Résumé: Après l'attaque sur le Chemin de Traverse, la situation s'est calmée et Harry a pu prononcer avec Severus un serment d'union magique. Malgré quelques effets mitigés, leur relation finit par se stabiliser. Mais peu à peu, devant le comportement très soucieux de Lucius, Harry comprend que la situation (inter)nationale se tend à nouveau.
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Puisqu'il était seul et que personne n'était là pour le voir, Harry retira ses chaussures d'un coup de talon et allongea les jambes sur le canapé, se tournant à demi pour s'adosser contre l'accoudoir. Un verre à portée de main, un bon feu de cheminée, bien installé dans le canapé... c'était presque comme à la maison. Il ne manquait que Severus derrière lui contre qui s'appuyer et les cuisses de Lucius pour poser ses pieds et il aurait été au comble du bonheur ! Il ricana une seconde de son égoïsme. De toute façon, il pouvait toujours rêver, ses amants étaient de sortie quelque part dans un quelconque dîner, réception ou gala du Ministère et ils allaient sans doute rentrer tard. Aussi tard, vraisemblablement, que Draco et Daphnée dont il surveillait pour l'instant les enfants... Enfin ! Surveiller était un bien grand mot ! Ils étaient couchés depuis bien longtemps pendant que lui se prélassait dans le canapé avec un verre de cognac.
Draco avait eu envie d'une sortie, de se détendre un peu ce vendredi soir et il lui avait envoyé un message pour lui proposer de venir avec lui. Harry avait décliné, il ne savait pas bien pourquoi. Sans doute parce qu'en réalité, il aurait aimé aller à cette réception avec ses amants, ou bien faire une sortie tous les trois sans avoir à se cacher, et que cela n'était pas possible... À la place, il avait proposé à Draco de passer une soirée avec Daphnée et de leur garder les enfants. Cela ne leur était sans doute pas arrivé depuis longtemps et puis il y avait cet abonnement à l'opéra qu'il lui avait offert à Noël... Lucius n'était pas plus disponible qu'avant et si elle n'y allait pas avec Draco, elle n'était pas prête d'en profiter !
Alors Harry s'était retrouvé à dix-huit heures en train de cuisiner dans la maison de Draco des plats indiens pleins de goûts et de couleurs dont les filles raffolaient de plus en plus. Ce n'était pas au Manoir qu'elles risquaient de manger cela ! Avec Scorpius dans les pattes qui voulait absolument participer, Iris qui s'amusait à faire des dessins dans la poudre de curry tombée sur le plan de travail et Minerva qui l'aidait du mieux qu'elle pouvait... ils avaient beaucoup ri, brûlé une première portion de riz, recommencé, il avait nettoyé la cuisine d'un coup de magie tout en les envoyant au bain, ils avaient mangé à s'en faire éclater le ventre puis digéré tranquillement devant la télé, affalés tous les quatre sur le canapé, ou plutôt les trois enfants affalés sur lui... Ils avaient grappillé un peu de temps supplémentaire avant d'aller se coucher – après tout, demain c'était le week-end ! – et puis tout ce petit monde avait cédé à la fatigue, Scorpius le premier, et à présent ils dormaient tous les trois dans leurs lits, épuisés mais ravis.
Harry aussi était ravi. Il n'avait pas l'habitude de s'occuper d'autant d'enfants à la fois mais il avait adoré. C'était vivant, ça bougeait dans tous les sens, tout le temps, il fallait avoir l'œil partout en permanence, il fallait surveiller les objets dangereux, les feux de cuisson, ses paroles, ses gros mots, être prêt à répondre à n'importe quelle question à la seconde, mais c'était un vrai bain d'énergie. Aussi paradoxal que ce soit, il avait passé une excellente soirée, presque trop courte à son goût, et ce câlin collectif sur le canapé après le dîner valait presque un câlin avec ses amants.
Il avala sa dernière gorgée de cognac – Merlin ! À fréquenter Lucius, il avait pris bon nombre de ses habitudes et il préférait maintenant le cognac au whisky... ! – et attrapa le dernier album photo qu'il n'avait pas encore parcouru. Les filles s'étaient rapidement désintéressées de la télé tout à l'heure, elles avaient largement préféré rire avec lui devant ces vieilles photos d'elles-mêmes bébé, des vacances à Torquay ou au Manoir, des photos de leurs parents plus jeunes et même de leurs grands-pères. Harry avait d'abord été ému de tous ces épisodes qu'il n'avait pas vécus avec elles, et puis, devant les anecdotes et les souvenirs qu'elles racontaient, le rire l'avait emporté : cet air étrange de Draco avec des cheveux plus longs, Blaise tiré à quatre épingles qui venait de se faire vomir dessus par Iris toute petite ou bien Lucius arrosé près de la piscine du Manoir...
Harry était avide de ces images de ses amants quelques années plus tôt, un peu plus jeunes, moins marqués, et en même temps si distants l'un vis à vis de l'autre, encore dans le déni public de leur relation, même face à leur famille. Quel gâchis ! Et malgré tout, sur chaque photo, il ne pouvait s'empêcher d'observer leurs visages, leurs regards, leurs attitudes, en remarquant les changements au fil des années : les mèches blanches sur les tempes de Severus, de plus en plus prononcées, ses épaules et ses bras qui se musclaient rapidement, les yeux de Lucius qui s'adoucissaient avec le temps et ses sourires plus présents... Iris et Minerva avaient fini par se moquer de lui en disant qu'il ne faisait que regarder ses amoureux sur les photos et pas elles, et il avait éclaté de rire de cette réflexion si pertinente.
Pour cet album-là, il n'avait pas les commentaires des fillettes mais c'était une période qu'il connaissait mieux... C'était étrange de revoir Scorpius si petit, encore nourrisson alors qu'aujourd'hui il courait partout et parlait de mieux en mieux... Il cherchait des points de comparaison avec Aria : l'âge des premières mimiques, des premiers sourires... et puis ce qui l'attendait dans quelques semaines : se retourner, ramper, tenir assise... De loin en loin, il apercevait ses amants sur les photos, moins présents que dans les autres albums. Et puis lui. À distance de Scorpius. Souvent dans les bras de Severus, parfois de Lucius... Plus personne ne se cachait, alors.
Harry n'aimait pas trop se voir en photo; vieille résurgence d'une adolescence trop médiatique... Pourtant, s'il était honnête, ce qui transparaissait dans ces images, c'était le bonheur. Des sourires, des regards brillants, parfois sidérants d'impudeur dans leur façon d'exprimer leurs sentiments, des attitudes, des gestes, aussi caressants que tendres... L'amour qu'il portait à ses amants sautait aux yeux, autant que celui qu'ils avaient pour lui. C'était doux, c'était beau... Un peu douloureux aussi... et il lui tardait de les rejoindre. La dernière photo était une image de lui avec Aria dans les bras et en train de parler à Severus... Harry étouffa un reniflement et papillonna des yeux tandis que son ventre se nouait d'émotion. Ses amants, sa fille, sa famille... rien ne pouvait être plus parfait.
Il était trop pris dans ses pensées et ses souvenirs car il n'entendit pas Minerva descendre les escaliers et il lui fallut une seconde pour se ressaisir et reprendre ses esprits. Mais aussitôt, son regard affolé, ses joues noyées de larmes, ses bafouillages entrecoupés de sanglots, Scorpius qu'elle tenait contre elle comme un sac et Iris derrière qu'elle tirait par la manche de sa chemise de nuit... avant même de comprendre ce qu'elle disait, Harry était debout, toute magie déployée, et attrapait les enfants contre lui en dressant un bouclier protecteur autour d'eux.
– Harry... y'a des méchants... dans la chambre de Scorpius... j'ai peur...
– J'ai peur ! répéta Iris en sanglotant.
La panique de Minerva avait agi sur lui comme une alarme de survie et lorsque le premier sortilège s'abattit sur son bouclier, ils avaient déjà transplané au Manoir.
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Arrivés un peu secoués dans le Petit Salon, Harry mit quelques secondes à sonder l'endroit autour de lui avec sa magie et à être certain d'être en sécurité. Son premier réflexe fut pour les enfants qu'il tenait serrés dans ses bras, affolés et apeurés.
– Clay ! Sky ! cria-t-il tandis que les elfes surgissaient instantanément. Allume un feu et donne-moi des couvertures !
Entre le choc, la peur et le froid, les enfants tremblaient comme des feuilles mortes.
– Va me chercher des chocolats chauds, fit-il à la maîtresse des cuisines. Un biberon pour Scorpius. Et une potion calmante dans le laboratoire.
Sky disparut immédiatement tandis que Clay s'employait à draper des plaids épais autour des enfants secoués de sanglots. Sorpius ne comprenait sans doute rien mais il pleurait de la panique qu'il sentait autour de lui; en revanche, Minerva craquait complètement à présent que le stress et l'urgence retombaient un peu.
En enveloppant les enfants et en les réinstallant contre lui, Harry échangea un long regard avec l'elfe de maison. S'il ne savait pas encore de quoi il s'agissait réellement, Clay, autant que lui, percevait le danger et la menace.
– Minerva... Minerva ! fit Harry en prenant le visage de la fillette entre ses mains pour happer son regard. Minerva, laisse-moi entrer dans ton esprit. J'ai besoin de voir ce qui s'est passé.
Entre deux sanglots, la fillette hocha la tête et se laissa faire sans résistance. Tandis qu'il pénétrait doucement dans son esprit, Harry tendit la main vers Clay pour partager ce qu'il allait voir. Il n'y avait personne ici plus digne de confiance que cet elfe-là.
Les souvenirs étaient frais, encore embrouillés et rendus confus par la peur, mais la magie de Minerva était accordée sur la sienne et Harry put accéder facilement à ce qu'elle avait vu et vécu avant de dévaler les escaliers avec son petit frère et sa sœur. Tandis que les images passaient vers Clay qui le touchait du bout des doigts, il réfléchit rapidement.
Ce qu'il voyait correspondait à ce qu'il avait confusément perçu en quelques secondes avant de disparaître de la maison de Draco : deux présences menaçantes à l'étage, dans la chambre de Scorpius, avec des auras marquées d'une particularité qu'il remarquait pour la troisième fois. Les deux autres fois avaient été les sorciers qui l'avaient retenu captif et ceux contre qui il s'était « battu » sur le Chemin de Traverse...
– J'ai vu ce qu'il fallait, Minerva, dit-il en la serrant de nouveau contre lui. Tu as été fantastique et je suis fier de toi. Tout va bien maintenant, vous êtes en sécurité... Tout va bien se passer, ne vous inquiétez pas...
Dans le regard de Clay, Harry vit toutes les conclusions qu'il venait lui-même de tirer, et les mêmes inquiétudes. Les immédiates : la sécurité de ses amants et surtout celle de Draco et Daphnée qui n'allaient pas tarder à rentrer chez eux, et les plus lointaines... trop lointaines pour qu'ils puissent encore agir dessus.
Tandis que Sky revenait avec les boissons et la potion qu'il avait demandées, Harry vit Clay redresser la tête.
– Les maîtres sont de retour.
Quelques secondes plus tard, il entendit leurs voix dans le Hall d'Entrée, quelques froissements de manteaux que l'on enlève puis le pas de Lucius dans le couloir. Bon, si ses amants étaient au Manoir, il allait pouvoir retourner là-bas, déblayer le terrain et surtout récupérer Draco et Daphnée à leur retour et les ramener ici. Hors de question de laisser qui que ce soit dans cette maison pas assez sécurisée ! Et il ne savait même pas dans quel état elle était après ce sortilège qui les avait manqués de peu !
D'un signe de tête, Harry demanda à Clay d'intercepter ses amants pour leur expliquer la situation en quelques mots. Il ne voulait pas de ces explications devant les enfants qu'il tentait désespéramment de rassurer. Si Scorpius s'était jeté sans problème sur son biberon et ses quelques gouttes de potion calmante, Iris et surtout Minerva restaient bouleversées et choquées.
Le visage sévère et les sourcils froncés, Lucius fit irruption dans le Petit Salon en faisant sursauter les fillettes.
– Est-ce que tout le monde va bien ? Qu'est-ce qui s'est passé ?!
Questions réflexes puisque Clay lui avait dit l'essentiel mais ce n'était pas important. Derrière lui arrivait Severus avec quelques secondes de retard... il avait dû poser une ou deux question de plus à Clay, alors que Lucius, lui, s'était précipité pour voir ses petits-enfants.
Sans même s'en rendre compte, Harry continuait à parler pour rassurer les filles. D'un bras, il maintenait Scorpius tandis que son autre main tenait le biberon. Iris, glissée sous son bras comme sous une aile, tremblait encore contre lui tandis que Minerva s'était jetée dans les bras de son grand-père.
– Ils vont bien. Tout le monde va bien. Mais je dois retourner là-bas.
Dans l'éclat du miroir posé au sol près de la cheminée, Harry apercevait le visage d'Axaya. Bouleversé, les joues ravinées de larmes lui aussi, il se tenait recroquevillé sur lui-même, les deux bras autour de lui comme pour se rassurer dans une étreinte désespéramment solitaire.
– Il est hors de question que tu retournes là-bas ! s'exclama Severus. Tu ne peux pas lancer de sortilèges ! C'est hors de question !
Ce n'était pas vrai. Severus exagérait toujours tout. Il pouvait lancer des sortilèges, si ce n'étaient pas des sortilèges d'attaque. De toute façon, il n'y allait pas pour ça. Il devait juste ramener Draco et Daphnée vivants au Manoir. Le reste n'avait pas d'importance.
– Severus a raison, trancha Lucius avant même qu'il n'ait pu protester. Tu restes ici avec les enfants et nous y allons tous les deux.
– Tu ne peux pas y aller, s'opposa Harry tout en essayant de faire avaler un peu de chocolat chaud et de potion à Iris. Tu es le Ministre !
– Et je sais me battre ! Oublierais-tu qui j'ai été ?! tonna Lucius. Il s'agit de mon fils et de mes petits-enfants. Tu restes ici !
Harry secoua la tête. Passées les quelques secondes de choc initial, il avait repris tous ses esprits, et Lucius commençait à lui chauffer les oreilles. Et il était le seul à savoir ce qu'il s'était réellement passé et contre quoi se battre. Et c'était lui qui était responsable des enfants et de la sécurité de la maison !
Il ne voulait pas bousculer les enfants mais Harry leva un regard sombre vers Lucius, puis vers Severus. Les yeux dans les yeux, la confrontation dura de longues secondes, chargées d'électricité et de tension. Dans le lien, il sentait Severus user de tout son poids, de toute son influence… de tout son pouvoir sur lui pour l'obliger à obéir. Lentement, le sortilège d'union annihilait sa volonté, son libre arbitre, il se sentait écrasé, étouffé, balayé par l'exigence impérieuse de son amant.
Harry lutta de longues secondes puis devant le mépris implacable de Severus, il abdiqua.
– Je compte sur toi, gronda-t-il sourdement. Et qu'au moins, je ne t'aie pas donné ma magie pour rien !
– Occupe-toi des enfants, fit Severus avec bien plus de douceur. On reviendra avec Draco et Daphnée.
Malgré sa colère, Harry tendit la main à Clay pour lui transmettre assez de magie pour emmener ses amants avec lui.
– Fais-les transplaner directement chez Draco. Dans la cuisine...
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Rapidement, Severus s'éloigna dans le couloir et entra en trombe dans son bureau, suivi par son mari et Clay qui ne comprenait pas la raison de ce délai à leur départ.
– Harry risque de hurler à notre retour, prévint Severus en ouvrant un tiroir de son secrétaire.
– Pourquoi ? s'étonna Lucius.
– Parce que je me suis servi du lien pour l'obliger à rester...
Tandis qu'il ôtait le sortilège de sécurité, Severus vit son mari faire la moue.
– Tu peux faire ça ?! Pourquoi j'ai dans l'idée qu'il n'a pas dû apprécier ça du tout ?...
Severus haussa les épaules. Ce qui était fait, était fait. Il lança à son mari une des deux baguettes récupérées dans le tiroir et le regarda avec un sourire grimaçant.
– Prêt ?
– J'ignorais que tu les avais conservées ! fit Lucius surpris. Mais bien sûr, je suis prêt ! Autant que toi !
L'espace d'une seconde, ils se regardèrent intensément, sans avoir besoin de se parler pour se comprendre. Dans les yeux de son mari, il voyait la même excitation que celle qu'il ressentait, comme autrefois, celle d'avant le combat; la décharge d'adrénaline qui réveille comme un coup de fouet et cette espèce de jubilation de sentir le moment arriver. Ils avaient toujours aimé se battre, et l'un comme l'autre, ils avaient aujourd'hui cette envie de venger ce qui était arrivé à Harry quelques mois plus tôt.
– J'ai fait en sorte que personne ne les trouve après la guerre, ricana Severus. Clay !
L'elfe s'approcha, presque méfiant. Une baguette dans chaque main, une noire et une blanche, ils transplanèrent chez Draco.
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Malgré sa colère, Harry avait pensé à tout en une fraction de seconde et l'aide de Clay était appréciable pour pénétrer directement dans la maison. Sans cela, ils auraient dû arriver sur le perron et ouvrir la porte d'un sortilège, ce qui restait fort peu discret. La cuisine, elle, donnait sur le salon, mais elle était suffisamment en retrait pour y rester invisible si l'on demeurait silencieux.
La première chose qui les accueillit furent de petites plumes duveteuses qui flottaient dans les airs et une odeur de brûlé entêtante. Severus déploya sa magie comme le faisait Harry, sondant l'espace à la recherche de présences magiques. C'était l'occasion ou jamais de tester ses nouveaux pouvoirs et la sensation de sa puissance entièrement déployée était déroutante.
