Ginny se tressait les cheveux, assise à la terrasse du pub auquel Harry lui avait donné rendez-vous. Son gobelet de thé était froid depuis longtemps. Lorsque ses cheveux roux furent domptés, elle enroula une énorme écharpe multicolore autour de son cou. Le temps de ne cessait de se refroidir, une petite bruine tombait sur le parasol sous lequel elle s'était abritée. Croisant et décroisant les jambes, elle enroulait entre ses doigts le parchemin qu'elle avait reçu en milieu de matinée. Dean avait été plus rapide qu'elle ne l'avait prévu.
« Ginny,
ça m'a fait plaisir d'avoir de tes nouvelles, après tout ce temps ! Même si tu avais un service à demander... Maintenant, c'est à charge de revanche :) »
Elle avait souri lors de sa première lecture. Il avait toujours le même coup de plume, vif, brouillon, presque illisible.
« Je ne sais pas comment tu t'es débrouillée pour savoir que j'étais à Poudlard pour une démonstration de duel, chapeau, en tout cas. Tu aurais vu les élèves quand je leur ai raconté la Bataille de Poudlard... La moitié me prenait pour un combattant d'un autre temps, l'autre avait les yeux qui brillaient. Bref.
Ça n'a pas été simple, mais j'ai réussi à faire ce que tu me demandais. J'ai consulté tous les livres de souvenirs et j'ai vérifié les armoires à trophées des années que tu m'avais demandées. Rien dans les armoires à trophées. Visiblement, ton gars n'était pas porté sur le Quidditch.
En revanche, j'ai trouvé des choses dans les livres photos des clubs d'élèves. Le type dont tu parlais, Harold Bret, est sur une photo du club d'éloquence des septièmes années de son époque. Sur la photo, il a l'air proche d'une fille qui s'appelle Aretha Woods, si tu vois ce que je veux dire... Il y a aussi un Peter Collins, et un Franklin Desmond. Ils n'étaient que quatre dans ce club, c'est bizarre, d'habitude il y a plus de monde que ça, mais bon... Tout le monde ne peut pas être dans le club de duel ou dans une équipe de Quidditch ! Je n'ai rien trouvé de plus sur ce type. Ah, si, c'était un Poufsouffle, sa copine aussi, les deux autres étaient à Serpentard et Serdaigle, pour ce que ça peut te servir...
La prochaine fois, n'attends pas d'avoir un service à me demander pour prendre de mes nouvelles, Gin' ! Je te mets deux places pour mon prochain duel à Londres, j'espère que Harry et toi pourrez venir me voir. Je vais réduire Johns en bouillie.
PS : je crois que McGonagall va s'étouffer si elle se rend compte de ce que j'ai fait. Mais ça m'a fait plaisir, c'était comme au bon vieux temps, de fureter dans les couloirs.
À plus,
Dean Thomas »
Sa signature était griffonnée à la hâte. Quand elle avait déroulé le parchemin, deux tickets colorés frappés du logo de la ligue des duellistes, deux baguettes croisées, étaient tombés sur la table, ainsi qu'une photo. Il avait osé la décoller de l'album de l'école. Ginny avait ri de son audace. C'était pour ça qu'elle aimait bien Dean. Ça et sa droiture, son air imperturbable. Elle avait passé de longues minutes à scruter les visages sur le cliché, jusqu'à connaître la moindre de leurs mimiques.
Dean avait raison, Bret et Woods paraissaient très proches. « Est-ce qu'ils sortent encore ensemble, aujourd'hui ? Sont-ils mariés, en secret ? », se demanda-t-elle, en notant mentalement de poser la question d'une manière détournée à Rita. Elle saurait sûrement. Si elle, elle ne savait pas, personne ne le saurait. Sur la photo, ils irradiaient. Il y avait le bonheur radieux des amours adolescentes, et un peu plus que ça, un certain magnétisme. Ils avaient l'air sûrs d'eux, presque arrogants. Desmond et Collins semblaient effacés, à côté d'eux. Comment était-ce possible que deux personnes aussi... séduisantes n'aient pas réussi à attirer plus de monde dans ce club ?
