis. Je n'ai pas eu le temps de lui changer sa couche, elle s'est endormie directement après avoir bu...
– Pas grave. On aura le paquet dans une heure ou deux, ironisa Luna.
Malgré lui, Harry serra les dents. Chaque mot de cette conversation le mettait mal à l'aise, lui faisait mal. Matthieu en savait plus sur sa fille que lui. Sur ses habitudes, sur son comportement, sur la façon de s'occuper d'elle... Bon sang ! Il n'avait jamais donné un biberon ou changé la couche de sa propre fille ! Elle avait dormi dans ses bras, c'était tout ce qu'il avait été bon à faire !
– Je... Je vais vous laisser, fit Matthieu en se levant. J'imagine que vous avez besoin de parler... Je te dois deux bières !
– Aucune importance, répondit Luna avec un sourire. Encore merci pour tout !
– Passe me voir tout à l'heure, si tu veux, ajouta Matthieu en le regardant. Ou quand tu veux...
Harry hocha la tête, incapable de répondre, et réalisa à peine quand la porte se referma sur le professeur de potions. Jusqu'à ce que le regard exaspéré de Luna ne réussisse à l'interpeller.
– Qu'est-ce que tu fais là ?
– J'étais venu vous voir...
– Nous ou elle ?
– Elle, bien sûr. Et vous aussi...
– Et quand est-ce qu'on passe aux choses sérieuses ?
– Quelles choses sérieuses ? répondit Harry surpris.
– Eh bien, je ne sais pas... T'occuper d'elle, peut-être ?
Il aurait pris un uppercut en pleine figure qu'il n'aurait pas été plus groggy. C'était douloureux, ça le laissait un peu sonné, sans compter la honte et la culpabilité qui ressurgissaient devant cette réalité.
Qu'est-ce qu'il pouvait répondre à ça ? Qu'il était là ? Alors que c'était Matthieu qui avait dû venir pour la garder... Qu'il serait là dorénavant ? Ou se taire...
Entre ses bras, Aria dormait toujours d'un sommeil profond et calme. Seuls ses yeux bougeaient parfois sous ses paupières, mouvements désordonnés d'un enfant qui rêve...
– Quand est-ce que vous avez besoin de la faire garder ? murmura-t-il.
– Demain après-midi. Je dois assurer les cours de Charlie et Padma a repris ses cours pour ceux qui passent les Buses et les Aspics.
Padma avait déjà été obligée de reprendre le travail pour ne pas mettre les élèves trop en retard... Les filles devaient se débrouiller avec leurs contraintes horaires respectives, les sollicitations des élèves, les parchemins à corriger... les Poufsouffle, les Serdaigle, les Gryffondor, l'Institut de Médicomagie... pendant qu'il jouait au billard avec Mark.
– Je m'occuperai d'Aria.
– Samedi, j'aimerais avoir quelques heures avec Padma... l'emmener dîner au restaurant. C'est notre anniversaire de mariage.
Leur anniversaire de... Harry releva la tête pour affronter le regard dur de Luna.
– Je la garderai. La nuit aussi, si vous voulez. Elle a sa chambre au Manoir, maintenant.
Cette annonce-là adoucit légèrement les traits de la jeune femme qui se détendit également. Ses paroles n'étaient pas que des promesses, il avait déjà un peu avancé : il avait parlé à ses amants, il avait conçu cette chambre, encore intacte, mais qui serait bientôt occupée par sa fille, il n'avait pas été là, mais même à distance, il avait commencé à s'investir. C'était peu mais ce n'était pas rien.
– On ne va pas te courir après, Harry...
– Je sais, fit-il en baissant à nouveau les yeux sur sa fille. Je serai là. À quelle heure veux-tu que je vienne la chercher demain ?
– Treize heures. Les cours commencent à quatorze heures, ça laissera le temps de te donner deux-trois consignes...
– Et..., hésita-t-il. Vous voulez que je la garde ici ou je peux l'emmener au Manoir ? Elle peut transplaner à son âge ?
Le regard de Luna était encore légèrement agacé et elle soupira en lui répondant.
– Elle a plus d'un mois, Harry ! Elle peut transplaner, elle peut sortir à l'extérieur si elle est bien couverte, elle peut aller au Manoir, elle peut aller où tu veux !
– Je dois prévoir quelque chose ? J'ai acheté des vêtements, des couches, des produits pour le bain, pour la changer, quelques jouets, des peluches, des...
Le premier sourire de Luna fit une timide apparition, furtive, mais son regard était plus indulgent.
– Elle n'a besoin de rien de plus. Padma te donnera des biberons d'avance et tu auras tout ce qu'il faut...
– Elle ne l'allaite plus ?
– Si. Matthieu lui a fait des potions de lactation et elle a assez pour pouvoir tirer son lait maintenant...
Harry baissa de nouveau la tête et se mordit les lèvres, à nouveau plein de culpabilité. Une fois de plus, Matthieu avait été là et pas lui.
C'était assez. Il allait rentrer, ruminer et tenter de digérer sa culpabilité, et revenir demain pour enfin assumer son rôle de père. Il avait besoin d'un peu de temps pour composer avec ses faiblesses, ses insuffisances et son égoïsme.
Malhabilement, en veillant à ne pas réveiller Aria, il se leva et la déposa dans les bras de sa mère. Il avait à peine aperçu son regard aujourd'hui, mais il ferait mieux une autre fois.
– Je serai là demain à treize heures...
Luna hocha la tête tandis qu'il s'éloignait pour partir.
– Harry ?
– Oui ? fit-il en se retournant, la main sur la poignée de la porte.
– Félicitations... Pour ton union avec Severus.
– Qu'est-ce que ?
Il baissa les yeux sur l'alliance à sa main, visible mais discrète, mais Luna secoua doucement la tête.
– Je perçois le lien entre vous. Comme une deuxième aura qui t'enveloppe...
Il la regarda, plus troublé qu'il n'aurait voulu l'avouer, remercia d'un signe de la tête, puis sortit de l'appartement.
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oooooo
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Soixante marches et deux étages plus haut, il hésita puis frappa à la porte de Matthieu qui vint rapidement lui ouvrir. D'un signe de tête, il l'invita à entrer et partit vers un placard au fond de la pièce pour en revenir avec deux bières. Ils s'assirent sur le même canapé, légèrement tournés l'un vers l'autre pour se faire face.
Sur la table basse traînait une écritoire avec une plume, une petite bouteille d'encre rouge et une pile de parchemins que Matthieu devait être en train de corriger quand il avait frappé. Cela lui rappelait Severus autrefois, ses corrections d'une écriture rageuse, les notes cauchemardesques qu'il attribuait à tout le monde et le mépris dans sa voix en rendant les copies. Matthieu devait être bien différent mais Severus était toujours capable du même mépris. Harry se méprisait déjà lui-même.
Il détourna le regard, but une longue gorgée de bière et posa sa bouteille sur son genou.
– Je suis un idiot, n'est-ce pas ?
– Ça te rassurerait de l'entendre ? fit doucement Matthieu avec un sourire.
– Je ne sais pas. Je crois, oui.
– Tu es un idiot... Mais un idiot intelligent : tu es capable de progresser.
C'était comme ça que Matthieu devait rassurer ses élèves : la note était mauvaise, l'examen raté... mais on pouvait toujours progresser. Cette confiance dans les capacités de l'autre à toujours pouvoir faire mieux, à toujours pouvoir être meilleur... c'était si... valorisant, si émouvant. Merlin ! S'il ne se retenait pas un peu mieux, il allait se mettre à pleurer !
Harry but encore un peu de bière et observa Matthieu en évitant son regard : adossé contre l'accoudoir, un bras sur le dossier du canapé dans une position si ouverte, si à l'aise, une jambe posée à plat sur son autre genou... Matthieu respirait la confiance en lui. Ça n'avait pas été toujours le cas, mais depuis que les choses avec Charlie étaient devenues sérieuses, il était radieux. Ce qui n'était pas son cas à l'instant même.
– Pourquoi Charlie est encore en Roumanie ?
– Il faut demander à Lucius, répondit Matthieu avec une grimace amère.
– Il va bien ?
– Je suppose. Sa mission l'oblige à plus de discrétion... je n'ai pas eu beaucoup de nouvelles.
Dans la bouche de Matthieu, cela ressemblait à un euphémisme. Charlie avait dû lui dire qu'il était bien arrivé et depuis rien. Un silence à se ronger les sangs et un espoir fébrile...
– Combien de temps ? Sa mission ?
– Qui sait ? fit Matthieu en haussant les épaules. Une semaine... Dix jours... Quand il aura terminé ce pour quoi il est là-bas.
Harry avait brièvement croisé son regard résigné, puis il baissa les yeux sur sa bouteille de bière.
– Je suis désolé, murmura-t-il.
– Pourquoi ? fit Matthieu avec un sourire. Tu n'y es pour rien. Charlie est un grand garçon, il a accepté cette mission... Tu l'engueuleras si tu veux quand il reviendra.
– C'est ton privilège.
– Je préfère fêter nos retrouvailles sous une couette plutôt que par une engueulade, gloussa Matthieu.
Harry esquissa un pâle sourire, qui devait bien être son premier depuis plusieurs heures.
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Ils n'avaient plus dit grand chose, ils avaient bu encore, et puis il était rentré au Manoir quand ce fut l'heure du dîner dans la Grande Salle de Poudlard. Ils l'attendaient tous les deux dans le Petit Salon et Severus se leva presque d'un bond en l'apercevant.
– Où étais-tu passé ?!
Harry fronça les sourcils en levant les yeux vers lui. La réprobation dans cette voix voisinait avec un mépris ancien.
– Tu as bu ! lâcha Severus en le prenant par les épaules pour le dévisager.
– Oui. Quatre bières. Et c'est toi qui vas me le reprocher ?
Le regard de Severus était sombre, lourd de mépris, de colère et d'une certaine forme de condescendance. Il ne méritait sans doute pas mieux.
– Qu'est-ce qu'il y a ?
Il n'y avait rien. Rien que ses insuffisances, son égoïsme, son incapacité à regarder certaines choses en face. Il pouvait toujours progresser, comme avait dit Matthieu, mais il partait de si loin. Il ne serait jamais qu'un enfant gâté, qui ne pensait qu'à lui-même, qui ne vivait que pour lui, au centre d'un petit monde qui tournait autour de lui sans se préoccuper des autres. Il avait cru avoir des circonstances atténuantes : son enfance, la guerre, la mort d'Axaya, sa captivité et son viol... mais ça ne faisait que renforcer ce qui aurait existé même sans ces événements. Il était incapable de donner, incapable de rendre ce qu'on lui donnait... incapable. « Incapable ! »
Merlin ! Ce qu'il avait entendu ce mot, autrefois !... Même dans la bouche de celui qui le regardait maintenant avec un regard si noir et qui le bousculait sèchement.
– Harry, qu'est-ce qu'il y a ?! criait Severus en le repoussant. Merlin ! Occupe-toi de lui ! Je ne peux pas ! Il me faut deux minutes !
Il fut poussé sans ménagement dans les bras de Lucius tandis que Severus sortait de la pièce à grands pas en se tenant la tête entre les mains.
– Qu'est-ce qu'il a ? fit-il avec une moue dédaigneuse.
– Je suppose..., réfléchit Lucius. Le lien l'a rendu particulièrement soucieux de ton absence, et le fait qu'il perçoive tes sentiments, qu'il soit réceptif à ton aura... je suppose que c'est envahissant. Même moi, je ressens la noirceur de tes émotions et ça me met mal à l'aise. Pour lui, ce doit être pire...
Même sur ça, il n'était pas capable de faire face et de gérer. Il mettait mal à l'aise ses amants. Severus était même obligé de le fuir. C'était pathétique.
Et les bras de Lucius qui le maintenaient plaqué contre son torse ne parvenaient pas à le réchauffer et à l'apaiser.
– Bon sang ! souffla Severus en revenant dans le Salon. Qu'est-ce qui t'arrive ?! Je n'ai pas dû lever des barrières d'occlumencie pareilles depuis Voldemort !
– Rien. Laisse tomber.
Pourquoi est-ce que quelque part, tout au fond de lui, le fait de pouvoir atteindre douloureusement Severus par son aura lui faisait plaisir ? Pourquoi était-il satisfait de le faire souffrir s'il n'était pas un monstre ? Quand donc avait-il déjà été satisfait de faire souffrir, de tuer même, tous ces villageois, la mère d'Axaya, ce monstre capable de tuer son propre enfant pour des superstitions, pourquoi était-il également capable de ressentir ce plaisir-là, atteindre, faire souffrir, écraser de douleur s'il n'était pas aussi vil, aussi noir qu'eux ?! Aussi infâme. Et ce rire qui résonnait dans sa tête au milieu de ses cris, de ses pleurs, de ses hoquets de douleur !
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Harry n'avait pris qu'un verre de whisky, une queue de billard - n'en déplaise à Mark ! -, et deux billes, une rouge et une blanche. Il jouait pour s'entraîner, mécaniquement, empochait à peu près deux fois sur trois, repêchait la bille et la faisait rouler n'importe où sur la table, s'amusait à frapper une ou deux bandes avant de toucher la rouge...
Observer, calculer les angles, se concentrer, jouer... cela lui ôtait de l'esprit ses pensées torturées, le souvenir de ce rire ou du regard de Severus lorsqu'il avait quitté le Petit Salon.
« Dînez sans moi » avait-il dit en partant. Lorsque Severus avait essayé de le retenir, il avait repoussé la main sur son bras en aboyant « C'est bon ! Ça va ! Fous-moi la paix ! ». Et Lucius avait empêché Severus de le suivre.
Il empocha la rouge, suivie par la blanche dans un autre trou, grimaça de dépit et avala le fond de son whisky. Un chiffon lui servit à essuyer les billes qu'il fit rouler sur le tapis, puis il fit lentement le tour de la table en attendant qu'elles s'immobilisent au hasard.
– Jolie pièce ! apprécia Lucius en observant les boiseries et les murs tendus de toile rouge. Tu ne nous avais pas encore fait les honneurs...
– Il y a aussi la chambre d'Aria à visiter si tu ne sais pas quoi faire, fit Harry sans se redresser.
Évidemment, il manqua son coup tout comme il avait manqué sa cible. Cette pique-là s'adressait à Severus et Severus n'était pas là.
– Désolé.
– Je ne savais pas que tu aimais le billard...
– Ça m'empêche de penser.
– Viens te coucher, il est tard... Tu t'es fait servir quelque chose à manger au moins ?
Lucius était prêt de la cheminée, les mains croisées derrière son dos, ses cheveux blonds brillant de la lueur des flammes et il aurait difficilement pu être plus désirable.
Harry fit le tour de la table dans l'autre sens pour rejoindre la bille blanche sans trop s'approcher de lui.
– Je n'ai ni faim ni sommeil.
– Et tu vas rester là toute la nuit à déprimer et à te morfondre ?
– Je ne me morfonds pas, j'ai juste besoin d'un peu de solitude.
Même dans une conversation, il n'était bon qu'à se défendre et ses attaques tombaient à côté.
– … Chacun a ses limites, ajouta amèrement Harry. Severus ne supporte pas qu'on décide des choses sans lui en parler, tu ne supportes pas qu'il m'emmène dans l'antichambre, je ne supporte pas qu'on fouille dans ma tête...
– Je n'ai jamais dit que... ! s'exclama Lucius avant de se reprendre. Tu appartiens peut-être à Severus, mais dans l'antichambre, c'est à moi que tu appartiens...
Sa voix était grave, vibrante, son regard brûlant et Harry se surprit à frémir malgré lui. La revendication puissante de l'aristocrate résonnait dans son ventre, dans son bas-ventre. C'était chaud et c'était bon.
– C'est peut-être de ça dont tu aurais besoin... Une bonne séance dans l'antichambre. Être obligé de céder. De lâcher prise.
De manière surprenante, Lucius était deux pas de lui, brillant, brûlant de la chaleur de la cheminée et son regard gris le dominait de toute sa hauteur.
– Tu as raison. Baise-moi.
La lueur qui s'alluma dans les yeux de Lucius n'était pas le reflet d'une flamme. Et le frisson qui parcourut Harry tout le long de son dos n'était pas le froid ni la peur.
– C'est ce que tu veux ? Quelque chose de violent et de vivant ?
Ils se toisaient. Ça restait encore caché sous ses vêtements, mais il bandait déjà. Avec la même force que lorsque Lucius lui donnait des ordres dans l'antichambre. Avec Severus, cela avait eu un côté bizarre, déplacé. Mais avec Lucius, leurs rôles pouvaient être ceux-là pendant une heure et redevenir normaux après.
– Oui.
La main de Lucius était déjà sur son menton pour lui maintenir la tête tandis qu'il ravissait sa bouche et que ses doigts se refermaient sur son entrejambe. Ce n'était pas un baiser, c'était un échange de consentement à ce qui allait suivre. Il acceptait un moment de pure domination.
– Tourne-toi. Et baisse ton pantalon.
Cela voulait dire son boxer aussi. Harry se servit même de la magie pour tout enlever et finir les fesses à l'air. Lucius avait sorti sa baguette, la vraie, et elle dessinait déjà des arabesques dans l'air. Un collier apparut autour de son cou – c'était rare –, épais, puissant, du cuir. La corde qui s'enroula autour de ses poignets pour les lier dans son dos se noua à l'anneau du collier pour les tracter vers le haut, violemment. C'était serré. C'était court. Ses bras et ses épaules criaient de douleur et la tension sur son cou était délicieusement intense.
Lucius l'obligea à se courber à plat ventre sur le table de billard. Harry ne pourrait plus jamais jouer là sans penser à ce moment... Il ne savait pas ce qu'il avait pris : une ceinture, un paddle, un vulgaire morceau de cuir, mais cela fouettait ses fesses dans un sens puis dans l'autre avec régularité et sévérité.
… Huit. Neuf. Dix.
– Encore ?
– Encore.
Dix de plus. La pause pour la question rituelle. Une caresse. Et c'était reparti pour une dizaine.
Cela lui permettait de compter, d'avoir un objectif. Une fois arrivé à la dizaine, la dizaine supérieure paraissait envisageable. Il était capable de dire « encore ».
Ses fesses cuisaient. Brûlaient. Son sexe comprimé contre la table pulsait d'une même douleur.
– Encore ?
– Encore.
Il avait perdu le compte des dizaines. Celle en cours était à trois. Quatre.
Lucius ralentissait la cadence de ses coups, sans en diminuer la dureté. Il augmentait aussi la durée de la pause. La douceur de ses caresses.
… Neuf. Dix.
Il n'y eut pas de question. Le morceau de cuir était tombé à côté de sa cheville. À la place, Lucius lui fit bouger le bassin pour avoir accès à ses bourses. Il les prit dans sa main, les étrangla à la base, serra.
