Newton décapsula deux bières, en tendit une à Ginny, qui la pris bien volontiers. Elle avait rendu tous ses comptes-rendus de match à l'heure, s'était avancée sur les interviews de coachs avant le mercato, et avait reçu le parchemin de l'interview de Parker et Lewis. Pas de nouvelles de Harry, donc pas de mauvaises nouvelles. Hermione était dans un état stable. La journée était presque parfaite. Ça se fêtait.
Quand Newton lui avait envoyé un hibou pour lui dire de passer chez lui plutôt qu'au Ministère, elle avait commencé par tiquer. Elle aimait s'en tenir aux rendez-vous dans les bars et au bureau, voire à son stade moldu. Mais chez lui, ça l'avait rendu nerveuse. Et curieuse de découvrir son intérieur. Elle n'arrivait pas à imaginer dans quel genre d'appartement il pouvait bien habiter. Car c'était quand même bien le genre à habiter en ville. Ça, elle en était sûre.
Elle n'avait pas été détrompée. Bodstrom habitait un penthouse qui donnait sur la Tamise. L'appartement pouvait probablement contenir tout le Terrier, et son appartement avec Harry. L'espace était vitrée de part en part, laissait la Ville illuminer la nuit en silence comme une photographie magique, en mouvement. Ils étaient à l'abri de l'agitation et du bruit derrière les fenêtres. Tout était meublé avec goût, et coûtait sans doute une fortune. Rien n'avait véritablement de charme ni de personnalité, nota Ginny. Ni le canapé immense, noir, dans lequel elle avait tout de suite trouvé sa place, entre deux coussins énorme, ni la cuisine ouverte immaculée, qui en était presque suspecte. Il y avait aussi un espace pour recevoir, avec une longue table en bois brut assortie de huit belles chaises, qui semblait n'avoir jamais servi. Le grand écran noir accroché face au canapé n'avait rien à voir avec celui qu'Hermione avait chez elle. Il faisait la taille d'une peinture dans les couloirs de Poudlard. Tout était blanc, ou noir, ou en bois. La décoration n'était pas minimaliste, elle était inexistante. Une enceinte discrète passait I put a spell on you, d'Alice Smith.
Elle fit le tour de la pièce en un regard, en croisant les bras contre sa poitrine, assise en tailleur. Elle cherchait quelque chose de familier. Quelque chose qui rappelle Newton, au milieu de cet appartement témoin. « Elle est où, ton armoire à trophées ? », lui demanda-t-elle, sans faire d'autres commentaires. S'il était surpris, il n'en montra rien. « Viens, je vais te faire voir ». Il l'entraîna dans le dédale de portes et de couloirs, ouvrit la porte d'un « petit » bureau qui faisait la taille de son premier appartement en ville.
La pièce avait presque l'air habitée, en comparaison avec ce qu'elle avait déjà vu. Un bureau, avec des papiers en désordre, deux armoires imposantes, et face au bureau, accrochée sur le mur... « L'étagère aux trophées ! », sourit-il, avec un geste exagéré du bras pour la lui montrer. Il bomba le torse, inconsciemment, alors qu'elle détaillait les médailles et les trophées.
- Ligue des Champions, Premier League, FA Cup... ah, une médaille d'argent avec l'équipe d'Angleterre en coupe d'Europe... Eh bien, ça en fait, des récompenses. Tu as tout gagné en club, non ? », l'interrogea-t-elle, en soupesant sa médaille de champion d'Angleterre.
- Oui. Pas tout la même année, mais oui, fit-il en se passant la main dans les cheveux. Je vois que tu t'es renseignée.
- Un peu, lui rétorqua-t-elle en souriant. C'est pas simple, vos compétitions moldues.
- Tu peux parler. Les vôtres sont pas plus simples. La coupe intercontinentale de Quidditch ?
- C'est comme votre Ligue des Champions. Avec tous les championnats des continents. C'est tout. On est moins sectaire que vous, on ne se limite pas à l'Europe, nous !
- Tu parles. Tu l'as remportée ?
- Presque. Finaliste avec les Harpies. La seule fois où l'équipe est allée aussi loin dans la compétition. On s'est fait battre par les Herbes folles ougandaises d'un point.