Il avait bien fait quelques duels avec son mari ces derniers mois, en l'absence de Harry, mais cela n'avait pas été très satisfaisant. Leur différence de puissance était devenue significative, trop pour qu'il puisse y prendre plaisir, et il avait toujours cette impression d'être en avance d'une demie-seconde sur ce qui se passait et sur le sortilège que Lucius lançait. Certes, il connaissait sa façon de se battre par cœur, mais il n'y avait peut-être pas que ça.
– Il n'y a plus personne, fit Lucius en baissant ses baguettes.
– Comment... ? fit Severus, surpris de sa rapidité.
Il était arrivé aux mêmes conclusions, bien que sans doute différemment.
– J'ai encore quelques tours dans mon sac, veux-tu ? ricana Lucius.
– Ce n'est pas parce qu'il n'y a personne qu'il n'y a pas de piège...
– Tu as raison.
Voir son mari œuvrer avec deux baguettes en même temps avait toujours fasciné Severus. La dextérité, aussi bien mentale que magique, que cela demandait n'était pas à la portée du premier venu, et Lucius était maître en la matière. Lucius baissa sa baguette habituelle, puis celle qui n'était pas déclarée, et s'avança vers le salon. Ou ce qu'il en restait.
Quelques plumes continuaient de voleter mollement dans les airs, comme une évocation discrète de la neige qui tombait au dehors. En y regardant mieux, l'essentiel de la pièce était intact, mais en lieu et place du canapé se tenait un petit cratère noirci. Des débris de bois, de cuir et de coussins avaient été projetés dans tous les sens et donnaient une impression de capharnaüm et de champ de bataille.
– Eh bien ! s'exclama Lucius. Ils n'y sont pas allés de main morte ! Heureusement que le sortilège de bouclier de Harry est efficace !
– Ils se sont peut-être défoulés en le voyant leur filer entre les doigts...
– Il n'y a qu'un seul impact, fit Lucius en agitant à nouveau sa baguette. Et un seul sortilège lancé dans la pièce...
Severus n'écoutait plus, même si son mari avait raison, son attention était déjà à l'étage, sondant la chambre de Scorpius et tous les sortilèges qui y avaient été lancés. Il devait voir de ses propres yeux et en avoir le cœur net.
– Draco vient de transplaner devant la porte. Va l'accueillir, je monte...
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Au Manoir, Harry avait réussi à apaiser Iris, Scorpius s'était endormi, mais Minerva refusait obstinément de prendre une potion calmante et si elle s'était arrêtée de pleurer, elle tremblait encore des pieds à la tête et son regard traduisait sa peur latente.
– Minerva, prends-en au moins la moitié... Tu sais, il n'y a pas de honte à avoir. Quand je suis revenu, après avoir été capturé par les vampires, moi aussi, j'en ai pris. Tous les jours et pendant plusieurs semaines... Après ce que tu viens de vivre, c'est normal d'en avoir besoin...
Encore une fois, Minerva secoua la tête avec véhémence.
– Non. Je veux pas dormir. Je veux attendre qu'ils reviennent. Tous. Je veux savoir.
Les yeux gris si particuliers de Minerva soutenaient son regard et si Harry devait reconnaître une chose, c'était que ce soir, elle avait gagné le droit de comprendre. Elle n'était plus une enfant. Minerva avait cette intelligence extraordinaire, intuitive, trop en avance depuis toujours, même sur le plan de la magie, et elle méritait la vérité.
– Viens...
Il déposa Scorpius à côté de lui sur le canapé, la tête sur un coussin, et bien couvert par un plaid, et prit Minerva dans ses bras. Il laissa sa magie les envelopper, chaude et rassurante, et il savait combien elle y était sensible. Elle posa le front contre son épaule et recommença à pleurer. Mais quand elle releva la tête quelques minutes plus tard, elle avait enfin retrouvé son calme.
– Je suis fier de toi, tu sais... Immensément fier. Ce que tu as fait... tes réflexes, ta présence d'esprit, ton habileté en sortilèges... c'est ce qui a permis de sauver ta sœur et surtout ton petit frère. Tu as été formidable, Minerva. Et tu seras une grande sorcière... Ceux qui sont venus ce soir avaient sans doute pour but de capturer Scorpius. De l'enlever contre de l'argent, ou pour mettre Lucius en difficulté... Pour lui extorquer une décision qu'il ne veut pas prendre... Ce sont des histoires d'adulte, qui vous dépassent... Qui ne devraient pas vous concerner. Vous devriez avoir le droit d'être encore des enfants et de ne pas être mêlés à tout ça... Mais nous ne pouvons pas tout contrôler.
Harry se tut en se mordant la lèvre. Il divaguait, Minerva n'avait pas besoin d'entendre parler de la cruauté des hommes et de leur manque de scrupules, et pourtant c'était bien le monde qui l'entourait. Elle avait le droit de comprendre ce qui lui arrivait, et pourtant son premier droit était celui d'être insouciante et de rester une enfant... c'était un problème insoluble.
– Je dois... Je dois prévenir Luna et Padma. Et Matthieu.
Il était inquiet. Pour ses amants. Pour Draco et Daphnée. Pour sa fille par contrecoup. Pour tous ses proches. Il restait là, dans l'inaction et l'incertitude, comme était restée Daphnée quand ils étaient tous partis se battre sur le Chemin de Traverse... Il avait ce même sentiment d'abandon et d'inutilité, et pourtant il devait veiller sur les enfants, il devait organiser la maison, il était devenu la femme qui reste au foyer en attendant le retour de son guerrier de mari... Harry ricana avec les yeux brusquement humides. Il ferait ce qu'il fallait, même si ce n'était pas de gaieté de cœur.
– Sky, fit-il en s'adressant aux elfes toujours présents dans un coin du salon. Assure-toi que les chambres des enfants et de Draco soient prêtes, les lits faits, les salles de bains avec ce qu'il faut, etc... Ils vont sans doute rester ici plusieurs jours. Il faudra... aller chercher des vêtements quand on sera sûr que tout est calme, leurs doudous et...
Ils étaient partis en coup de vent, à peine vêtus, pieds nus, sans rien...
– Tout est prêt, Monsieur Harry. J'ai déjà vérifié... Et il reste toujours quelques vêtements au Manoir, pas forcément leurs préférés mais ils auront de quoi s'habiller...
– Bien. J'ai besoin de quoi écrire, et que tu portes des messages à Poudlard...
– J'irai, fit Clay en lui tendant parchemins, plumes et encrier. Il m'est plus facile de transplaner loin.
Harry hocha la tête. Les elfes s'organisaient comme ils le voulaient...
– Alors, fais monter un plateau avec du thé, du cognac, des bricoles à grignoter... Un champurrado pour moi. Tu as envie de quelque chose ? fit-il doucement à Minerva qui secoua la tête. Iris ?
– Encore du chocolat chaud, s'il-te-plaît, fit la fillette à l'elfe de maison.
Harry esquissa un pâle sourire en prenant sa plume. Si les enfants étaient encore capables de réclamer du chocolat, il y avait de l'espoir. Et avec quelques épices et un peu de farine, il n'était rien de plus qu'un enfant.
Rapidement, il écrivit un message aux mères de sa fille pour qu'elles fassent attention toutes les trois... et un autre pour Matthieu et Charlie. Si les menaces d'attaque devaient ressurgir comme à Noël, Poudlard était une cible de choix pour un massacre. Il aurait bien écrit directement à Neville mais il dormait rarement au château depuis son mariage avec Hannah Abbott. Matthieu et son compagnon étaient sur place; ils seraient plus rapides à agir et ils préviendraient le directeur eux-mêmes. Poudlard était bien protégé, mais on n'était jamais trop prudent.
Il hésita à prévenir Mandy et Håkon, mais Lucius le ferait lui-même s'il l'estimait nécessaire. Ce n'était pas de son ressort et Harry ne voulait pas prendre le risque d'empiéter sur la position politique de son amant.
Clay était parti avec les messages. Sky se tenait près de là en servant un chocolat chaud à Iris. Scorpius dormait. Minerva était appuyée contre lui, silencieuse et pâle... Il ne lui restait plus qu'à attendre, en étouffant son inquiétude et sa nervosité.
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– Ils sont là, fit soudain Sky. Tous.
Longuement, Harry se perdit dans le regard de l'elfe de maison avant d'entendre les premiers bruits dans le Hall d'Entrée. Il pouvait y lire le soulagement, l'angoisse qui tombe brusquement, cette même angoisse qui le tenaillait depuis leur départ et qui le faisait se tenir droit. Sans ce maintien, il avait l'impression qu'il allait s'effondrer comme un château de carte. Un ricanement nerveux lui échappa. Il savait qu'ils allaient tous bien, il le lisait dans le regard de Sky comme dans un livre ouvert. Mais avec le contrecoup de l'angoisse qui s'échappait, il sentait brusquement sa propre douleur, les tensions de son corps, son ventre noué, dur comme du bois, et tout aussi brusquement, il eut l'impression que le champurrado ne passait pas et qu'il allait vomir dans la seconde.
– Oh mon Dieu ! criait Daphnée en faisant irruption dans la pièce, toutes larmes dehors. Minerva ! Iris ! Mon Dieu !
Sans crier gare, elle attrapa ses filles contre elle, presque violemment, avant de saisir Scorpius dans ses bras, aussi mou qu'une poupée de chiffons.
– Mon Dieu ! Mon bébé !
– Ils vont bien, fit Harry. Il dort, c'est tout. Ils n'ont rien, ils n'ont pas été blessés. Ils ont eu peur mais ils n'ont rien. Je leur ai donné un peu de potion calmante. Ça va aller...
Son regard passa lentement sur Draco, maître de ses nerfs en apparence mais que son visage trahissait, et qui serrait sa femme et ses enfants dans ses bras dans une étreinte éperdue, puis sur Lucius qui rangeait discrètement dans sa manche deux baguettes, et puis Severus... qui pinçait les lèvres avec un air anxieux mais dont il refusait de croiser le regard.
– Que s'est-il passé ? fit enfin Draco en relâchant ses enfants.
Sa voix vibrait légèrement, un trémolo d'anxiété persistante mêlée de l'émotion du soulagement. Les filles allaient bien; Scorpius s'était réveillé, il avait chouiné devant l'agitation, puis satisfait de retrouver les bras de sa mère, il s'était à moitié rendormi... Tout le monde allait bien.
– Ils étaient deux. Ils ont dû transplaner ou entrer par la fenêtre de la chambre, je n'en sais rien, je n'ai rien entendu...
Sa propre voix s'étranglait plus que de raison et il prit une seconde pour étouffer sa culpabilité sous un soulagement de circonstance. À travers le lien, Severus n'avait pas besoin de savoir ce qu'il ressentait.
– La maison est sous sortilège anti-transplanage, protesta Draco. C'est moi qui me suis chargé de la protéger.
– Je ne sais pas comment ils ont fait. Peu importe. Ils étaient dans la chambre de Scorpius. Minerva s'était levée pour aller aux toilettes, elle les a entendus... Elle a pris une baguette de secours que tu conserves je ne sais où et elle est allée voir. Ils ont fait tomber un jouet, ça les a figés dans le noir quelques secondes, la peur d'être repérés sans doute. Elle a fait léviter Scorpius jusqu'à elle, elle a attrapé sa sœur qui s'était réveillée avec le bruit et elles sont descendues en courant.
Draco était blême, aussi tétanisé que les sorciers l'avaient été dans la chambre plongée dans l'obscurité, et Lucius et Severus n'en menaient pas large non plus en entendant les détails qu'ils ignoraient.
– Minerva ? balbutia Draco. Avec ma baguette ?
– Oui. Elle a même métamorphosé le doudou de Scorpius dans son lit pour qu'il ressemble à la forme d'un corps.
Hébétés, tous regardait la fillette qui venait à nouveau de se jeter dans ses bras en cachant son visage dans son cou. Et à nouveau, Harry déploya sa magie autour d'elle pour la rassurer et la calmer.
– Et après ?
– Après, rien. J'étais en bas, elles sont venues, je nous ai fait transplaner au Manoir.
De nouveau, il dissimula bien sa culpabilité sous des monceaux d'autres sentiments tandis que Severus semblait de plus en plus mal à l'aise.
– Et c'est ça qui a détruit le salon ?! s'exclama Draco.
– Je ne sais pas. Peut-être. Je n'ai pas réfréné ma magie.
Draco allait parler encore mais il fut interrompu par Lucius qui lui tendait un verre de cognac. Il regarda son père un instant sans comprendre puis prit le verre et se laissa tomber dans un fauteuil.
Ce fut une espèce de déclic et chacun finit par s'asseoir, laissant retomber la pression presque physiquement. Scorpius s'était calé contre sa mère, Iris était partie rejoindre les bras de son père, Minerva rechignait encore à le lâcher. Draco avait fini son verre, que Lucius servait à nouveau généreusement et il tendit même un verre plein à Severus.
– La maison était vide quand nous sommes arrivés, fit l'aristocrate pour poursuivre le récit. Le salon dévasté par un sortilège explosif, la chambre de Scorpius un peu sens dessus-dessous, mais tout le reste est intact. Aucun vol, aucune dégradation. Ils venaient pour Scorpius, ils ont échoué, ils sont repartis...
Le silence se fit tandis que les trois hommes buvaient leur verre de cognac. Harry ne buvait rien, il aurait été bien en peine d'avaler quoi que ce soit. Daphnée, en revanche, demanda un verre et l'avala d'un coup d'une façon cavalière et surprenante. Aux grands maux les grands remèdes...
Le silence, l'heure tardive, l'angoisse qui retombait... s'il n'avait pas eu le ventre encore tenaillé de douleurs, Harry se serait presque assoupi, assommé de fatigue et de stress. Baissant la tête, il se surprit à un geste machinal qu'il avait presque abandonné : masser longuement et tenter d'assouplir son annulaire trop raide. Son geste, pourtant, n'était pas passé inaperçu et ses amants avaient les yeux rivés sur ses mains. Est-ce qu'ils observaient ce tic nerveux, son doigt meurtri par sa captivité, ou bien l'alliance sertie d'obsidienne qu'il portait... ? Il n'aurait su le dire, et cela n'avait pas beaucoup d'importance. Mais c'était étrange de constater qu'un morceau de chair infime était symbolique de tout ce qui allait mal dans sa vie.
– J'ai envoyé un message à Poudlard, fit-il pour briser le silence.
Il savait bien que la conversation n'était pas finie. Ils avaient parlé de ce qu'il s'était passé, mais il allait aussi falloir parler de l'après. Ensuite, peut-être qu'il pourrait aller dormir et oublier.
Lucius tourna la tête vers lui, brusquement attentif.
– J'ai prévenu Matthieu et Charlie en leur disant de se méfier et de vérifier les défenses du château avec Neville. Qu'ils soient sûrs qu'il ne puisse rien arriver.
– Tu as bien fait, répondit l'aristocrate.
– J'ai hésité à prévenir Mandy et Håkon mais je ne savais pas jusqu'où tu voulais expliquer les choses...
– Mmh... Je verrai ça demain matin, fit Lucius en jetant un œil à sa montre. Par contre, je vais passer au Ministère pour prévenir le bureau des Aurors. Il faut qu'ils passent la maison au peigne fin au plus tôt...
Sous le regard interrogatif de son père, Draco hocha la tête. Il ne pouvait pas s'exonérer d'une fouille complète de son domicile. De toute façon, il n'avait rien à cacher.
– Je ne ferai pas de déclaration pour l'annoncer, mais je laisserai l'information fuiter dans la presse, prévint Lucius.
Draco haussa les épaules. Sa notoriété lui donnait déjà une vie trop médiatique, il n'était pas à cela près.
– Ton nom sera cité aussi, fit Lucius en se tournant vers Harry.
Il haussa les épaules également. Tant que personne n'allait raconter qu'il avait rendu la magie à Minerva, le reste lui importait peu. Mais avec un sourire cynique, il réalisa avec quelle rapidité Lucius était redevenu l'homme politique et le Ministre qui gérait déjà la suite de la crise.
L'aristocrate acheva son verre de cognac et se leva en les regardant un à un.
– Je vais au Ministère mais je n'en aurais pas pour longtemps. Vous devriez prendre une potion de sommeil et aller vous coucher... Je pense que les chambres...
– Les chambres sont prêtes, dit Harry en tournant la tête vers Draco. Mais si vous préférez, les elfes peuvent installer les lits des enfants dans votre chambre pour cette nuit... Ça les rassurerait peut-être.
– Bon, organisez-vous... De toute façon, il est préférable que vous restiez au moins quelques jours ici. On reparlera de tout ça demain.
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Lucius parti, Harry monta avec Draco et Daphnée pour s'occuper des enfants et tenter de les coucher. Il ne tenait pas particulièrement à rester seul avec Severus...
Minerva vint encore chercher un long câlin dans ses bras pour se rassurer, avant d'insister pour dormir seule dans sa chambre. La fillette ne cessait de l'étonner... Ce dont elle avait été capable dénotait une présence d'esprit et un courage étonnants, elle était secouée mais elle tenait bon, avec un peu de fierté ou de témérité. Avec un sourire, il songea qu'elle ferait une parfaite Gryffondor, au grand dam de son père et de ses grands-pères.
– Si tu en as besoin, tu peux venir me voir quand tu veux, murmura-t-il à son oreille. N'importe quand.
Scorpius s'était endormi comme une masse avec la potion. Iris accepta de se coucher mais voulait rester à côté de ses parents, ce qui était compréhensible. De leurs sortilèges si particuliers, les elfes effacèrent une partie de la cloison qui séparait sa chambre de la leur, et installèrent une veilleuse pour la rassurer.
Dans l'agitation ambiante, Harry se trouva un moment près de Clay qui le regarda avec un regard lourd de sous-entendus.
– Vous êtes en colère...
– Je suis fatigué.
Que savait l'elfe de ses sentiments ? Qu'est-ce qu'il devinait ? Ceci dit, ils avaient raison tous les deux : il était autant en colère qu'il était fatigué. Plus que de la colère, il était peut-être même déçu du comportement de Severus, et il ne voulait surtout pas penser à ça.