La douleur le fit hoqueter, chercher son souffle dans ce collier trop serré. Ses bras, ses épaules hurlaient. Autant que ses testicules comprimés. C'était puissant.
– Demande-moi d'arrêter.
Un sursaut pour respirer. Ce carcan autour de son cou. Il comprenait mieux Severus qui aimait tant cette sensation.
La douleur écrasante entre ses jambes. Harry secoua la tête.
– Non.
Lucius resserra sa prise. La douleur pulsait partout, jusque dans son sexe. C'était puissant. C'était vivant.
– Demande-moi d'arrêter.
Harry écrasa un peu plus ses hanches contre la table de billard, pour comprimer son sexe. Se frotter d'une manière ou d'une autre. Amplifier les sensations.
– Non.
Lucius serra un peu plus. Sa main était un étau. De l'autre main, il tira sur son collier pour lui faire soulever la tête.
Harry laissa échapper un râle. C'était fini. Il allait jouir. L'orgasme l'emporta comme un séisme. Long. Puissant comme rarement. Secoué de spasmes à n'en plus finir.
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– Doucement ! fit Lucius en relâchant les cordes dans son dos.
Le monde reprenait des couleurs. Vert, surtout, autour de sa joue sur la table de billard. L'odeur du feu. La douleur vrillait ses épaules qui reprenaient peu à peu leur position normale.
Il sentait encore cette chaleur pulsatile dans le bas-ventre, résidu de jouissance. Son cœur qui tapait si fort contre sa poitrine qu'il allait bientôt en sortir.
– Tu étais magnifique...
Harry posa les deux mains sur le tapis vert et doux, de part et d'autre de ses épaules. Ça tirait fort encore dans ses articulations. Un peu plus quand Lucius s'allongea sur son dos.
Il caressait son visage, l'embrassait, caressait son cou libre de tout collier, presque trop libre.
– Tu étais magnifique.
Harry reprit son souffle, déglutit un peu douloureusement.
– Tu n'as même pas joui.
– Ce n'était pas du sexe. Mais tu m'as donné un plaisir inouï.
Lucius le fit se redresser, le fit se retourner, le prit dans ses bras. Harry tourna la tête pour voir cette traînée blanchâtre sur la table de billard, des traces de son plaisir qui assombrissaient déjà le vert du tapis en y pénétrant. Il en avait sans doute partout : sur son pull, sur son ventre, sur le pantalon de Lucius maintenant.
– C'était pour inaugurer le billard ?
– De la plus belle des manières, fit Lucius en souriant.
Il lui caressait le visage, replaçait une mèche de cheveux, l'embrassait doucement, le regardait avec une vraie tendresse.
Harry se laissa aller, posa son front contre le torse de son amant et ferma les yeux. Ses fesses contre le bord de la table chauffaient encore. L'étreinte était si agréable.
– Merci.
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Severus dormait déjà quand ils montèrent se coucher. Ou il faisait semblant, Harry n'avait pas de moyen de le savoir. De toute façon, il n'avait pas très envie de savoir. Il passa dans la salle de bains, aux toilettes, se brossa les dents. Ses fesses étaient d'une jolie couleur qui le fit sourire dans le miroir. Une fois prêt, il retourna dans la chambre, s'allongea aux côtés de Lucius et se serra contre lui. Il s'endormit bien avant l'aristocrate, dans ses bras, presque souriant.
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ooOOoo
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Bon. Par quoi commencer maintenant ? Harry transplana dans le couloir de l'étage, sa fille bien serrée dans ses bras, un gros sac à langer sur l'épaule. Il n'avait pas pris la peine de le rétrécir, c'était peut-être un tort. Il lui fallait au moins ses deux bras pour être sûr de ne pas la faire tomber en se déplaçant. C'était une chose de la tenir dans ses bras assis dans un canapé, c'en était une autre que de marcher en la tenant, sans même parler du transplanage !
Ils étaient arrivés à bon port, c'était le principal.
Dans la chambre d'Aria, il posa son gros sac par terre et eut un temps d'arrêt sur ses chaussures. Il avait marché avec ces chaussures dehors, dans Poudlard et maintenant dans la chambre de sa fille où elle allait un jour ramper par terre puis marcher à quatre pattes. Lucius et Severus avaient des chaussures pour l'extérieur : très chics, élégantes ou carrément luxueuses, vernies, cirées, en cuir, perforées ou non, à empiècement, à lacets, à boucles, même des bottes, aussi variées que les chaussures et une ou deux paires plus simples qu'ils gardaient pour l'intérieur du Manoir, et ils se changeaient à chaque fois qu'ils rentraient. Lui, il faisait un peu n'importe quoi, transplanant dedans, dehors aussi facilement qu'il clignait des yeux.
Mais là. Ses chaussures sales sur les tapis de sa fille... Harry jeta un sortilège de nettoyage sur ses chaussures, sur les tapis et entreprit de défaire un peu le sac.
Sa fille calée dans un bras, il ne lui restait qu'une main pour œuvrer, c'était loin d'être pratique. Il sortit les biberons, qu'il posa sur la table à langer. Padma lui en avait donné deux, bien protégés par un sort de conservation; c'était un de plus qu'il ne lui fallait normalement. Il récupéra un bavoir qu'il intercala entre le visage de sa fille et son pull; une fois suffisait ! Il n'avait pas pensé à en acheter et cela faisait visiblement partie des indispensables. Doudous pour dormir, gigoteuse, vêtements de rechange, pyjama, couches, lingettes et produits d'hygiène pour la nettoyer... Padma avait autant rempli le sac qu'elle lui avait donné d'explications et de recommandations en souriant. Avec tout ça, il était paré pour survivre au moins une après-midi entière !
Aria avait tété pendant qu'il était là-bas, le prochain repas tombait normalement vers dix-sept heures, et elle était censée dormir pendant à peu près tout ce laps de temps. Ça ne pouvait pas être compliqué.
Mais la coucher dans son lit, seule dans cette chambre, dans cette maison qu'elle ne connaissait pas, lui paraissait un peu cruel. Il devait rester avec elle. Mais il n'allait tout de même pas la garder dans ses bras à juste la regarder dormir pendant tout l'après-midi. Ceci dit, ça n'avait pas l'air de la déranger et elle dormait tranquillement, la bouche à demi ouverte et presque le sourire aux lèvres.
Est-ce qu'il pouvait travailler d'une seule main ? Attraper un parchemin, tourner les pages d'un livre... Et ce n'était pas le grattement d'une plume qui allait la réveiller ! Mais en bas, il y avait Mark et des explications à fournir...
Harry hésita, fit la moue et regarda la chambre autour de lui. Elle était jolie mais il n'allait pas y passer l'après-midi enfermé. De toute façon, il faudrait bien le dire à tout le monde un jour ou l'autre et Mark n'était pas le pire à affronter.
Bon. Est-ce qu'il osait tenter les escaliers avec sa fille dans les bras ou bien il transplanait ? Avec Scorpius, il ne se serait même pas posé la question mais il lui semblait que l'enjeu était différent. Il transplana dans le couloir du rez-de-chaussée; avant de voir Mark, il avait d'autres présentations à faire...
Axaya était dans son tableau, sur la porte de son « bureau », et il sut tout de suite de quoi il s'agissait. Le temps que Harry s'approche, les larmes roulaient déjà sur la peau cuivrée, glissant autour d'un sourire ému, émerveillé, émaillé d'un rire muet. Une main essuyait son visage sur lequel les pleurs laissaient des sillons plus sombres et l'autre se tendait vers le verre du tableau pour toucher du doigt cette réalité inaccessible. Autant qu'il le pouvait, Harry sourit. Aria dormait, mais un jour elle verrait cet autre enfant qu'il avait aimé un jour, ils courraient peut-être de concert, elle au milieu du couloir, à quatre pattes ou debout, et Axaya de miroir en miroir... Comme avec Scorpius et Iris... Ils avaient tout le temps pour ça, maintenant.
Il prit quelques minutes pour se recomposer un visage plus sobre devant le bureau de Lucius. Il était ébranlé, mais pour de bonnes raisons. Le bonheur, c'est parfois plus difficile à vivre que le chagrin.
Harry finit par frapper, il ne savait même pas pourquoi. Et le regard surpris de Mark quand il entrouvrit la porte montrait la même interrogation.
– C'est moi. Je...
– Qu'est-ce qui t'arrive ?
Bizarrement, Severus lui avait posé la même question la veille au soir...
Il était encore à demi caché par la porte; enfin ! elle était à demi cachée par la porte. Pouvait-on faire plus ridicule ?
– J'ai un truc à te dire ? hésita Harry.
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C'était comme dire publiquement son homosexualité quand il était jeune : un truc étrange, pas logique, intime et pourtant public, souvent violent, ou qui déclenchait au moins systématiquement sa méfiance et son appréhension.
Il avait le même sentiment. Devoir dire, s'expliquer, justifier ses silences jusque là, ses errances, ses hésitations... Confier une chose évidente et pourtant si inédite, si surprenante.
Et la réaction de Mark, si elle n'était pas négative, restait ébahie de surprise.
– Merde ! J'en reviens pas ! C'est ta fille ?! T'as couché avec sa mère ?
La grimace de Mark lui fit penser à une commère à l'affût du potin un peu sordide, et Harry sourit enfin.
– Non, je n'ai pas couché avec sa mère ! se défendit-il en riant. Même chez les moldus, ils savent procéder autrement ! Alors avec la magie...
– Elle est tellement jolie ! s'extasia Mark qui recommençait enfin à ressembler à lui-même. Vous êtes tellement beaux, tous les deux ! C'est merveilleux ! Ça mériterait une photo pour immortaliser tout ça ! C'est tellement extraordinaire ! Elle est si petite ! Et tellement mignonne !
– Attends qu'elle pleure un peu ! ricana-t-il pour couper court à la litanie de superlatifs.
Des étoiles plein les yeux, la bouche en cœur, une main sur la joue, Mark était une vraie caricature, jusqu'à ce que Harry se rende compte aussi qu'il se moquait gentiment de lui, et ils finirent par rire de concert, émus malgré tout.
– En vrai, je ne sais pas quoi dire ! C'est merveilleux... Je n'aurais jamais imaginé que... Mince ! Et avec eux ? Comment ça se passe ?
– Je te dirai ça quand ils l'auront rencontrée...
Un complément d'explication plus tard, Mark était toujours aussi émerveillé mais un peu plus mesuré.
– Je suis vraiment heureux pour toi, Harry... Pour vous trois. Vous méritez tellement ce bonheur...
Pas vraiment mesuré, en réalité.
– On verra comment ça se passe au fur et à mesure, fit-il en s'asseyant sur le canapé. Avec Lucius, je n'ai pas d'inquiétudes : il sait parfaitement quelle place il est prêt à occuper, et où se situent ses limites. Severus, en revanche, m'en a beaucoup voulu d'avoir gardé le silence si longtemps... Et nos relations sont un peu tendues en ce moment.
Mark fronça les sourcils.
– Malgré l'union ?
– Malgré l'union. Ou à cause de l'union... Je l'ai un peu envoyé sur les roses hier soir.
Et derrière ça, Harry avait couché avec Lucius ! Même pas couché, puisqu'il ne s'agissait pas vraiment de ça, mais il avait eu un des plus grands orgasmes de sa vie. Et un moment si intense qu'il en avait encore des frissons dans le ventre.
Le souvenir de ce qui s'était passé – la violence, le plaisir – le fit légèrement rougir comme il allait sans doute rougir pendant longtemps en jouant sur cette table de billard... Mais il ne pouvait pas penser à ça avec sa fille dans les bras !
– Et les présentations aujourd'hui, c'est une forme de réconciliation ?
– Non. Elles avaient besoin que je la garde... C'est juste un mauvais timing. L'histoire de ma vie...
Mark s'arracha à la contemplation de sa fille pour croiser son regard.
– Ça t'inquiète ?
– Je mentirais si je disais que je n'avais pas un peu peur.
Severus avait accepté de s'unir à lui malgré l'existence de sa fille. Mais après hier soir... Harry s'était réveillé tard ce matin. Severus était déjà parti; ils ne s'étaient même pas reparlé.
– Ça va bien se passer, assura Mark en s'accroupissant près de lui. Tu es un des hommes les plus forts et les plus courageux que je connaisse. Vous vous aimez, malgré les disputes. Et quand il te verra avec ce bébé dans les bras, il ne pourra que fondre et te pardonner... Et si ta fille a un millième de ton caractère, elle saura mener par le bout du nez le grand Severus Rogue !
Harry esquissa un sourire guère convaincu tandis que Mark, sans même qu'il sache comment il faisait pour être si près sans réveiller sa fille, avait passé ses bras autour de son cou et le serrait contre lui. Comme Lucius hier soir, il caressait son visage, glissa un baiser sur son front, ses mains autour de son visage, et même un baiser sur ses lèvres, aussi spontané qu'innocent, et des paroles de réconfort, et son visage si près de lui qu'il pouvait détailler les nuances de bleu dans ses yeux...
– Ça va bien se passer, tu vas voir... Et demain, tu me raconteras ça en souriant.
Comment Mark était-il devenu celui qui savait tout ? En dehors de ses amants, il était celui qui avait épongé toutes ses premières confessions : sa fille, son union avec Severus, leurs disputes, et même son viol... Harry restait un peu sidéré, ou émerveillé, de cette importance, et pourtant tout était évident.
– Merci d'être là.
Et le sourire de Mark, tout en haussant les épaules, était aussi évident.
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Mark avait fini par lorgner sur son travail en suspens, et faute de mieux, Harry s'était remis lui aussi à ses recherches, Aria toujours endormie dans ses bras.
C'était faisable. Un bras pour maintenir sa fille, l'autre main libre pour écrire, prendre des notes, tourner des pages, attraper un parchemin et rayer une annotation...Si ce n'était que son épaule gauche lui faisait un mal de chien. Aria était encore légère mais six kilos immobiles sur le même bras pendant plus de deux heures et il avait les muscles tétanisés. Une pointe de douleur vrillait dans sa chair au beau milieu de son omoplate, bien pire que la position que lui avait fait prendre Lucius hier soir. Une douleur aiguë, incisive, qu'il n'arrivait plus à supporter et il remua doucement le petit corps entre ses bras pour la poser à plat ventre sur son torse, glissant ses fesses vers le bord de son siège pour s'allonger à demi sur sa chaise. Ça appuyait bien un peu sur un bleu que Lucius avait dû lui laisser hier soir, mais c'était plus supportable que cette douleur dans l'épaule. Merlin ! S'il était déjà incapable de garder sa fille deux heures dans ses bras, il n'était peut-être pas prêt à être père !
Ils avaient bien réussi à travailler un peu plus d'une heure comme ça, lui avec Aria, et Mark qui levait de temps en temps la tête de sa paperasse pour un regard rêveur ou légèrement moqueur. Et puis Aria s'agita un peu, elle remua une main, la bouche, tourna la tête dont la joue portait l'empreinte de son pull, et un bruit suivi d'une odeur suspecte les déconcentra complètement.
– Je crois que le devoir t'appelle ! gloussa Mark.
Harry se retint de lui tirer la langue et se redressa en prenant bien soin de tenir sa fille sans poser sa main sur ses fesses, de peur de faire déborder le paquet-cadeau. Un nouveau baptême du feu s'annonçait, mais il s'était régulièrement occupé de Scorpius ces derniers temps et cela ne l'intimidait pas trop.
En prime de lui changer la couche et de lui nettoyer les fesses, il eut aussi le droit de lui changer la moitié de ses vêtements, car comme de bien entendu, tout cela avait joyeusement débordé sur les côtés. Aria était conciliante, malgré tout, et elle se laissa faire sans trop rechigner, encore à moitié endormie et molle comme une poupée de chiffons.
Ce fut une fois habillée de pied en cap qu'elle se mit à pleurer. D'abord doucement, puis de plus en plus fort au fur et à mesure de son inaction ou de son inefficacité à la soulager, pour finir par des cris difficilement supportables jusqu'à ce que Harry aperçoive les biberons. Un coup d'œil sur la pendule en forme de chouette lui apprit qu'il était largement plus de dix-sept heures; elle devait mourir de faim et il hésita à se mettre une claque pour n'y avoir pas pensé plus tôt !
Il attrapa un biberon, un bavoir et transplana de nouveau dans le bureau de Lucius. Mark sourit en le regardant s'installer dans le canapé près de la cheminée et étouffa un gloussement de rire quand Aria ouvrit grand la bouche pour happer la tétine avec une avidité manifeste. Au bout de quelques minutes, constatant qu'il n'avait toujours pas repris son travail, Mark referma son dossier de courrier, rangea ses plumes et vint le rejoindre sur le canapé.
Aria avait fermé les yeux mais elle buvait sans discontinuer, concentrée, sans presque même faire de pause ou reprendre son souffle. Ses petits poings serrés agrippaient ses vêtements, ses doigts, le bavoir posé sur son pull rose, dans des gestes un peu désordonnés. Elle fit enfin une pause, respirant rapidement tandis que ses narines s'écartaient légèrement à chaque inspiration, puis elle reprit son repas en finissant le biberon à toute vitesse. En douceur, Harry la redressa contre son épaule en veillant à bien placer le bavoir pour éviter les accidents et patienta en lui tapotant le dos le temps qu'elle fasse son rot.
Mark ne parlait pas, il se contentait de les observer, lui sans doute si maladroit, et elle qui ne le remarquait même pas. Sur son visage, dans son regard, passait une émotion qui tenait de l'émerveillement, de la découverte fascinée et ce renoncement immédiat que Harry avait aussi vu dans le regard de Matthieu. Cela l'attristait. Il aurait voulu que les choses soient plus simples pour tout le monde, plus faciles... Rien ne l'était.
Deux coups frappés à la porte les sortirent de leur contemplation silencieuse et Harry se sentit se liquéfier sur place. Lucius serait arrivé par la cheminée devant eux, mais il était encore trop tôt. En revanche, Severus rentrait en transplanant sur le perron du Manoir et c'était sans doute davantage son heure. Harry avait dû blêmir, il lança un regard affolé à Mark qui se leva aussitôt pour s'approcher de lui avec un sourire rassurant, il sentait déjà une sueur froide rouler le long de son dos et l'angoisse nouer son ventre.
– Ah. Bonsoir, Mark. Je...
Le silence dura plus longtemps qu'une simple hésitation... C'était bien la voix de Severus que Harry avait entendue dans son dos, qu'il ne pouvait pas voir pour l'instant. Immobile près de la porte puis s'avançant lentement avec ses chaussures d'intérieur qui grinçaient sur le parquet, parce qu'il changeait de chaussures, lui ! Et à chaque pas, la panique montait un peu plus en lui, qu'il tentait de noyer sous des raisonnements logiques, des sermons, des leçons de morale qui ne parvenaient pas à le convaincre. C'est Severus. Il t'aime. Ça va bien se passer. Il ne t'en veut pas. C'est un premier pas. Il faut lui faire confiance.