- Désolé.
- Je m'en suis remise.
- Je sais ce que c'est. Il manque une Premier League à cette étagère. J'arrive à en parler maintenant, mais il m'a fallu six mois avant de pouvoir le faire.
- T'es un vrai compétiteur, hein ?
- Vrai de vrai. Je voulais tout gagner dans le football avant de devenir Auror. Je voulais finir ma carrière au top. J'ai réussi. On m'a proposé un poste d'entraîneur, deux ans après. Pour l'instant, j'ai dit non. Je veux être sûr de ma décision. Il y aura de la pression si je reviens. Et je veux revenir pour gagner. Pas rester dans le ventre mou du championnat.
- Je comprends. J'ai choisi le journalisme. C'est pas loin des terrains, et ça permet de voir autre chose aussi. Je ne voulais pas non plus d'un poste idiot au club, du style chargée de recrutement, ou entraîneur des poursuiveurs. Ça m'aurait aigrie. J'aurais détestée les nouveaux joueurs. Aujourd'hui je ne suis plus jalouse quand je vais au stade. Les premières fois, c'était...
- Dur. Je sais ce que c'est.
Il se retourna pour sortir de la pièce, elle ne bougea pas.
- T'es pas seulement un compétiteur. Sinon, il n'y aurait pas aussi tout ça.
Elle montrait du doigt la deuxième étagère, plus discrète, juste en dessous. Il y avait mis son diplôme d'études moldues. Son diplôme de Poudlard. Un petit trophée d'équipe jeune. Une médaille en plastique du tournoi de son quartier. C'était ce qu'elle avait vu de plus personnel dans cet appartement. « Tu voulais prendre ta revanche. Je ne sais pas sur qui, ni sur quoi, mais tu voulais prendre ta revanche ». Il tourna la tête, soutint son regard quelques secondes sans rien dire. Il y avait de la rage dans ses yeux clairs. Il s'adoucit d'un coup.
« Je vais te faire voir ce que j'ai récupéré dans le bureau de Brat ». Il s'effaça dans le couloir, la laissant seule dans la pièce.
Ginny le rejoignit dans le salon. Il avait déplié des parchemins en grand sur la table basse. Elle piocha un parchemin froissé dans son sac, posé à côté du canapé, le lui tendit.
- Tiens, c'est la retranscription de l'interview de Parker et Lewis. Avec mes questions. Elles ne seront pas dans l'article de demain.
Il prit le temps de parcourir le parchemin.
- Ah oui, ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère, à propos d'Hermione.
- Pas franchement, non.
« Nous allons peut être enfin pouvoir réformer la justice magique conformément aux problématiques de ce siècle » ?!,rien que ça... « Une jeune femme compétente, malheureusement arc-boutée sur ses positions ». Ils ne se cachent même pas.
- Parker et Lewis disent qu'ils vont sans doute essayer de passer une loi sur la justice magique en son absence. Elle aurait eu le droit d'aller à la tribune, mais vu son état...
- Ils en profitent. Ils veulent avancer vite, tant que c'est possible. C'est pas bon du tout. J'espère qu'il y aura du monde pour retarder les débats. J'espère.
Il avait un air sombre, se grattait la barbe, cherchait une solution. Il n'avait aucun poids, comme chef du bureau des Aurors.
- Et toi, Brat ?, fit Ginny, en détournant la conversation.
- J'ai vomi à la fin des effets du polynectar, si c'est ce que tu veux savoir.
Elle lui donna un coup d'épaule. Pris une gorgée de bière.
- Bon, bon. Ça, c'est tout ce que j'ai pu répliquer. Je suis tombé sur des documents intouchables, évidemment. C'est là que ma bonne mémoire est entrée en jeu. J'ai réussi à retranscrire tout ce que j'ai pu voir dans le peu de temps qui m'était imparti. Joe et Marcus ne sont pas des flèches, mais je ne pouvais pas passer trop de temps non plus dans le même bureau.
- Alors ?, s'impatienta la rousse, en jouant avec le bout de sa tresse.
- Eh bien tu vois, non ?