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Lucius revint juste à temps pour embrasser les enfants, il glissa quelques mots en aparté à Draco, puis annonça qu'il allait se coucher. Le lendemain, une longue journée l'attendait encore.
Vaguement réconforté par la simple présence de Lucius, Harry se laissa entraîner vers leur chambre, y rejoignant Severus déjà installé sous la couette. Il traîna un peu dans la salle de bains, prit une douche rapide pour enlever cette sensation poisseuse qui lui collait à la peau et finit par se diriger vers le lit. Comme à son habitude, il s'installa au milieu, entre ses deux amants, mais il se mit sur le ventre au lieu de se coller à l'un ou à l'autre.
– Harry..., murmura Severus en tendant une main vers lui.
Le premier mot qu'il lui adressait depuis son retour de chez Draco.
– Tu peux me baiser si tu en as envie. Je me laisserai faire. Tu n'as pas besoin d'utiliser le lien pour m'y obliger.
C'était moche, presque mesquin. Harry avait cru que cela le soulagerait mais ce n'était pas le cas. La réaction de Severus, en revanche, fut épidermique. Il se redressa à demi dans le lit, presque comme un ressort qu'on aurait actionné d'un mot acide et il tenta de protester :
– Arrête ! Je ne ferai jamais...
– Ça suffit ! gronda Lucius d'une voix sourde en prenant Harry contre lui. Ce n'est pas le moment pour ce genre de dispute. On est tous fatigués. Prenez au moins le recul d'une nuit de sommeil !
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De lassitude, Harry sombra assez rapidement malgré les pensées qui tournaient en boucle dans son esprit, mais le sommeil fut de courte durée. Il se réveilla comme il s'était endormi, amer, fatigué et désabusé.
Il se leva en silence, enfila un kimono et sortit dans le couloir. Tout y était sombre et calme. Il aurait voulu ressentir le même calme.
Il n'avait même pas le droit de se plaindre en réalité. En choisissant ce sortilège, il avait su ce qui l'attendait. En fouillant dans les livres anciens, il avait lu bon nombre d'avertissements sur les effets cachés de ces sortilèges d'union, mais c'était aussi ce genre d'union-là qu'il voulait avec Severus. Quelque chose de puissant, qui s'impose à eux avec force et autorité, un lien qui aille au-delà d'une simple promesse... Il savait que leurs positions seraient inégales puisqu'il était celui qui acceptait, il savait que Severus aurait une influence solide, voire une emprise sur lui. Qu'il pouvait avoir un certain contrôle sur ses actions; qu'il serait celui qui dominerait leur couple. Harry avait vu ça comme un gage de confiance, une preuve de tout ce qu'il était prêt à accepter pour son amant... Il n'avait pas pensé que Severus pourrait se servir de ces pouvoirs-là. Il n'avait pas pensé que Severus en était capable.
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– Pourquoi es-tu là ? fit doucement Severus dans l'entrebâillement de la porte. Tu devrais dormir...
Harry tourna la tête sans cesser de se balancer lentement dans le fauteuil à bascule. Il était là parce que l'odeur dans cette chambre, ce parfum de bébé, l'apaisait.
La magie qu'il avait donnée à Severus avait dû lui révéler sa présence... pourtant il faisait encore nuit noire, ce n'était même pas son heure pour aller nager.
– Va-t'en. Je suis trop en colère contre toi, je risquerais de dire des paroles que je regretterai après.
Severus était nu, hésitant sur le pas de la porte. C'était peut-être le moment idéal pour s'expliquer, seuls, mais tout le monde dormait et il ne voulait pas d'esclandre.
Harry ne lui laissa pas le temps d'hésiter davantage.
– Va-t'en. S'il-te-plaît.
Si Severus voulait revenir sur ce qu'il avait fait, s'il voulait lui prouver qu'il respecterait sa volonté sans lui imposer la sienne, cela commençait par accéder à sa demande et ne pas imposer sa présence.
Il hésita encore un instant puis referma la porte en silence.
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Pourtant, Severus aurait dû savoir qu'il mentait. Dans son aura, il avait sans doute perçu davantage de lassitude et de déception que de colère. Presque du découragement. Harry n'avait même pas cherché à cacher ses sentiments...
Il se balança encore quelques instants avant de cesser son geste machinal du pied. Tout ça était ridicule. Ils se débattaient l'un contre l'autre alors que Scorpius avait failli être enlevé. Et il n'avait rien fait pour empêcher cela. Si Minerva n'était pas intervenue du haut de ses dix ans, son presque filleul aurait été aux mains de ceux qui l'avaient torturé et violé et Harry n'imaginait même pas ce qu'il aurait subi.
Merlin ! Si cela s'était produit, il se serait tué.
Et à côté de ça, il fuyait Severus parce qu'il lui avait donné sa liberté et sa confiance absolue, et il n'avait pas pensé que son compagnon s'en servirait contre lui. C'était dérisoire. Ou pas. Il ne savait même plus ce qu'il pensait... Mais c'était en tout cas moins grave que ce qui aurait pu se produire ce soir et qui tordait son ventre d'une culpabilité noire et acide.
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Il s'était sans doute assoupi un moment et le jour pointait à peine quand il descendit à la piscine. Severus était déjà là, nageant si merveilleusement bien dans la pénombre de la rotonde. Quelques éclaboussures discrètes à ses mouvements parfaits, une régularité efficace, un modèle de concision dans le geste... La conscience de sa présence l'arrêta brusquement et Severus releva la tête en passant sa main dans ses cheveux ruisselants.
Harry s'avança, laissa glisser le kimono au sol puis son corps dans la piscine.
– Je veux qu'on parle de ce qui s'est passé hier, Harry...
– Tais-toi. Prends-moi dans tes bras.
Il s'y fit une place impérieuse et Severus referma ses bras autour de lui, plaqués sur son torse. Contre son dos, Harry sentait les tétons de son compagnon, érigés par la fraîcheur de l'air, et plus bas, contre ses fesses, son maillot de bain.
– Harry, il faut...
– Je ne veux pas parler. Je veux que tu m'aimes. Ça suffira.
Il n'avait pas de poids dans leur couple, mais il avait encore sa magie. Il la déploya, jusque dans le corps de Severus, éveillant son désir et son érection en quelques battements de cœur.
– Baise-moi.
Il n'aurait su dire ce qui était du désir, de l'auto-punition ou de la soumission mortifère dans ce qu'il était en train de faire. Il valait mieux ne pas savoir. Ils allaient se taire, ne pas en parler, glisser ça sous le tapis du salon comme si de rien n'était, et reprendre là où tout s'était arrêté. Il ne devait pas se débattre dans le lien, avait dit Clay. Il devait l'accepter et se soumettre pour l'assouplir et pouvoir en jouer. Mais d'abord plier.
Agrippé au bord de la piscine, le plaquant contre le carrelage, Severus le pénétra rapidement. Harry n'eut pas mal mais il n'y avait pas de plaisir non plus. Juste un sentiment d'aigreur devant cette soumission malsaine. Des gouttes d'eau trop salées coulaient sur ses joues au rythme des coups de reins de Severus. Et malgré tout, il avait froid.
Aidé par la magie, cela ne dura que quelques rapides minutes. Severus avait joui. Pas lui. Il s'en fichait, ce n'était pas cela qu'il était venu chercher. Mais tandis qu'il reprenait son souffle, le cœur battant et encore enfoui en lui, Severus nicha son visage contre son cou, sous ses cheveux et le prit véritablement dans ses bras en l'enveloppant comme un cocon. Harry renversa la tête en arrière sur l'épaule de son compagnon et laissa échapper un sanglot. C'était cela qu'il était venu chercher : la tendresse, la tendresse réelle après l'amour. Celle qui contient autant de gratitude que de satiété, autant d'apaisement que de réconfort. Il ne voulait pas parler, il ne voulait pas d'orgasme; il voulait sentir que derrière cette volonté que Severus lui avait imposée à travers le lien, il existait encore des sentiments et de l'amour.
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Harry ouvrit la porte du bureau tout en frappant distraitement.
– Luce ?
Merde. À voir les trois regards se tourner brusquement vers lui, il tombait mal. Lucius fronçait les sourcils, surpris par cette intrusion trop familière sans oser le rabrouer non plus. Mandy lui adressa un large sourire presque sincère et Håkon un simple signe de tête. Une petite réunion impromptue au Manoir après la tentative d'enlèvement de Scorpius... Lucius ne perdait pas de temps.
– Je vais... à Poudlard. Est-ce que tu veux que je transmette un message à Charlie ?
Les pensées se bousculaient sans doute dans l'esprit de l'aristocrate : il voulait voir sa fille et s'assurer que tout allait bien, il voulait parler à Matthieu, il cherchait encore à fuir Severus... Les possibilités étaient nombreuses, et elles étaient peut-être toutes exactes.
Lucius sembla hésiter une seconde mais ils n'étaient pas seuls.
– Dis-lui... dis-lui de m'appeler par cheminette quand il aura cinq minutes... mais qu'il n'y a rien d'urgent. Tu vas chercher Aria ?
– Qui est Aria ? interrogea Mandy avec une curiosité légèrement déplacée.
Lentement, Harry tourna la tête vers elle. La question était presque étrange tant cela lui semblait une évidence.
– Ma fille. Je ne sais pas encore, je vais voir avec elles...
Lucius n'avait nul besoin qu'il précise de qui il parlait, mais Mandy et Håkon étaient encore figés, une expression de surprise mal contenue sur leurs visages. Cela voulait dire que Mark n'avait rien révélé à son mari... c'était étonnant.
Mandy ouvrit à nouveau la bouche – ou bien elle était restée bouche bée – mais aucun son n'en sortit.
– Sois prudent...
Harry acquiesça, salua de la tête Mandy et Håkon et referma la porte. Il ne voulait même pas savoir ce qui allait se dire à l'intérieur.
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Il ne resta qu'une petite heure à Poudlard, le temps de raconter un peu plus en détail que dans ses messages de la veille ce qui s'était passé et le temps de s'assurer que tout le monde allait bien. Le château était paisible : on était samedi et maintenant, certains élèves rentraient chez eux pour le week-end. Avec Neville et les fantômes, tous les professeurs avaient fait le tour des bâtiments pour vérifier les sortilèges de défense, condamner les derniers passages secrets et sécuriser les abords de la Forêt Interdite. Par prudence, Luna et Padma avaient annulé leur sortie prévue le soir-même mais elles lui confiaient malgré tout Aria pour la nuit et la journée du dimanche.
Et puis il y eut cette petite phrase étrange de Luna, lancée pensivement après son récit des événements de la veille.
– Minerva a joué son rôle dans l'histoire... Où en es-tu de ton union avec Severus ? Aujourd'hui, vous avez besoin d'être plus soudés que jamais.
Ces quelques mots eurent un écho étrange dans l'esprit de Harry. En plus des soins aux créatures magiques, Luna était également professeur de divination, et elle avait parfois ces espèces de vision de l'avenir, pas tout à fait des prédictions, mais des ébauches de situations, des certitudes sur ce que devaient faire les uns et les autres. Quand il était revenu en Angleterre, elle avait tout fait pour le faire rester et elle avait contribué à lui faire rejoindre les bras de Severus. Elle avait aussi dit que Minerva aurait un rôle important à jouer dans l'avenir... Sauver son petit frère d'un enlèvement pouvait bien ressembler à ça. En revanche, il ne savait pas d'où elle tenait la certitude que son union avec Severus était importante. Et il ne pouvait pas prétendre qu'il était à l'apogée de leur relation !
Il finit par rentrer au Manoir avec la ferme intention de se mettre au travail. Il avait trop perdu de temps dans ses recherches, il devait avancer plus vite vers une solution.
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– C'est ici que tu te caches ? fit nonchalamment Draco en pénétrant dans le laboratoire.
Harry releva la tête de son chaudron et lui adressa un large sourire.
– Je ne me cache pas... mais je retourne chercher Aria en fin d'après-midi et j'en profite un peu pour travailler avant d'être accaparé par les couches, les biberons et le manque de sommeil !
– Tu regrettes déjà ?
– Pas du tout ! s'exclama-t-il en riant. Mais je reconnais que mes capacités de concentration et de réflexion sont moins bonnes après une nuit passée avec elle !
Draco sourit à son tour, rassuré, et s'approcha lentement des paillasses où bouillonnaient une bonne dizaine de chaudrons.
– Qu'est-ce que tu trafiques ?
– Rien de précis pour l'instant. Je teste juste les réactions de différents ingrédients entre eux...
– Tu testes ?...
– Oui. Je ne peux pas utiliser la belladone dans la potion que je prépare. Du coup, je cherche un équivalent à certaines de ses propriétés et qui soit compatible avec mes ingrédients principaux, expliqua Harry en se penchant au plus près d'un chaudron dont il fit ensuite disparaître le contenu d'un geste de la main. Je fais des essais comparés en quelque sorte. Tiens, mélange donc celle-ci, s'il-te-plaît...
Il désignait du doigt le chaudron à l'extrémité de la paillasse derrière Draco, qui s'approcha avec un regard curieux.
– Combien de tours ? demanda-t-il en prenant une louche. Et dans quel sens ?
– Aucune importance. Jusqu'à ce qu'elle soit violette.
Draco haussa un sourcil surpris puis fit ce qu'il lui avait demandé.
– Ça vire plutôt à l'orange...
– Hum. Tu peux la faire disparaître, grogna Harry.
– Il te reste encore quelques possibilités, tenta de le réconforter Draco en jetant un regard aux chaudrons restants. Je peux peut-être t'aider ? Quels sont tes ingrédients principaux ?
Harry sourit doucement. Draco avait toujours été bon en potion mais il ne pratiquait plus de manière sérieuse depuis des années. L'aide de Matthieu lui aurait été plus utile. Et puis les ingrédients qu'il utilisait...
– Aubépine, feuilles de Welwitschia Mirabilis et Lybia Tessellata.
Draco l'observa de biais avec un regard incertain et grimaça.
– Ok, je déclare forfait et je vais me contenter d'entraîner une équipe de quidditch !
Avec un sourire désolé, Harry se retourna vers ses chaudrons, supprima encore deux préparations qui ne le satisfaisaient pas et réduisit le feu sous les autres.
– Ça doit mijoter encore quelques heures. J'en ai huit qui ont passé la première étape, c'est déjà pas si mal...
– Ta manière de procéder est assez... inhabituelle.
– C'est valable pour plein de choses. C'est ce qui fait mon charme ! gloussa-t-il.
Draco se contenta de sourire puis resta songeur un moment avant de finalement se confier.
– Tout à l'heure, avec Severus, nous sommes allés dans la maison... prendre quelques affaires pour les enfants et pour nous. Leurs doudous, leurs affaires d'école, le courrier... Je vais devoir racheter un canapé et des tapis pour camoufler les traces de brûlures sur le sol, ricana-t-il amèrement. Et passer un peu de temps à remettre le salon en état.
Sous son air impassible, les mâchoires de Draco étaient crispées. Autant que les siennes, sans doute.
– Les aurors sont encore en train de tout examiner... J'ai même eu droit à un interrogatoire complet. Le type de sortilèges que j'avais posés pour protéger la maison, les sécurités, si j'ai reçu des menaces ou si j'ai des ennemis, d'où provenait la baguette que Minerva a utilisée...
– C'était une baguette listée par le Ministère ? s'inquiéta Harry en songeant aux deuxièmes baguettes avec lesquelles ses amants étaient partis la veille au soir.
– Non. Pas du tout. C'est une baguette de secours tout ce qu'il y a de plus basique que j'ai achetée chez le fils Ollivander...
Draco leva brusquement ses yeux gris et durs vers lui.
– Évidemment, ils veulent ton témoignage aussi. Père a bien tenté de les en dissuader mais il ne peut pas s'opposer à certaines choses sans que cela paraisse suspect.
– Je leur dirai ce qu'ils veulent savoir, fit Harry en haussant les épaules. Si tu es d'accord, je peux même leur montrer le souvenir que j'ai pris dans l'esprit de Minerva... Ça évitera qu'ils veuillent l'interroger également.
Draco réfléchit un instant puis hocha la tête. Les enfants étaient assez perturbés par ce qui s'était passé pour ne pas en rajouter.
– Comment vont les filles ? demanda Harry avec un ton un peu pressant.
Il savait que Scorpius et Iris avaient bien dormi mais avec la potion calmante, ce n'était pas étonnant. La nuit prochaine serait peut-être différente...
– Iris, ça va... On en a beaucoup parlé ce matin, dans la chambre. Elle arrive à raconter, à poser des questions... à essayer de comprendre. Elle en parle. Minerva... tu sais comment est Minerva : secrète, trop adulte et trop fière.
– Elle y arrivera, assura Harry. Elle est solide...
Eux aussi étaient passés par des événements traumatisants dans leur enfance... Ils auraient voulu épargner ça aux enfants après eux, mais chaque génération semblait avoir son lot de difficultés à traverser. Et Minerva était bien armée. Et bien entourée.
Harry appuya ses fesses contre une paillasse et essaya de capter le regard de Draco.
– Et toi ? Comment ça va ?
Les yeux gris de Draco étaient insondables, presque fuyants avant d'accepter de rester rivés dans les siens.
– J'ai l'impression d'avoir failli... à mon devoir, à mes responsabilités. De n'avoir pas été assez vigilant. De ne pas avoir été à la hauteur.
La voix restait maîtrisée mais Harry sentait que le contrôle était fragile, et il était rarissime que Draco se confie ainsi sans qu'il ait besoin d'insister. Malgré les apparences, il était éprouvé par ce qui s'était passé et il reportait la faute sur lui-même. Pour d'autres raisons, Harry éprouvait le même sentiment d'immense culpabilité mais il n'était pas question de lui à cet instant.