– C'est donc pour ça que tu étais si stressé hier soir...
– Et qu'il l'a été toute la journée, intervint Mark en souriant.
Harry leva un regard réprobateur vers son ami et protesta immédiatement.
– Je n'ai pas... !
Mark se pencha vers lui, les deux bras sur le dossier du canapé de part et d'autre de ses épaules, et il lui murmura à l'oreille suffisamment bas pour que Severus n'entende rien.
– Parle-lui. À lui mais aussi à elle... Je ne sais pas si c'est ma présence qui te gêne, mais tu ne lui as pas dit un mot de l'après-midi. Lâche-toi. Ne cherche pas à être le meilleur, sois juste toi-même. Tu n'as rien à prouver à personne. C'est ta fille, elle t'aimera quoi que tu fasses... Et je suis sûr que tout va bien se passer avec lui aussi. À demain.
Mark l'embrassa sur la joue, longuement, puis se redressa en s'approchant de la cheminée.
– Bonsoir Severus...
Les flammes vertes s'éteignirent rapidement une fois qu'il eût disparu et le silence revint dans le bureau de l'aristocrate. Pesant.
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Le parquet se remit à grincer quand Severus s'approcha en faisant le tour du canapé mais Harry n'entendait plus rien. Et Severus n'avait encore rien dit qu'il avait déjà commencé à pleurer.
Il était ridicule. Ridicule et incapable de s'occuper correctement de sa fille. Incapable de changer une couche sans en mettre partout, incapable de penser qu'elle avait faim en l'entendant pleurer, incapable de lui parler comme à une personne... Il parlait d'elle, oui, c'était facile, mais il ne lui parlait pas à elle. Il était incapable d'avoir cette spontanéité qu'il avait avec Scorpius, qu'il avait eue avec Axaya, jouer avec sa magie, les faire rire, les chatouiller, raconter une histoire, les câliner, montrer l'oiseau qui chantait ou Orion qui s'étirait en ronronnant, communiquer comme on respire, intuitivement, les regarder droit dans les yeux... Il ne faisait que la tenir dans ses bras comme un poids mort; tendu, raide et silencieux.
– Je suis désolé.
Près de lui, accroupi juste au pied du canapé, la voix de Severus se fraya un chemin entre ses larmes, mais ce qu'il disait n'avait pas de sens.
– Je suis désolé pour hier soir... Je n'ai pas voulu pénétrer dans ton esprit, mais quand je t'ai vu dans l'état où tu étais, tes sentiments qui hurlaient... le lien a « forcé » tes limites. J'ai mis quelques secondes à comprendre ce qui se passait et à pouvoir l'arrêter... Mais en aucun cas je n'ai voulu entrer dans tes pensées, ni dans tes souvenirs. Et j'en suis vraiment désolé. Maintenant, dis-moi ce qui se passe aujourd'hui.
Harry n'avait même plus voulu y penser... Il ne savait pas ce que Severus avait vu, ni ce qu'il avait compris, mais au vu des souvenirs qui étaient remontés à la surface, il s'en doutait un peu. La honte et la culpabilité avaient souvent les mêmes racines mais les monstres avaient plusieurs visages : celui d'un vampire, le sien, la mère d'Axaya... Mais Severus n'avait pas voulu faire ressurgir le passé; il pouvait remettre une couche de silence et d'oubli pour enterrer tout cela bien profond jusqu'à la prochaine fois.
– Dis-moi ce qui se passe...
À quel moment Severus s'était-il assis à côté de lui et l'avait pris dans ses bras en posant une main immense dans le dos de sa fille ? À quel moment s'était-il mis à le consoler comme un enfant alors qu'il était censé être père à présent ?
– Je ne sais pas, balbutia Harry entre deux sanglots. Je suis fatigué.
– Oui, tu es fatigué, et il y a eu bien trop de bouleversements dans ta vie en quelques mois... Mais ça va aller. Parce qu'on est là, et elle aussi. Tout va bien se passer...
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Il fallut un moment avant que ses larmes d'épuisement et de tension nerveuse se tarissent, plus longtemps encore avant que ses pensées s'éclaircissent un peu. Ils étaient deux à être dans les bras de Severus, contre son torse, sur son épaule, le visage dans les méandres de son pull et du bavoir de sa fille, qui lui avait plus servi à essuyer ses larmes et son nez que sa bouche à elle. Harry ne savait même pas si elle s'était endormie ou si elle regardait simplement le monde autour d'elle avec ses grands yeux. Il n'était même pas capable de s'occuper d'elle avant de penser à lui-même.
– C'est ridicule, marmonna-t-il en tentant de se redresser avec de nouveau des larmes dans la voix.
– Tais-toi et profite ! fit Severus en l'attirant contre lui. Parce que moi j'ai bien l'intention de profiter encore un petit moment de vous deux.
Un rire nerveux s'échappa de sa gorge, mêlé de larmes, de sanglots, de reniflements et de renoncement. Il replongea dans l'étreinte de son compagnon en souhaitant tout oublier et en serrant sa fille dans ses bras.
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– Alors ? Tout s'est bien passé ? Elle a été sage ?
Aria avait été parfaite. Comment dire que c'était lui qui n'avait pas été à la hauteur ?
– Elle a dormi presque tout l'après-midi, jusqu'au biberon vers dix-sept heures trente. Je l'ai changée aussi, avant le biberon, et pas longtemps avant de venir... Elle n'a presque pas pleuré, sauf quand elle avait faim. C'est de ma faute, je n'avais pas vu quelle heure il était. Je n'ai pas eu le temps de lui donner son bain, par contre, parce qu'elle dormait encore; je n'ai pas osé la réveiller...
– C'est pas grave, on va s'en charger, fit Luna en récupérant sa fille avec un grand sourire. Alors ma puce, c'était comment chez Papa ? Une chambre de princesse et des tas de jouets dans tous les coins ? Tu as visité le Manoir ou vous avez fait que des bisous et des câlins ?
Le bisou sur la joue d'Aria était sonore, aussi sonore que son silence et tous les bisous qu'il ne lui avait pas faits. On ne pouvait même pas appeler un câlin le simple fait de la tenir dans ses bras. Il devait partir ou il allait se remettre à pleurer.
– Quelle heure, samedi ? À moins que vous ayez besoin de moi avant ?
– Tu pourrais la garder après-demain aussi ?
Tiens. Brusquement, il avait un peu mal au ventre.
– Pas de souci. L'après-midi ou toute la journée ?
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Harry aurait pu monter deux étages plus haut et aller se soûler avec Matthieu mais il ne voulait pas lui imposer ses états-d'âme. Il préféra transplaner dans son petit coin de forêt, s'allonger en chemise sur le lit de Lucius et baigner dans cette chaleur humide revigorante. Ce n'était pas pour les fuir, il n'allait pas rester longtemps, juste le temps d'apaiser le tumulte de ses sentiments. Il en avait assez d'aller mal et de ne montrer que cette facette de lui-même. Il voulait être heureux, rire, sourire, dire des bêtises et glousser bêtement comme un adolescent, comme avant Noël, comme quand tout allait à peu près. Ou mieux encore, comme avant sa captivité, quand il avait enfin réussi à apprivoiser Scorpius et qu'il n'avait pas encore été violé... Ça n'avait pas duré longtemps, cette période-là.
Un bras derrière la tête en guise d'oreiller, Harry tourna légèrement les yeux pour apercevoir le miroir qu'il avait accroché contre le tronc d'un arbre en le ficelant avec une liane. De cette façon, Axaya pouvait venir le rejoindre là aussi et il ne s'en privait pas.
– Alors ? Comment tu la trouves ? Elle est jolie, n'est-ce pas ?
Axaya hocha vivement la tête avec un grand sourire avant de faire mine de la chercher du regard dans tous les coins.
– Je l'ai ramenée chez ses mères... Elle reviendra après-demain et samedi.
De nouveau un hochement de tête et un grand sourire. Axaya n'avait jamais souri à moitié. C'était toujours un sourire étincelant, de toutes ses dents, de tout le visage, qui remontait jusqu'aux oreilles, jusqu'aux coins des yeux, jusqu'aux paupières qui se plissaient à moitié. Un vrai sourire, sans faux-semblants.
– Elle est presque un peu trop sage, tu ne trouves pas ? Ou alors c'est parce qu'elle ne se sentait pas à l'aise avec moi...
– Ou bien elle attend que vous soyez plus à l'aise pour vous en faire voir de toutes les couleurs !
– Clay ! Nom d'un troll ! sursauta Harry. Qu'est-ce que tu fiches là ?!
Avec ses grandes oreilles et aussi dégingandé qu'à son habitude, l'elfe était apparu près du hamac un peu plus loin et le regardait en ricanant encore.
– Un thé ou un champurrado ? proposa-t-il, brusquement au pied du lit.
– Non merci. Après je ne vais encore rien manger au dîner.
– Un verre de vin alors ?
– Je crois que l'alcool ne fait pas bon ménage avec le lien, grimaça Harry. Je ne veux pas revivre la même chose qu'hier soir.
– C'est quelle partie de la soirée que vous ne voulez pas revivre ? ricana la créature avec un regard ironique.
– Bon sang ! Mais il faut arrêter d'avoir les yeux partout ! s'étrangla Harry en songeant que l'elfe ait pu être témoin d'une façon ou d'une autre de son tête à tête avec Lucius dans la salle de billard.
– C'est notre devoir de savoir ce qui se passe entre nos murs, répondit Clay en s'inclinant brièvement. Pour ce qui est du reste, c'est surtout avec vos pensées sombres que l'alcool ne faisait pas bon ménage, hier soir...
Harry se redressa brusquement et resta interdit. Clay savait tout ici. Même ce qu'il ne devait pas savoir. Mais jusqu'où ?
– Que sais-tu sur le lien entre Severus et moi ?
– Qu'il n'est pas à votre avantage, mais il n'est pas responsable de tout.
– Tu veux dire que Severus m'a menti en disant que c'était le lien qui lui avait fait pénétrer mon esprit ?
– Non. Je veux dire que le lien ne vous empêche pas de boire de l'alcool. Mais si vous buvez et que vous remuez des pensées sombres, il le sentira comme il perçoit vos sentiments le reste du temps. Le lien, en revanche, lui commande de vous protéger et donc de savoir ce qui se passe... Monsieur Rogue également est contraint par le lien, plus que vous ne le croyez...
Harry s'adossa au fond du lit, contre les oreillers et réfléchit un moment. Severus avait été sincèrement désolé, il en était certain. Tout comme il était certain que son compagnon se sentait obligé de le protéger, de s'assurer qu'il allait bien, de savoir où il était... aussi intrusif que ce soit parfois pour lui.
– Lui aussi se débat avec les effets du lien, reprit Clay. S'il s'écoutait, il vous empêcherait de sortir, de rester seul avec Mark ou d'autres. Il empêcherait même Maître Lucius de vous approcher quand il n'est pas présent. Mais il vous aime, alors il parvient à assouplir cette prison dorée. Prendre soin de vous, c'est parfois vous laisser plus de liberté... ou même prendre ses distances et vous laisser seul. Ce n'est pas facile mais il le fait. Vous aussi, vous devez apprendre à assouplir le lien au lieu de lutter contre, vous devez l'apprivoiser...
Comme lorsqu'il avait compris qu'il pouvait mettre en avant un sentiment plutôt qu'un autre dans ce que percevait Severus de son aura. Il avait l'impression de mentir, de le manipuler, mais ce n'était peut-être qu'un équilibre à trouver entre leur lien et leur liberté, entre ce qui était du couple et ce qui était privé... Au bout du compte, il finissait toujours par se confier à un moment ou un autre, mais lorsqu'il l'avait choisi.
– Alors pourquoi... Pourquoi dans l'antichambre, il a été si loin ? contesta Harry. Comment le lien a pu le laisser faire ça s'il est censé me protéger ? Tu sais très bien ce qui s'est passé dans l'antichambre, n'est-ce pas ?
– Vous parlez de ça ?
Clay tourna la tête vers le miroir et fit un geste de la main pour qu'Axaya déguerpisse de là. Aussitôt disparu, Harry vit se former des images, peu à peu identifiables, sur la surface du miroir. Il se voyait lui, menotté, presque écartelé sur la croix de Saint-André, tremblant des pieds à la tête, et Severus collé contre son corps, ses bras puissants autour de lui, pour le calmer et le rassurer jusqu'à ce qu'il cesse de trembler. Oui, il y avait aussi eu des moments où Severus avait pris soin de lui...
– Je ne pensais pas à ça, avoua Harry, gêné de se voir si faible et dépendant.
– Je sais très bien à quoi vous pensiez, fit Clay en s'asseyant sans façon sur le bord du lit. Je crois qu'il voulait... qu'il avait dans l'idée que cette fois vous puissiez dire non. Que vous puissiez faire cesser la douleur d'un simple mot. Que vous ayez le choix là où vous ne l'aviez pas eu pendant votre captivité... Mais vous étiez dans un tel état de sidération que vous n'y avez même pas pensé. Vous aviez basculé dans un mode de survie où le silence et l'acceptation était vos seules réactions possibles... Son erreur a été de continuer après ça. Hier soir, Maître Lucius vous a proposé un choix à chaque fois, celui de continuer ou d'arrêter. Vous avez refusé mais la possibilité de choisir vous a mené ailleurs... vers les dégâts que l'on sait sur la table de billard !
Sur le bord du lit, Clay ricanait de cette façon si particulière qu'il avait de ricaner quand il s'agissait de sujets pour le moins privés, un peu voûté, en faisant tressauter ses oreilles si pointues, comme aurait gloussé un adolescent devant une discussion scabreuse.
– Je..., fit Harry sans savoir ce qui le gênait le plus dans toute cette histoire : que Clay sache tout, qu'il ait tout vu ou bien qu'il ait compris tant de choses. Je nettoierai la table de billard.
– Maître Lucius s'en est chargé. Et nous avons fini le travail. Il n'y a plus trace de vos traces ! ricana à nouveau la créature.
– Et comment se fait-il que... Je croyais que l'antichambre vous était interdite ?!
– Ce n'est pas parce que nous n'avons pas le droit d'y aller que nous ne voyons pas ce qui s'y passe...
– Tu viens de couper ma libido pour les siècles à venir ! grimaça-t-il.
– Elle reviendra dès que vous serez avec eux, assura Clay avec un sourire narquois.
– Tu me désespères, gloussa Harry en se frottant le front. Parfois, l'ampleur de ce que tu sais de nous m'effraie !
– Je ne suis là que pour servir. Je ne pourrais jamais nuire à Maître Lucius, ni à qui que ce soit des gens qu'il aime. Et la liste est plus longue que vous ne le croyez !
Harry laissa échapper un vrai sourire. Clay était fidèle à Lucius au-delà de toute imagination mais il était capable de discernement, de garder des secrets même vis à vis de son maître, d'œuvrer en silence pour leur bien-être à tous, mais au final, c'était toujours l'intérêt suprême de Lucius qui le guidait. Et cette conversation surprenante, qui apaisait ses craintes et ses états-d'âme mieux qu'une bouteille de whisky avec Matthieu, procédait sans doute du même souci.
– Et tu le sers mieux que personne ne pourrait le faire...
– Je sais, répondit Clay avec un air bravache.
Harry éclata de rire devant cette fierté effrontée et essuya les larmes qui perlaient à ses yeux. Pour une fois qu'il versait des larmes pour quelque chose de positif !
– Tu es l'âme de ce Manoir, Clay ! L'âme damnée, mais l'âme tout de même !
– Je suis heureux que Monsieur reconnaisse ma juste valeur.
Les yeux brillants de malice, Clay continuait de plaisanter avec un sérieux et un aplomb confondant qui le firent rire à nouveau en toute légèreté.
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– Mademoiselle Aria revient après-demain si j'ai bien compris, est-ce que vous avez besoin d'autre chose pour sa chambre ?
– Mademoiselle Aria ?! s'étrangla Harry, ébahi.
Aussi provocateur que lorsqu'il parlait parfois de « Monsieur Rogue-Malfoy », Clay se contentait de ricaner. Et comme d'habitude, Harry mordait à tous les hameçons que l'elfe lui tendait, mais celui-ci avait le chic pour le prendre au dépourvu !
Ceci dit, c'était mignon « Mademoiselle Aria », même si sa fille avait à peine plus d'un mois... Et c'était aussi une façon pour l'elfe de signifier qu'elle faisait partie de la famille, ce dont Harry lui était immensément reconnaissant.
En reprenant un peu son sang-froid, il se mit à réfléchir. Sa fille allait revenir, il devait faire mieux et surtout s'organiser différemment.
– Est-ce que tu crois que tu pourrais me trouver une espèce de couffin, de berceau, pour que je puisse la poser quand elle dort mais que je puisse déplacer de pièce en pièce dans le Manoir ? Elle est encore petite et je ne veux pas rester trop loin d'elle...
Il pouvait transplaner en un clin d'œil, certes, mais il n'avait pas encore assez l'habitude pour la laisser seule dans sa chambre. Cela viendrait avec le temps...
– Je vous trouverai ça, répondit Clay avec un sourire. Le dîner va être servi... dois-je vous mettre un couvert ?
– Bien sûr ! fit Harry surpris. Bien sûr. Je n'avais pas fait attention à l'heure...
Il traînait là, sur le lit dans sa forêt, à discuter avec Clay depuis bien trop longtemps. Severus devait s'inquiéter et il n'était pas sûr que le lien lui permette de percevoir son aura dans cet endroit. Il devait le croire encore à Poudlard, ou en pleine dépression dans un coin après avoir pleuré dans ses bras tout à l'heure... Harry grimaça, vaguement coupable. Le lien ne l'y obligeait pas mais si Clay avait dit vrai, il avait certaines obligations morales envers son compagnon et le laisser dans l'ignorance de ce qu'il devenait n'était pas forcément nécessaire.
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La réaction de Severus lorsqu'il pénétra dans la Salle à Manger fut édifiante. Ses deux amants étaient déjà assis, chacun à leur place, et à son arrivée, Severus fronça les sourcils et l'attrapa par le bras, un peu plus sèchement qu'il n'était nécessaire, mais son regard trahissait une véritable inquiétude.
– Tu en as mis du temps... Ça ne s'est pas bien passé ?
– Si. Très bien. J'avais juste besoin... d'une petite pause, avoua-t-il en caressant le cou de son compagnon. Tout va bien.
Il embrassa Severus puis lui adressa un sourire sincère qui sembla le rassurer tout en le laissant légèrement incertain. Puis Harry s'approcha de Lucius et glissa également un baiser sur ses lèvres avant d'aller s'asseoir à sa place. L'aristocrate avait déjà un goût de vin, ce n'était pas désagréable...