- Pas vraiment. Je t'ai déjà dit que les chiffres, c'était pas mon truc.
- Eh bien ce sont les comptes de fonctionnement du département de la justice. Les originaux. Ils ne correspondent pas aux documents qu'on a trouvé dans le bureau d'Hermione. J'ai passé quelques sortilèges de révélation dessus pour en être sûr, précisa-t-il. « Mon stage chez les débusqueurs de fraude magique m'a servi à quelque chose, pour une fois », s'amusa-t-il.
- Ah, ce service existe vraiment ? Je croyais que mon père plaisantait...
- Non, non, ils existent. Mais ils sont tellement sous-dotés qu'ils ne servent pratiquement à rien. Chez Gringotts, les gobelins font le travail eux-mêmes, et bien mieux que des sorciers.
- Donc...
- Donc ce document prouve que les comptes du département ont été falsifiés. Par quelqu'un du cabinet du Ministre, puisque c'est le seul bureau qui y a accès, exception faite d'Hermione.
- Et ça nous avance à quoi ? On ne peut rien prouver !, s'agaça Ginny, en faisant les cent pas. Des tâches de lumière jaune et rouge parsemaient son visage, au gré de la circulation en contrebas, au travers des gouttes de pluie sur la vitre.
- Je sais bien que je suis complètement hors procédure, figure-toi !, lui rétorqua-t-il, sèchement, frustré. « Je le sais bien... », soupira-t-il en se frottant les yeux, rejeté contre le dossier du canapé. « Devant une cour magique, mon dossier n'aura aucune chance. Mais on sait au moins où chercher. Harold Bret ».
La rousse interrompit son va et vient, lui fit face.
- Il a détourné des fonds du département de la justice magique. Pourquoi ? Et pour faire quoi de cet argent ? Et est-ce que ces finances en moins ont un impact sur le fonctionnement du département ? Comment on peut faire le lien avec la tentative d'assassinat sur Hermione ? Qui a été embauché pour faire ça ? Parce que c'est clairement pas lui tout seul qui est allé jeter un sort dans le grand hall du Ministère, résuma-t-elle, en listant les questions sur ses doigts.
Newton hocha la tête. D'un coup, il se pencha en avant, les mains jointes derrière sa nuque, ses yeux balayaient les documents étalés devant lui. Sur ses bras écartés, l'encre filait. Quelques points d'interrogations se traçaient le long de son biceps gauche, se transformaient en exemplaire du Code de la justice magique. Sur son bras droit, un labyrinthe changeait sans cesse de tracé. Il leva les yeux vers Ginny. Elle y vit autant de détermination que de lassitude.
- Comment prouver la falsification ? Comment tracer les fonds détournés ? Comment faire ça de manière légale ?
- On va te fermer toutes les portes, les unes après les autres, asséna Ginny. « Et le journal n'a pas une bille pour mettre la pression sur Brat. On aurait pu sortir une série d'articles sur lui, alimenter un peu la polémique, il aurait fini par lâcher quelque chose. Le type est plus insaisissable qu'un fantôme. »
Comment ça ?
- Je n'ai rien trouvé sur lui dans les archives. Il apparaît un peu avant la prise de pouvoir de Douglas Wellington, dans son équipe, à sa nomination comme fonctionnaire du Ministère. Après, il y a quelques coupures. Rien d'intéressant. Avant, rien. Rien de rien. Pourtant, je le sens, le type est un vrai snargalouf. Je comprends pourquoi Hermione s'en méfiait.
- Je n'aime pas ces plantes, brr... Et les archives ministérielles ?
- Rien non plus. Ça donne l'impression qu'elles ont été nettoyées. D'après Jody, notre archiviste, c'est pas possible. Elles sont intouchables, elles aussi.
- Il a été très prudent. Il y a forcément quelque chose quelque part. Tout le monde...
- … Laisse une trace quelque part.
Leurs visages s'illuminèrent en même temps. D'un même mouvement, ils s'avancèrent l'un vers l'autre, en reversant un peu de leurs bières sur la table. C'était la dernière chance qu'ils avaient. Elle était mince. Très mince.
« Poudlard ! »
