Machinalement, Newton passa la main à l'intérieur de son manteau, en attendant qu'on lui serve son jus de citrouille. Le chemin de traverse grouillait de sorciers à l'heure du déjeuner. Comme lui, une bonne demi-douzaine de fonctionnaires étaient sortis du Ministère pour manger à l'extérieur. Pour le printemps, la température était douce, un rayon de soleil était apparu.

Les documents étaient bien là, dans la doublure de sa poche intérieure. Tout était prêt. Au cas où. Il sentait aussi sa baguette, glissée dans sa manche, prête à être utilisée. Plusieurs fois, il s'était dit qu'il aurait dû dire à Ginny de faire pareil. Mais il n'avait pas pu s'y résoudre. C'était reconnaître la possibilité de l'échec.

Il glissa quelques mornilles au vendeur dans sa roulotte et se dirigea vers Gringotts. L'autorisation de perquisition, il l'avait eu. Squareline, en l'absence d'Hermione, agissait désormais comme directeur du département de la justice, avec un champ d'action quelque peu réduit. Lorsqu'il lui avait demandé, il avait joyeusement apposé le sceau du bureau du directeur sur son parchemin, avec fermeté. Ils savaient trop bien ce qu'ils faisaient. Newton l'avait salué d'un hochement de tête. Squareline en avait fait de même. Dans le bureau d'Hermione, l'adjoint avait curieusement pris de la stature.

Le directeur du bureau des Aurors passa la porte de la banque, se dirigea vers le bureau principal, en aplatissant sa chemise. « Newton Bodstrom du bureau des Aurors. Je souhaiterai consulter les comptes de fonctionnement du Ministère de la magie. J'ai un mandat ». Il tendit le parchemin au gobelin. Le sceau écarlate du département de la justice magique luisait à la lumière des bougies.

Le fond de l'air était mauvais. Ginny le sentait. L'ambiance à la rédaction était étrange, tendue. La tension était venue du service politique, et s'était propagée à toute l'équipe. Jusqu'à Rita Skeeter. « Les soirées mondaines sont d'un lugubre, en ce moment », lança-t-elle, entre deux gorgées de thé. Elle posa délicatement sa tasse en porcelaine sur sa coupelle avant de poursuivre, le regard sous ses lunettes braqué sur Colin.

- Je ne sais pas ce qu'il se trame, mais il y a quelque chose. Je le sens. J'ai du flair, pour ça, déclara-t-elle avec évidence.

- Tu peux développer, Rita ?

Colin s'était forcé à la relancer. Ce n'était que le début de la réunion de rédaction, mais il avait déjà l'ai essoré. Il avait beau être impeccablement habillé, les cheveux soigneusement plaqués en arrière, il avait l'air de ne pas avoir dormi les trois derniers jours. C'était peut-être le cas, songea Ginny, en essayant de défroisser son t-shirt. Elle savait qu'elle n'avait pas l'air non plus en forme. Son perfecto craquelé pesait sur les épaules. Elle passait ses nuits à retourner l'enquête dans tous les sens sur le canapé, ses mouvements suivaient ses pensées. Dans la chambre, elle entendait Harry qui en faisait autant dans leur lit. Ils avaient décidé de reprendre la cohabitation. « Pour voir ». De rares repas partagés en silence, quelques politesses quand ils se croisaient. Ils ne parlaient pas de leurs enquêtes respectives. Un matin, ils s'étaient enlacés face à la fenêtre du salon. Le moment avait été doux. Apaisant.

Elle se força à se concentrer sur la réunion. Ferma les yeux une seconde. Chassa ses émotions, loin, très loin. Elle reprit une gorgée de thé et s'accrocha à sa tasse.

- Je veux dire que ça fait deux ventes de charité où je vais et où personne ne parle de la présentation des prochaines collections de Marlow dans deux semaines. Personne ne parle non plus de la fille Scrimgeour ! Rendez-vous compte !

Voyant que personne ne réagissait autour de la table, elle haussa les sourcils, l'air choquée.

- Enfin, réveillez-vous ! Marlow n'a pas présenté de collection de robes de sorciers depuis deux saisons, là, il en sort enfin une qui est, enfin, était, visiblement attendue comme la nouvelle révolution dans la couture, et personne ne s'excite ! Personne ne parle non plus du quatrième divorce de la fille Scrimgeour, et ça, c'est vraiment révélateur, assura-t-elle. Je n'ai rien de croquant à me mettre sous la dent pour ma rubrique. Mais je vais trouver, rassure-toi. Je vais la remplir.

Colin eut la politesse d'acquiescer.

- Je vois. Je vois. Rien d'inventé dans la mondaine, n'est-ce pas, Rita ?, la mit-il en garde. « Et de quoi parle-t-on, alors ? »

- De politique !, fit-elle en se renversant sur sa chaise avec dédain. « De politique ! », répéta-t-elle, comme si le sujet était incongru à aborder pendant une vente de charité.

Le rédacteur en chef se tourna vers Parker et Lewis, les interrogea du regard.

- C'est compliqué, grimaça Parker, en réajustant ses lunettes.

- Très compliqué, confirma Lewis, en tapotant la pointe de sa plume sur la table.

