Chapitre 8
Merci à Jessie et Sharky pour leurs mots prompts pour ce chapitre :
Jessie : goût, froid, saignement
Sharky : pierre, paille, brise
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La jeune femme avait pris un pain de savon, le renifla bruyamment, grimaça, puis en prit un autre.
"- Eurk ! Je ne sais pas pourquoi les savons odeur musc plaisent autant aux hommes. Ça pue ! Enfin, j'imagine que Vrai Homme aime sentir le fauve." Elle mit plusieurs savons sous le nez de Boya pour qu'il choisisse le sien. "Lequel vous plait le plus ?"
Avec l'augmentation de ses sens, Boya se sentit agressé lui aussi par le savon au musc.
"- Pas celui-là en tout cas. Il me donne la nausée." Le savon disparu immédiatement.
Il renifla docilement chaque savon qu'on lui présenta, tant et si bien qu'il oublia très vite qu'il était tout nu, dans l'eau jusqu'aux épaules ou presque avec une demoiselle sans la moindre pudeur qui avait déjà tout vu, et sans doute même tout manipulé, de son anatomie.
"- Ha ! Celui-là !"
"- Magnolia ? Diantre, je n'aurais jamais imaginé. Mais ça vous correspond assez" Sourit la jeune femme. " Délicat et subtil, avec une pointe d'innocence et de dignité."
Boya se sentit rougir.
"- Yi Xiaolian arrête de flirter avec tout ce qui porte un pantalon."
"- Il n'en porte pas pour l'instant !" Répliqua drôlement la jeune fille avant de filer en riant.
"- Sale petite peste." Mais il y avait de l'affection dans la voix du maitre guérisseur. "Excusez là, Boya Daren. Elle n'est collante comme ça qu'avec les patients pour lesquels elle s'inquiète vraiment."
Boya en fut un peut vexé.
"- Mais je vais très bien !"
"- Boya Daren..." Le ton était ouvertement emplis de reproches.
"- Je vais... relativement bien ?"
Le guérisseur soupira.
"- Si vous voulez retourner chasser un jour, il va vous falloir arrêter de faire n'importe quoi. Vos méridiens étaient tous irrités quand vous êtes arrivés. N'allez pas recommencer à forcer n'importe comment. Vous êtes passé très prêt de la déviation. Et je ne parle même pas de votre dépression."
"- Je ne suis pas dépressif !"
Même s'il ne voyait rien, Boya sentit le poids du regard du guérisseur sur lui
"- Vous rencontrerez un guérisseur mental tous les trois jours pour commencer. Et vous avez thérapie physique dans les bains principaux tous les jours jusqu'à ce que vos muscles aient retrouvé toute leur force."
Boya se sentait encore une fois un peu submergé. Toute cette attention pour un handicapé ? Pour un esclave ? Après des mois à le laisser se débattre tout seul parmi les gens qui l'avaient élevé ? Il sentit les larmes monter lentement.
"- Pourquoi ? Pourquoi cette générosité ?" Les larmes roulaient sur ses joues. "Mon propre temple m'a jeté à la poubelle. Et vous... vous..."
Le guérisseur le laissa pleurer sur son épaule tout son saoul jusqu'à ce qu'il n'ait plus de larmes à verser.
"- Vous vous sentez mieux ?"
Etrangement, c'était le cas. Depuis qu'il avait été aveuglé, c'était la première fois que Boya se laissait vraiment aller à exprimer sa peine.
"- Je suis désolé." Tout cet étalement de sentiments lui aurait fait horreur avant. Là… Il avait craqué.
"- Allons, ce n'est rien. Si vous vous sentez assez bien, Zhong Xing Zongzhu veut vous présenter à la secte, à son shishen, et vous inscrire dans le registre de la secte. Il va aussi vous donner votre Nom."
L'estomac de Boya lui tomba dans les talons. Quel allait être son nouveau Nom? Il ne voulait pas en changer mais il n'avait pas le choix. Pas alors que JingYun le lui avait arraché et avait arraché la Fondation de son Identité et de sa Cultivation.
