- Je ne comprends pas bien, Ginny, la politique, c'est pas ton rayon, non ? Et là, tu veux interviewer les trois leaders de l'opposition ?
La rousse soupira. La conversation ne menait nulle part. Depuis un quart d'heure, elle essayait de négocier avec Colin. Il lui refusait l'interview des trois sorciers du Magenmagot qu'Hermione avait désigné dans son message. Et il avait raison. Elle n'avait jamais montré le moindre signe d'intérêt pour ce domaine, et ça n'était pas sa spécialité à la rédaction.
- Parker et Lewis ont déjà prévu de les interviewer sur le projet de loi sécurité. Je ne vois pas ce que tu pourrais apporter sur ce sujet-là.
- Est-ce que je pourrais au moins leur donner quelques questions supplémentaires à leur poser ? Tenta Ginny.
- Ça, à la rigueur. Arrange-toi avec eux. N'empêche, j'aimerai comprendre. Pourquoi tu t'intéresse à ces trois-là ? C'est l'enquête sur la tentative de meurtre sur Hermione ?, avança-t-il.
- Je ne peux pas te répondre. Pas pour le moment.
- D'accord, je vois. Eh bien transmets tes questions à Parker et Lewis. Je te fais confiance, tu sais, rappela-t-il avant de se remettre à trier les articles pour la maquette. « Je te fais entièrement confiance, Ginny. Mais j'ai aussi besoin que tu me rende ton papier sur les Harpies ».
- Ça marche. Je te fais ça dans la matinée.

***

- Eh les mecs, ça vous dirait, deux places par tête pour le match des Tornades, ce week-end ?
Ginny agitait quatre places sous le nez de Parker et Lewis, avec un large sourire.
- Qu'est ce que tu veux qu'on fasse pour toi ?, répondit Lewis, en lui rendant son sourire, en s'étirant sur son fauteuil qui grinçait.
- Ils jouent qui, les Tornades, ce week-end ?, ajouta Parker, sans lever les yeux de son parchemin. Le dernier communiqué du Ministre lui faisait froncer le nez.
- Les Canons. Match serré. Va y avoir du spectacle.
- Et donc ?
- Si vous pouviez rajouter ces quelques questions aux vôtres, pendant votre interview cet après-midi... Je vous en serai très reconnaissante. Et vous auriez des places pour le match.
Lewis saisit le parchemin chiffonné qu'elle lui tendait, lu ce qu'elle y avait écrit. Il leva les yeux vers elle, en haussant un sourcil.
- Eh bien dis donc, c'est ciblé, comme questions. Et on a le droit de te poser des questions sur tes questions ?
- Les places sont dans la meilleure tribune du stade. Je répondrais à vos questions sur mes questions quand je le pourrais. Promis.
- Qu'est-ce que tu en dis, Parker ?, demanda Lewis, en lui donnant à tour le parchemin.
- J'en dis qu'on va passer une bonne soirée au stade.
- Merci les gars.
Elle leur devait au moins une tournée au Chaudron en plus. Elle avait confiance en eux, nulle besoin d'aller espionner leur interview. Ce qui lui laissait du temps pour d'autres recherches. Avant, elle fila écrire son compte-rendu sur les Harpies. Faute de quoi, Colin serait bien capable de la mettre à pied. Il n'en avait jamais parlé, mais elle sentait qu'il perdait patience, même avec elle. C'était dire.

- Jody, tu es sûre que c'est tout ce qu'on a ?
"- Sûre, ma poule. Tout à faire sûre, rétorqua Jody, de sa voix rauque, en levant les yeux par dessus ses lunettes. Sa permanente ensorcelée s'élevait à dix bons centimètres au dessus de son crâne, ce qui lai faisait paraître plus grande que Ginny. « J'entends plus très bien, mais mon sortilège de recherche sélection par mot, il marche du feu de dragon ».
Ginny ne mettait pas en doute les capacité de Jody. À presque soixante-dix ans, elle maîtrisait ses archives comme personne d'autre. Et à force de travailler dans le silence le plus absolu, elle finissait curieusement par devenir sourde. Mais pas moins vive d'esprit.
- C'est bizarre. Le type est quand même directeur du cabinet du ministre...
- En tout cas, chez nous, on a pas plus. Peut être aux archives du Ministère. En soit, c'est déjà une info, ajouta-t-elle, habituée aux journalistes.
- T'as raison. Mais je doute qu'ils aient beaucoup plus aux archives du Ministère. Merci, Jody.
- Pas de quoi. Tu cries quand tu pars. Et tu ne me sors pas un numéro en douce. Je le saurais.
Ginny acquiesça et s'attabla sur la seule et minuscule table de consultation des archives de la Gazette. Elle avait l'impression de prendre trop de place. La pièce était étriquée au possible, même si elle contenait sans aucun doute des centaines d'années de numéros de journaux. Et sur tous ces millions de numéros, tout ce qui ressortait sur Harold Bret, c'était à peine plus d'une dizaine de numéros. Elle ne se serait pas risqué à en faucher un. Le regard inquisiteur de Jody lui faisait trop penser à celui de Mme Pince à Poudlard. Et à celui de sa mère. Et à celui d'Hermione, parfois. Que ce soit un manuel scolaire, un livre de recettes, ou plus largement n'importe quel bouquin, elle n'osait plus les maltraiter.