Comme d'habitude, il ne savait pas ce que les deux hommes s'étaient dit en son absence, et ni Lucius, ni Severus ne firent mention pendant le repas de la présence de sa fille pendant la journée, ni de son état de nerfs lorsque Severus était rentré. Il n'y eut que cette petite phrase, au décours de la conversation alors que Lucius énumérait ses obligations à venir : « J'essaierai de rentrer plus tôt jeudi... ». Après-demain, en réalité...
– Ça vous ennuie si on va regarder un film après manger ? Ou si on va au lit de bonne heure ?
– Pas du tout...
Ils savaient très bien que cela signifiait qu'il n'avait pas très envie de parler mais qu'il voulait savourer leur présence et leur tendresse. Un film allongé tous les trois dans le canapé, c'était peut-être l'image qu'il se faisait d'une soirée idéale avec ses amants. Ils ne lui en tenaient pas rigueur; ils avaient même l'air d'apprécier cela autant que lui.
Harry avait mis en avant ses sentiments d'apaisement et de tranquillité, et Severus semblait serein de le percevoir ainsi. Ils parleraient une autre fois, si le besoin s'en faisait sentir, mais cette discussion avec Clay lui avait fait un bien incroyable.
Il s'endormit pendant le film, une fois de plus, mais qu'importe. L'essentiel n'était pas les images sur l'écran mais les gestes tendres de ses amants, leurs baisers furtifs et la présence des alliances à ses mains. Il s'endormit même en souriant : ce soir, Clay n'aurait rien de croustillant à se mettre sous la dent !
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ooOOoo
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Ses amants étaient déjà partis mais quelqu'un d'autre l'attendait de pied ferme à la table du petit déjeuner.
– Alors ?! fit Mark en reposant brusquement sa tasse de café. Comment ça s'est passé hier soir ?
Harry s'approcha de lui en riant, posa un baiser sur sa joue en le serrant dans ses bras puis se redressa pour attraper un toast sur la table.
– À peine tu étais parti, j'ai pleuré comme une madeleine dans ses bras pendant dix minutes ! Et... ça va.
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Ils travaillèrent une bonne partie de la journée puis Harry traîna Mark dans les jardins pour aller se promener un peu. Il avait besoin d'air, il avait besoin de sortir à l'extérieur de cette maison et pour une fois, le temps s'y prêtait.
– Ça suffit pour aujourd'hui, répliqua-t-il à Mark qui protestait. Tu es censé travailler trois jours par semaine et tu es là tous les jours ! Quitte à faire du bénévolat, viens faire le chaperon pour moi !
Ils firent un grand tour, dans l'air frais et revigorant de janvier, jusqu'aux écuries de Lucius et même au-delà. La capacité de Mark de plaisanter pour un rien ou d'être présent et souriant même en restant silencieux était fascinante.
– Charlie est absent ces jours-ci, j'avais envie d'inviter Matthieu à dîner un soir... Faudrait que tu viennes aussi.
– Je...
– On collera Håkon dans les pattes de Lucius et on ira faire un billard !
– Matthieu sait jouer ?
– Il apprendra !
Mark gloussa avec un sourire espiègle. C'était rare que Harry invite de lui-même du monde au Manoir sans en parler avant avec ses amants... À vrai dire, à part pour son anniversaire qui était une date plutôt prévisible, cela n'arrivait pas. Quand Matthieu ou Draco venaient dîner au Manoir, c'était en général pour voir tout le monde et passer une soirée en famille. Le reste du temps, c'était lui qui sortait et il retrouvait ses amis ailleurs. Chez eux, au restaurant, dans un bar, en boîte... n'importe où mais pas au Manoir où ses amants étaient forcément présents. Ou alors en leur absence...
Mais là, une petite suggestion à Lucius le tentait bien. Il avait envie de voir du monde... Matthieu, Alicia, Blaise... Harry avait même envie de demander à Draco de l'accompagner pour remonter sur un balai, tellement il manquait d'exercice physique ! Et puis quand Charlie reviendrait, il y avait ce dîner dont il avait parlé, avec tous les frères Weasley... cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas vu Fred et Georges, et encore plus longtemps qu'il n'avait pas vu Bill !
Il devait également présenter sa fille à tout le monde, une fois qu'il aurait un peu plus fait connaissance avec elle... Et bizarrement, le fait de s'expliquer sur sa paternité ne l'effrayait plus. La journée du lendemain avec elle non plus d'ailleurs. Il lui tardait même de pouvoir la présenter à Lucius s'il arrivait à se libérer demain soir ! De toute façon, samedi soir, elle dormait au Manoir, ils auraient tout le temps de l'entendre pleurer et d'être réveillés par ses envies de biberons au beau milieu de la nuit !
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oooooo
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Harry avait bien conscience qu'il n'avait pas été à la hauteur de ce dont Aria avait besoin, et surtout à la hauteur de ses propres exigences. Il fallait tout reprendre à zéro.
Alors, quand il eut posé les affaires de sa fille dans sa chambre, il décida qu'il était temps de parler. Luna avait évoqué une visite du Manoir, mais il avait envie d'être seul avec Aria pour l'instant, et pas risquer de croiser Mark, un elfe ou Severus rentré trop tôt... Et il y avait d'autres endroits où commencer ce cheminement ensemble.
Parce qu'il semblait nécessaire de faire un lien, il transplana dans la forêt. Pas celle de son « bureau », mais la vraie, là où il avait vécu avec Axaya. La maison était toujours là, au milieu de la clairière, l'échelle pour y grimper tombée à terre sous le vent ou le poids d'un animal curieux, et des mousses poussaient sur la charpente du toit.
Il fallut enlever quelques vêtements à sa fille, trop chaudement habillée pour des températures et une humidité pareilles, et Harry commença à parler. Il raconta cette cabane qu'il avait construite lui-même et cet enfant avec qui il avait vécu là, cet autre enfant qu'il avait tant aimé, il raconta la vie dans la forêt, la chasse, les baignades dans le cénote, les jeux à travers les arbres, les bruits des animaux, les orages et les tempêtes, la nuit, si effrayants, il raconta les tamales que préparait Mayahuel, les siestes dans le hamac, la chaleur du feu quand les nuits devenaient fraîches, les dessins dans la poussière, les rires et la complicité, il raconta aussi les autres endroits où il avait vécu, les gens qu'il avait rencontrés, les cérémonies, les fêtes, les rites et les danses, il raconta les traditions, l'importance du feu et des ancêtres, des saisons et de la nature, ce que c'était que de soigner et de guérir, il raconta les plantes et les herbes, les potions, les ingrédients, la magie, il raconta pourquoi il l'avait perdue et pourquoi il l'avait regagnée, il raconta la mort d'Axaya, brièvement, avec une pointe de tristesse, puis il raconta pourquoi il ne pouvait plus vivre là et pourquoi il était parti... et puis il raconta sa vie aujourd'hui, ses amants, son union avec Severus, sa vie au Manoir et son bonheur, il raconta comment elle était née, et pourquoi, il évoqua même ses hésitations parce qu'il voulait être honnête et il dit surtout à quel point il l'aimait et à quel point elle était importante et essentielle à ses yeux, et il raconta aussi cette nouvelle famille qui serait la sienne, Matthieu et Charlie, Blaise qui serait sans doute un de ses parrains, Mark et Alicia, et surtout Draco et Daphnée, et leurs enfants avec qui elle jouerait bientôt, Minerva qui était si douée en métamorphose et en sortilèges, Iris si espiègle, si proche de Severus même si elle grandissait à vue d'œil, et puis Scorpius qui l'avait réconcilié avec les enfants, Scorpius qui avait presque son âge, qui serait presque comme son frère, avec qui elle pourrait courir dans les couloirs du Manoir, se jeter dans la piscine ou se vautrer dans les canapés devant la télé, Scorpius avec qui elle pourrait descendre aux cuisines pour chaparder un gâteau aux elfes, faire du balai pour enfant sur le terrain de quidditch ou qui apprendrait en même temps qu'elle à monter à cheval...
Et quand elle s'endormit contre lui, quelque part entre un souvenir du Japon et un souvenir de repas de Noël, bercée par ses paroles ou son pas lent au milieu des lianes, Harry transplana pour rentrer au Manoir, la déposa dans le couffin si mignon que Clay avait trouvé et rejoignit Mark dans le bureau de Lucius avec son précieux chargement.
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– Alors, comment va la princesse ? murmura-t-il avec un sourire émerveillé.
Mark avait peut-être eu raison, sa présence l'avait un peu gêné la première fois, il n'avait pas osé être spontané, il s'était senti regardé, surveillé, épié, même si les yeux de Mark étaient dénués de jugement, mais aujourd'hui tout était différent. Il venait de passer deux heures à parler à sa fille, à lui sourire, à échanger des regards profonds, intenses, à rire des anecdotes qu'il racontait et puis à la toucher. Il l'avait gardée contre lui, longtemps, et il avait retrouvé ce plaisir de caresser, frôler, jouer des doigts dans ses petits cheveux, sur sa peau si douce, à suivre le contour d'une oreille minuscule ou à effleurer son cou, à glisser son nez dans cette odeur de bébé, à glisser ses lèvres sur cette joue qui sentait le lait, et à la câliner, à l'enrober de ses bras, à la chérir comme un trésor...
Alors maintenant, le regard de Mark ne le gênait plus, elle était sa fille comme Axaya avait été son enfant, il serait ridicule, admirable ou surprenant, peu importe, il serait surtout son père, et cela seul avait de l'importance.
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La journée fila avec une fluidité et une évidence étonnantes, même quand il fallut changer des couches, consoler ou donner un biberon. Il mangea d'une seule main, sous ses grands yeux curieux, parce qu'être dans ses bras était bien plus rassurant que d'être seule dans son couffin. Il fallut bien la laisser seule deux minutes, malgré tout, le temps qu'il aille aux toilettes, mais la fois suivante, il la confia à Mark, souriant jusqu'aux oreilles, pour ne pas la laisser pleurer. Et quand elle se mit à chouiner de fatigue, de difficulté à trouver le sommeil et d'agacement, Harry fit comme le matin dans la forêt, et se mit à raconter le Manoir en se promenant dans les différentes pièces, les repas tous ensemble dans la Salle à Manger, les soirées au coin du feu dans le Petit Salon, les vérandas, la piscine, le laboratoire pour bricoler ses potions, la Bibliothèque qu'il aimait tant, la salle de jeux qu'elle fréquenterait avec les enfants de Draco, la toute nouvelle salle de billard dont il sortit rapidement un peu honteux, pour retourner dans le bureau de Lucius quand elle fut enfin endormie et qu'il put la déposer dans son couffin.
Cela faisait bien longtemps que Harry n'avait pas autant parlé dans une même journée, mais cela avait été facile et agréable, et il la regarda dormir un long moment avant de réussir à se mettre au travail.
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La cheminée s'illumina de flammes vertes alors qu'il lui donnait son biberon de dix-sept heures, et Lucius fit son apparition, auréolé de lumière, et franchissant les barrières de magie du Manoir avec une élégance toute malfoyenne. Harry esquissa un sourire ému, surtout parce que Lucius avait tenu sa promesse plutôt qu'en raison de cette première rencontre avec sa fille. Cela signifiait qu'il y avait pensé, qu'il avait fait l'effort de se libérer malgré ses contraintes... cela signifiait beaucoup.
Debout dès son arrivée, presque au garde-à-vous, Mark s'accapara l'aristocrate quelques instants, tombant dans ses bras avec un sourire ravi. Leur étreinte avait ce quelque chose qu'ont les anciens amants, un contact trop facile, des limites physiques trop aisément franchies, une proximité presque sensuelle... Une pointe de jalousie s'éveilla dans le ventre de Harry, d'autant plus que Lucius et Mark, dans les bras l'un de l'autre, étaient magnifiques. Grands, minces, tous les deux presque aussi blonds, si ce n'est que l'un avait les cheveux longs qui tombaient dans son dos, et l'autre des boucles plein la tête...
Harry essaya de ne pas s'en formaliser; après tout, il arrivait qu'il soit lui aussi dans les bras de Mark, et parfois son ami l'embrassait sur la joue, et même sur les lèvres lorsqu'il était particulièrement exubérant, sans qu'il n'y ait aucune malice derrière... Il y eut quelques murmures de Mark à l'oreille de l'aristocrate qui achevèrent de nouer son ventre, mais c'était pour mieux les laisser seuls, et en une dizaine de secondes, Mark avait embrassé Lucius – sur les lèvres – mimé un baiser à son adresse, en même temps qu'un clin d'œil, lui avait adressé un signe de la main et il disparut dans les flammes de la cheminée.
– Eh bien ! Il a l'air en forme ! gloussa Lucius en s'approchant de lui. Comment ça va ?
– Toujours mieux quand tu es là...
Bon sang, ce qu'il était mièvre ! Mais le sourire de Lucius quand il vint l'embrasser était lumineux.
L'aristocrate caressa un instant son visage, avant de l'embrasser à nouveau, puis il tourna enfin la tête vers Aria qui s'endormait doucement sur son biberon.
– Allez, montre-moi un peu cette princesse...
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Ils ne parlèrent pas beaucoup au début. Aria avait lâché la tétine du biberon, la bouche à demi ouverte sur sa satiété confortable, les yeux clos et repue. Harry posa le biberon sur la table basse, essuya la goutte de lait qui perlait au coin de ses lèvres... Lucius s'était assis à côté de lui, penché sur eux, si penché que son front touchait le sien, et il contemplait Aria avec le même regard émerveillé que lui.
Derrière ses épaules, l'aristocrate avait glissé un bras sur le dossier du canapé, mais sa main était venue caresser sa nuque, tendre et possessive à la fois. Aussi tendre que les doigts qui vinrent effleurer le visage de sa fille. Aria avait l'air minuscule entre ses bras, elle avait l'air encore plus minuscule avec les longs doigts fins de Lucius qui caressait ses cheveux...
Harry aurait voulu que cet instant dure l'éternité toute entière... Sa fille dans ses bras, lui à moitié dans les bras de Lucius... dans cette façon si particulière qu'il avait de les tenir tous les deux, une main sur le visage de sa fille, une main sur sa nuque, ces lèvres qui venaient embrasser son front avant que de nouveau, leurs têtes soient côte à côte au-dessus de ce bébé au visage angélique.
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– Elle est magnifique, Harry...
– Merci, murmura-t-il, ému.
– C'est vraiment un très joli bébé... Elle tient beaucoup de toi.
– Tu trouves ?! s'étonna-t-il à mi-voix. Elle n'a pas les yeux verts. Et Padma a les cheveux aussi noirs que moi...
– C'est plus subtil que ça, sourit Lucius en caressant du pouce le front de sa fille. Elle n'a peut-être pas les yeux verts, mais elle a la forme de tes yeux, de ton regard... Et elle a aussi le bas de ton visage. Ton menton, ta bouche...
Harry émit un grognement dubitatif.
– Je t'ai embrassé assez souvent pour savoir à quoi ressemble ta bouche ! gloussa Lucius. En tout cas, elle tient de toi, c'est certain. Tu as bien travaillé... même si ce n'était pas de manière très orthodoxe !
– Hey ! protesta-t-il en souriant. Je ne te demande pas comment tu as fait avec Narcissa !
– Et ça ne te regarde pas...
La voix de Lucius était pleine de tendresse et de douceur et Harry l'avait rarement vu aussi détendu ces derniers temps.
– À quelle heure dois-tu la ramener ?
– Vers vingt heures... Pourquoi ? Tu veux déjà te débarrasser d'elle ?
– Je ne serais jamais contre un tête à tête avec toi ! affirma Lucius en souriant. Si on a un peu de temps, viens, allons plutôt dans le Petit Salon. Ici, c'est mon bureau de travail et il y a plus agréable pour passer un moment en famille...
Harry se sentit fondre à ces mots mais essaya de n'en rien montrer et de garder un semblant de dignité. Il se leva avec précaution pour ne pas réveiller Aria tandis que Lucius se chargeait, d'un coup de baguette, de rassembler biberon, couffin et bavoir et de les faire suivre dans le Petit Salon.
Lucius s'installa dans le canapé, attendant qu'il vienne s'installer à côté de lui, contre lui, à moitié dans ses bras, et Aria entre eux, contre eux, comme si c'était la chose la plus naturelle du monde d'être là avec elle, en fin de journée après le travail, et de faire un câlin tous ensemble... Certaines choses semblent des évidences même les premières fois où elles se produisent.
– On oublie toujours à quel point c'est petit, songea Lucius à voix haute après un long silence. J'ai beau avoir un fils et trois petits-enfants, ça me semble toujours aussi minuscule...
– Et moi j'oublie toujours à quel point tu as de l'expérience, gloussa Harry.
– C'est une remarque sur mon âge ?!
– Je ne me permettrais pas, assura-t-il en souriant.
Pour se faire pardonner ses taquineries, il tourna légèrement la tête et glissa un baiser dans le cou de l'aristocrate, sous l'oreille, là où il aimait tant le faire. Et Lucius aimait cela tout autant que lui...
– Tu sais que si elle n'était pas là, je te mettrais bien une fessée pour tes insolences ?! D'ailleurs, comment vont-elles depuis l'autre soir ? ricana l'aristocrate. Tu ne t'en es pas plaint, hier...
Harry avait bien encore quelques marques discrètes, mais rien qui ne soit sensible, ce qui ne l'empêcha pas de manifester sa gêne devant les paroles de son amant.
– Arrête un peu ! Elle est là et elle entend tout ! Tu ne peux pas parler comme ça de sexe devant elle !
– Mais le sexe, c'est la vie ! fit Lucius en riant. Et si ce soir, elle n'est pas là, j'ai bien quelques idées pour occuper notre soirée... Cette petite séance, l'autre soir, m'a donné furieusement envie de retourner dans l'antichambre ! Et je pense que cela commence à manquer sérieusement à Severus aussi !
Discrètement, Harry cacha son sourire. Si la séance dans la salle de billard avait été particulièrement virulente en raison de son humeur, il ne pouvait pas dire que cela ne lui avait fait aucun effet, au contraire ! Et retourner dans l'antichambre avec Lucius lui paraissait plus facile qu'avec Severus... surtout s'il n'était pas le principal centre d'attention comme le suggérait l'aristocrate.
– Ce qui n'empêche pas de profiter d'Aria tant qu'elle est là, ajouta Lucius avant de susurrer d'une voix gourmande : Mais une fois rentrée chez elle, tu redeviens notre amant et c'est à nous que tu appartiens...
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Ils dînèrent un peu plus tôt que d'habitude puisqu'il devait ramener Aria, Harry encore légèrement humide de lui avoir fait prendre son bain. Elle n'avait pas été agitée mais la tenir tout en la savonnant tout en remontant ses manches de chemise qui n'arrêtaient pas de glisser tout en essayant de ne pas mettre d'eau partout... il n'était pas encore au point ! Mais il avait eu un sacré fou rire, tout seul avec elle dans la salle de bains.