- Il va y avoir très prochainement une séance du Magenmagot où la loi sécurité va être mise au vote. On n'arrive pas à savoir quand, tous nos canaux d'information sont muets. Il n'y a rien qui filtre.

- Ce qui est sûr, c'est qu'un gros coup se prépare. Ils ne prendraient pas autant de soins pour un simple projet de loi. Ça bruisse un peu dans le couloir ministériel. Rien ne filtre de plus du cabinet, à part « il faut attendre la séance du Magenmagot ».

- Ça se sent dans les couloirs, il y a du lobbying dans tous les sens. Mais c'est très discret.

- Vous avez de quoi écrire ?

- De quoi faire deux jours, un rappel des faits, une analyse de l'ancien projet de loi et ce qui pourrait avoir changé dans le nouveau projet qui va être présenté. Loi version soft, loi version autoritaire. Niveau timing, on espère tomber juste.

- J'achète. Si ça se bouscule, vous m'envoyez votre article par hibou directement. Plus le suivi habituel. Je vous libère dès maintenant. Vous campez au Ministère s'il le faut, mais je veux que vous soyez là pour cette foutue séance.

- Ça marche, répondirent Parker et Lewis de concert, en sortant de la pièce.

Il ne restait que Colin, Rita et Ginny autour de la table. Les journalistes qui s'occupaient de la métropole et ceux de la province avaient trouvé le moyen d'esquiver la réunion, comme toujours. Ginny les enviait. Ils arrivaient toujours à prétexter un reportage pile ce matin-là. Chaque semaine, elle se coltinait la réunion avec mauvaise grâce, son attention finissait toujours par sauter au bout de dix minutes. Elle sursauta quand Colin l'interpella.

- Hein ?

- Qu'est-ce que tu as pour cette semaine, Ginny ?, répéta Colin, en fronçant les sourcils. La fatigue lui faisait perdre patience.

- Excuse-moi. J'ai mes deux équipes qui vont changer de coach à la fin du mercato, c'est prêt. J'ai aussi un portrait du nouveau batteur des Canons, un petit prodige qui a été signé avant même la fin de son année à Poudlard. J'ai commencé mes annonces pour les matchs de la fin de semaine, je te les livre au fur et à mesure pour ne pas charger la barque d'un coup.

- Ok, merci.

Il eut un temps d'hésitation.

- Et... L'enquête ? Tu en es où ? Bodstrom avance ?

- C'est à dire que... Ginny se racla la gorge. « L'enquête est toujours en cours. Je sais que Bodstrom allait mener une perquisition chez Gringotts aujourd'hui, j'ai pas de nouvelles. Dès que je le peux, je sors un truc ».

- Bien. Bien. La métro et la province m'enverront leurs prévisions. Je crois qu'on est bon pour la semaine.

Rita n'attendit pas plus longtemps. Dans un froufrou de dentelles, elle sortit de la salle de réunion sans prendre la peine de fermer la porte. Ginny prit plus de temps, tergiversa, puis s'arrêta devant Colin, les poings enfoncés dans les poches de sa veste. Elle fit passer sa bouche pincée de gauche à droite sur son visage.

- Colin...ça va ?

Il leva la tête du parchemin qu'il était en train de noircir de notes. Il se frotta les mains sur le visage, sans voir qu'il se faisait des tâches d'encre sur les joues.

- C'est... Putain... C'est le bordel, Ginny, concéda-t-il. C'est tendu au Ministère. C'est tendu partout. Le journaliste des faits divers n'arrive pas à avoir des infos valables sur les attaques terroristes, les entrées habituelles de Parker et Lewis sont réticentes à causer... J'ai demandé un entretien à Bret, pour mettre les choses au clair, parce que j'ai l'impression qu'on nous fait de l'obstruction. Son secrétaire doit m'envoyer un hibou. J'ai aussi mis un hibou à Wellington, mais je ne m'attends pas à ce qu'il me réponde. Y a un truc qui se trame. Mais pas moyen de savoir quoi. Ça me rend fou ! Je ne veux pas pousser trop non plus les équipes. Ça me sert à rien d'avoir une dizaine de journalistes s'ils sont au fond de leurs lits. Tu vois ce que je veux dire ?

- Je vois ce que tu veux dire, oui.

Elle ne voyait que trop bien. Elle même était au bord de l'épuisement, à force de tourner en rond et de se cogner à des impasses à chaque pas dans son enquête. Elle tenait sur les nerfs, sur la rage. Sur l'envie de faire chier les puissants, aussi. Elle ne tiendrait qu'un temps. Elle le savait.

Bodstrom est cerné de tous les côtés, il ne peut pas faire grand-chose pour avancer l'enquête, au stade où il en est, lui révéla-t-elle, sans rien dire de plus. « Il sent le souffle du boulet, comme dirait Hermione ». Elle n'avait aucune idée de ce que cela voulait dire, mais l'expression l'avait toujours fait marrer. Elle réussit à arracher un sourire à Colin.

- Fais gaffe, Ginny.

- Fais gaffe, Colin, lui retourna-t-elle.

Dans le couloir, un hibou vint presque la percuter de plein fouet alors qu'elle rejoignait son bureau. C'était un parchemin plié en quatre. Elle reconnut l'écriture pressée de Newton. « J'ai la preuve. Je la mets en sécurité. »