– Tu n'étais pas là, forcément tu n'as rien pu faire, répondit-il précipitamment. Et pour ce qui est des sortilèges de défense de la maison, tu n'y es pour rien... Je commence à croire que... Ils n'y sont pas arrivés seuls, Draco. Je pense que ce sont les vampires qui les ont aidés à franchir les barrières que tu avais mises. Ils ont la capacité de se déplacer par d'autres moyens que le tranplanage, en utilisant les ombres et les passages entre elles...
– Tu es en train de dire que nous ne sommes protégés nulle part et par aucun sortilège ?! s'alarma Draco. Même ici ?!
Comme son père, Draco avait ce même sentiment que le Manoir était un endroit inviolable, le dernier recours où se réfugier en cas de danger et qu'il aurait toujours cette solution-là pour se mettre à l'abri. Que cette certitude soit erronée était une inquiétude réelle.
– Ce n'est pas aussi simple que ça, sinon ils auraient depuis longtemps tenté quelque chose ici, à Poudlard ou au Ministère... Les vampires peuvent se déplacer à travers les ombres, mais la magie leur est un obstacle important. Elle les empêche de se matérialiser. Que ce soit un sortilège anti-transplanage, un bouclier de défense, ou sans doute d'autres moyens de protection... Lors de l'attaque sur le chemin de Traverse, un vampire est apparu à l'intérieur de mon bouclier mais il n'a rien pu faire d'autre que me parler. Il est resté piégé dans les ombres sans pouvoir apparaître complètement... Et si ma magie n'avait pas été si occupée à tant de choses en même temps, il n'aurait même pas pu faire cela...
– Tu ne m'as jamais parlé de ça ! fit Draco en fronçant les sourcils.
Harry haussa les épaules sans chercher à minimiser ses silences.
– C'était le même vampire que lors de ma captivité. Je n'avais pas tellement envie de reparler de tout ça. D'autant qu'à ce moment-là, ni toi ni ton père n'étiez au courant de...
Il termina sur un geste vague dont Draco devinait sans doute la signification.
– Quoi qu'il en soit, la magie les limite beaucoup, et le Manoir est protégé par beaucoup plus d'enchantements que ta maison. Ce qui est aussi le cas de Poudlard, du Ministère et de bon nombre d'endroits du monde sorcier. Et même passer les défenses de ta maison a dû leur être compliqué car ils n'y sont pas entrés eux-mêmes; ils se sont contentés d'envoyer deux sorciers pour faire le travail... Je ne sais pas comment ils s'y sont pris pour les y faire pénétrer... les sorciers seuls n'auraient pas pu, les vampires non plus... c'est sans doute une combinaison de leurs pouvoirs réunis... Sans doute la raison-même pour laquelle ils se sont associés à des sorciers depuis le début de leurs attaques au lieu d'agir seuls.
– Je ne suis pas sûr que cela me rassure pour autant.
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Un long moment, ils se regardèrent en silence, chacun perdu dans ses pensées, sa propre vision des choses et ses soucis.
– C'est la première fois depuis très longtemps que j'ai peur, avoua Draco sans quitter son regard. Et que je ne sais pas quoi faire...
Gêné, Harry détourna les yeux avec une émotion nouée au fond de sa gorge. Habituellement, Draco était quelqu'un de secret, de fier, qui gardait pudiquement et farouchement ses sentiments pour lui, sans jamais se confier. Le digne fils de son père. Mais cette tentative d'enlèvement l'ébranlait tellement qu'il baissait sa garde devant lui.
– Je sais bien que nous pouvons rester ici quelques jours... même autant de temps que je le souhaiterai. Même si ça vous envahit tous les trois, vous ne direz rien... Mais ce n'est pas notre vie. Nous vivons hors du monde sorcier... Nous avons nos habitudes là-bas, nos voisins, les filles vont à l'école du quartier, elles y ont leurs copines, Daphnée aussi, elle fait même partie de l'association de parents d'élève, elle a son travail... Je ne peux pas leur faire quitter tout ça ! Et pourtant je ne peux pas non plus les laisser aller à l'école et dans la vie de tous les jours sans protection. C'est bien trop risqué et elles sont sans défense !
Était-ce parce que Harry était de nouveau père que Draco avouait ainsi ses inquiétudes ? Parce qu'ils se comprenaient sans avoir à se le dire, parce qu'ils partageaient les mêmes angoisses ?... Si Luna et Padma avaient été moldues, ou même si elles avaient vécu en dehors de cet endroit si protégé qu'était Poudlard, il aurait eu bien du mal à leur laisser Aria, et pourtant il avait toute confiance en elles.
– Daphnée est moldue. C'est moi qui l'ai entraînée là-dedans. Elle n'avait rien demandé à personne et surtout pas à subir les conséquences de ce que je suis, de ce que j'ai été ou de qui est mon père... Rien n'est de sa faute et pourtant elle risque de perdre tout ce qui fait sa vie aujourd'hui. Même ses propres enfants possèdent une magie qui lui sera à jamais inaccessible... Eux, ils pourraient s'adapter au monde sorcier mais elle ?!
Harry était bien incapable de répondre quoi que ce soit. C'était un problème qu'il ne connaissait pas; il avait vécu dans le monde sorcier, ou complètement en dehors. Jamais, il n'avait eu un pied de chaque côté, mais il comprenait les angoisses qu'exprimait Draco. La menace les concernait directement. Ils avaient été attaqués chez eux. La voix de la raison, le besoin de sécurité exigeaient de vivre dans le monde sorcier, à l'abri de la magie, même si Daphnée n'en possédait pas, mais cela voulait dire couper les ponts avec le monde moldu, déraciner ses enfants, sa femme, leur faire perdre leurs amis, leur façon de vivre, leur maison peut-être... C'était un crève-cœur et il n'existait pas de bonne solution.
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– Qu'est-ce qui ne va pas avec Severus ? fit brusquement Draco.
Harry sursauta, surpris. Ses pensées étaient bien loin de Severus, perdues dans un monde de danger et de vampires, de questions sans réponses et de menaces sans solutions.
– Hein ?
– Tu lui parles à peine, voire pas du tout, vous évitez soigneusement de vous regarder, de vous approcher l'un de l'autre... Ne me fais pas croire qu'il n'y a rien !
Même s'ils avaient connu un moment de répit dans la piscine ce matin, Harry avait encore du mal. Mais il allait s'y faire. De gré ou de force.
– Ne t'inquiète pas pour ça, ça va aller, soupira-t-il. C'est juste un passage à vide.
Mais Draco gardait les sourcils froncés et un regard gris inquisiteur.
– Je ne vais pas te faire la morale, vous avez le droit d'avoir des soucis... Mais en ce moment, on mériterait davantage d'être unis que de se déchirer entre nous.
– C'est marrant, ton père m'a fait la même réflexion ! ricana Harry avant de soupirer à nouveau. Je sais. Je vais... faire en sorte que tout aille bien, ne t'en fais pas. Tu peux te concentrer sur Daphnée et les enfants, je vais m'occuper de ça.
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Pour prouver sa bonne foi, et aussi parce que Draco avait fondamentalement raison, Harry voulut aller s'asseoir à côté de Severus qui lisait dans le Petit Salon. Sur le tapis, devant la cheminée, Iris et Scorpius avaient encore ramené la moitié de la salle de jeux et il dut enjamber les personnages miniatures et les animaux magiques, en trébuchant fort peu gracieusement.
Sans trop comprendre l'enchaînement de mouvement, Harry leva les yeux vers Severus à quelques centimètres de son visage. Il s'était levé d'un seul coup et l'avait rattrapé. Il sentait un bras sur ses reins qui l'abandonna pour rejoindre l'autre main nichée dans son cou. Severus lissait les angles de sa mâchoire avec ses deux pouces, ses mains tenant son visage en corolle et ses yeux noirs et profonds rivés dans les siens.
– Je suis désolé.
C'était étrange parce que ce moment aurait dû être très intime, un peu hors du temps, privé, et pourtant Harry sentait le regard de Draco dans son dos, et même une petite main qui tirait le tissu de son pantalon pour lui faire bouger la jambe.
– Harryyy ! Pousse-toi !
Dans le regard de Severus, il voyait son demi-sourire devant le sans-gêne d'Iris. La réalité, c'était aussi cela : des enfants capables de les déranger n'importe quand, trébucher sur un jouet et tomber dans les bras de son amant... mais cela tombait bien. C'était l'endroit où il voulait finir de toute façon.
– Moi aussi, fit Harry à mi-voix avant d'embrasser rapidement Severus et de se décaler sur le côté pour sortir du terrain de jeu d'Iris et Scorpius.
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Malgré tout, cela ne réglait rien et il en était bien conscient. Faire la paix ne signifiait pas poser le problème entre eux et en parler, mais ils en étaient sans doute incapables pour l'instant. Et puis ce n'était pas le moment. En revanche, c'était un premier pas appréciable. Être désolé, c'était déjà se rendre compte que l'incident entre eux était important. Le reste viendrait plus tard. Du moins, Harry l'espérait.
Il finit par s'asseoir dans le canapé, adossé contre Severus qui avait enroulé son bras sur son ventre et il regardait les enfants jouer sur le tapis. Leur imagination sans limite donnait des scènes épiques : un troll miniature combattait un dragon, une troupe de gobelins montés sur des licornes venait à la rescousse de quelques sorciers tandis qu'un peu plus loin, une diligence tirée par des sombrals s'approchait d'une petite maison.
– Là c'est les méchants, expliquait Iris à Scorpius. Il vient pour prendre les enfants et les emmener dans la diligence.
Harry pâlit brusquement, autant que Draco dont il croisa le regard inquiet. Il n'osa rien dire, ce n'était pas son rôle, et il détourna le regard vers le journal entre les mains de Severus. Ce n'était pas en première page mais l'article qu'il lisait parlait d'une effraction et d'une intrusion au domicile de Mr Draco Malfoy, le fameux entraîneur des Harpies, fils du Ministre de la Magie Lucius Malfoy, en présence de ses enfants et d'un ami de la famille... Plus de précisions dans notre édition du soir ! Ne la manquez sous aucun prétexte !
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Aria gazouillait dans son transat quand Harry arriva pour venir la chercher et elle était toujours aussi souriante quand il rentra au Manoir. Le temps de faire un bisou à tout le monde, il monta pour lui donner son bain, suivi par Draco qui montait donner le sien à Scorpius. C'était presque attendrissant d'être ainsi tous les deux, chacun avec son bébé dans les bras et ils se séparèrent sur le palier de l'étage avec un petit sourire plein de connivence attendrie. Dans quelques temps, ils pourraient même leur faire prendre leur bain ensemble, mais pour l'instant, Aria était encore un peu petite face à l'énergie de Scorpius. Mais quand elle tiendrait bien assise...
Quand il sortit de la salle de bains avec sa fille emmitouflée dans une serviette tiède, Harry fut surpris de voir Severus se balancer doucement dans le fauteuil à bascule.
– Qu'est-ce que tu fais là ? Tu voulais quelque chose ?
Son amant le regardait avec cette intensité qui d'habitude le faisait fondre, un discret sourire amusé sur les lèvres.
– Non. Mais j'aime bien t'entendre quand tu es avec elle...
Harry leva les yeux au ciel tout en déposant sa fille sur la table à langer pour l'habiller.
– Non mais tu entends ça ?! N'importe quoi pour essayer de m'attendrir et de me séduire.
Entre ses mains, Aria babillait avec un grand sourire et ses grands yeux sombres qui lui rappelaient bien trop Severus ne le quittaient pas. Pourtant, avec le temps, Harry avait l'impression que ses yeux s'éclaircissaient un peu, tirant davantage sur un vert très sombre que sur le noir. Si elle pouvait au moins avoir ça de lui... ! Lucius disait qu'elle lui ressemblait malgré tout mais il était bien le seul à affirmer cette ressemblance !
– J'ai encore besoin de te séduire ? fit une voix chaude contre son oreille.
Sans un bruit, Severus s'était glissé derrière lui, enlaçant ses bras autour de sa taille et posant son menton sur son épaule.
– Ne me fais pas peur comme ça quand je suis avec elle ! protesta-t-il.
– Parce que je te fais peur ?
La question était à double sens et ils s'en rendaient bien compte tous les deux.
– En tout cas, tu auras toujours besoin de me séduire, esquiva Harry avec un sourire. Rien n'est jamais acquis.
Il avait dit cela sur le ton de la plaisanterie mais personne n'était dupe.
– Je sais, dit Severus avant de l'embrasser dans le cou.
Sous leurs yeux, Aria tendait maladroitement les mains pour essayer d'attraper leurs visages, leurs cheveux, n'importe quel morceau d'eux...
– Elle te ressemble tellement, murmura Severus. Elle est magnifique...
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– Allez, va te coucher dans la chambre, murmura Severus, une main sur son épaule. Je prends le relais...
Harry ouvrit les yeux, brusquement réveillé, avant de percevoir la lueur du jour qui filtrait à travers les rideaux de la chambre d'Aria. Il s'était endormi sur la banquette, recroquevillé sous un plaid et avec un coussin en guise d'oreiller. Il avait déjà dormi dans des endroits bien moins confortables mais il se sentait malgré tout ankylosé, avec un besoin impérieux d'étendre et d'étirer ses jambes. Et en tout cas, parfaitement reposé.
– Je crois... Mais quelle heure il est ? marmonna-t-il.
– Cinq heures et quart, répondit Severus avec un sourire.
Harry fronça les sourcils puis se redressa pour étirer longuement ses épaules et son dos. C'était encore tôt mais il avait bien dormi malgré tout. Et il était brusquement trop bien réveillé pour espérer se rendormir, même dans un vrai lit.
– Je crois qu'elle m'a laissé dormir toute la nuit, murmura-t-il.
Il avait beau chercher dans sa mémoire encore embrumée, il ne se souvenait pas avoir entendu Aria pleurnicher depuis qu'il l'avait couchée. Et à entendre sa respiration un peu lourde à cause de son rhume, elle dormait encore profondément.
– Alors pourquoi tu n'es pas venu dormir avec nous ?
Avec une pointe de culpabilité, Harry comprit très bien ce que sous-entendait Severus : qu'il était encore fâché après lui, qu'il n'avait toujours pas digéré qu'il lui ait imposé sa volonté à travers le lien et qu'il avait boycotté sciemment le lit conjugal. Ce n'était même pas le cas.
– Je me suis allongé après son dernier biberon hier soir... Je pensais qu'elle allait mettre du temps à s'endormir correctement et je ne voulais pas vous déranger toutes les cinq minutes. Mais elle n'a rien dit et je me suis endormi comme une masse.
Il avait peu dormi la nuit précédente aussi, trop bouleversé par la tentative d'enlèvement de Scorpius, par sa culpabilité latente et par sa rancœur contre Severus. La fatigue expliquait peut-être qu'il se soit assoupi sur la banquette... Mais c'était malgré tout la première fois qu'Aria faisait ce qui ressemblait presque à une vraie nuit complète. Vingt-trois heures trente jusqu'à cinq heures et quart, et elle dormait encore... cela changeait des nuits passées à errer dans le Manoir pour la promener, des berceuses dans le creux de la nuit et des pleurs dès qu'il la posait dans son lit.
– Va te coucher, fit à nouveau Severus sans commenter son explication. Je vais descendre nager tant qu'elle dort encore mais si elle se réveille, je m'en occuperai...
C'était devenu fréquent que Severus prenne son relais en fin de nuit, quand Harry avait peu dormi, mais cette proposition l'étonnait toujours. Et l'attendrissait toujours. Voir Severus s'occuper d'Aria était une émotion de chaque instant.
– Non, je vais descendre avec toi...
– Nager ? s'étonna Severus sans aucune malice.
Il aurait pu penser à autre chose de plus sexuel, mais ce n'était pas le cas, et cette presque innocence fit sourire Harry. Severus aussi était gêné par ce qui s'était passé entre eux depuis deux jours, et il ne voulait imposer aucune volonté, aucun désir, aucune envie sexuelle dont Harry ne soit pas à l'origine. Les seules initiatives qu'il se permettait se limitaient à de la tendresse.
– Je vais aller surveiller mes potions, déjà, sourit-il. Le reste, on verra plus tard.
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Les potions maturaient lentement, chacune d'une nuance différente de violet, mais dans l'ensemble l'évolution était bonne et il avait bon espoir de parvenir à quelque chose d'intéressant. Le temps que cela prendrait, en revanche, restait une parfaite inconnue.
Harry remua doucement chaque potion, prit un moment pour relire ses notes et réfléchir aux prochaines étapes, et comme il n'avait rien d'autre à faire et qu'Aria dormait toujours, il traversa le couloir pour rejoindre la rotonde.
Severus nageait mais il s'interrompit dès son entrée dans la salle, sans qu'il n'ait pourtant fait aucun bruit. Était-ce la magie qui lui avait signalé sa présence, ou bien le lien entre eux, Harry n'en savait rien et il n'irait pas poser la question à son amant. De toute façon, les deux étaient intimement associés et Severus usait sans doute de cela de manière globale, sans chercher à détailler l'origine de ce qu'il percevait.
Harry ôta ses vêtements et se glissa dans l'eau comme il l'avait fait également le matin précédent. La veille, il était venu se soumettre à leur lien, affirmer son renoncement malgré sa colère et sa déception; aujourd'hui, ils étaient plus apaisés et il venait simplement rejoindre son compagnon pour un peu de tendresse.
Il n'avait pas l'intention de faire l'amour avec Severus, et c'est pourtant ce qui finit par arriver si l'on appelait faire l'amour ces ébauches de caresses d'une lenteur extrême, ces frôlements précieux et ce besoin de ne faire qu'un.
Harry ne savait même pas s'il avait une érection. Severus ne l'avait pas touché plus bas que son ventre ou ses reins. Il n'y avait pas d'envie sexuelle, il ne ressentait pas de réel désir; juste le besoin de se toucher, de son corps contre le corps de son compagnon, aussi près qu'il était possible. Mais lorsque Severus le pénétra lentement, en écartant avec douceur ses fesses de ses mains, il n'en fut pas surpris.