Il resta chez Padma et Luna un peu plus longtemps que la fois précédente, parce qu'il était plus à l'aise et plus serein, et ils échangèrent leurs impressions tranquillement autour d'un thé. Et puis il avait encore besoin de conseils ou d'astuces... Samedi, Aria devait passer la nuit au Manoir et elle n'avait toujours pas dormi dans son propre lit ! Et Harry était loin d'être sûr que ses amants goûtent beaucoup sa présence dans leur chambre. Lui non plus, d'ailleurs, et c'était un vrai casse-tête. Il voulait la savoir près de lui mais il y avait certaines choses qu'elle ne devait pas voir !
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Comme ce qui était en train de se passer quand il rentra au Manoir...
Ils avaient dû trouver qu'il traînait trop, ou ils avaient préféré commencer sans lui... Il les chercha au rez-de-chaussée mais les pièces étaient éteintes. En revanche, quand il pénétra dans leur chambre, la porte de l'antichambre était ouverte et une lumière tamisée en sortait.
Au vu de la couleur du dos et des fesses de Severus, attaché sur la croix, ils étaient là depuis un moment. Un joli rouge, vif, cramoisi, qui s'étendait sur toutes ses épaules, ses omoplates, jusqu'au milieu du dos, et plus bas, une large bande qui allait du creux des reins jusqu'au pli sous les fesses.
Assis dans un fauteuil, les jambes très élégamment croisées, Lucius contemplait son œuvre... Il portait encore son pantalon noir, une chemise blanche dont il avait légèrement remonté les manches sur ses avants-bras et pour être plus libre, il avait rapidement tressé ses cheveux longs en une natte assez lâche. Harry étouffa un grognement appréciateur il avait toujours adoré voir Lucius avec les cheveux attachés... Comme il avait adoré ça chez Charlie également, mais il ne fallait pas le dire.
Par terre, aux pieds de Lucius, traînaient les fouets qu'il avait dû utiliser. Harry reconnut celui que Severus préférait, mais aussi deux autres, plus secs et plus mordants, dont un qu'il n'aurait absolument pas voulu tester personnellement. Cela expliquait sans doute cette petite pause et la couleur furieusement rouge de la peau de Severus...
Son compagnon dut percevoir sa présence d'une façon ou d'une autre, sans doute à travers leur lien et l'excitation qu'il ressentait déjà, car il émit un grondement rauque qui alerta Lucius et lui fit tourner la tête.
– Ah te voilà, toi. Tu tombes bien !
D'un signe de tête muet, Lucius lui proposa de poursuivre son œuvre mais Harry déclina en souriant. Ce rôle-là n'était définitivement pas pour lui. En revanche, il lui fallut choisir un fouet mais il était d'humeur magnanime et il indiqua à Lucius le plus doux de ceux qui étaient là. Severus avait sans doute déjà enduré beaucoup.
Lucius lui laissa la place dans le fauteuil et Harry s'installa tranquillement tandis que reprenait le claquement épais et sourd du cuir sur la peau de son compagnon. Cela faisait des mois qu'il ne l'avait pas vu ainsi et Severus était toujours aussi admirable dans sa façon de recevoir... Immense de dignité, de souplesse pour accepter cette douleur, et ce petit râle rauque à chaque fois, comme s'il ronronnait sous les coups.
Mais cela ne dura pas très longtemps avant que Lucius ne cesse et ne se tourne vers lui, un sourire de chat carnassier sur les lèvres.
– À ton tour, maintenant, fit-il, penché sur lui comme s'il allait l'embrasser. Pour une fois, pas de négociations... Je te laisse l'entière liberté du nombre de coups...
Harry sourit également. Il était assez excité pour que l'attitude de son amant le fasse frémir, quelque part sous la ceinture, là où son pantalon se trouvait déjà bien déformé. Le choix était cornélien. Il voulait être sûr d'aller au bout de ce qu'il allait dire, sans demander grâce, mais il voulait aussi faire plaisir à Lucius, dont c'était une pratique fétiche.
– Dix, finit-il par dire avec une décharge d'adrénaline dans le ventre.
Lucius apprécia d'un signe de tête et lui indiqua de se lever. Dix... c'était plus ou moins ce qu'il négociait habituellement, entre huit et douze... Une fois, il était monté à quatorze et il avait cru ne pas être capable d'en venir à bout... Cette fois encore, il n'avait pas choisi la facilité mais il savait que Lucius adapterait la fréquence de ses coups à ses réactions. Pas la force de ses coups, il ne fallait pas rêver, mais il le laisserait respirer entre chaque...
Harry savait ce qu'il avait à faire et il se déshabilla rapidement jusqu'à son boxer qu'il espérait garder, mais le sourire ironique de Lucius qui levait les yeux au ciel le détrompa immédiatement. Cette fois, sa nudité complète, même sous les yeux de son amant, même dans l'antichambre, et malgré son érection, le gênait moins.
Lucius le fit se tourner, se pencher jusqu'à poser les mains sur le fauteuil et Harry releva les fesses. Contrairement à la dernière fois avec Severus, et comme à leur habitude avec Lucius, celui-ci n'allait pas l'attacher. Il était libre de ses mouvements mais le renoncement faisait partie du jeu. C'était rassurant, d'autant plus excitant, mais plus difficile à la fois. La maîtrise que cela lui demandait valait bien la souffrance d'un coup ou deux...
– Va pour dix, sourit Lucius. Et je veux le décompte.
La tête baissée, Harry pinça les lèvres en souriant. C'était un coup vache ! Severus n'allait rien voir puisqu'il était toujours menotté face à la croix, mais en plus d'entendre le sifflement et le claquement de la badine, ses gémissements et ses râles, il allait percevoir le temps qu'il lui faudrait à chaque fois pour prononcer le chiffre. Le temps de laisser couler la douleur en lui, de se reprendre et de pouvoir parler... Lucius en jubilait d'avance, et même lui, cela l'excitait.
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Contrairement à lui, l'aristocrate n'avait pas l'intention d'être magnanime ce soir. Tant pis, Harry aurait dû s'en douter à voir les fouets qu'il avait choisis pour Severus. Les coups s'égrenaient, diablement lentement, et il lui fallait à chaque fois deux ou trois secondes avant de parvenir à compter. Il aurait pu s'épargner les deux derniers mais il avait sa fierté et il serra les dents un peu plus fort pour ne pas gémir démesurément.
Lucius avait été généreux en caresses pendant ces dix coups de badine et il le fut encore plus quand il eut achevé de compter le dixième. Harry sourit quand la douleur se dissipa complètement. C'était douloureux mais c'était bon. Il n'était même pas sûr que cela ait réduit son érection. Et la fierté dans la voix de Lucius valait ce qu'il venait d'endurer.
– Elles sont comme je les aime... Rouges, magnifiques, somptueuses...
Harry avait toujours les deux mains appuyées sur les accoudoirs du fauteuil mais Lucius était devant lui, derrière le dossier, et sa main sous son menton lui avait fait redresser la tête pour plonger dans son regard gris brillant de désir.
– Tu es magnifique...
Son sourire aussi était magnifique. Plein d'assurance, conquérant, fier.
Lucius s'approcha, le prit contre lui pour caresser encore ses fesses, son dos. Sur son torse, les arabesques noires brillaient faiblement, signe que le lien était particulièrement actif. L'aristocrate jeta une bulle de silence autour d'eux pour les isoler de Severus et demanda en souriant :
– Encore ?
– Je ne crois pas, non, admit Harry en gloussant.
– Comment prend-t-il cela ? fit Lucius avec un signe de tête en direction de son mari. Avec le lien ? Il supporte ?
Severus n'avait pas réagi pendant la série de coups, excepté un ou deux grognements et quelques mouvements de hanches pour comprimer son sexe contre la croix.
– Il perçoit ma douleur, ça ne lui fait pas plaisir... mais il perçoit aussi mes autres sentiments : l'excitation, le plaisir, la honte, l'envie de se soumettre...
L'érotisme de sa réponse lui brûlait les lèvres. C'était la première fois qu'il avouait ce genre de pensées à Lucius et le regard brillant de son amant témoignait de sa fascination devant ses mots.
– La honte ? releva-t-il malgré tout. Nous reparlerons de cela plus tard...
La main sous son menton conduisit sa bouche jusqu'aux lèvres de l'aristocrate et Harry ne put s'empêcher de sourire dans le baiser. Ses désirs coupables étaient à la merci de son amant, tout comme Severus qui patientait sur sa croix.
– Prêt pour les cordes ?
Le sourire qu'il afficha montrait autant son plaisir que son impatience et Lucius appréciait cela autant que sa confiance.
– Je vais te rendre magnifique, murmura-t-il. Tellement magnifique et désirable que quand il te verra, il n'aura qu'une envie, c'est de te baiser. Mais il n'aura pas le droit...
– Pourquoi ? sourit Harry. Tu veux te réserver ce plaisir ?
Lucius était toujours habillé alors qu'ils étaient nus, parés de rougeurs diverses. Et si son érection était visible sous son pantalon, l'aristocrate ne semblait pas vouloir s'en préoccuper.
– Je ne te toucherai pas, annonça-t-il. Mais je veux qu'il soit frustré. Je vais simplement l'utiliser pour te donner du plaisir... Il pourra te faire jouir mais il n'aura aucun orgasme.
– Pourquoi ? gloussa Harry.
– Disons que c'est ma petite vengeance pour ce qu'il t'a fait subir l'autre soir..., sourit Lucius. À aucun moment, il n'a mis le plaisir en balance de la souffrance... ce sera pareil pour lui ce soir.
– Et ton plaisir à toi ?
– Je le prendrai plus tard.
Harry hésita mais Severus ne pouvait pas l'entendre.
– Il a été généreux malgré tout, l'autre soir... S'il n'a pas cherché mon plaisir, il m'a aidé à passer le cap de mes angoisses...
– Alors, j'envisagerai d'être magnanime, admit Lucius avec un sourire narquois. Si ce que je lui ferai le fait jouir, tant mieux pour lui. Sinon, il s'en passera.
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La conversation n'avait duré que quelques secondes mais la promesse de ce qui allait advenir avait ravivé son excitation comme jamais. Et les cordes qui s'enroulaient autour de ses bras, de ses épaules, de son torse et de ses poignets étaient comme une caresse sur sa peau, rugueuse, sèche, un peu brusque comme une main poussée par un désir trop impérieux, mais une caresse quand même.
Lucius avait levé le sortilège de silence et dans le calme de l'antichambre ne s'entendaient que les frottements des cordes les unes sur les autres, leurs glissements un peu chuintant, les à-coups de sa respiration quand la traction s'amplifiait brusquement ou quand la corde comprimait fortement un muscle. Severus ne devait percevoir que ces bruits si caractéristiques, et parfois les ordres sporadiques de Lucius.
– Tourne-toi. Les mains dans ton dos. À genoux. Allonge-toi. Écarte les jambes...
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L'oscillation lente se calma complètement sous le poids de son corps. Encordé, suspendu dans les airs à hauteur des épaules de Lucius, Harry planait, presque dans tous les sens du terme. Les tensions étaient partout : dans ses bras, ses épaules, son dos, ses cuisses... dans ses articulations douloureuses de sollicitations improbables... sur sa peau meurtrie, marquée, cisaillée par les tractions des cordes... et pourtant c'était si délicieux.
Dans sa solitude sur la croix, Severus devait imaginer ce qu'il se passait dans son dos : sa position, les entrelacs des cordes, les contraintes que subissait son corps... L'excitation que Harry ressentait.. violente, quand Lucius lui ordonna d'ouvrir la bouche et y glissa deux doigts pour qu'il les suce comme s'il s'agissait d'un sexe. Un sursaut de désir et de plaisir quand les doigts quittèrent sa bouche pour s'approcher de ses fesses.
Ce n'était encore qu'une caresse, intime, toujours surprenante, exquise, des effleurements, une simple pression sur l'entrée de son corps, sans y pénétrer complètement, mais l'envie de plus lui donnait des frissons et déclenchait dans son bas-ventre des crispations qui secouaient son sexe humide.
– Ouvre les yeux.
Les yeux gris et brûlants de Lucius étaient là, juste en face de lui, son regard magnétique qui le faisait vibrer comme sous un coup de fouet et dont Harry ne pouvait plus se détacher.
– Ouvre la bouche.
Ce furent ses doigts encore, parce que c'était presque jouissif, ces doigts qui s'imposaient dans sa bouche, qu'il suçait avec avidité, avec gourmandise, sans quitter ce regard gris des yeux. Sous les frissons de désir et de luxure qui parcouraient son corps, il aurait pu accepter n'importe quoi...
Puis Lucius quitta son regard une fraction de seconde pour lui montrer un objet et Harry acquiesça sans l'ombre d'une hésitation. Il savait ce qui allait suivre et il ne fut pas surpris quand l'œuf métallique pénétra sa bouche à son tour. C'était bien plus gros que les doigts de Lucius, plus rigide, presque inconfortable mais il suça avec la même application.
– Ouvre les yeux.
Lucius le regardait, intensément, concentré sur ses yeux plutôt que sur sa bouche remplie et écartelée. Il guettait un refus qui ne venait pas.
– Tu es sûr ?
Avec un sourire humide de salive, Harry hocha la tête tant qu'il le pouvait encore, puis Lucius retira l'objet de sa bouche pour aller le présenter entre ses fesses. Il ajouta un sortilège de lubrification et poussa doucement. C'était gros, ça écartelait les chairs, ça forçait un peu... et puis il y eut ce sursaut un peu douloureux quand l'entrée fut franchie, suivi par cette sensation délicieuse d'être rempli. Harry ferma les yeux pour mieux ressentir et émit un râle de plaisir. Et Severus grogna.
Peut-être n'aurait-il pas dû se rappeler au bon souvenir de Lucius, car l'aristocrate l'abandonna quelques instants suspendu dans les airs pour attraper un fouet et distribuer quelques coups bien sonores à son mari.
– On avait peur que tu te refroidisses, ricana-t-il.
Severus avait sursauté sous la surprise et la douleur, et il gémissait encore quand Lucius revint vers Harry, le sourire aux lèvres. Il acheva d'attacher le crochet de l'œuf entre ses fesses aux cordes qui l'immobilisaient, puis pendant un long moment, il ne fut que caresses sur son corps, partout, sur ses bras martyrisés, sur son visage, sur ses cuisses, son ventre, il effleura du bout des doigts son sexe où perlait le désir, puis revint caresser sa peau, ses lèvres, sa gorge en lui relevant la tête pour pouvoir l'embrasser, jusqu'à ce que partout, sa peau soit hérissée, impatiente, frissonnante d'un plaisir trop longtemps différé.
« Je vais te rendre magnifique. Tellement magnifique et désirable que quand il te verra, il n'aura qu'une envie, c'est de te baiser. »
Le bruit des menottes que l'on détache accéléra les battements de son cœur, et même sa respiration. Harry garda pourtant les yeux fermés, savourant son excitation en imaginant le regard de Severus.
– Il est tout à toi, fit Lucius. Mais tu n'as le droit de le toucher qu'avec ta bouche...
La pointe de sadisme qu'il décelait dans la voix de l'aristocrate le fit frémir et Harry sourit en devinant la frustration immense de son compagnon. Severus se vengea un peu en venant l'embrasser furieusement, mordant ses lèvres, sa langue sans pouvoir le toucher davantage. Il mordilla aussi sa gorge en se contorsionnant un peu, ses tétons jusqu'à lui arracher des gémissements désordonnés, puis il dut comprendre, ou se résoudre, car Harry le sentit s'immobiliser au niveau de son ventre.
Brièvement, il ouvrit les yeux pour voir Severus à genoux par terre, les mains menottées dans le dos, et qui semblait attendre quelque chose. Puis il sentit que les cordes le descendaient légèrement vers le sol jusqu'à ce qu'il soit à hauteur de la bouche de Severus. Enfin... que son sexe soit à hauteur de la bouche de Severus.
Un spasme de plaisir le secoua quand son compagnon l'engloutit entre ses lèvres et Harry gémit sans retenue. C'était une chose que d'être sucé dans la position qui était la sienne, encordé et suspendu dans les airs... c'en était une autre que de voir Severus, à genoux, contraint, les mains attachées, en train de le sucer. Ce qu'il ressentait s'accordait à ce qu'il voyait et l'érotisme de cette vision décuplait son plaisir.
La chaleur de cette bouche, son étroitesse humide, cette pression sur son sexe et ces va-et-vient somptueux... il n'allait pas mettre longtemps à rendre les armes. Il gémissait au rythme des mouvements de la bouche de Severus, il laissa même échapper un halètement rauque quand une sensation de pression s'intensifia autour de ses testicules. Une sensation délicieusement douloureuse.
Ce ne pouvait pas être Severus, dont les mains étaient attachées dans son dos. Ce n'était pas non plus la main de Lucius qui se trouvait devant lui... Il ne savait pas quel sortilège utilisait l'aristocrate mais la pression s'intensifia encore, comme si une main avait saisi ses testicules en guise de fruit et les écrasait lentement pour en obtenir tout le jus. La douleur pulsait dans tout son bas-ventre, jusque dans son sexe au fond de la bouche de Severus et c'était encore plus délicieux que l'autre soir dans la salle de billard.
– Ouvre les yeux. Je veux te voir jouir.
Harry obéit et croisa une seconde le regard brillant de Lucius, assis dans le fauteuil juste en face de lui, mais il finit par baisser la tête. Le plaisir et la douleur étaient trop intenses, trop envahissants, il était submergé par ces sensations, par ces pressions partout autour de son sexe, sur son sexe, sur ses testicules, dans son cul... C'était trop puissant, trop gonflé de sang, tendu à l'extrême, saturé de plaisir, sa peau allait se fissurer, laisser échapper le plaisir par plus d'orifices qu'il n'en avait déjà, il allait exploser, il allait mourir...
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Severus avait avalé toute sa semence, jusqu'à la dernière goutte, jusqu'à ce que toute la jouissance soit drainée hors de son corps, jusqu'à ce qu'il ait épuisé ses gémissements et son souffle...
– Continue...
Mais la jouissance devenait inconfort, puis déplaisir, à mesure que Severus continuait à le sucer. À lécher son gland, son frein, ses muqueuses. Sa sensibilité trop grande, exacerbée par l'orgasme, devenait douleur, la succion devenait supplice, le moindre contact devenait torture et Severus le touchait de ses lèvres et de sa langue précisément là où cela le faisait le plus réagir.
Harry se mit à gémir outrageusement, à geindre ses tourments, à se tortiller dans les cordes pour fuir la bouche sadique de son amant. Il suppliait pour que cesse sa douleur, il pleurnichait sous le trop-plein de sensations.
– C'est bon. Arrête.