Newton regardait son visage dans le miroir de poche de son bureau, posé sur une étagère. Il était désormais petit, trapu comme un joueur de rugby, avec des cheveux bruns coupés en brosse. Il avait réussi à se trouver un uniforme de la maintenance magique sans trop de peine, le service de blanchisserie était réglé comme une horloge. Il n'avait eu qu'à passer dans les vestiaires le matin même où ils changeaient les vêtements sales. D'un coup de baguette, il l'avait raccourci aux manches, élargi aux épaules. Pour compléter le tout, il s'enfonça sur le crâne la casquette réglementaire. C'est justement dans sa casquette qu'il avait fauché des cheveux au type de la maintenance. Il avait aussi consulté son planning, accroché dans son casier. Là aussi, un jeu d'enfant. Il suffisait de passer dans les vestiaires le jour, quand la maintenance était en repos. Dieu sait pourquoi, mais ils travaillaient toujours la nuit.
« C'est pas trop mal. Allez, Tim, allons faire de la maintenance magique ! », se sourit-il, en rangeant le flacon de polynectar qu'il venait d'utiliser. Il en détestait toujours autant les effets, mais ça avait sans doute été le meilleur conseil que Maugrey Fol Œil ait pu lui donner au début de sa carrière : « Toujours avoir du polynectar dans ses affaires ».

Le couloir qui abritait le bureau du Ministre et de son cabinet était une forteresse. De jour comme de nuit, l'étroit passage était gardé par deux Aurors. « C'est là que ça se corse », songea Newton, en fouillant dans la poche de son uniforme, pour en sortir sa carte de technicien de la maintenance magique. Un simple « replica » avait suffit pour contrefaire celle de Tim Bradley. Dès la troisième année à Poudlard, il contrefaisait toutes sortes de papiers : bulletins de notes, autorisation de sortie... s'il l'avait voulu, il aurait fait un faussaire moldu imprenable. Et à cette heure-ci, il serait sur une plage à la Jamaïque et pas dans dans les tréfonds de l'administration magique.
Joe et Marcus ne prêtèrent pas attention à la carte qu'il leur tendait, ni à son regard blasé du type qui voudrait déjà avoir fini son travail. Ils le laissèrent passer avec un hochement de tête. « Eh bien ces deux-là... Ils ne finiront pas l'année au Bureau ! », pensa Newton. Joe et Marcus étaient deux nouvelles recrues, tout droit sortis de Poudlard. Leur expérience était proche du néant. C'était ces deux-là que Bret avait choisi pour assurer le service de sécurité de nuit.
- Hey, Bradley, attend !, fit Joe.
Newton se figea. Il se recomposa un visage neutre avant de se retourner.
- Quoi ?
- Il faut passer en priorité dans le bureau du chef de cabinet. Depuis deux jours, il neige la nuit, là dedans. Bret aimerait bien que ce soit définitivement réglé, cette fois-ci.
- Ok, ok. Autre chose ?
- Non, c'est tout.
- Je vais faire mon boulot, alors, les gars, ronchonna-t-il en se retournant.
« Heureusement que je suis déjà venu. » Newton avança droit vers la deuxième porte à gauche, deux portes avant celle du bureau du Ministre. Aucune d'entre elles n'avait de signes distinctifs. Ce n'était que six portes sombres qui se faisaient face les unes les autres, par mesure de sécurité. Un terroriste n'aurait jamais pu tomber sur le bon bureau du premier coup. « Sauf à être de la maison », releva-t-il en ouvrant le bureau. Pendant le créneau de maintenance magique, qui durait une heure, ils n'étaient pas verrouillés. Autrement, c'était quasiment impossible d'y pénétrer.
Le spectacle était étonnant : tout l'intérieur du bureau était enseveli sous quelques centimètres de neige. Les fausses fenêtres extérieures donnaient sur une montagne prise dans une tempête blanche. Sans qu'il puisse déterminer leur origine, des flocons tombaient doucement du plafond. « Voilà autre chose... », maugréa-t-il. La météo magique n'avait jamais été son fort. Il fouilla dans ses souvenirs. Il y a des années, Weasley lui avait raconté une histoire à ce sujet, quelque chose en rapport avec la Bataille de Poudlard. D'un geste ample, il donna un coup de baguette vers le plafond. « Suspenso momento ! » Les flocons arrêtèrent leur course. Il leva sa main libre, en saisit un au creux de sa main, le regarda fondre. « Tergeo ! », fit-il en balayant la pièce avant de de faire le tour du bureau pour s'attaquer aux tiroirs avec un kit de crochetage qu'un pote moldu lui avait prêté, sans lui demander ce qu'il pouvait bien compter en faire. Le joli cliquetis du premier tiroir lui donna raison. Brat avait sans doute jeté tous les enchantements possibles pour protéger ses affaires. Mais il n'avait rien prévu pour contrecarrer l'outillage rudimentaire des Moldus. « Tout le monde oublie de d'ensorceler le barillet... », s'amusa Newton, en passant en revue les documents qu'il trouvait. « Replica, replica, replica... Ah, ça ne marche pas ? Voyons voir... »
Bien. Il ne resterait plus qu'à trouver une solution définitive pour la neige avant de partir. Newton était beau joueur.