La progression fut lente, tandis que son compagnon le retenait contre lui d'un bras en travers du torse, puis, une fois en lui, Severus s'immobilisa. Ils restèrent ainsi, sans remuer, ses mains en arrière sur les hanches de son amant et le dos creusé pour que Severus soit le plus loin possible en lui. Ils n'éprouvaient pas le besoin de bouger ou de donner des coups de reins, juste de rester l'un dans l'autre, accouplés.
Le plus étrange, c'était que ce n'était pas la première fois que cela leur arrivait. Rarement, mais à chaque fois quand ils étaient seuls sans Lucius, il arrivait que Severus le pénètre ainsi sans rien faire de plus, sans excitation particulière autre que cette érection, sans désir sexuel qui aille plus loin que quelques caresses pleines de tendresse. Au bout d'un moment, parfois quelques minutes, parfois une demie-heure, Severus finissait par se retirer, sans qu'ils n'aient joui ni l'un ni l'autre, mais ce n'était pas ce qu'ils cherchaient.
Harry soupçonnait un effet du lien qui s'imposait à eux, et cela s'imposait même à Severus. Mais ce n'était pas désagréable, bien au contraire. Ces moments-là, aussi étranges qu'ils soient, les apaisaient et les rapprochaient. Ils en sortaient toujours très calmes, sereins, parfois même somnolents pendant quelques heures, mais cette quiétude entre eux durait plusieurs jours, comme si cet accouplement sans désir sexuel leur permettait de renforcer le lien et que ce lien plus fort les sécurisait.
Entouré par les bras de Severus et son sexe en lui, Harry ferma les yeux en respirant profondément. Il se sentait aussi bien que lorsqu'il allait dans la forêt pour ressourcer sa magie. Severus avait ce même effet de régénération sur lui, puissant, quelque chose qui agissait au fondement même de sa magie et de son être.
Avec un brin de nostalgie, il se demanda si l'accouplement, ou même le sexe, serait possible dans l'autre sens : lui qui pénétrait Severus. Mais au moment même où il se posait la question, il sut la réponse : la domination dans le lien était à sens unique. En réalité, il le savait déjà avant, et en y réfléchissant bien, il n'avait même pas envie du contraire. Cela faisait déjà longtemps qu'il avait cette préférence à être passif pendant leurs rapports sexuels, et le lien n'avait fait que renforcer cela. Il ne se souvenait même plus de la dernière fois où c'était lui qui avait pris Severus... Au moins des mois... Avant leur union, de toute évidence. Mais ça n'était pas très important. Ils étaient là, accouplés, lui dans les bras de Severus, et il se sentait mieux que nulle part ailleurs.
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Un raclement de gorge soudain lui fit ouvrir les yeux. Severus dut faire de même et dans un réflexe, se retira brusquement en lui arrachant une grimace d'inconfort.
Lucius se tenait là, debout près de la piscine, raide et le visage fermé.
– Je dois partir pour le Ministère. Mais je vois que de toute façon, vous avez trouvé à vous occuper !
– Mais ! On est dimanche ! protesta Harry face à ce départ impromptu.
En général, le dimanche était précieux chez eux, souvent la seule journée complète où ils pouvaient se consacrer les uns aux autres...
– Ça n'avait pas l'air de vous gêner quand vous vous êtes levés à l'aube.
… et le seul matin où Severus se levait un peu plus tard, ou se recouchait après sa séance de natation, pour qu'ils puissent profiter d'un réveil tous les trois ensemble. Lucius n'avait visiblement pas apprécié de commencer sa journée par un réveil solitaire dans des draps froids depuis longtemps.
– Et je te rappelle que mon petit-fils a failli être enlevé il y a moins de deux jours. J'ai plus important à faire au Ministère que de rester au Manoir.
Ce « au Manoir » sonnait comme un « avec vous », et Harry serra les dents. Le désaveu et le reproche de Lucius étaient cinglants, et l'aristocrate tourna les talons sans un mot de plus.
– J'irai lui parler, fit Severus en glissant un baiser sur son épaule nouée de tension. Sortons d'ici.
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– Coucou Harry ! fit la voix fluette d'Iris. Qu'est-ce qu'il a, PapiLuce ? Il fait la tête ?
En constatant l'absence de son mari dans la Salle à Manger, Severus poursuivit son chemin jusqu'à son bureau. Harry, lui, contourna la place de l'aristocrate, vide et vierge de tout petit-déjeuner, pour rejoindre la sienne. Du regard, il interrogea Daphnée sur le sens des paroles de la fillette.
– Je ne sais pas, fit-elle avec une grimace désolée. Il avait l'air contrarié... Déjà en se levant, et puis il a reçu un message d'un elfe, et c'était encore pire. Il est descendu vers le sous-sol, et en remontant, il est parti directement au Ministère sans rien avaler.
Se lever seul... Et puis les trouver dans cette position dans la piscine alors qu'il venait de recevoir une mauvaise nouvelle... Harry espérait juste que Severus ait réussi à lui parler avant que Lucius ne disparaisse dans la cheminée de son bureau.
– Et Aria, elle est où ? fit Iris la bouche pleine. Elle dort encore ?
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Après le déjeuner où Lucius n'avait pas reparu, Harry ramena Aria à ses mères, encore tout surpris de pouvoir leur dire qu'elle avait passé une première nuit complète à dormir d'une seule traite. Évidemment, en se réveillant vers sept heures trente, peu après le départ de l'aristocrate, elle avait avalé son biberon avec une faim de loup, mais cette impression qu'elle allait enfin dormir correctement était un vrai soulagement. Il avait passé assez de nuits solitaires dans le Manoir avec sa fille à essayer de l'endormir ! Certainement moins que Luna ou Padma, mais pouvoir dormir avec ses amants toutes les nuits n'était pas de refus.
De retour au Manoir, Harry s'endormit malgré tout sur le canapé dans les bras de Severus, mais cette fatigue-là était due au lien et à cet étrange accouplement le matin même dans la piscine. Sans pitié, et même si elles ne connaissaient pas la raison réelle à sa fatigue, Iris et Minerva se moquèrent joyeusement de lui, et même Daphnée avait un regard pétillant de malice. Severus, pour l'instant, faisait encore bonne figure, mais nul doute que ce soir, après le dîner, il piquerait du nez de bonne heure dans le Petit Salon.
Lorsque Harry sortit de sa somnolence, emmitouflé entre un plaid et la chaleur du corps de Severus, ils échangèrent un long regard plein de tendresse et de complicité. Severus savait très bien pourquoi il s'était endormi, alors même qu'Aria ne l'avait pas réveillé cette nuit... Ils ressentaient l'un et l'autre les effets de l'accouplement, cette sérénité qui venait atténuer, effacer la colère et la déception de Harry. Severus avait utilisé le lien à mauvais escient, pour lui imposer sa volonté contre son gré, il s'en voulait, et le lien faisait en sorte de gommer les plaies faites à sa liberté et à son amour-propre.
Qu'importent les raisons que Harry essayait de décortiquer, qu'importe de savoir si le fait qu'il se soit soumis au lien en laissant Severus le baiser avait satisfait cette union entre eux; l'essentiel tenait dans ce regard qu'ils échangeaient, et dans cet amour qui émanait de Severus et qui l'envahissait à travers le lien.
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Cette petite sieste avait revigoré Harry et il avait envie, et presque besoin, de dépenser cette énergie retrouvée. Seulement, au beau milieu de l'après-midi et avec Draco et sa famille au Manoir, la petite partie de jambe en l'air qui l'aurait bien tenté était inenvisageable. Le demi-sourire de Severus montrait qu'il avait bien perçu sa frustration à travers son aura, mais lui non plus ne pouvait rien y faire.
– Tu veux descendre faire un duel ? murmura-t-il discrètement.
– Tu sais de quel genre de duel j'ai envie, ricana Harry à mi-voix. Et pour le reste, je ne veux pas me battre contre toi. J'ai tendance à me méfier des effets du lien dans ce genre de circonstances, même après ce matin... Non, je pense que j'ai une meilleure idée...
Depuis un moment, il voyait Draco assez nerveux lui aussi. Enfin, pas réellement nerveux, mais avec cette fébrilité à force de rester enfermé dans un lieu qui n'était pas chez lui et où il n'était pas tout à fait libre de faire ce qu'il voulait. Draco avait besoin d'espace et de se défouler.
Harry se leva et embrassa longuement Severus malgré les moqueries un peu jalouses d'Iris. Il allait le quitter pour un moment, la nécessité de réaffirmer son attachement s'imposait à lui... Puis il se dirigea vers Draco à qui il tendit une main pour l'aider à se lever :
– Billard ou quidditch ?
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Draco avait pâli devant sa proposition il se souvenait trop bien de sa réaction quand il l'avait fait monter sur un balai à Noël... et surtout de la raison qui en était responsable. Ils sortirent du Petit Salon, Harry avait envie d'air, Draco avait tout rejeté en bloc, en argumentant à tort et à travers, il avait contesté, résisté, et ils étaient à présent sur le perron du Manoir, avec chacun une veste légère et un balai à la main.
– Tu es sûr que ça va aller ? insista encore Draco.
Harry sourit légèrement. Draco était peut-être plus blême et plus fébrile que lui.
– Écoute, pour l'instant ça va bien. Dans cinq minutes, je serai peut-être en train de pleurer comme une madeleine ou de vomir mon petit-déjeuner, mais pour l'instant ça va. Je ne sais pas ce qui va se passer, j'aurai peut-être des réminiscences, peut-être pas... Mais je suis avec toi et je sais que je peux compter sur toi. En qui je pourrais avoir plus confiance que toi en ce qui concerne le quidditch ? gloussa-t-il.
Bon, il surjouait peut-être un peu son assurance mais dans le fond, ce qu'il venait de dire n'était que pure vérité. Il avait confiance en Draco et il n'aurait pas voulu remonter sur un balai avec qui que ce soit d'autre que lui. Et s'il devait craquer, eh bien c'était la même chose : il avait confiance en Draco, et il n'aurait voulu personne d'autre que lui à ce moment-là.
– Tu veux qu'on y aille à pied et ensuite on voit ? se résigna Draco.
– Non, on va profiter de cette éclaircie avant que le temps tourne, fit Harry. Je passe devant. Si jamais je tombe de mon balai en cours de route, essaie de me faire léviter !
Il plaisantait mais Draco n'avait pas l'air très réceptif à son humour. Harry respira profondément, ferma les yeux une seconde pour ressentir toute la quiétude présente dans le lien et enfourcha résolument le balai. Cela restait une épreuve mais c'était peut-être le meilleur jour pour la tenter à nouveau, un jour où il était serein et apaisé.
Il s'efforça de se concentrer sur le plaisir de voler, décolla en douceur et prit la direction du terrain de quidditch.
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Draco l'avait rejoint, il avait volé à ses côtés en le surveillant du coin de l'œil, puis il s'était posé au centre de la clairière avec grâce et légèreté, son balai à la main en une fraction de seconde.
– Tu es sûr que ça va ? demanda-t-il à nouveau, le visage anxieux.
Harry ne voulut pas mettre pied à terre, peu certain que ses jambes flageolantes soient capables de le porter. Il sourit malgré tout pour faire bonne figure, et continua à voleter en cercle à quelques mètres du sol.
– Quand ça n'ira plus, tu le verras, crois-moi ! En attendant, j'espère que le digne entraîneur que tu es a au moins emmené un vif ?!
– Évidemment ! bougonna Draco. Comme à l'entraînement ?
– Comme à l'entraînement ! approuva Harry avec un large sourire en reprenant un peu d'altitude.
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Il n'y avait pas meilleur moyen de le motiver et il s'était donné à fond, oubliant tout ce qui n'était pas ce vif d'or insaisissable. Harry devait bien avouer que les entraînements lui manquaient. Il n'y participait plus depuis son retour de captivité – et pour cause ! – mais l'émulation, la rivalité contre un adversaire de jeu lui manquaient. Il avait toujours eu l'esprit de compétition... Certes, il jouait au billard régulièrement contre Matthieu ou Mark, mais tout y était maîtrisé, réfléchi, calculé, et en premier lieu ses gestes. Ce n'était pas du tout les mêmes sensations que de se jeter dans un plongeon vertigineux pour attraper le vif, d'avoir le corps tout entier tendu vers un même objectif ou de transpirer sous l'effort en slalomant entre les arbres.
Le vif que Draco avait emmené était un vif pour travailler la concentration et la rapidité : il ne disparaissait jamais, mais le suivre, et encore plus l'attraper, était un vrai défi ! Et il s'en était brillamment tiré !
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Les ailes frétillantes entre ses doigts, Harry atterrit à l'orée de la clairière, lâcha son balai et se laissa tomber au sol, essoufflé et épuisé. Draco se posa rapidement non loin de lui et approcha avec une mine inquiète.
– Ça va ?
– C'était génial ! fit Harry avec un sourire jubilatoire en tournant la tête vers lui. Je suis mort !
– Petite nature, va ! ricana Draco, rassuré.
Il paraissait bien moins fatigué que lui et ses cheveux blonds étaient à peine décoiffés. Les siens étaient plus que jamais en bataille, il était couvert de sueur et il avait du mal à reprendre une respiration normale. Il manquait d'exercice de toute évidence, s'il n'était même pas capable de rivaliser avec Draco sans être au bout de sa vie !
– J'ai besoin d'une sacrée douche ! gloussa Harry. Et d'un bon massage !
– Remets plutôt ton pull avant d'attraper un coup de froid ! le sermonna Draco. Pour le reste, tu demanderas à Severus !
Harry étouffa un ricanement devant l'attitude paternaliste de son ami, mais aux entraînements de quidditch, Draco avait toujours eu ce même comportement envers ses joueuses... et envers lui ! Protecteur et soucieux de leur santé au point de parfois en devenir un peu pénible. Pour éviter une nouvelle remontrance, Harry se servit de sa magie pour se sécher, mais il n'allait certainement pas salir son pull en cachemire ! Déjà qu'il avait sacrifié sa chemise en s'allongeant à même le sol sur l'herbe humide !
Il se redressa et s'assit avec ses bras autour de ses genoux. Draco n'avait pas l'air essoufflé mais il était malgré tout assis par terre, adossé contre le tronc d'un arbre et Harry était certain de lui avoir donné du fil à retordre !
– D'ailleurs, ça a l'air d'aller mieux qu'hier, entre toi et Severus, fit remarquer Draco, en posant une question sans en avoir l'air.
– Oui... Je t'avais dit que ça ne durerait pas.
Harry ferma les yeux une seconde, cherchant en lui la sensation soyeuse du lien, encore puissante mais qui s'affaiblirait au fil des jours jusqu'au prochain accouplement.
– J'ai du mal à comprendre comment vous fonctionnez, avoua Draco. Aussi tendus l'un contre l'autre un jour, et aussi... « proches » le lendemain...
Une seconde, Harry hésita à lui parler du lien qui l'unissait à Severus, mais il se mordit la langue pour s'obliger à se taire et changea de sujet.
– C'est vrai qu'avec Daphnée, je ne vous ai jamais vus... fâchés.
– Daphnée est quelqu'un de très doux, répondit aussitôt Draco. Et avec un caractère bien plus souple que Severus...
– Ravi de voir que tu considères aussi que le problème vient de Severus ! ricana Harry.
– Ne me fais pas dire ce que je n'ai pas dit, sourit Draco. Tu n'es certainement pas innocent dans ce qui s'est passé entre vous ! Mais Daphnée, même si elle n'est pas d'accord avec moi, ne le montrera pas, n'élèvera jamais la voix, et surtout elle ne me contredira pas en public. Ce qui ne veut pas dire qu'elle n'argumentera pas en privé jusqu'à obtenir gain de cause !
Harry laissa échapper un rire léger. Daphnée n'était pas dénuée de caractère, loin de là, mais elle aurait été formidable pour travailler dans la diplomatie. Son calme et sa persévérance auraient fait des merveilles.
– Ceci dit, ça me rassure de savoir que tout n'est pas toujours parfait entre vous, dit-il.
Draco se contenta de sourire, même si dans ses yeux gris brillait une certaine fierté. Daphnée n'était pas une sorcière mais elle avait gagné le respect de tous, et ils formaient un couple bien plus uni que la plupart des couples sorciers.
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– Et quand ce n'est pas avec Severus, c'est avec mon père que ça ne va pas, insista Draco après un silence. Qu'est-ce qui se passe ?
Harry détourna les yeux, légèrement mal à l'aise. Toute la journée, il avait tout fait pour occulter de son esprit le regard que Lucius leur avait lancé en tournant les talons le matin même pour partir pour le Ministère. La culpabilité revenait en force, plus intense à mesure que les heures passaient sans le retour de l'aristocrate.
– C'est... difficile à expliquer, fit-il à mi-voix. Le dimanche, entre nous, c'est un peu... « sacré ». C'est le jour de la semaine où ton père évite vraiment autant qu'il peut les obligations du Ministère. Il essaie de préserver ce jour-là pour qu'on soit ensemble... En particulier le dimanche matin. Je ne te fais pas un dessin pour t'expliquer les raisons, je suppose...
En réalité, il ne s'agissait pas toujours de sexe. Déjà, c'était devenu bien plus compliqué depuis qu'il gardait souvent Aria le samedi soir mais ce qui comptait presque davantage pour Lucius était de pouvoir se réveiller avec eux, traîner un moment au lit, prendre le temps d'un peu de tendresse tous les trois, et parfois, quand Aria était là et rechignait à dormir, Harry l'emmenait avec eux dans le lit et c'était l'occasion d'un grand câlin collectif.
Il soupira, pas très fier de ce qu'ils avaient fait avec Severus.
– Ce matin, Severus et moi, on s'est levés avant Lucius... Et quand il est descendu dans la rotonde pour nous dire qu'il partait pour le Ministère, il nous a trouvé en train de...