La bouche de Severus abandonna son sexe qui pulsait encore douloureusement, puis le bruit des menottes que l'on détache lui fit ouvrir les yeux péniblement.
– Va nous attendre dans la chambre le temps que je détache Harry... Sur le dos et en travers du lit.
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Harry renifla en souriant tandis que Lucius le reposait au sol et entreprenait de défaire les cordes.
– Tu es horrible, murmura-t-il en se recroquevillant pour protéger son sexe encore trop sensible.
– Pourquoi ? Tu n'as pas eu un orgasme magnifique ? ricana l'aristocrate.
– Tu lui as dit de continuer !
– Ça c'était pour te punir de ne pas savoir arrêter les choses quand tu trouves que ça va trop loin !
Harry grogna. La douleur dans ses épaules et ses bras qui reprenaient une position normale était sidérante mais il resta immobile et elle s'estompa rapidement.
– Mais j'ai dit non ! protesta Harry. Je lui ai dit d'arrêter !
– Si tu dis non quand je te propose une pratique, c'est-à-dire avant, je t'écoute... Mais quand on est en plein dedans, tu dis non comme tu dis oui, c'est-à-dire à peu près toutes les dix secondes jusqu'à ce que tu jouisses ! ricana à nouveau Lucius. Voire même après l'orgasme ! Si tu voulais vraiment que ça s'arrête, tu n'avais qu'à utiliser ton safeword !
Harry grogna à nouveau, vaguement contrarié. Il savait que Lucius lui reprochait de n'avoir pas su interrompre sa dernière séance dans l'antichambre avec Severus, malgré la douleur. Et ma foi, après une leçon comme celle-là, il n'était pas prêt de l'oublier.
Lucius le prit dans ses bras malgré sa grimace et l'embrassa doucement. Il caressait son visage, les marques des cordes sur ses bras, sur son torse encore luisant de sueur. L'amour qui se lisait dans son regard était immense et merveilleux. Mais l'aristocrate s'éloigna trop vite...
– Je te laisse retirer ce que tu as encore entre les fesses, ricana-t-il. Maintenant, je vais aller prendre mon plaisir...
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Cela faisait partie des choses qu'il préférait faire lui-même, et Lucius le savait très bien. En douceur, Harry retira le jouet que son amant lui avait inséré et lança un sortilège de nettoyage sur l'ensemble. Même s'il ne voyait aucune trace, il avait gardé cette habitude depuis sa captivité et il n'appréciait pas trop le lubrifiant qui continuait à glisser entre ses fesses pendant des heures. Le sperme, en revanche, c'était autre chose... mais cette fois, personne ne l'avait pénétré.
Il resta un instant songeur devant ce jouet qu'il n'avait encore jamais utilisé. Il était gros, les sensations avaient été intenses, mais en aucun cas comparables avec ce qu'il avait ressenti la fois précédente. Avec Severus, le jouet avait été beaucoup plus petit. Mais la position à genoux par terre et attaché, trop exposée, le contexte, l'ambiance, avaient été si différents qu'il avait immédiatement basculé dans la panique. Là, il n'y avait pas eu de surprise, Lucius lui avait demandé son accord, le geste l'avait excité, il s'était senti désirable et non pas vulnérable... et il avait éprouvé du plaisir alors que l'objet était bien plus gros.
Et au bout du compte, il était serein. Soulagé d'avoir pu franchir ce souvenir angoissant. Comblé. Apaisé.
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Harry rangea l'objet dans l'armoire en passant et rejoignit ses amants dans la chambre. S'il n'avait pas été si fatigué, la vision de leur position, les bruits, la virulence de Lucius auraient pu l'exciter... mais là, il était repu.
Tranquillement, il s'assit sur le bord du lit, à côté de Severus dont la tête pendait hors du matelas tandis que Lucius baisait sa bouche.
L'aristocrate était tout sauf magnanime ce soir, et la salive coulait des lèvres de Severus entre deux sursauts pour respirer et des bruits de gorge aussi indécents qu'excitants. Posé sur son ventre, le sexe de Severus était immense, turgescent et désespérément abandonné. Et quand il voulut l'empoigner pour se masturber, Lucius chassa sa main d'une claque sèche.
– Hors de question !
Harry leva les yeux vers l'aristocrate avec un sourire enjôleur, et bien qu'il soit vigoureusement occupé à donner des coups de reins puissants, Lucius leva les yeux au ciel en accédant vaguement à sa demande.
En contrepartie de la main que Harry posa sur le sexe de Severus, Lucius posa sa main sur sa gorge. Il aimait tellement sentir son sexe aller et venir dans cette gorge, il aimait tellement sentir ce pouvoir sous sa main... Il ferma les yeux et serra, autant qu'il avait serré sur les testicules de Harry tout à l'heure, et s'enfonça le plus loin possible pour aller déverser sa jouissance.
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Effondré sur le lit, Lucius avait utilisé un sortilège pour se déshabiller et il tenait mollement Harry contre lui, trop épuisé pour faire autre chose que céder à l'appel de ses draps et du sommeil.
De retour de la salle de bains où il était parti s'essuyer la figure, Severus se glissa dans le lit et s'allongea contre eux, glissant un baiser souriant à chacun.
– Mmhh... Tu pourras remercier ton mari, grogna Lucius à demi endormi. Sans lui, je ne t'aurais pas laissé jouir.
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ooOOoo
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Lucius détourna son regard de la table de billard pour répondre à Håkon avant d'avaler une gorgée de cognac. Il était légèrement déconcentré et, comme souvent, c'était Harry qui le déconcentrait.
À peine vêtu d'une chemise trop flottante dont il avait déjà défait deux boutons, son amant tournait autour de la table en plaisantant avec Mark et Matthieu. Depuis longtemps, le pull était tombé. Il faisait chaud dans la pièce avec cette cheminée qui brûlait depuis des heures, et Harry en était déjà à son deuxième verre de whisky, sans compter le vin qu'il avait bu à table.
Dans la lueur des flammes et des lampes aux coins de la salle, il ressemblait à un faune, à un diable païen, à un satyre trop tentateur. Ses cheveux noirs qui flottaient dans son cou brillaient autant que ses yeux verts, il riait, il caressait sa queue de billard de façon bien trop suggestive et ses fesses délicieusement appétissantes le mettait à l'agonie dès qu'il se penchait sur la table pour jouer.
C'était une torture et pourtant Lucius aimait beaucoup cette pièce et pouvoir les regarder plaisanter tous les trois tout en parlant avec Håkon. En réalité, ils ne parlaient pas beaucoup. Et il se demandait même si Harry ne le provoquait pas intentionnellement pour se venger de leur dernière séance. La tentation sans possibilité de se soulager... Ils auraient été seuls, il l'aurait à nouveau couché sur la table de billard, mais là...
Severus avait grogné quand Lucius avait annoncé avoir invité Matthieu, Mark et son ambassadeur de mari. Mais il n'avait pas voulu renoncer à son dîner avec Sebastiaan. Il avait parfois besoin de distance lui aussi, et il n'aimait pas renier une promesse. Et puis cette soirée faisait tellement plaisir à Harry ! Pas pour la présence de Håkon, visiblement, même s'il restait très courtois vis à vis de l'ambassadeur. Mais à voir Mark, Matthieu et Harry ensemble... il était clair que ces trois-là s'étaient bien trouvés. Pas un pour rattraper l'autre !
Mark avait toujours été une gourgandine en puissance, frivole, flamboyant, sexy en diable... et qui n'avait honte de rien, et surtout pas de ses envies. Lucius connaissait Harry... Matthieu se dévoilait moins, même si Severus n'était pas là. Mais dans les chuchotements qui s'échangeaient là-bas, les messes basses, les rires sous cape, il n'avait pas l'air d'être le moins déluré des trois ! Son sourire et sa bonne humeur, malgré l'absence prolongée de Charlie, faisaient plaisir à voir. Et Harry était heureux de le voir heureux.
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– Tu ne veux toujours pas demander à Harry de les identifier ? fit la voix basse et vibrante de Håkon. De voir s'il s'agit des mêmes sorciers que pendant sa captivité ?
– Non. Et je ne le ferai pas. Je ne veux pas l'impliquer là-dedans. Il est encore trop... marqué.
– Même si ça compromet ton enquête ? insista l'ambassadeur en tournant la tête vers un éclat de rire soudain. Il se souvient peut-être de choses importantes. Il a peut-être gardé en mémoire d'autres visages, des informations...
– Non. Je ne veux pas le mêler à ça. De toute façon, ce n'est plus d'actualité, nous aurons ces informations par d'autres biais, maintenant. Lui demander de témoigner ou de confier ses souvenirs aux Aurors impliquerait de révéler sa captivité, et son viol finirait par se savoir. C'est hors de question !
– C'est ton choix, fit Håkon en reprenant son verre de cognac. Ce sera ta faiblesse...
Lucius haussa les épaules. Il avait fait ce choix depuis longtemps, il ne reviendrait pas dessus.
– Mark est bien ta faiblesse.
– Je n'ai pas la même position que toi... Et j'assume cette faiblesse : je l'épouse.
Lucius se renfrogna au fond de son fauteuil en s'absorbant dans la contemplation du liquide sombre qu'il faisait tourner dans son verre. Il ne pouvait pas épouser Harry. Au pire, il pouvait le faire passer pour son amant, et Severus pour un mari trompé, à peine quelques mois après leur mariage... De toute façon, c'était déjà l'opinion qui sous-tendait les articles racoleurs dans les journaux à scandale. Tant que rien n'était clairement énoncé, il laissait courir. Réfuter aurait été donner trop d'importance à ces ragots... Le silence, un comportement exemplaire en public, et pas de fuites.
L'irruption de Mark qui vint s'asseoir sans façon sur les genoux de son futur mari le tira de ses réflexions. Un bras autour du cou de Håkon, Mark tournait le dos à la table de billard et son regard soupirait de lassitude.
– Les chéris, si vous pouviez éviter de parler de Harry comme ça, ou au moins baisser d'un ton... On entend presque tout, là-bas, et je ne pense pas que l'évocation de certains événements soit très facile à supporter...
Lucius tourna brusquement la tête vers la table de billard, le regard soucieux et coupable. Si Harry continuait à jouer sans rien laisser paraître, il semblait beaucoup plus fermé et sombre que tout à l'heure.
– Mais j'apprécie beaucoup l'idée d'être la petite faiblesse qui te perdra, Chaton ! gloussa Mark en embrassant son futur mari.
Les voir ainsi enlacés et amoureux fit sourire Lucius, non sans éveiller une légère pointe de jalousie dans son cœur. Il adorait toujours Mark, son franc-parler, sa désinvolture et son sans-gêne, et même s'il n'avait pas de réels sentiments pour lui, le voir ainsi dans les bras d'un autre n'était pas toujours facile à accepter. Une vague impression de propriété sans doute, contre laquelle il luttait sans grande conviction. Ni Severus, ni Harry ne l'auraient certainement supporté, mais lui, il n'aurait pas été contre une petite partie à quatre... Mark était un amant adorable et qui n'avait pas froid aux yeux !
– Mark, tu ne voudrais pas devenir mon secrétaire au Ministère ? soupira-t-il en riant.
– Ton secrétaire ?! s'exclama Mark en sursautant sur les genoux de Håkon. Mais pourquoi ?!
– Parce que j'ai besoin de quelqu'un de compétent, qui comprenne vite et en qui je puisse avoir totalement confiance, grimaça Lucius.
– C'est une plaisanterie ?! Tu trouves que je n'ai pas assez de travail ici ? Et je sais bien ce que ça donne cette vie-là ! Je ne suis pas sûr que Chaton soit d'accord pour que je sois corvéable à merci !
Lucius esquissa un sourire dépité en haussant les épaules. Il aurait essayé... Mais même si Mark avait accepté, à voir le froncement de sourcil de Håkon, la partie n'aurait pas été gagnée.
– J'aurais bien un ou deux noms à te proposer mais ils demanderaient un paiement en nature ! gloussa le jeune homme.
– Qui donc ? s'étonna Lucius.
– Sean ou Antonio.
– Oh ! Remarque... il y a bien eu une époque où je faisais pareil pour toi !
L'agacement de Håkon fut immédiatement palpable, même s'il n'y eut rien de plus significatif qu'un mouvement saccadé du pied et un regard glacial. Aussitôt, Mark resserra son bras autour du cou de son compagnon et esquissa une caresse furtive sur son torse. Une façon très animale de montrer à quel mâle dominant il appartenait.
Håkon appréciait peu que l'on fasse référence à la vie passée de son futur mari, et en particulier quand ces réflexions venaient de Lucius. Le fait qu'ils aient autrefois couché ensemble à tour de bras était loin de lui plaire.
– Demande à Mandy ! suggéra Mark tandis qu'il retenait un ricanement.
– Elle est trop impliquée auprès de Francis, fit-il en tournant de nouveau le regard vers la table de billard.
Harry et Matthieu continuaient à jouer, plus détendus, et sans leur prêter grande attention. Le claquement sec des billes résonnait à intervalle régulier, comme une ponctuation à leur conversation.
– Je ne sais pas... Elle a trouvé le moyen de me dire la dernière fois qu'elle s'ennuyait à l'Elysée et qu'elle n'avait pas assez de marge de manœuvre...
– On me soupçonnerait de collusion avec la France, objecta Lucius. Et de ne pas œuvrer dans l'intérêt du pays...
– Mais elle a déjà été ta secrétaire... Ça ne paraîtrait pas si incongru.
– Mmhh..., fit-il, guère convaincu. Je vais laisser un peu de temps à mon secrétaire actuel avant de le renvoyer à de la paperasse de bas-étage.
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Le parchemin roulé dans la main, Harry frappa quelques coups secs à la porte de son ancienne chambre. La soirée avait fini tard, Matthieu était resté dormir au Manoir et il n'était pas encore descendu au petit-déjeuner. Est-ce qu'il était même réveillé, après une poignée d'heures de sommeil ? Il l'aurait bien laissé dormir, mais le message de Charlie était peut-être important...
– C'est bon. Entre.
La voix n'était plus ensommeillée, et lorsqu'il ouvrit la porte, Harry trouva Matthieu sortant de la salle de bains, une serviette nouée autour des reins et les cheveux humides et ébouriffés.
– Désolé de te déranger si tôt..., fit Harry avec un sourire narquois.
– J'étais debout. Toi, en revanche, tu sens déjà le café.
Matthieu passa sa main dans ses cheveux pour se recoiffer vaguement puis laissa tomber la serviette sur le lit pour enfiler un slip. Dans son dos, le serpent de son tatouage, lui, sommeillait encore il releva à peine la tête pour darder sa langue et sentir Harry, puis la reposa d'un air résigné.
– J'étais au petit-déjeuner avec Lucius et Severus et... Hum. Luce a reçu un appel de cheminette de Charlie. Ça n'a duré que quelques secondes, il n'a quasiment rien dit... Il lui a juste donné des parchemins : un rapport préliminaire sur sa mission et... un message pour toi.
Surpris, Matthieu faillit tomber, le pied pris dans l'ouverture de son sous-vêtement avant de se rattraper au lit. Harry ne voulut pas en plaisanter, ce n'était pas le moment. Matthieu ne devait pas très bien prendre le fait que Charlie communique davantage avec Lucius qu'avec lui. Et même s'il lui avait laissé un message, il ne lui avait pas parlé de vive voix.
Sans un mot, Matthieu tendit la main pour récupérer le parchemin, le déroula et lui tourna le dos pour le lire. Une manière de ne pas dévoiler ses émotions... Le serpent, lui, montrait bien les siennes, réveillé et alerte, la tête bien dressée presque jusqu'à la nuque de son propriétaire, comme s'il essayait de lire par-dessus son épaule, et la queue agitée de soubresauts d'excitation.
Il le relut sans doute plusieurs fois car le message ne semblait pas si long, puis il le roula et le jeta sur le lit avant d'attraper sa chemise pour continuer de s'habiller.
– Qu'est-ce qu'il dit ? osa Harry après un silence.
– Qu'il va bien. Qu'il n'a pas accès au réseau de cheminette comme il voudrait. Qu'il est très occupé... Qu'il en a encore pour plusieurs jours mais qu'il espère être rentré pour le week-end prochain.
Encore une semaine à patienter pour ce pauvre Matthieu ! Et sans doute dans le silence le plus complet... Harry s'assit sur le lit en regardant le parchemin, désolé pour son ami. Il aurait voulu faire quelque chose mais même le prendre dans ses bras paraissait inapproprié.
– Est-ce que ça va aller ?
– Bien sûr que ça va aller, fit Matthieu en haussant les épaules. J'ai été célibataire assez longtemps pour avoir l'habitude de rentrer dans un appartement vide et de dormir seul.
Le ton du jeune professeur était sec et fermé. Il avait eu l'habitude de cette vie-là, de la subir peut-être, mais de toute évidence, il n'en voulait plus. Et rester encore une semaine sans contact, sans nouvelles, à s'inquiéter sur ce que devenait son compagnon, sachant où il était et en imaginant les risques qu'il courrait... Charlie n'était pas parti caresser des dragons !
– Lucius... m'a dit que ce serait la dernière mission de Charlie, déclara Harry tandis que Matthieu enfilait son pantalon. Qu'il ne lui demanderait plus rien après.
Un soir, il avait fait des reproches à demi-mots à son amant, après avoir appris l'absence de Charlie... Il ne voulait pas entendre parler de politique, de vampires ou d'attentats, mais il s'était senti obligé de protester au nom de l'amitié qu'il portait à Matthieu. Comme toujours, Lucius avait été rassurant et réconfortant.
– Sur ce coup-là, permets-moi de douter de sa sincérité ! fit sèchement Matthieu. Ça fait longtemps que je ne crois plus à ses belles promesses ! Lucius est un homme politique avant tout : s'il a besoin d'un pion, il le bougera !
Harry se mordit la lèvre et choisit de ne pas répondre. La méfiance de Matthieu le peinait, presque le blessait, mais il lui reconnaissait aussi un fond de vérité, et c'était peut-être le plus douloureux. Il aimait Lucius autant que Severus, bien que différemment, mais ces manipulations dont il était capable était une des choses qui le dérangeaient parfois chez son amant. Il aurait peut-être dû protester davantage sur ces façons de faire, lui demander des comptes sur les missions de Charlie, exiger des explications... Après tout, il était, avec Severus, le mieux placé pour le faire. Et c'était peut-être ce que Matthieu attendait de lui ?
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Malgré sa contrariété, Matthieu se montra au petit-déjeuner aussi souriant et aussi affable que d'habitude. Il ne fit aucune mention du message de Charlie, ne posa aucune question et ce fut Lucius qui aborda spontanément le sujet, surpris de son silence. Il expliqua une conversation extrêmement brève, moins d'une minute sans doute, mais qu'il avait trouvé Charlie plutôt en forme et avec une bonne mine, et l'air relativement satisfait de la tournure de sa mission. Matthieu remercia d'un signe de tête, « C'est ce qu'il m'a dit dans son message », et se tourna vers Severus pour une toute autre conversation.