Elle avait envoyé une réplique de la photo à Newton, sans mot d'explication. Il comprendrait tout seul. Elle s'inquiétait de ne pas avoir de ses nouvelles depuis son hibou tôt dans la matinée. Il y avait quelque chose d'angoissant dans son silence. Elle pressentait plus qu'elle ne savait. Mais son instinct ne l'avait jamais trompée. Au Quidditch, elle avait toujours su lire le jeu des adversaires avec un temps d'avance. Dans la vie aussi. Elle sentait les choses. Ses ongles grattaient le dessus de son jean élimé.
- Salut, Gin'. Comment tu vas ?
- Oh ! Harry ! Je... Ça va, ça va... Tu m'as presque fait peur, tu sais !
Il s'était glissé dans la chaise vide à côté d'elle avec tellement de discrétion qu'elle ne l'avait pas vu tout de suite, plongée qu'elle était dans ses pensées, le regard dans le vide, fixé sur un point lointain dans la rue. Devant eux, les passants avançaient. Le ballet de ces milliers d'humains qui gravitaient tout autour d'eux sans les voir avait quelque chose de fascinant.
Harry commanda un café avec nonchalance, en remontant le col fourré de sa veste contre son cou. Ses lunettes étaient tâchées de pluie, mais il ne s'en préoccupait pas. Elle remarqua que ses doigts étaient rouges. Il était dehors depuis un certain temps. Éveillé depuis longtemps aussi, vu ses cernes et sa barbe de trois jours mal taillée. Il s'était passé la main dans les cheveux en guise de coiffure le matin, sans succès. Les épis se dressaient n'importe comment sur son crâne. Elle sourit. Il lui rendit la pareille, après l'avoir détaillée du regard de la même manière. Ils avaient la même dégaine fatiguée. Pourtant ils étaient prêts à repartir au combat au quart de tour.
- J'en profite. J'ai un petit quart d'heure de tranquillité avant de reprendre la surveillance.
- Vraiment ?
Ginny leva un sourcil circonspect.
- Pas vraiment. En fait, je suis juste un peu en avance. Mon équipe est en veille sur ce pub, aujourd'hui. Mes gars sont en train de sécuriser les lieux avant qu'ils n'arrivent. Et...
- … Tu t'es dit que c'était aussi simple de joindre l'utile à l'agréable. Je comprends.
La rousse était sincère. Elle savait parfaitement ce que c'était que d'avoir un emploi du temps au chausse-pied. Pourtant l'amertume pointait dans sa voix. Plus qu'elle ne l'aurait voulu. Elle le vit se raidir sur sa chaise. Elle râpait méthodiquement le bord de ses chaussures sur le bitume.
- Je me suis dit qu'il fallait qu'on parle.
- Ah. Maintenant tu veux parler. Parlons, alors. Parlons donc.
Harry tapota ses doigts contre son gobelet. C'était vrai, il voulait parler. L'envie était là depuis plusieurs jours, mais il n'avait eu le courage de le lui demander que ce matin. Face à son miroir, soudain, il avait su que c'était aujourd'hui et pas un autre jour.
- Qu'est-ce qu'on fait, Gin' ?, posa-t-il sans préambule. « On en est où, toi et moi ? »
- Au milieu de nulle part, on dirait bien...
- Tu peux être sérieuse, deux secondes ?
- Oui, oui... ça va...
- Non. Ça ne va pas.
- C'est une évidence. Pas la nouvelle du siècle. Quoi que si on se sépare, ça intéressera Rita.
- Et on fait quoi, alors ? Est-ce que tu as quelque chose à proposer, à dire, Gin' ? Je veux dire, à part des piques ?