Harry se mordit la langue pour s'obliger à se taire. Présenté comme ça, ça semblait encore plus sordide que la réalité, mais il ne pouvait pas expliquer l'accouplement à Draco. Il n'aurait même pas su quoi en dire.
Draco, en tout cas, le jugeait avec un regard qui exprimait autant de condamnation que de sévérité. Et Merlin savait qu'il n'avait pas besoin de ce regard pour se sentir coupable !
– Écoute... ce n'est pas ce que tu crois. J'aime Lucius autant qu'avant, et c'est la même chose pour Severus, mais... Lucius est Ministre. Ses fonctions l'accaparent énormément. Nous le savions, et lui aussi... mais mécaniquement, il est beaucoup moins présent, et... Severus et moi avons un lien particulier.
Harry soupira, perdu et ne sachant plus quoi penser. Personne n'était censé savoir, et pourtant il aurait bien voulu en parler à quelqu'un qui connaissait autant Lucius que Severus. Mark avait été dans le secret parce qu'il était là le premier jour – il avait même subi les effets secondaires du lien nouvellement créé – mais il n'était pas proche de Severus. Et ses connaissances en magie n'étaient pas aussi pointues que celles de Draco.
– Severus et moi avons prononcé un serment d'union magique, fit-il dans un souffle.
Draco ne laissa rien paraître de sa surprise, dans une maîtrise digne d'un Malfoy, mais la froideur de sa voix tomba comme un couperet.
– Et mon père est au courant ?
– Bien sûr que ton père est au courant ! s'offusqua Harry avec un regard outré. Il est au courant de tout depuis toujours ! Il était présent à la cérémonie d'union ! C'est même lui qui m'a offert les alliances que je porte !
Le silence entre eux s'éternisa plusieurs minutes, aussi fraîches que l'air ambiant. Harry posa son front sur ses bras qui ceinturaient ses genoux, brusquement fatigué et plein d'une tristesse infinie. Lucius lui manquait, autant qu'à Severus, et ils n'étaient même pas capables de savourer les moments où il était présent. Et les derniers mots qu'il leur avait dits ce matin n'étaient que des reproches voilés, certes complètement justifiés, mais c'était les derniers mots qu'ils s'étaient dits avant de se séparer. Si par malheur, ils ne se revoyaient plus jamais, ils se seraient quittés sur ça... Harry secoua la tête pour chasser ses pensées morbides avant de tenter de se justifier.
– Severus avait besoin de cette union... Il avait besoin d'être rassuré, il a toujours craint mon départ, que je disparaisse un jour sans laisser de traces, et quand j'ai disparu pendant deux semaines entre les mains des vampires, ça n'a fait que raviver cette angoisse. Il avait parlé de cette union avec Lucius avant même de me le proposer. J'ai mis du temps à accepter...
Lentement, Harry releva la tête, croisa une seconde le regard attentif de Draco avant de tourner la tête pour la poser sur ses poignets entrelacés.
– Le sortilège qui a consacré notre union est puissant, encore davantage parce que Severus et moi possédons une magie puissante. En dehors des aspects évidents, nous en découvrons le fonctionnement petit à petit. Ce qu'il nous est possible de faire... ce qui nous heurte... ce qui nous unit davantage. Il a induit un lien particulier entre nous, une espèce de communication implicite, muette, des besoins... Vendredi soir, quand j'ai débarqué au Manoir avec les enfants après l'attaque, Severus s'est servi de ce lien pour m'empêcher de retourner te chercher. À travers le lien, il peut m'imposer sa volonté dans une certaine mesure... C'est pour cette raison que nous étions en froid hier. Je n'ai pas apprécié... ce qu'il a fait. Même si ça ne partait pas d'une mauvaise intention en soi. Et le lien a aussi d'autres ressorts pour nous réconcilier...
Dans son esprit et au fond de son cœur, le lien était encore chaud, vibrant d'amour et de tendresse, et Harry y puisa un peu de réconfort.
– Ce sortilège d'union est trop puissant pour que je puisse me lier à une autre personne, poursuivit-il. Lucius était déjà marié avec Severus, et lié à lui par un sortilège d'union mineur... Pour ma part, je lui ai fait une promesse, qui n'est pas consacrée par la magie, mais qui à mes yeux, est aussi symbolique qu'un serment magique. Ton père n'a jamais été mis de côté ! Du moins, nous ne l'avons jamais voulu ainsi.
Harry soupira. Draco l'écoutait en silence, mais en réalité, il parlait à présent plus pour lui-même, pour mettre ses idées au clair et tenter de comprendre, que pour lui expliquer la situation.
– Parfois, il arrive que le lien nous incite à une plus grande proximité, Severus et moi, mais nous essayons de faire en sorte que ce ne soit pas au détriment de Lucius. Nous essayons de lui consacrer d'autres moments, que ce soit équitable... D'être avec lui dès qu'il est là, puisque de fait, nous passons déjà plus de temps tous les deux ensemble... Mais je suppose qu'après l'incident de vendredi soir, le lien avait besoin d'être réaffirmé entre Severus et moi... que ton père soit présent ou pas. Et nous ne pouvons pas toujours contrer les effets du sortilège.
– Mais comment Severus a-t-il pu t'imposer sa volonté vendredi soir ? interrogea Draco, les sourcils froncés. Comment est-ce que c'est possible ?!
– C'est une magie ancienne. Le lien m'oblige à une certaine... soumission vis-à-vis de lui, avoua Harry en continuant à fuir le regard du jeune homme. Il peut me contraindre à lui « obéir »... mais Severus n'était pas censé se servir de cet aspect-là de l'union.
Draco secoua la tête avec un air réprobateur.
– Vous avez été jouer avec des sortilèges d'une autre époque, que même les familles de Sang-Purs les plus rétrogrades n'utilisent plus ! Et vous vous plaignez maintenant des conséquences ?! Ce genre de sortilège était destiné à briser les épouses rebelles ! Et généralement à les déposséder de tous leurs biens, quand ce n'était pas de leur magie ! Plus personne ne se risque à cette magie-là de nos jours ! Sans compter que c'est tellement exclusif que vous êtes liés jusqu'à votre mort et que mon père finira complètement mis de côté !
Ce qui avait été un serment d'amour paraissait si sale et si humiliant dans la bouche de Draco... Harry avait envie de pleurer.
– Ce n'est pas aussi sordide que ça, Draco, tenta-t-il de se défendre. Severus regrette ce qu'il a fait... Et le lien qu'il y a entre nous est un vrai soutien. C'est quelque chose de précieux, malgré les inconvénients. Tu ne peux pas...
Il se tut, la voix trop peu assurée pour pouvoir continuer. Dans le lien, il percevait maintenant l'inquiétude de Severus, sans doute devant son changement d'humeur, et face à lui, Draco pinçait les lèvres, conscient de l'avoir blessé.
– Laisse tomber, veux-tu... Fais juste en sorte qu'ils ne sachent pas que je t'en ai parlé. S'il-te-plaît.
Harry se leva, ramassa le balai et attira vers lui son pull posé sur une branche un peu plus loin.
– J'ai besoin d'une douche. Je vais rentrer... Merci pour cette partie.
– Harry...
– Je te retrouve là-bas, fit-il en enfourchant son balai et en décollant rapidement.
Il n'y avait que quelques dizaines de secondes de vol jusqu'au perron du Manoir mais, plus qu'à aucun moment depuis tout à l'heure, il se rendit bien compte de ce qu'il avait entre les mains. De façon sordide et involontaire, il superposait ses souvenirs, ou plutôt ceux du vampire, à ce manche qu'il tenait, il voyait son cul, son corps, au bout de ce morceau de bois, il le voyait entrer et sortir entre ses fesses, toujours plus loin, toujours plus douloureux, et pourtant ses pensées semblaient amorphes. Il n'avait en tête que les mots que Draco venait de prononcer, cette façon de rabaisser le lien qui l'unissait à Severus, cette humiliation et toute la culpabilité qu'il ressentait vis à vis de Lucius.
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Severus avait dû le sentir approcher, lui et son aura tourmentée, car il sortit du Petit Salon pour venir à sa rencontre et le prendre dans ses bras. Harry posa son front contre le torse de son amant en fermant les yeux. Ici, le lien était plus fort que jamais; il se sentait déjà plus calme et ses souvenirs étaient plus lointains. Il n'en avait pas eu conscience mais il respirait mieux.
Quand il entendit les pas de Draco derrière lui, il se redressa et affronta le regard sombre de Severus.
– Je vais dans mon « bureau » quelques minutes... Et après prendre une bonne douche.
Severus n'était pas dupe : s'il allait dans la forêt, c'est qu'il avait besoin de ressourcer sa magie et de s'apaiser. De toute façon, il devinait sans doute encore davantage à travers son aura.
– Je te rejoins, acquiesça-t-il avant d'intimer à Draco, d'un signe de tête, de le suivre dans son propre bureau.
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Severus referma la porte derrière lui et jeta un sort de silence sur la pièce.
– Qu'est-ce qui s'est passé ?
Draco se tenait à quelques mètres de lui, les bras croisés, et peu satisfait de se voir ainsi « convoqué » comme un élève devant son professeur. Ils avaient été dans cette position il y a des années, mais ce n'était certainement plus d'actualité.
– Il n'a pas réussi à voler ? insista Severus.
Cette fois-ci, la surprise de Draco l'emporta sur sa colère.
– Bien sûr que si ! C'est même lui qui a attrapé le vif !
– Alors pourquoi était-il si bouleversé ? Il a eu beaucoup de réminiscences ?
– Il n'en a pas eu, à ma connaissance.
– Je peux t'assurer que si, affirma Severus sans pouvoir s'empêcher de grimacer. Et en particulier en revenant vers la maison.
Même lui se serait bien passé des images qu'il avait perçues en serrant Harry dans ses bras.
La surprise de Draco en tout cas, et ses réponses, paraissaient sincères, même s'il taisait autre chose. En revanche, il l'observait d'une drôle de façon qui mettait Severus vaguement mal à l'aise. Quoi qu'il en soit, si Harry avait pu voler, c'était une bonne nouvelle, même si les souvenirs traumatiques étaient sans doute indissociables.
– Tout s'est bien passé pendant qu'on jouait, finit par expliquer Draco. Il a même été brillant en vol ! C'est ensuite, pendant qu'on discutait... J'ai peut-être émis un jugement un peu rapide qui l'a blessé.
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Tandis que Severus et Draco disparaissaient dans le bureau derrière lui, Harry poursuivit son chemin dans le couloir. Il était soulagé d'échapper à cette discussion, il n'avait pas besoin d'une nouvelle confrontation avec Draco pour l'instant. En revanche, il aurait bien voulu de la présence de Severus... il avait envie du réconfort du lien et il avait aussi envie d'être touché...
Il s'arrêta un instant devant la porte qui le séparait de sa forêt, ressentant toute la magie qui se cachait derrière, mais il ressentait aussi la présence d'une autre magie à quelques pas de là. Il franchit les cinq mètres qui le séparaient de la porte du bureau de Lucius et frappa doucement.
– Oui ?
Harry prit ça pour une invitation à entrer et pénétra dans le bureau qu'il connaissait maintenant si bien. Lucius était là, assis dans un fauteuil du salon devant la cheminée, plus pensif qu'irrité, un verre de cognac à la main. Sur la grande table de travail, juste à sa droite, Harry apercevait tous les dossiers sagement empilés qui attendaient le retour de Mark demain matin et en face, légèrement décalée sur le côté, se trouvait la chaise où il se mettait lui pour venir travailler en compagnie du jeune homme. Il lui tardait presque d'être à demain pour le revoir...
– Je ne savais pas que tu étais rentré...
Lucius éluda d'un geste de la main qui agita légèrement le fond de liquide dans son verre.
– Tu es là depuis longtemps ?
– Assez pour boire un cognac...
Le ton de l'aristocrate n'était pas froid, juste un peu lointain, pris dans ses réflexions.
Harry s'approcha, hésitant et à nouveau envahi de pensées douloureuses. Se glissant derrière le fauteuil de son amant, il enlaça son torse et nicha son visage dans son cou.
– Je suis désolé, murmura-t-il. Pour ce matin...
Lucius posa une main réconfortante sur ses bras et mit quelques secondes avant de répondre.
– Oh ! Ça... C'est pas grave. Je devais partir de toute façon. Même si vous aviez été là, je n'aurais pas pu profiter de vous très longtemps. Tu ne t'es pas fait du souci pour ça toute la journée, au moins ?
– Un peu...
Lucius leva la main pour la glisser dans ses cheveux tandis qu'il embrassait la peau douce de l'aristocrate, dans le creux juste sous son oreille.
– Viens là, fit son amant en l'attirant devant lui. Je ne t'ai pas vu de la journée...
Lucius avala le fond de son verre, le posa sur la table basse en se relevant à demi et l'entraîna sur le canapé pour qu'il puisse s'asseoir à côté de lui. Niché contre lui, plutôt... le bras de l'aristocrate autour de ses épaules.
Voilà qui était bien mieux. Lucius était là, il n'était pas fâché et ils étaient dans les bras l'un de l'autre. Il l'embrassa même tendrement, et ses lèvres avaient un goût de cognac.
– Tout s'est bien passé avec Aria, ce matin ?
– Oui, fit Harry avec une ébauche de sourire. Elle n'avait jamais aussi bien dormi la nuit ! Et elle a été adorable jusqu'à ce que je la ramène à Poudlard...
– J'arriverai peut-être à la voir un peu plus longtemps demain soir, fit Lucius avec une pointe de regret.
Sur leur droite, la porte s'ouvrit à nouveau doucement. Tout à sa joie de revoir son amant, il en avait oublié Severus qui parlait avec Draco, et dont les sourcils froncés se déridèrent rapidement en le voyant souriant. À moins que ce ne soit son aura et le lien qui lui indiquaient le retour d'une humeur plus sereine.
Severus s'approcha d'eux, glissa un bras autour de leurs deux épaules et les embrassa tour à tour, avant de revenir embrasser plus longuement son mari. Dans le lien, Harry sentait sa joie et son amour, et tandis que le baiser s'éternisait, presque indécent de volupté et de désir, il caressait doucement le ventre de l'aristocrate.
Peu importait l'avis de Draco et de tous les autres, peu importaient les critiques, les soupçons, les jugements... c'était comme ça qu'ils s'aimaient tous les trois, et qu'ils continueraient à s'aimer. Ce n'était peut-être pas parfait tous les jours, il arrivait parfois des hauts et des bas, des anicroches et des disputes, mais ils s'aimaient et personne ne pourrait leur enlever ça.
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Ce soir-là, ils montèrent se coucher de bonne heure, laissant dans le Petit Salon un Draco particulièrement silencieux depuis sa conversation avec Severus, et une Daphnée amusée de leur manège. Severus était fatigué ceci-dit, il n'avait pas dormi depuis l'accouplement, mais ils avaient surtout besoin de se retrouver tous les trois seuls.
Et ce soir-là, ils s'aimèrent avec passion.
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La tête penchée et le menton sur son torse, Harry laissa échapper un gémissement qui répondait au gémissement de Severus. De manière saccadée, il abaissait ses cuisses puis se relevait, faisant claquer ses fesses sur le bassin de son compagnon. Le sexe en lui le remplissait d'une manière si délicieuse qu'il n'en pouvait plus de râles de plaisir et de halètements désordonnés.
Derrière son dos, Lucius était le seul debout, au bord du lit, son sexe profondément enfoncé entre les fesses de son mari. Les coups de rein qu'il donnait secouaient Harry autant qu'ils secouaient Severus. Ils étaient trempés de sueur. Il voulait jouir.
Il sentit la main de Lucius sur son épaule l'inciter à se redresser et son front humide quitta le torse de Severus. Il se releva, se cambra en arrière pour poser ses cheveux emmêlés contre le torse de Lucius. La main aux longs doigts fins parcourait sa peau moite, les arabesques sombres qui luisaient sur son torse et remonta délicieusement sur sa gorge offerte.
– Je t'aime, murmura l'aristocrate à son oreille. Je veux qu'on jouisse tous les deux en toi...
Un long frisson parcourut Harry. Lucius avait cette même voix, cette même façon de parler que lorsqu'ils étaient tous les deux dans l'antichambre. Le respect, et malgré tout l'ordre.
La main repoussait déjà son dos pour qu'il se penche en avant tandis que Severus l'entourait de ses bras. Il ne put s'empêcher de gémir d'appréhension et de serrer les fesses lorsqu'il comprit. Le sexe de Severus était toujours en lui, mais celui de Lucius se pressait doucement au bord de son anus déjà bien dilaté.
– Détends-toi. Laisse-toi aller... Ne résiste pas à la douleur, laisse-la couler en toi...
Les mêmes mots que dans l'antichambre. Harry respira profondément tandis que Severus caressait son visage. D'un mot, il pouvait tout arrêter s'il avait trop mal. Et dans le lien, il sentait tout l'amour et le désir de Severus.
Lentement, il sentit la pression s'accentuer, les tiraillements devenir plus intenses et il s'efforça de se détendre. Il n'avait pas peur de saigner ou de se déchirer, ces peurs-là étaient anciennes. Il avait peur de la douleur, un peu, et puis de ne pas y arriver. Et pourtant la curiosité et l'envie étaient là.
Quelquefois déjà, il avait regretté de ne pas être une femme, de ne pas avoir cette anatomie qui permettait de les recevoir tous les deux en même temps. Ils avaient d'autres solutions pour s'aimer tous les trois, d'autres positions, mais depuis son union avec Severus, depuis qu'il n'était que passif, les possibilités avaient réduit. S'ils voulaient le posséder tous les deux, ils devaient le faire chacun leur tour ou bien utiliser sa bouche, mais il aimait rarement s'offrir des deux côtés en même temps... Mais ça...