Quand il le raccompagna dans ses appartements de Poudlard, Harry tenta bien de le dérider un peu, mais Matthieu restait fermé, aussi inaccessible que Severus savait parfois l'être. Il hésitait à le laisser ainsi, mais il ne pouvait pas imposer sa présence si Matthieu avait envie d'être seul.
– Matt... si tu as envie de sortir, de boire un verre ou de discuter... je n'ai rien de prévu cette semaine. Je suis par là...
– C'est bon. Tu as ta fille à t'occuper maintenant.
La réplique était cinglante, peut-être plus que Matthieu ne l'aurait voulu car il parut soudain hésitant. Il se préparait un café dans la petite cuisine qu'il avait fait aménager au fond de ses appartements et il se sentit obligé de lui en proposer un. Harry acquiesça, davantage pour ne pas partir sur ces mots amers que par réelle envie, mais Matthieu était son ami; de lui, il pouvait accepter beaucoup, et pas seulement un café.
– J'ai Aria ce soir, fit-il pour meubler le silence gêné entre eux. Luna et Padma doivent aller dîner pour leur anniversaire de mariage. Elle dort au Manoir et demain midi, Draco vient déjeuner avec Daphnée et les enfants. Je suis censé leur avouer qu'elle est ma fille... Mais le reste de la semaine, je suis libre si tu as envie de sortir un peu du château...
Harry piqua un sucre dans le pot sur le bar et tourna lentement sa petite cuillère. Il n'aimait pas trop le café mais il n'allait pas ennuyer Matthieu en lui demandant un thé. Mais brusquement, celui-ci semblait parti sur d'autres réflexions et le regardait avec un air déconfit.
– Personne ne sait encore qu'elle est ta fille ?
– Hormis toi et Charlie... Et Mark parce qu'il passe la moitié de sa vie au Manoir et qu'il l'a vue cette semaine... Non.
– Tu vas le dire à qui ?
– À tout le monde, fit Harry en haussant les épaules. À ceux qui me poseront la question. Peu importe...
– Tu vas rendre ça public ?
– J'ai déjà fait d'elle mon héritière. Si ça se sait et que ça paraît dans les journaux, je confirmerai, c'est tout.
Matthieu paraissait surpris de son revirement complet de position. Il savait qu'il avait pris Aria cette semaine pour la garder et rendre service aux filles, mais leur dernière discussion sérieuse sur le sujet datait de Noël où il avait essayé de le convaincre de s'occuper d'Aria. Entre ses hésitations du début et faire d'elle son héritière, il y avait un gouffre comblé en l'espace de quelques semaines...
– Du coup, tu ne seras pas son parrain ! tenta de plaisanter Matthieu.
– Non. Luna avait choisi Blaise et Draco, ça restera ainsi.
Sa maladresse lui fit pincer les lèvres. Le choix de Luna était logique, mais en tant que père, il aurait pu vouloir faire de Matthieu un des parrains de sa fille... Il comptait tout autant. Mais le jeune professeur n'avait pas relevé et enchaîna sur un autre sujet.
– À propos de Blaise... Je n'ai pas de contacts directs avec lui, mais si tu le vois... il sera peut-être content de savoir qu'Irina est revenue. Je sais qu'il l'appréciait et qu'ils se voyaient régulièrement...
– Irina ?! s'exclama Harry en s'étouffant d'une gorgée de café trop sucré. Elle est revenue ?!
– Oui. En début de semaine, comme une fleur... Elle a eu un entretien avec Neville et elle a repris ses cours le jour-même. Elle a maigri, elle a l'air fatigué, mais sinon ça a l'air d'aller. Et évidemment, je ne sais pas ce qu'elle a dit à Neville, mais à nous, elle n'a fourni aucune explication sur son absence !
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Harry ne savait pas où joindre Blaise et il ne voulait pas demander à Draco pour ne pas avoir à fournir d'explications... le plus simple était de se déplacer.
À New York, il faisait un soleil radieux mais il était encore tôt le matin et les températures étaient glaciales. Évidemment, il était parti avec une veste légère, puisqu'il n'avait pas prévu de traîner dehors, mais la galerie était déjà ouverte et il s'y réfugia avec bonheur. À l'intérieur, tout était sens dessus-dessous, des cadres posés par terre ou appuyés contre un mur, une ribambelle de techniciens armés de perceuses et de câbles électriques s'affairaient dans tous les coins, et au milieu de tout cela, Blaise et sa secrétaire s'adressaient avec véhémence à celui qui devait être le chef de chantier. Enfin... c'était surtout la secrétaire qui avait l'air véhémente; lui conservait l'air sophistiqué et blasé qu'il avait la plupart du temps en public.
– Harry ! s'exclama-t-il en l'apercevant. Qu'est-ce que tu fais là ?!
Tout sourire, Blaise abandonna ses employés pour lui donner une accolade réjouie. Puis il fit signe à sa secrétaire qu'il s'absentait un moment et, attrapant son manteau sur son bureau, l'entraîna dans la rue.
– Tu arrives un peu tôt ! sourit-il. Le vernissage n'est prévu qu'à dix-huit heures ! Et comme de bien entendu, ces moldus sont tous en panique devant le temps qui court. Moi je sais très bien qu'avec un coup de baguette magique, tout sera prêt à temps !
Blaise gloussa de ces préoccupations inutiles. Il vivait aux confluents du monde moldu et du monde sorcier depuis des années comme un poisson dans l'eau. Même si les employés étaient moldus, sa galerie d'art avait pignon sur rue dans les deux mondes et les sorciers savaient se faire discrets quand il le fallait.
– Il fait chaud en Angleterre pour que tu sois si peu vêtu ?! Viens, la pâtisserie est à deux pas, on y sera plus tranquilles qu'au milieu des bruits de perceuses !
– Je n'avais pas prévu de visiter New-York ! répliqua Harry en frissonnant.
Plus le temps passait, moins il utilisait son sortilège de chaleur. Il avait repris l'habitude de s'habiller plus chaudement, en fonction des saisons, et puis cela représentait une dépense de magie permanente qui, depuis son union avec Severus, lui coûtait davantage.
En tout cas, lorsque Blaise lui ouvrit la porte et s'effaça pour le laisser entrer, la chaleur douillette du salon de thé chic et branché lui parut un délice. La carte ne l'était pas moins, et bien qu'il ait déjeuné avec ses amants, il ne refusa pas un thé avec une petite pâtisserie dont le nom seul paraissait déjà fort appétissant.
– Alors, qu'est-ce qui t'amène ?
– Une nouvelle que j'ai apprise ce matin. Je ne sais pas si c'est encore important pour toi mais Irina est revenue à Poudlard.
Le petit sourire assuré de Blaise ne laissait transparaître aucun soulagement, ni aucune joie, juste une impression de contentement tranquille, le même qu'il avait en mangeant simplement son mille-feuille au caramel.
– C'est gentil de t'être précipité jusqu'ici pour me dire ça, en tout cas, gloussa Blaise. Mais en réalité, je le savais déjà. Elle m'a appelé par cheminette le soir de son retour et je la vois demain...
– Tu vas repartir dans des histoires qui te font souffrir... ?
Pendant les fêtes de Noël, ils avaient longuement parlé de cette relation avec Irina. Si la belle russe l'avait un peu considéré comme un jouet ou un trophée à son tableau de chasse au début de leur histoire, elle était devenue plus honnête avec le temps, et même si elle n'avait jamais été aussi attachée à Blaise que lui ne l'était vis à vis d'elle, elle avait cessé de le manipuler. Et puis Alicia avait assuré que Blaise lui aussi avait pris ses distances...
– Je vais la voir parce que c'est une amie, Harry. Le reste...
Il ne voulait pas insister, le reste ne regardait que Blaise. Harry hocha obligeamment la tête en souriant, acheva sa part de cheesecake trop petite à son goût et se concentra sur sa tasse de thé. Il était venu jusque là pour une information que Blaise savait déjà, dire bonjour, prendre des nouvelles et savourer un thé avec une sucrerie. Ma foi, ce n'était pas si mal, après tout. À moins qu'il n'en profite également... Le salon de thé était plein à craquer mais les tables étaient assez espacées et personne ne s'intéressait à leur conversation.
– J'avais un truc à te dire, aussi..., commença-t-il, un peu hésitant, mais le sourire attentif de Blaise le convainquit de poursuivre. Tu te souviens de cette discussion, un soir, chez Draco, pour savoir qui allait aider Luna et Padma à avoir un enfant... ?
– Parfaitement bien, répondit Blaise avec un stoïcisme magistral.
Harry hésita à nouveau mais il avait résolu de le dire. De toute façon, Blaise l'aurait constaté de lui-même en venant au Manoir un de ces jours...
– C'est moi qui l'ai fait.
– J'en étais sûr ! s'exclama Blaise avec un sourire réjoui. Du moins, j'en étais sûr à quatre-vingt-dix-neuf pour cent ! Draco pensait que c'était moi... Il ne te croyait pas capable de prendre la responsabilité, même morale, de concevoir un enfant... quoiqu'il qu'il a peut-être changé d'avis depuis que tu t'approches davantage de Scorpius !
Harry se contenta de sourire. Blaise n'avait pas l'air surpris le moins du monde, il était juste ravi. Sincèrement heureux pour lui, à voir son regard enjoué et lumineux.
– J'aurais dû parier ! pouffa-t-il.
– Un acte manqué, ricana Harry en haussant les épaules. En tout cas, moi je n'aurais jamais parié sur toi et Alicia !
Ce n'était pas flagrant en raison de la couleur ébène de sa peau, et cela restait étonnant de sa part, mais il lui sembla pendant quelques secondes que Blaise rougissait. Et cette réaction si surprenante lui donna envie de le taquiner un peu plus sur le sujet.
– Vous iriez bien ensemble, en plus, tous les deux ! De sacrés caractères mais je suis sûr que ça marcherait, au final !
– Qui c'est qui t'en a parlé ? C'est elle ?
– Disons qu'elle a laissé échapper l'information et que l'information ne m'a pas échappé, sourit Harry. Je savais que vous aviez déjà couché ensemble deux ou trois fois, entre autre à mon anniversaire il y a deux ans... Mais je ne savais pas que ça se poursuivait de manière régulière ! Je crois que tu as beaucoup de choses à me dire... !
Blaise se resservit posément une tasse de thé puis le regarda droit dans les yeux.
– Il n'y a rien à dire sur Alicia et moi. La rencontre de deux solitaires ne fait pas un couple. Le seul avantage, c'est que je sais de quoi elle a besoin ou envie. Parle-moi un peu de ta fille, plutôt...
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Harry rentra au Manoir avec un drôle de sentiment. L'existence de sa fille, sa paternité, le fait qu'elle allait vivre entre Poudlard et le Manoir au gré des jours et des besoins de chacun... tout cela paraissait parfaitement naturel à Blaise et d'une évidence presque banale. Parler d'Irina, de la relation qu'ils avaient eue, de l'amitié qui en était née, restait concevable. Mais d'Alicia, il n'avait pas voulu dire un mot de plus. Un silence farouche qui lui mettait la puce à l'oreille bien mieux qu'une grande déclaration et qui le fit sourire en le quittant.
Harry avait bien tenté de l'inviter au Manoir le lendemain pour voir sa fille – et en se disant que l'aide de Draco ne serait pas de trop pour lui tirer les vers du nez – mais Blaise avait décliné l'invitation. Il voyait Irina l'après-midi, et il laissa échapper un vague sous-entendu insinuant qu'il était également pris le soir, mais pas par la même femme... Silencieusement, Harry se promit de passer voir Alicia dans la semaine pour en savoir plus.
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Une fois rentré, il monta dans la chambre de sa fille pour vérifier qu'il avait bien tout ce qui paraissait nécessaire pour l'accueillir cette nuit. Il avait rajouté un joli mobile au-dessus de son lit, en espérant que cela l'aide à s'endormir : une farandole de petits dragons et de petites licornes qui voletaient sur une berceuse ancienne, et il ne manquait plus que sa fille pour cette première nuit au Manoir. Il était impatient, mais il ne pouvait pas s'empêcher d'être légèrement inquiet : Luna et Padma lui avaient bien dit que les nuits étaient plus compliquées que les journées, et en quittant Poudlard ce matin, Matthieu lui avait souhaité bon courage !
À l'heure dite, il transplana devant les appartements des filles, et après les dernières recommandations d'usage et bon nombre de conseils pour réussir à l'endormir, il leur souhaita une bonne soirée et rentra au Manoir avec son précieux chargement.
Avant le dîner, il eut le temps de donner le bain à sa fille – et il s'en sortit plus honorablement que la dernière fois ! – puis il descendit à la Salle à Manger pour rejoindre ses amants. Il y eut bien quelques sourires goguenards de Lucius en le voyant manger d'une seule main tout en tenant sa fille de l'autre, il y eut bien une plaisanterie ou deux, mais dans l'ensemble, le repas fut plutôt calme. Et lorsqu'il confia sa fille à Lucius pour aller aux toilettes, il ricana fort peu discrètement de son embarras manifeste ! En revanche, quand il revint quelques minutes plus tard, ce fut une émotion immense qui l'étrangla en réalisant ce tableau saisissant : Aria dans les bras d'un Lucius tout sourire, et Severus penché sur eux pour apercevoir les yeux de sa fille. S'il avait pu, il se serait moqué gentiment de cette image de trinité presque religieuse, mais vraiment il ne pouvait pas. Sortir un mot de sa gorge nouée lui était impossible.
Après le biberon de vingt-et-une heure, Harry dut monter rapidement pour changer une couche généreusement remplie, puis, tandis qu'ils regardaient un film dans la salle de cinéma, Aria s'endormit tranquillement contre lui, bien au chaud et bercée par sa respiration et les battements de son cœur.
Il aurait dû se douter que cela ne pouvait pas être aussi simple tout le temps – il le savait de toute façon – mais une fois que le film fut terminé et que ses amants manifestèrent le désir d'aller se coucher, il fallut bien se résoudre à mettre Aria dans son petit lit. Délicatement, il réussit à la déposer sans la réveiller et à rejoindre son propre lit en catimini. Il se réchauffait à peine au contact de ses amants qu'elle se mit à pleurer. Évidemment, le lit froid, trop ferme, trop immobile, ne lui avait pas plu du tout et elle protestait contre ce traitement inhumain.
Harry se leva, traversa le couloir pour aller la rassurer, lui parler quelques minutes et mettre la musique de son mobile en route. Avec ses grands yeux sombres, elle le regardait, cessa de pleurer puis son regard fut captivé par les licornes et les dragons qui dansaient. Il attendit encore un peu, et voyant qu'elle restait calme, il quitta la chambre sur la pointe des pieds. Elle finirait bien par s'endormir... Du moins, c'est comme ça que ça marchait avec Scorpius.
Dix minutes après, elle pleurait de nouveau. Il se releva, la calma à nouveau et retourna se coucher pour ressortir du lit cinq minutes plus tard en essuyant un grognement contrarié de Severus. À son retour, il poussa doucement son amant pour se coucher à sa place, au plus près de la porte, et éviter de les bousculer à chaque fois qu'il devait s'extirper du lit. Après deux ou trois allées et venues de plus, il se résolut à ne pas retourner se coucher pour l'instant. Aria ne voulait visiblement pas rester seule dans ce lieu inconnu.
Commença alors une longue négociation pour tenter de la rendormir, dans son lit, avec la musique, sans la musique, avec une lumière tamisée, sans lumière, avec une chanson, dans le silence complet mais en la berçant, dans ses bras assis dans le fauteuil en se balançant doucement, en marchant à travers la chambre, sur le ventre, sur le dos, presque verticale en se disant qu'un rot était resté coincé; il vérifia la couche, la température de la chambre, sa température à elle, de nouveau la couche, tenta de lui faire téter son petit doigt en se disant que c'était juste un besoin de succion... mais rien n'y faisait. Elle ne dormait pas, pleurait par intermittence, pleurait de façon certaine dès qu'il tentait de la mettre dans son lit ou dans son couffin, se calmait dans ses bras, puis chouinait à nouveau, jusqu'à ce que tout cela les mène au biberon suivant.
De nouveau, il fallut faire le rot, changer la coucher, rechanger la couche cinq minutes après parce qu'elle aimait mieux faire ses besoins dans une couche propre, il devait bien être deux heures du matin, il commençait à être sérieusement fatigué, et visiblement, Aria n'avait toujours pas décidé de dormir, ni d'être ailleurs que dans ses bras.
Au mieux, elle y somnolait, s'endormait vingt, trente minutes tandis qu'il piquait du nez dans le fauteuil à bascule en la tenant contre lui, puis se réveillait, chouinait jusqu'à ce qu'il la berce un peu, à moitié endormi, finissait par replonger dans un sommeil incertain.
Il avait dû s'assoupir un peu plus profondément car la main de Severus sur son épaule le fit sursauter. Il ne l'avait même pas entendu entrer dans la chambre. Aria chouina quelques secondes de surprise puis se contenta de les regarder, une fois certaine qu'on ne tentait pas de la bouger de sa position confortable sur son torse.
– Va dormir une heure ou deux. Je prends le relais.
– Non, non, ça va aller, protesta-t-il mollement.
– On doit déjeuner chez Draco à midi et tu as une tête de déterré. Va dormir. De toute façon, c'est mon heure, je suis réveillé... J'irai nager plus tard.
Merlin ! Si Severus était réveillé comme à son habitude, il devait être cinq heures du matin, ou un peu plus, et depuis hier soir, il n'avait pas dû dormir plus de trente minutes d'affilée ! Et pas plus de deux heures en tout et pour tout !
Le regard de Severus hésitait entre ironie et tendresse devant son air dépité, et avant même que Harry ne comprenne son geste, il avait déjà pris Aria dans ses bras, et d'une main autoritaire, l'obligeait à se lever.
– Au lit !
Il protesta encore un peu, mollement, tandis que Severus s'asseyait dans le fauteuil à sa place, tenta d'expliquer l'heure du dernier biberon, sa façon de s'endormir – ou pas, d'ailleurs ! – mais le doigt de son amant montrait obstinément la porte.
– Je saurai me débrouiller. Va dormir.
Sa culpabilité étouffée sous la fatigue et le manque de sommeil, Harry traversa le couloir pour aller s'allonger dans un lit tiède et moelleux où il put se coller contre le corps de Lucius. Une petite sieste de vingt minutes et il irait relayer Severus. Trente maximum. Et il le remercierait chaleureusement. Il ne savait pas encore comment, mais il trouverait... ou bien il en avait une vague idée, mais plus tard, quand il serait un peu reposé. Pour l'instant, il était trop épuisé pour avoir envie de quoi que ce soit !