Elle garda le silence. Le meilleur moyen de défense, c'était l'attaque. C'était la première leçon de stratégie qu'elle avait retenu au Quidditch. Pour la jeune joueuse qu'elle était, ça n'avait pas été une découverte. Parce que c'était déjà dans son caractère. Elle n'avait jamais attendu pour répliquer. Elle se força à prendre de grandes inspirations. Posa sa voix, prit un ton calme, adulte, qu'elle ne se reconnaissait pas.
- Il faut qu'on fasse quelque chose, c'est sûr. On ne peut pas continuer comme ça. Je ne sais pas pour toi, mais moi, j'ai de plus en plus de mal à vivre comme ça.
Harry hocha la tête, sans rien dire. Elle poursuivit, le regard tournée vers les gens qui attendaient qu'un bonhomme change de couleur pour traverser la rue à quelques mètres. Elle se demanda s'il y en avait qui ressentait le même vide, la même incertitude qu'elle. Sûrement. Ses yeux verts rencontrèrent ceux de Harry.
- On ne parle pas assez. On ne se dit plus rien. On ne vit plus ensemble. À moins de changer ça, je ne sais pas... Je ne sais pas si ça vaut la peine de continuer, énonça-t-elle péniblement. « Je veux dire... Y a un moment où s'aimer n'est plus suffisant. En tout cas pour moi. Je n'y arrive plus. Je ne dis pas que je ne t'aime plus du tout... C'est pas ça. C'est juste que je ne suis plus capable de t'aimer comme ça. Par petits bouts, en pointillés, de temps en temps, et faire comme si c'était normal quand tu es là. Parce que c'est pas le cas.
Le brun garda le silence quelques secondes, expira longuement, sans ouvrir la bouche.
- Je comprends, fit-il, en se penchant, coudes posés sur la table. Ses mains entouraient son gobelet en carton. Son café était froid. « Je comprends, Ginny. Je... C'est la même chose pour moi. Mais... Je peux pas. Je peux pas t'en dire plus sur ce que je fais. Je... »
- Eh bien change de travail, alors !, explosa Ginny. Change de boulot, fais quelque chose dont on puisse parler ensemble le soir et qui puisse s'écrire sur un parchemin !
- Je ne peux pas, Ginny. Mon boulot... C'est pas qu'un boulot. Je...
- Tu sauves le monde, c'est ça ? Sans que personne ne s'en rende compte, tu nous sauves les miches, c'est ça ? Tu sais que Ron fait le même travail que toi, et avec Hermione, ils s'en sortent ! Ils s'en sortent ! Enfin, quand elle n'est pas inconsciente à Ste Mangouste, bien sûr...
- Ron ne fait pas tout à fait la même chose que moi. Je ne peux pas t'en dire plus, mais c'est pas pareil. Et Hermione est accréditée au secret. C'est la directrice.
- Ah oui. J'oubliais. Toi, tu as les missions très spéciales, c'est ça ? Celles dont on ne peut pas parler, celles qui te rongent si bien le crâne que tu cries dans ton sommeil quand tu dors ?
Le silence de Harry était pensant.
- Je ne suis pas prêt à abandonner mon poste. Je t'aime Gin', mais je ne peux pas. C'est plus qu'un travail, c'est plus qu'une mission.
- Ouais, ouais. Le sauveur, l'élu, tout ça... Je connais la rengaine, te fatigue pas. Tu sais, j'étais prête à faire des efforts. N'importe quoi.
Ginny s'était levée en écrasant son gobelet dans son poing. Il en fit de même, alors qu'elle plantait son regard, dur, dans le sien.
- Gin', non, c'est pas...
- Si, Harry. Si. Tu ne t'en rends peut-être pas compte, mais c'est exactement ça.
Elle s'approcha de lui. Ses mâchoires étaient serrées. Elle sentait les larmes qui montaient, coincées dans sa gorge, comme les quelques mots qui lui restaient à dire. Sur la pointe des pieds, elle l'embrassa doucement, une main posée sur son bras.
« C'est mieux pour tous les deux si on en reste là », dit-elle.
L'instant d'après, ils furent soufflés par l'explosion du pub derrière eux.