L'intrusion prenait lentement de l'ampleur. Severus ne bougeait pas ses hanches, le laissant se concentrer sur le fait de se détendre. Seules ses mains le caressaient, aussi rassurantes que les sentiments dans le lien. Harry gémissait, le souffle court. Lucius jeta à nouveau un sortilège de lubrification, et brusquement il fut à l'intérieur.
La sensation de remplissage était énorme, et une fraction de seconde Harry paniqua, avant de percevoir les mains de Lucius qui caressait ses reins et ses fesses, et ses mots d'encouragement qui n'avaient pas cessé mais qu'il n'avait pas entendus.
– Tu es magnifique... tellement magnifique... Et je suis si fier de toi... Tu es capable de nous aimer si fort... de nous combler tous les deux en même temps...
C'était la première fois que ce genre de paroles s'invitaient dans leur chambre à coucher plutôt que dans l'antichambre. Ce n'était pas déplacé, mais cela restait étrange. Aussi surprenant et inédit que de les avoir tous les deux en lui en même temps.
Severus fut le premier à bouger, maîtrisant difficilement son impatience, et son mouvement de hanches arracha un gémissement de plaisir à Lucius. Ce n'était pas douloureux, même si la sensation était démesurée. Puis ce fut Lucius qui prit les commandes et il commença un va-et-vient lent au début, puis de plus en plus rapide à mesure qu'il voyait que Harry le tolérait.
Les gémissements emplirent à nouveau la chambre, aussi intenses pour chacun d'eux. Le plaisir montait de manière vertigineuse, même pour lui. Il était pris entre deux corps qui l'aimaient à grands coups de rein, il était écartelé par leurs sexes, comblé par leur amour, la main de Severus le masturbait férocement tandis qu'il se retenait, les mains crispées sur les draps, il était submergé d'émotions et de plaisir et il voulait les sentir jouir en lui, tous les deux, il voulait leurs spermes mêlés au fond de son ventre, il voulait leur appartenir corps et âme, tout entier, à eux.
Lucius explosa sur un cri de plaisir pourtant inhabituel chez lui, immédiatement suivi par Severus qui poussa un grondement rauque en donnant à nouveau quelques coups de reins pour se vider au fin fond de ses chairs, et quand il les sentit se déverser en lui, Harry jouit à son tour, maculant le torse de Severus, et les arabesques noires sur le sien, de longues traînées blanchâtres.
Lucius s'effondra sur lui, gémissant encore, et Harry se laissa reposer à son tour sur son compagnon, ruisselant de sueur, de sperme, et presque de larmes de bonheur.
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Une nouvelle semaine commençait mais ils prirent malgré tout, ensemble, le temps qu'ils n'avaient pas eu le dimanche matin. Severus s'était réveillé vers cinq heures trente et il les avait réveillés en douceur, à grands renforts de caresses et de baisers, tandis qu'ils se lovaient les uns contre les autres. Ils traînèrent ainsi jusqu'à ce que Severus commence à s'agiter devant l'heure qui tournait.
– Je vais nager au moins une demie-heure, sinon je vais être d'une humeur exécrable toute la journée.
– Ça ne changera pas beaucoup de d'habitude, marmonna Harry en cachant son grand sourire contre la peau douce de Lucius.
Il avait atténué son ironie d'une grande vague d'amour dans son aura et à travers le lien, mais cela lui valut malgré tout une jolie claque sur la fesse.
– Hé ! Doucement ! Déjà que j'ai encore mal au cul après vos bêtises d'hier soir !
Lucius tourna brusquement la tête vers lui, le regard soucieux.
– Tu as encore mal ?
La deuxième claque sur ses fesses fut plus sonore. Plus douloureuse aussi, même si elle le fit sourire encore davantage. La trace de la main de Severus allait sans doute se voir pendant quelques minutes... ou quelques heures.
– Celle-là, c'est pour tes mensonges. Il n'a pas mal, il veut juste se faire plaindre...
Harry gloussa contre la peau de l'aristocrate et s'enroula dans ses bras. L'inconvénient du lien, c'est qu'il avait aussi plus de mal à cacher quoi que ce soit à Severus... mais il aimait tout autant quand son compagnon le comprenait entièrement, que ces petites scènes quand il tentait de les manipuler.
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Severus à la piscine, Harry et Lucius se levèrent et prirent leur douche ensemble, presque chaste, à peine une main qui traîne... Il n'avait pas mal tant qu'il n'y touchait pas, mais il n'était pas sûr de vouloir se laisser prendre avant au moins quelques heures !
Il descendit avec Lucius avaler un petit-déjeuner rapide tandis que Severus les remplaçait sous la douche, puis l'aristocrate partit pour le Ministère sur un dernier baiser souriant. Cette journée commençait décidément bien mieux que la veille !
Peu après son départ, Harry transplana à Poudlard. Il devait récupérer Aria avant que ses mères ne descendent dans la Grande Salle pour le petit-déjeuner, comme chaque lundi, mais elles avaient l'air bien embêtées à son arrivée.
– Alors ? Elle a dormi comment cette nuit ? fit-il en souriant.
– Comme un loir depuis vingt-trois heures... Le souci, c'est qu'elle dort encore.
Il gloussa, ravi de la nouvelle qui semblait lui augurer une nuit paisible le soir-même, et déploya tous ses efforts pour la prendre dans ses bras sans la réveiller. Ce ne fut malgré tout pas suffisant, et il ne sut si Padma et Luna étaient contrariées de la voir réveillée ou au contraire, ravies de pouvoir lui dire au revoir.
Les adieux furent rapides malgré tout, car après une nuit pareille, Aria mourait de faim et elle fit dignement entendre sa colère à Severus en arrivant au Manoir, jusqu'à ce qu'elle ait son biberon dans la bouche.
– Eh bien ! ricana Severus une fois le calme revenu. Je l'ai rarement entendue brailler si fort !
– C'est normal, elle a faim ! Mais c'est vrai que toi, tu cries pour d'autres raisons, gloussa Harry. Je t'ai rarement entendu aussi expressif qu'hier soir !
De façon surprenante, une légère rougeur apparut sur les pommettes de Severus, qui se vengea en laissant ses sentiments envahir le lien, mêlant désir, souvenirs lubriques et une pointe de culpabilité.
– Pas quand j'ai Aria dans les bras ! protesta Harry, assailli par l'excitation de son compagnon.
Il se recomposa une apparence neutre, avant de songer à ce qu'il avait perçu. Severus dévoilait rarement ses sentiments dans le lien, hormis son attirance et son amour, et Harry savait très bien que son amant gardait pudiquement certaines émotions pour lui. L'aveu était d'autant plus surprenant.
– Pourquoi de la culpabilité ? demanda-t-il doucement en levant les yeux.
Severus baissa les siens sur sa tasse de café avant de répondre.
– Parce que j'ai eu peur que tu aies mal... Et que ça te rappelle de mauvais souvenirs.
L'emploi du mot peur était significatif des inquiétudes qui devaient tourmenter Severus. Et il avait sans doute volontairement montré sa culpabilité pour pouvoir aborder le sujet et en avoir le cœur net.
– Ne t'inquiète pas pour ça, éluda Harry d'un geste vague du bras. Je sais que je peux tout arrêter d'un mot si ça ne va pas. Et au contraire, c'était... On pourra recommencer, mais pas tout de suite ! ajouta-t-il en riant.
Severus releva la tête, rassuré par son ton léger mais son regard était encore soucieux. Harry lui sourit, relâcha son aura pour lui montrer que tout allait bien et se concentra sur Aria qui achevait son biberon et qu'il redressa contre lui pour lui faire faire son rot.
– Bonjour, fit la voix pâteuse de Minerva.
Les yeux encore gonflés de sommeil, les cheveux ébouriffés, une main frottant ses paupières mi-closes, elle se colla contre Severus pour lui faire un bisou, puis vint vers lui et l'embrassa à sa tour avant de glisser une caresse sur la tête d'Aria. Sa fille babilla quelques secondes en regardant Minerva, puis elle fit un rot sonore qui déversa une longue traînée de lait sur la chemise de Harry.
– Bah ! Elle est dégoûtante ! gloussa Minerva tandis qu'il faisait la grimace. Et tu pues le lait !
– C'est drôle, moi ça me fait penser à tout autre chose..., fit Severus avec un regard pétillant en les rejoignant.
En s'essuyant rapidement, Harry ne put s'empêcher de rougir. Il adorait ce genre d'insinuation en privé ou entre adultes, à la rigueur devant sa fille qui ne comprenait encore rien, mais devant Minerva, cela le mettait mal à l'aise.
– Tais-toi donc ! marmonna-t-il tandis que Severus les enlaçait tous les trois en même temps dans ses bras.
Prisonnière contre eux, Minerva pouffa de rire sous les chatouilles, puis Severus glissa un bisou sur la joue des deux fillettes et un vrai baiser sur ses lèvres à lui.
– Bonne journée à mes trois princesses !
Harry marmonna une nouvelle imprécation contre son amant qui quitta la Salle à Manger avec un grand sourire.
– Pourquoi Sévie il a dit que tu étais sa princesse ? pouffa Minerva.
– Ton grand-père se moque de moi ! répondit-il, suffisamment fort pour que Severus l'entende.
Un rire se fit entendre depuis le couloir tandis que le lien s'emplissait d'amour et de tendresse.
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Peu après le départ de Severus, les autres membres de la famille Malfoy se levèrent un à un et en une dizaine de minutes, tout le monde fut au petit-déjeuner. Bien que ravies d'être au Manoir comme si elles étaient en vacances, Iris et Minerva étaient un peu perdues de ne pas devoir aller à l'école. Elles commençaient seulement à prendre conscience que la tentative d'enlèvement de Scorpius trois jours plus tôt pesait encore sur leurs vies, et à travers leurs paroles, des questions inquiètes se dessinaient lentement.
Quand allaient-elles rentrer à la maison ? Quand allaient-elles revoir leurs copines et leurs maîtresses ?... Les réponses évasives de Draco et Daphnée ne semblaient pas les satisfaire et les quelques coups légers que Mark frappa brusquement à l'entrée de la Salle à Manger furent une interruption salutaire.
Malgré Aria qu'il tenait fermement contre lui, Harry bondit de sa chaise pour aller le serrer dans ses bras. On était lundi matin, la vie reprenait son cours normal au Manoir : la présence de sa fille, la présence de Mark, tout nouvellement marié, et il en était grandement soulagé. D'autant plus qu'il fuyait consciencieusement le regard embarrassé de Draco dont il n'avait pas encore digéré les critiques sur son union avec Severus.
– Je suis content de te voir ! murmura-t-il en étreignant le jeune homme.
– Moi aussi, chéri, fit Mark en souriant. Comment tu vas ?
Puis, après un baiser rapide sur sa joue, Mark se libéra de ses bras pour aller saluer Draco et Daphnée.
– Håkon m'a dit ce qui s'était passé vendredi... Est-ce que vous allez tous bien ?
Daphnée hocha la tête avec un sourire contrit tandis que Draco le remerciait avec des mots aussi rassurants qu'évasifs. Ils se connaissaient sans se connaître vraiment, n'avaient eu que des conversations polies lors du mariage de Lucius et Severus, ou lors de quelques dîners au Manoir, mais Draco n'avait jamais cherché à se rapprocher de celui qui était l'employé de son père, et surtout l'un de ses anciens « mignons ».
Aussi, dès que les obligations de courtoisie furent remplies, Harry prit Mark par le bras et l'entraîna sans vergogne vers le bureau de Lucius.
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Ils s'installèrent dans le salon de la pièce, tranquillement assis devant un feu tiède et Harry leur fit servir un grand café noir pour Mark et une tasse de thé pour lui. Sur le tapis devant eux, il posa Aria à plat ventre avec quelques jouets à portée de main. Leur petit rituel du lundi matin était immuable, il n'y avait que l'endroit qui changeait : une fois le Petit Salon, l'autre fois le salon du bureau de Lucius, ou bien celui de la salle de billard... Avant de se mettre à travailler : boire un verre ensemble, se retrouver, bavarder d'eux, de leur week-end, de bêtises ou de souvenirs... Mark savait tout de lui.
Et comme à leur habitude, la conversation bondissait entre eux, aussi futile que plaisante, tandis qu'ils regardaient tous deux Aria se trémousser sur son tapis pour attraper un jouet.
– Tu sais qu'elle a fait sa première nuit complète samedi soir ! gloussa Harry.
– C'est vrai ? J'en connais deux qui devaient être ravis !
– Ils n'en ont même pas profité ! J'étais épuisé, je me suis endormi sur la banquette de sa chambre, fit-il en riant. C'est Severus qui m'a réveillé le matin en allant nager !
– Ça va quand même drôlement te soulager si elle commence à dormir correctement... Sauf si ce sont eux qui t'empêchent de dormir, à présent !
Sur le tapis, Aria avait délaissé son jouet et semblait se concentrer sur des réflexions poussées.
– Sans doute ! gloussa Harry. Mais je t'assure que parfois, ils étaient bien contents de se retrouver tous les deux.
– Comme toi et Severus, fit remarquer Mark.
– C'est vrai. Comme je serais ravi d'être seul avec Lucius de temps en temps, mais ça, c'est quelque chose qui n'arrive plus, regretta Harry.
– Il ne sera pas Ministre pendant dix ans ! s'exclama Mark en riant.
– Merlin m'en préserve !
Ils rirent de concert avant qu'une odeur fortement parfumée ne leur parvienne aux narines et ils posèrent deux regards accusateurs et hilares sur Aria. Babillant à nouveau, elle paraissait soulagée mais pas du tout incommodée par ce qu'elle venait de produire.
– Je crois que le devoir m'appelle, ricana Harry en se levant. Allez, viens avec moi ! On ne sait jamais, si je défaille en ouvrant la couche !
– Harry, protesta doucement Mark. Je dois me mettre au travail...
– Allez viens ! On n'a pas fini de discuter ! Je te filerai un coup de main pour répondre au courrier pendant sa sieste.
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Mark finit par accepter, mais il ne se priva pas de commentaires moqueurs pendant que Harry procédait au nettoyage des fesses de sa fille, et encore moins quand elle se tortilla suffisamment sur la table à langer pour étaler sa production odorante sur sa chemise.
– C'est ça ! Ricane ! fit-il en riant. La prochaine fois, je te laisse faire et ce sera à mon tour de ricaner !
En réalité, il était déjà arrivé deux ou trois fois que Mark change sa fille, quand, épuisé par des nuits sans sommeil, il s'était endormi sur un canapé sans avoir conscience des odeurs qui se dégageaient de sa couche.
– Et eux, ils acceptent de faire ça ? gloussa Mark en secouant ses boucles blondes.
– Lucius n'est pas prêt de toucher à une couche ! rit Harry en enfilant un pantalon à sa fille, par-dessus sa couche propre. Mais Severus le fait régulièrement... Il a une relation particulière avec Aria. Comme avec Iris... Tiens ! Garde-la, maintenant... Le temps que je change de chemise.
Il aurait pu utiliser la magie pour se nettoyer, mais entre le lait caillé de tout à l'heure et les selles de sa fille à présent, les odeurs lui restaient dans le nez. Et puis Aria n'avait pas l'air mécontente dans les bras du jeune homme.
Harry traversa le couloir pour rejoindre sa propre chambre, suivi par Mark qui resta hésitant sur le pas de la porte.
– Tu peux entrer, hein ! ricana-t-il. Personne ne va te manger !
– Je ne veux pas tomber nez à nez avec des instruments étranges qui me donneraient des cauchemars ! ironisa Mark.
Harry éclata de rire devant ses insinuations lubriques mais jeta tout de même un œil en direction de l'antichambre.
– La porte est fermée, tu peux entrer sans crainte, gloussa-t-il.
Il déboutonna rapidement sa chemise et grimaça en apercevant des traces suspectes jusque sur sa peau.
– Je ne sais pas si Lucius apprécierait de me savoir ici, fit doucement Mark, soudain plus sérieux.
Harry leva vers lui un regard surpris tout en ôtant complètement sa chemise, puis choisit de prendre les choses à la dérision.
– Ce n'est pas comme si tu n'avais jamais fréquenté un lit avec lui !
– Pas depuis longtemps. Et jamais ici, assura Mark avec sincérité.
C'est donc cela qui le gênait : pénétrer ici, dans le cœur de leur intimité, leur chambre, leur lit, et incidemment, leur vie sexuelle...
– C'est censé me rassurer ? gloussa Harry en continuant à se déshabiller. Tu pourrais coucher encore avec Lucius que je ne t'en voudrais pas, tu sais... Enfin. Je serais jaloux sans doute... qu'il puisse te consacrer du temps alors que moi je n'en ai pas, mais c'est tout.
– C'est tout ?! s'exclama Mark, les yeux ronds. Tu serais jaloux, mais pas en colère, ni fâché, ni déçu, ou dégoûté ?!...
L'incompréhension du jeune homme était complète, au point qu'il en oublia sa réserve et avança de quelques pas dans la chambre, Aria toute sage entre ses bras.
– Pourquoi ?
– Parce que je comprends Lucius, fit Harry avec un sourire espiègle. Et que je ne suis pas possessif... Il couche bien avec Severus sans moi !
– C'est différent ! protesta Mark en s'asseyant sans façon au bord du lit. Ils étaient ensemble avant que tu ne sois là !
– Mark ! Je pourrais coucher avec toi en toute amitié ! fit Harry en riant. Je t'adore et tu es magnifique ! Je comprends complètement que Lucius puisse éprouver du désir pour toi ! Et je comprends encore mieux que tu puisses le désirer...
Il fit un clin d'œil au jeune homme qui restait bouche bée et retira ses chaussettes en un tour de main.
– Maintenant, si tu veux bien garder Aria cinq minutes, je vais prendre une douche rapide. Elle m'en a mis partout !
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Dans la salle de bains, Harry retira son boxer : le seul vêtement qu'il avait gardé devant Mark, et se lava rapidement en continuant à sourire. C'était étrange d'avoir avoué cela comme ça, devant sa fille, de façon presque impromptue... Mais il se sentait heureux de l'avoir dit.