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Harry ne sut pas comment Severus s'était débrouillé, mais il n'entendit pas Aria pleurer, et quand il se réveilla vers neuf heures, elle dormait profondément dans son petit lit et son amant était parti nager.
Il enfila un kimono pour descendre au petit-déjeuner avaler rapidement quelque chose. Sa nuit saccadée et son sommeil haché lui avaient donné une faim de loup. Lucius lui tint compagnie avec un sourire légèrement ironique, puis Harry remonta s'allonger un peu. Tant qu'Aria dormait, il fallait en profiter !
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Il put grappiller encore deux heures de sommeil avant de devoir se lever pour se préparer et il se sentait presque en forme en arrivant chez Draco. Ce qui n'était pas de trop car il lui fallut faire face aux réactions de surprise et aux questions en rafale qui l'assaillirent dès qu'il annonça que la fille de Padma était aussi la sienne. Et ses amants le laissèrent se débrouiller face à Draco avec un amusement évident, tournant la tête de l'un à l'autre comme s'ils comptaient les points.
Si Scorpius ne fut que vaguement intéressé par Aria dans ses bras, Minerva, et même Iris, s'extasiaient devant sa fille, ravie de ce nouveau bébé à pouponner, à faire rire, à chouchouter comme une nouvelle petite cousine. Avec un enthousiasme débordant, elles imaginaient déjà les jeux, les jours futurs où Aria pourrait venir dormir chez elles ou bien des vacances d'été tous ensemble à Torquay.
Daphnée, elle, semblait sincèrement ravie pour lui et en la regardant, Harry eut aussitôt à l'esprit cette conversation entre eux, à Noël, où il avait pu parler d'Axaya si librement. À ce moment-là, il hésitait encore sur ce qu'il désirait faire concernant sa fille mais il s'était pris à rêver de cette vie de famille tous ensemble, de ces jeux, de ces rires, de tous ces enfants courant librement dans les jardins et le Manoir... Aujourd'hui, Aria était encore trop petite pour avoir une vraie relation avec ses « cousins », mais c'était une première pierre dans cette nouvelle vie qu'il attendait avec impatience.
La réaction de Draco était plus mitigée, plus longue à venir en réalité... Il avait été réellement surpris à son annonce. Et ses questions tentaient presque vainement de comprendre ses raisons, ce qui l'avait motivé, alors qu'il le croyait incapable de s'investir dans une paternité. Draco était réellement étonné; peut-être parce qu'il était le seul à qui Harry avait montré un jour des images de sa vie avec Axaya, la douleur qu'il avait ressentie à sa mort et ce refus obstiné d'avoir une quelconque responsabilité dans la vie d'un autre enfant.
Puis Draco se tut un long moment, l'observa donner le biberon à sa fille tandis qu'Iris et Minerva ne pouvaient s'empêcher de lui caresser les cheveux ou la joue, puis il finit par dire :
– Je ne savais pas que c'était déjà fait... mais en voyant la façon dont tu te comportais avec Scorpius depuis quelques mois, j'aurais dû comprendre que c'était évident, que tu serais à nouveau père un jour... Ça crevait les yeux. Et même si visiblement tu n'as pas beaucoup dormi cette nuit, ça a l'air tellement naturel...
– On ne peut pas dire qu'elle fasse vraiment ses nuits, maugréa Harry. D'autant que c'était la première fois qu'elle dormait au Manoir... Heureusement que Severus m'a relayé, sinon j'aurais piqué du nez sur mon assiette !
Le regard de Draco se tourna immédiatement vers son parrain qui parut légèrement embarrassé.
– D'ailleurs, comment tu as fait pour qu'elle s'endorme enfin ? fit Harry en le regardant.
– Je n'ai rien fait du tout. Elle est complètement inversée dans ses rythmes de sommeil... Après son biberon de neuf heures, elle a juste commencé sa nuit.
Les sourires autour la table gagnèrent tous les visages - excepté celui de l'ancien professeur - et celui de Harry était peut-être le plus grand de tous. Severus pouvait minimiser ce qu'il avait fait, le tourner en dérision ou dire qu'il ne voulait pas être mêlé à ça de près ou de loin, le fait est qu'il était venu le relayer pour qu'il puisse dormir un peu et qu'il s'était occupé d'Aria avec brio. Comme Harry l'avait toujours rêvé.
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ooOOoo
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Après l'annonce de sa paternité à un cercle restreint de ses proches, quelques semaines d'une tranquillité absolue se succédèrent au Manoir.
Une sorte de routine s'installa rapidement, confortable et rassurante. D'un commun accord avec ses mères, Harry prenait Aria les deux premiers jours de la semaine, parfois dès le dimanche soir, ce qui permettait à Padma de concentrer ses cours sur le lundi et le mardi. Il en profitait pour poursuivre son week-end par deux journées paisibles, le plus souvent en discutant beaucoup avec Mark, et il travaillait davantage quand sa fille était à Poudlard. Il s'occupait d'elle une autre journée dans la semaine, souvent le samedi, laissant à ses mères le loisir de sortir, d'aller au restaurant ou de simplement profiter l'une de l'autre en toute quiétude.
L'organisation était bien rodée, fluide et Aria ne semblait pas émue par ces changements de domicile, de chambre, de lit ou de bras. Éveillée, elle était facile à vivre, curieuse, très observatrice, et tant qu'elle était dans ses bras ou près de lui, elle pouvait passer de longs moments à le regarder écrire, jouer avec sa magie ou à l'entendre discuter avec Mark ou ses amants. Les nuits, en revanche, étaient toujours un point noir, et elle continuait à dormir davantage le jour que la nuit.
Bon gré mal gré, il finit par s'en accommoder, et ses amants également. Les nuits où Aria était présente, il ne dormait quasiment pas avec eux, préférant somnoler dans la chambre de sa fille ou descendre avec elle à la Bibliothèque plutôt que de les réveiller sans cesse. De fait, leur sexualité était réduite aux nuits où Aria n'était pas là, mais ils y trouvaient leur compte : Harry profitait de sa fille en tête à tête, et Lucius et Severus profitaient de se retrouver tous les deux pour des conversations sur l'oreiller juste avant de s'endormir ou pour faire l'amour sans lui. Au début, il l'avait mal vécu, entre jalousie et sentiment d'abandon, mais peu à peu, il constatait que cela faisait du bien à ses amants, qu'ils y gagnaient un équilibre appréciable et les nuits où ils se retrouvaient tous les trois, ils s'aimaient avec passion.
Régulièrement, au moins deux ou trois fois par mois, ils fréquentaient l'antichambre ensemble, sans tabous, sans entraves autres que celles qu'ils employaient volontairement, et avec une satisfaction proportionnelle au plaisir qu'ils ressentaient. Harry n'y était jamais retourné seul avec Severus et il n'était pas sûr de vouloir le revoir dans ce rôle-là. Seul avec Lucius, en revanche, il aurait bien voulu, mais l'aristocrate n'avait pas assez de temps à lui consacrer. Et puis l'occasion aurait été difficile à trouver, entre Mark présent tous les jours et Severus présent tous les soirs...
Malgré cela, leur vie de couple était plutôt sereine. Les anicroches étaient devenues rares, même entre Lucius et Severus, et ils appréciaient ce calme paisible. Harry allait bien, il dormait bien – sauf quand Aria l'en empêchait ! –, il n'avait plus ni cauchemars, ni angoisses, ni réminiscences, même dans l'antichambre. Il travaillait sur ses recherches avec assiduité et reprit quelques expériences dans le laboratoire pour tester ses idées. Il retourna même à Sainte-Mangouste à la demande d'un confrère pour un avis sur un patient, donna quelques conseils, suggéra une potion... Il en profita pour consulter Evans au sujet de ses maux de ventre aléatoires, qui ne trouva rien de plus à lui dire que de consulter un psychomage, et il n'en fut pas plus ému que ça... Il n'irait pas voir de psychomage, parce qu'il refusait de remuer à nouveau tous ces souvenirs, mais si Evans assurait que tout allait bien sur le plan physique, il allait cesser de s'inquiéter et passer à autre chose.
Régulièrement aussi, les soirs où il n'avait pas sa fille, Harry recommençait à voir du monde. Des nuits à danser avec Alicia souvent, parfois avec Matthieu... Des parties de billard avec Mark ou Matthieu jusque tard dans la nuit. Des dîners chez Draco, des verres à gauche et à droite, un cinéma de temps en temps, et puis ce fameux dîner avec les frères Weasley où il retrouva avec plaisir Fred et Georges qu'il n'avait pas vus depuis trop longtemps, et puis Bill avec qui il passa une bonne partie de la soirée à discuter chaleureusement. Le temps avait lissé les différences d'âge, d'expérience, et ils arrivaient aujourd'hui avec beaucoup de choses à se dire et autant de points communs surprenants.
Harry regrettait malgré tout de ne plus pouvoir sortir au théâtre avec ses amants, ou assister à un ballet ou un concert comme ils le faisaient avant que Lucius ne redevienne Ministre, mais l'aristocrate était vraiment trop pris, et le reste du temps, il aspirait à un peu de quiétude. Et puis sortir seul avec Severus aurait donné trop de grain à moudre aux journalistes avides de scandale. Ses alliances avaient déjà éveillé les regards curieux de ses proches... il était inutile de s'exposer démesurément en public.
Au fil du temps, son union avec Severus s'était stabilisée, profondément ancrée dans leurs cœurs et dans leurs peaux. Si la marque au doigt de son compagnon restait discrète, les arabesques sombres que Harry portait sur son torse réagissaient dès qu'ils faisaient l'amour, qu'ils étaient dans l'antichambre ou dès que Severus exerçait son pouvoir un peu trop librement sur lui. Si leurs magies s'étaient équilibrées, leurs positions dans l'union restaient profondément asymétriques. Severus avait accès à son aura en permanence, même si Harry la bridait au plus serré, et il pouvait faire bien plus : accéder à ses pensées sans qu'il puisse lui opposer de barrière d'occlumencie, lui interdire certaines choses ou lui imposer parfois sa volonté. Mais Severus n'usait jamais de ces pouvoirs, excepté pour le contraindre à aller se coucher quand il prenait le relais avec Aria certains matins au bout des nuits blanches.
Severus avait beau dire qu'il le faisait par pitié ou compassion envers Harry, il ne rechignait jamais à ces moments avec Aria, même s'il fallait calmer ses pleurs ou changer une couche trop odorante. Il s'occupait d'elle magnifiquement bien, avec une patience à toute épreuve, celle qu'il n'avait pas autrefois, et Harry fondait dès qu'il voyait sa fille dans les bras de son compagnon. Cette petite poupée minuscule dans les bras puissants de Severus, sa délicatesse dès qu'il la touchait, son naturel déconcertant et les regards intenses qu'ils échangeaient, ses yeux noirs rivés dans les yeux sombres et curieux de sa fille... Severus n'était pas du genre à chanter une berceuse, à s'extasier avec une voix suraiguë devant un sourire ou un geste, il n'était pas exubérant comme pouvait l'être Mark... il restait lui-même, distant mais présent, stoïque parce que tout en pudeur, mais Harry voyait bien la relation privilégiée qu'il avait avec sa fille et l'attachement qui se constituait lentement. Et il était difficile de concevoir à quel point cela le bouleversait.
Lucius restait plus réservé parce qu'il était bien moins présent, et puis dès le début, il avait dit qu'il préférerait toujours le père à la fille. Mais s'il refusait de s'abaisser aux soins d'hygiène et en particulier à changer une couche, l'aristocrate ne rechignait pas à la prendre dans ses bras de temps en temps, tant qu'elle ne pleurait pas. Ceci étant, pour l'avoir vu agir avec ses petits-enfants, Harry ne doutait pas qu'il vienne à s'en occuper davantage quand elle serait capable de jouer ou de parler.
Presque chaque semaine, ils allaient dîner ou déjeuner chez Draco, ou bien il venait avec sa famille au Manoir, de préférence quand Aria était là... Les liens se tissaient peu à peu, et plus elle souriait et devenait expressive, plus Iris et Minerva, et même Scorpius jouaient avec elle. C'était à qui lui rendrait la peluche qu'elle avait fait tomber ou qui montrerait le dernier jouet oublié sorti du fin fond d'un panier. Et lorsque l'une des deux filles avait le privilège de lui donner son biberon, elles semblaient les plus heureuses du monde.
Blaise venait souvent partager ces repas familiaux, puisque de toute façon il faisait partie de la famille, et il ne tarissait pas d'éloges sur sa quatrième filleule. Au cours d'une petite cérémonie intime, Luna avait fait de lui et de Draco les parrains magiques d'Aria, et il en était très fier. Blaise semblait aller bien, même s'il refusait de parler avec Draco de ses amours. Harry, lui, avait réussi à obtenir quelques rares confidences : qu'il voyait toujours Alicia régulièrement, qu'il n'avait plus avec Irina que des liens d'amitié... mais Blaise refusait d'en dire davantage et il finissait par se taire sur un sourire.
D'Alicia, Harry obtint un peu plus d'informations, glanées entre deux fous rires et des confidences au petit matin quand ils sortaient danser. Elle avouait voir Blaise une ou deux fois par semaine, suivant ses nuits de travail et les allers et retours du jeune homme entre Londres et New York. Souvent quand il venait dîner en famille au Manoir, il dormait chez elle le soir, ou bien la nuit suivante, et Harry avait constaté que Blaise était toujours ravi de venir mais aussi ravi de partir, même s'il prétendait rentrer à New York.
Alicia paraissait aussi satisfaite de la situation que lui, elle y trouvait quelqu'un qui réponde à ses besoins, dans une relation de confiance qui ne lui demandait pas d'efforts ni d'investissement. Elle gardait toute sa liberté tout en ayant cet homme qui revenait régulièrement dans sa vie, comme un point d'ancrage mais sans enjeux, et malgré ses réticences, elle confiait à demi-mots que plus elle côtoyait Blaise, plus elle appréciait sa personnalité bien cachée sous les faux-semblants.
Harry était heureux parce que tout ses amis étaient heureux. Même Draco qui se débattait depuis le début de la saison avec les piètres résultats de son équipe et les frasques publiques de son attrapeuse, semblait plus serein. Même Matthieu, qui semblait revivre depuis que Charlie était revenu, et comme Lucius le lui avait dit, il ne l'avait plus sollicité depuis sa dernière mission au mois de janvier. Même Mark, qui achevait les préparatifs de son mariage imminent avec fébrilité et une excitation mal contenue qui le rendait encore plus exubérant qu'à l'ordinaire.
La seule ombre au tableau, légère mais persistante, restait le manque de présence de Lucius. Il avait beau faire des efforts régulièrement, ses fonctions ministérielles et européennes lui prenaient beaucoup de temps. Chaque jour, il partait à l'heure où, avant, il se levait habituellement, vers sept heures du matin, et il rentrait en général pour le repas du soir, quand il n'était pas pris par un dîner, une réception ou une réunion tardive. Les déjeuners au Manoir, les siestes après une partie de jambes en l'air impromptue ou les visites surprises pour le simple plaisir d'un câlin ou d'un baiser n'existaient plus et cela manquait à Harry. Il avait envie d'une sortie avec ses amants, d'un week-end en Provence ou tout simplement de vacances à l'autre bout du monde.
Lucius essayait pourtant de se débrouiller pour être présent toutes les nuits et la majeure partie du temps les week-ends. Il y avait bien de temps à autre une invitation qu'il ne pouvait refuser ou une visite diplomatique qui tombait mal, mais la plupart du temps il était là en grande partie le samedi et toute la journée le dimanche. Malgré tout, et il avait beau se raisonner, Harry sentait ce manque comme un mal-être léger, une incomplétude comme lorsqu'il enlevait parfois le bracelet que lui avait offert Lucius, ou bien ses alliances, et que cette sensation de vacuité, d'absence le gênait de manière indéfinissable. Lucius présent, il avait l'impression d'être enfin apaisé.
Parfois, il surprenait Lucius et Severus en grande conversation sur la situation politique du pays mais ils s'interrompaient dès son entrée dans la pièce. Harry ne voulait pas en entendre parler, il ne voulait rien savoir, et ils respectaient cela autant que ses amis. Il ne lisait pas les journaux, ne se tenait pas informé des nouvelles, il sortait peu dans le monde sorcier, et pourtant il avait su les quelques arrestations qui avaient rassuré la population, le calme relatif retrouvé en Angleterre, malgré une nouvelle attaque en Espagne qui avait fait plusieurs dizaines de morts. Il ne voulait pas savoir et pourtant il avait su par Alicia que les six personnes mordues de son service avaient fini par mourir une à une après des semaines de coma végétatif. Il faisait la sourde oreille, mais sans savoir comment, cela l'atteignait quand même. Alors il tournait la tête, il regardait sa fille dormir ou faire son plus beau sourire et il retrouvait sa quiétude tranquille, loin de ce monde inquiétant et agressif.
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Il eut beau ne pas vouloir le voir, Harry sentit le vent tourner. À travers le comportement de Lucius d'abord, qui se montra brusquement plus nerveux, plus préoccupé... Même s'il avait réussi à embaucher un secrétaire un peu plus efficace, il ramenait plus de travail à la maison, parcourait des rapports longs comme le bras ou préparait ses réunions à grands renforts de notes et de parchemins griffonnés. Puis il y eut cette nuit où un elfe vint le réveiller pour un appel de cheminette urgent. Ce n'était encore rien de grave, juste un effet du décalage horaire avec la Roumanie. Peu à peu, les messages urgents devinrent communs, puis fréquents, tout autant que les appels de cheminette à n'importe quelle heure, qui venaient les déranger en plein dîner, en plein sommeil et même jusque dans l'antichambre. À demi-mots, Lucius leur conseilla d'être prudents, surtout Severus qui travaillait sur le Chemin de Traverse et qui voyait tous les jours de parfaits inconnus rentrer dans sa Librairie, et même à lui qui sortait pourtant peu, et plus souvent dans le monde moldu que sorcier... Et puis il y eut cette première fois, où après avoir répondu à un appel au beau milieu de la nuit, Lucius remonta s'habiller décemment et partit pour le Ministère...
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Avec ce chapitre, nous arrivons à la fin de la première partie de l'histoire. Merci à tous ceux qui sont encore là (malgré le chapitre précédent), et surtout, si quelque chose vous heurte ou vous questionne dans l'histoire, n'hésitez pas à venir me le dire, en review ou en dm, qu'on puisse en discuter et éclaircir certains points...
J'en profite pour rappeler que ce Livre 3 est malgré tout plus sombre que le précédent, et que nos trois personnages principaux vont connaître quelques heurts... Sans compter que le lien magique entre Harry et Severus a et aura sur eux des effets particuliers.
On se retrouve samedi prochain, après une ellipse de quelques semaines pour eux et ce sera de nouveau un peu piquant ;)
Au plaisir
La vieille aux chats