Indépendamment de leurs unions réciproques, il éprouvait pour Mark une tendresse étonnante, qui allait plus loin que de l'amitié, sans pour autant ressembler en quoi que ce soit aux sentiments d'amour profond qu'il avait pour Lucius et Severus. C'était quelque chose de léger, de très effervescent, qui n'existait que parce que Mark était ce qu'il était : quelqu'un d'enjoué, aussi pétillant qu'une coupe de champagne, espiègle sur un versant lubrique, et d'une sincérité désarmante.
Il aimait toucher Mark, il aimait l'embrasser sur la joue, l'entendre dire ces petits noms intimes, ces « chéri ! », ces « trésor ! », qui faisaient râler Severus et amusaient Lucius, il aimait les sous-entendus licencieux dans les conversations anodines, et leurs paroles parfois explicites et toutes en plaisanteries... Il aimait flirter avec Mark parce que ça n'avait rien de sérieux et que ça lui donnait à nouveau l'impression d'avoir vingt ans. Et de ne pas être concerné par ce monde sombre et inquiétant autour du Manoir. Mark était un rayon de soleil et une bulle d'oxygène.
Malgré tout, il ne mentait pas en disant qu'il aurait pu coucher avec lui. Parce que Mark était différent : très sexuel et pas du tout sérieux... Harry éprouvait une amitié sincère pour d'autres hommes, pour Draco, Blaise ou Matthieu, et pareille chose ne lui serait jamais venue à l'idée. Il avait même dormi plusieurs fois avec le jeune professeur de potions, parfois dans ses bras à la faveur d'un mouvement pendant le sommeil, mais jamais il n'aurait pu franchir ce pas. Avec Mark, en revanche... Ce n'aurait été qu'une partie de plaisir, un câlin qui aurait dérapé entre deux rires mais qui n'aurait pas porté à conséquence, qui n'aurait pas eu d'enjeu et qui n'aurait rien changé à leur complicité, si ce n'était quelques plaisanteries supplémentaires. Même si le lien l'empêcherait sans doute aujourd'hui de passer à l'acte, il restait cet esprit libertin entre eux qu'il appréciait tant.
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Quand Harry ressortit de la salle de bains cinq minutes plus tard, Mark était à moitié à plat ventre sur le lit, les genoux posés par terre et il faisait doucement rouler de gauche à droite une Aria qui souriait de toutes ses gencives en babillant de plaisir. La scène était charmante mais il avait encore envie de taquiner le jeune homme.
– Méfie-toi de l'endroit où vous vous allongez, je ne sais pas si les elfes ont changé les draps, ce matin !
Mark eut un sursaut méfiant et scruta les draps autour de lui avant de tourner la tête en grimaçant.
– Imbécile ! Il y a au moins une trentaine d'elfes dans ce Manoir ! J'espère bien qu'ils ont eu le temps de changer les draps ! Qu'est-ce que vous avez encore fait comme bêtises hier soir ?!
– Tu ne veux pas savoir ! gloussa Harry depuis le dressing. Et ils ne sont pas si nombreux !
– En tout cas, rien qui ne t'empêche de t'asseoir ce matin ! ironisa Mark. Hein, ma chérie ! Qu'est-ce qu'il dira, ton père, dans vingt ans, quand tu iras courir après les garçons – ou après les filles, d'ailleurs ! – comme il le faisait autrefois ?! Tu crois qu'il sera ravi de te voir faire des galipettes tous les soirs ?!
Poussée par la main de Mark, Aria roula sur le côté et se mit à rire aux éclats. Harry sortit aussitôt du dressing, ému et presque les larmes aux yeux.
– Oh... C'est la première fois qu'elle rit comme ça..., murmura-t-il en s'approchant du lit, à peine vêtu d'une chemise encore ouverte sur son torse aux arabesques noires. Et ne parle pas comme ça de ma fille ! ajouta-t-il en grimaçant. Elle ne se mariera qu'à quarante ans, encore vierge, et avec quelqu'un que je lui aurai choisi !
– Tu comptes en faire une bonne sœur ? ricana Mark. Et sa liberté sexuelle ?!
Doucement et avec un grand sourire vers Aria, il la fit à nouveau rouler de l'autre côté et elle éclata à nouveau de ce rire si spontané et si émouvant. Cette fois, Harry ne put empêcher ses yeux de briller un peu plus, au point qu'une larme émergea au bord de sa paupière pour glisser lentement le long de sa joue. Mark le regarda en fronçant les sourcils tandis qu'Aria passait du rire aux larmes en une fraction de seconde.
– Je crois qu'elle commence à être fatiguée, murmura Harry en lui caressant tendrement le visage. Je vais aller la coucher dans son lit...
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Rapidement, Harry acheva de s'habiller avant de ramener dans sa chambre Aria qui se frottait les yeux en geignant. Et elle ne rechigna même pas lorsqu'il la posa dans son lit, heureuse du calme et de la fraîcheur de ses draps, et surtout de retrouver son doudou.
Ils refermèrent la chambre sur la pointe des pieds puis redescendirent dans le bureau de Lucius. À peine la porte close derrière eux, Mark le prit par le bras et l'entraîna vers le salon au lieu de s'installer sur la grande table de travail.
– Allez, raconte-moi ce qui te travaille autant... Tu étais seul avec les enfants au moment de l'intrusion dans la maison, n'est-ce pas ?
Penché en avant, les coudes posés sur les genoux, Harry leva les yeux vers le regard si doux et si bleu de Mark, avant de se rendre compte qu'il triturait son doigt estropié depuis un bon moment. Parfois aussi, Mark n'était pas que légèreté et c'était avec cette intuition si réfléchie qu'il lui avait déjà arraché bon nombre de confessions.
Il frissonna puis baissa les yeux tandis que l'assaillait avec une force inhumaine, toute la culpabilité qu'il avait désespérément enfouie depuis la tentative d'enlèvement de Scorpius.
– Je n'ai rien entendu, murmura-t-il.
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Parce que c'était Mark, il put parler. Il put avouer cette culpabilité immense, infinie, qu'il n'avait pas pu dire à Severus, ni confier à Draco, ces remords d'avoir été incapable de remplir son rôle, de protéger les enfants, comme il avait été incapable de protéger Axaya autrefois, sa honte de n'avoir rien entendu, rien fait, ses doutes sur le fait de s'être même endormi, et surtout sa honte de savoir que sans Minerva, Scorpius aurait disparu sans même qu'il ne s'en rende compte. Draco lui avait confié ses enfants, en toute confiance, et il avait été incapable d'assumer cette responsabilité.
Derrière lui, Mark avait enlacé ses épaules, son torse, il s'était penché pour l'embrasser dans le cou, une multitude de baisers tout en chuchotant à son oreille, et Harry se lova dans sa tendresse. Cela n'atténuait en rien sa faute mais les paroles rassurantes et compréhensives de Mark lui mettaient un peu de baume au cœur. Il ferma les yeux et savoura encore quelques secondes ce répit plein de douceur, puis murmura :
– Je vais jeter un œil à mes potions tant qu'Aria dort et je reviens t'aider pour le courrier...
Il ne servait à rien de se complaire dans ses remords, de toute façon il n'était pas pardonnable.
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Ils levèrent tous les deux un regard surpris quand la cheminée s'activa brusquement, s'illuminant de flammes vertes, puis la longue silhouette de Lucius avança d'un pas pour pénétrer dans le bureau. Harry se fendit d'un sourire ravi en voyant son amant qui époussetait vaguement les manches de sa veste, aussi impeccable et princier qu'à son habitude. Il était pourtant encore tôt, même Severus n'était pas encore rentré et Aria n'était pas réveillée de sa sieste de l'après-midi.
Mark lui laissa la préséance pour embrasser son amant, ce dont Harry ne se priva pas, avec un bonheur évident. Le parfum de vanille et de santal de l'aristocrate... la douceur de sa peau dans ce petit creux juste sous l'oreille... la volupté de sa langue qui dansait si bien avec la sienne... Jamais en présence de qui que ce soit, même Mark, il ne se laissait aller à pareil baiser en public. Mais aujourd'hui, il en avait envie. Et peut-être besoin.
Presque à regret, il laissa sa place au jeune homme et s'en voulut aussitôt de ce qu'il venait de faire. Cela pouvait passer pour une affirmation de sa relation avec Lucius, la revendication d'une certaine propriété, et il n'avait pas du tout eu cette intention. Aussi, quand Mark étreignit à son tour l'aristocrate, il se détourna légèrement, comme pour leur laisser une certaine intimité.
Et ils firent preuve d'une intimité certaine en prolongeant leur étreinte, avec Mark qui gloussait à l'oreille de Lucius tout en murmurant des paroles que Harry ne percevait pas, et Lucius tout sourire dont les mains glissaient doucement des reins de Mark jusqu'à ses hanches. Et ils étaient beaux ensemble; ils dégageaient toujours cette espèce de charme magnétique, la blondeur de leurs cheveux mêlés, l'un si lisse et soyeux, l'autre tout en boucles légères, la même taille élancée, la clarté de leurs regards, et surtout cette sensualité lascive que dessinaient leurs deux corps ensemble. Harry ne se connaissait pas cet attrait particulier, mais il aurait aimé les regarder faire l'amour, à l'époque où cela arrivait encore... le spectacle devait être fascinant.
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Mark avait profité de quelques secondes dans les bras de l'aristocrate, puisqu'il avait affirmé que cela ne le dérangeait pas, mais quand ils s'installèrent un moment au salon, ce fut derrière Harry que Lucius vint se poster, debout contre le dossier du canapé, et une main posée sur son épaule.
– Viens t'asseoir, fit Harry en désignant la place libre à côté de lui.
– J'ai passé ma journée en réunion ou assis derrière mon bureau... Je ne dirais pas que j'en ai plein les fesses, mais c'est un peu ça !
– Ce serait inédit ! gloussa Harry tandis que Mark éclatait de rire.
La main sur son épaule glissa vers sa nuque, sous ses cheveux, avec une fermeté un peu possessive qui le fit sourire encore davantage.
– Et qu'est-ce qui te fait rentrer si tôt ? demanda-t-il plus sérieusement. Tu dois repartir ce soir ?
C'était souvent le cas quand Lucius rentrait avant dix-neuf heures... un faux espoir qui se soldait par un nouveau départ, une fois apprêté pour un dîner ou une réception.
– Pas ce soir. Mais je dois m'absenter deux jours, mercredi et jeudi... peut-être jusqu'à vendredi.
Quelques heures volées pour se faire pardonner une absence future... Harry grimaça tandis que la main sur sa nuque se faisait plus caressante, lui arrachant un frisson involontaire.
– Je t'avais dit que je rentrerai tôt pour profiter un peu de vous et d'Aria...
– Pour profiter un peu de moi aussi ? gloussa Mark.
Sans même le voir, Harry perçut le sourire amusé de Lucius qui perlait encore dans sa voix quand il répondit :
– Toi aussi, tu ferais bien de rentrer et de profiter un peu de Håkon... il m'accompagne en Roumanie mercredi.
Mark fronça brusquement les sourcils et fixa longuement Lucius sans un mot.
– En Roumanie ?! s'exclama Harry, brusquement alarmé.
– Ne t'inquiète pas. C'est une visite officielle, il ne se passera rien...
Enroulée autour de sa nuque comme un collier, la main était à présent immobile, imposante.
– D'ailleurs, tu devais aller témoigner au sujet de la tentative d'enlèvement de Scorpius, aujourd'hui... Le chef du bureau des Aurors m'a dit que tu n'étais pas venu.
Déconcerté, Harry tourna la tête vers son amant dont il peinait à reconnaître le visage sérieux. Ce n'était plus son amant, c'était le Ministre qu'il avait en face de lui, et il fronça les sourcils en réalisant ce brusque changement.
– Mais ! protesta-t-il. J'avais Aria aujourd'hui ! Je veux bien aller témoigner mais pas avec elle ! J'irai mercredi, quand elle sera rentrée à Poudlard.
Un air ennuyé passa de façon fugace sur le visage de l'aristocrate, puis tout s'effaça derrière une façade neutre.
– Je lui dirai que tu iras mercredi, mais fais-le sans faute. Ils ont besoin de ton témoignage pour l'enquête.
Harry hocha la tête avec un air renfrogné avant qu'une vibration dans sa magie ne vienne le faire sursauter.
– Aria est réveillée, fit-il en se levant. Je monte...
– Je t'accompagne.
La main de Lucius glissa lentement de son épaule à son bras, cherchant doucement à le retenir et à apaiser sa contrariété.
– Profites-en pour rentrer de bonne heure, pour une fois, fit l'aristocrate à l'adresse de Mark. Tu l'as bien mérité.
– Je peux juste te parler d'un dossier, une minute ? J'ai besoin de ton avis sur le montant des investissements qu'ils demandent...
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Quel que soit le sujet réel dont Mark lui avait parlé, Lucius ne fut pas long et le rejoignit rapidement dans la chambre d'Aria qu'il était en train de déshabiller pour lui faire prendre son bain.
– Mark t'embrasse...
Harry hocha à peine la tête, soucieux malgré lui. Aria avait dormi tard; s'il lui donnait son bain maintenant, elle allait hurler de faim le temps de la sécher et de l'habiller, mais s'il lui donnait son biberon d'abord, il serait obligé d'attendre pour le bain et cela mènerait tard, peut-être même après le dîner, et risquait de la perturber dans ses horaires. Il avait opté pour le bain d'abord, mais il n'était pas très confiant. Et puis cette histoire de déplacement en Roumanie l'inquiétait. Et puis la perspective de devoir témoigner ne lui plaisait pas du tout.
Malgré le bras de Lucius autour de sa taille, malgré les babillages joyeux de sa fille, il restait silencieux, trop absorbé par ses pensées. Et même si Aria adorait être toute nue et gigoter dans l'eau, le bain ne dura pas très longtemps.
En l'attendant, Lucius était parti s'asseoir dans le fauteuil à bascule, les jambes croisées, digne et fier, mais songeur...
– Ça te contrarie tant que ça que je m'absente deux jours ? fit-il doucement tandis que Harry revenait habiller sa fille.
– Ça m'inquiète.
– J'y vais avec Mandy, Francis et Håkon... Sans doute même avec Charlie si le directeur de Poudlard l'autorise à s'absenter... Et bien d'autres personnes. Je ne crains rien du tout.
Harry jeta un regard à son amant, puis se concentra à nouveau sur sa fille. Lucius paraissait serein et sûr de lui, mais comme d'habitude, il ne disait pas tout.
– Tu es obligé d'y aller ?
– Harry, ce sont des funérailles... Je me dois d'être présent.
Il ne voulait pas savoir qui était mort, cela ne le regardait pas. À l'évidence, ce voyage ne pouvait pas être déplacé, ni annulé, mais la concordance de ce déplacement avec la tentative d'enlèvement de Scorpius ne lui plaisait pas.
– Tiens, garde-la deux minutes, fit-il en lui confiant Aria. Le temps que je range la salle de bains.
– Les elfes le feront...
– Je ne suis pas impotent, je peux aussi bien le faire.
De quelques gestes et d'un peu de magie, il vida et rinça la baignoire, rangea les jouets de sa fille et épongea le sol, faisant disparaître les serviettes et tapis de bains dans le panier de linge sale. Les elfes n'étaient pas des esclaves.
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– Clay ! grinça Lucius tandis que Aria commençait à s'agiter entre ses bras.
L'elfe apparut avec un sourire vaguement narquois.
– Prépare-lui son biberon.
– Le biberon est déjà prêt, Maître, fit la créature en lui tendant l'objet des convoitises d'Aria. Faut-il aussi que je le lui donne ?
Lucius grimaça devant le ton impertinent de Clay et son ironie même pas dissimulée.
– Disparais.
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Harry se dépêcha de revenir dans la chambre, surpris de ne pas encore entendre sa fille râler devant sa lenteur à la nourrir, mais il s'arrêta net devant la vision de Lucius en train de lui donner le biberon.
Légèrement penché vers Aria, les longs cheveux blonds passés derrière l'oreille pour les empêcher de glisser sur son visage, un émerveillement souriant peint sur ses traits et les grands yeux sombre de sa fille plongés dans le regard gris de son amant... la scène l'émouvait autant que lorsqu'elle avait ri aux éclats le matin même avec Mark.
– On finirait par croire que tu apprécies ça ! ricana-t-il pour cacher ses yeux brillants.
– Ça ne me déplaît pas... Ça me donne l'impression d'avoir quelques années de moins ! gloussa l'aristocrate sans quitter le regard de sa fille. Au moins... Quel âge a Draco déjà ?
– Le même que moi, bougonna Harry.
L'aristocrate tourna vers lui un petit sourire moqueur, ravi de sa revanche. Depuis la naissance de sa fille, Harry n'aimait pas trop qu'on lui rappelle sa différence d'âge avec ses amants, et encore moins qu'il pouponnait aujourd'hui alors que Lucius avait eu ces mêmes gestes envers son propre fils il y a plus de trente ans. Cela ne l'avait jamais gêné auparavant, mais aujourd'hui, avec la présence d'Aria, cet écart d'une génération se faisait parfois désagréablement sentir.
– Ne m'en veux pas, c'était trop tentant, fit Lucius avec un sourire tendre. Embrasse-moi, plutôt... Je me fous de ton âge. Je t'aime et ta fille est merveilleuse...
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Qui sera la 100e review? ^^ En tout cas, merci à tous d'être là et de continuer à suivre l'histoire! :*
La semaine prochaine, Lucius part pour la Roumanie, Harry va témoigner et ce sera un peu délicat, et désolée pour ceux à qui j'avais dit que Harry ne retournait pas dans l'antichambre avec Severus, j'avais oublié un petit passage du prochain chapitre ^^
Au plaisir
La vieille aux chats