"- Je crois que ça ira. Je ne veux pas vous ennuyer non plus."
"- M'ennuyer? C'est mon travail que de m'occuper de vous." Le sourire dans la voix du guérisseur était réel. "Finissez de vous laver, habillez-vous, mon apprentie vous a posé des vêtements propres sur la table juste à côté de la baignoire. Ensuite, je vous conduirai à Zhong Xing Zongzhu."
Boya sortit de l'eau dès qu'il fut seul. Il se sentit à nouveau humain une fois douillettement emmitouflé dans les robes larges, confortables et surtout affreusement chaudes qu'on lui avait fournis. Le plus compliqué avait été de mettre les chaussettes à doigts qui laissaient tous ses orteils indépendants les uns des autres puis les bottes en peau de mouton retournée. Il n'avait pas l'habitude de chaussures sans talon. Marcher à plat allait très vite lui faire mal au dos et aux mollets.
"- Vous êtes prêts ? Parfait !"
Ses cheveux étaient encore trop court pour en faire autre chose que les laisser sur ses épaules. Boya en concevait une réelle humiliation. Ce n'était pas digne, mais que pouvait-il faire de plus ? Il était un esclave et dès que ses cheveux toucheraient ses épaules, on les lui couperait sans doute encore pour qu'il ne se prenne pas à croire autre chose.
Le guérisseur le guida lentement et gentiment dans les couloirs de la secte. Boya sentait les regards curieux des disciples sur lui, mais le tout était bienveillant. Par contre, il se crispa soudain lorsqu'il sentit une présence démoniaque pas loin.
"- Boya Daren ?"
"- Un démon..."
"- Ho ! Oui. Certains des shishen sont des démons. Ne faites pas attention. Ne vous inquiétez pas. Vous vous y ferez. Personne ne vous fera de mal ici. Zhong Xing Zongzhu vous l'expliquera sans doute, mais le Bureau est aux frontières d'un puissant Domaine avec un Démon-Renard à sa tête." Boya s'était encore plus raidit. Un démon renard ? "Nous vivons en bonne harmonie avec eux depuis... toujours je pense. Ce Domaine était là avant la création de la secte. Le Bureau s'est même installé là parce que la région est calme. Sans l'autorisation du Seigneur Anbei, nous n'aurions pas pu nous installer, j'imagine" Rit le guérisseur. "Vous aurez sans doute l'occasion de le croiser à l'occasion. Il vient plusieurs fois par an avec sa cour pour les fêtes de la Secte. C'est un renard blanc à neuf queues d'une grand dignité et d'un pragmatisme assez remarquable." Tout le monde l'aimait bien.
Bon, tout le monde en avait peur aussi. Il fallait être réaliste. Mais tant qu'on ne venait pas lui tirer les queues, il était absolument cordial et adorait les petits shidi. Il n'était pas rare que la secte envoie quelques disciples en stage sur son domaine pendant quelques mois.
Boya n'entendait plus que le bruit de son sang qui rugissait dans ses oreilles. Des démons dans la secte. Un renard à côté. Il se sentait soudain pris au piège. Il se mit à hyperventiler jusqu'à ce qu'on le secoue d'un coup.
"- Boya Daren. Calmez-vous. Respirez avec moi. Inspirez... Expirez... Inspirez... expirez..." Le guérisseur l'avait saisi à bras le corps et le retenait, roc solide de calme tranquille dans la mer de panique qui le submergeait.
Les mains brûlantes du guérisseur sur ses biceps finirent par l'ancrer sans pour autant qu'il puisse reprendre vraiment son calme. C'était dans ce genre de situations que ne rien voir le handicapait le plus. Boya n'avait aucune référence visuelle pour distraire son esprit qui s'enlisait dans la panique.
Des mains plus larges et plus fraiches que celles du guérisseur, glacées presque, se posèrent sur ses joues.
Le choc thermique le fit brutalement hoqueter, suffisamment pour le tirer de sa panique. Puis quelqu'un le prit dans ses bras et le berça contre lui en chantonnant doucement comme s'il était un petit garçon.
Boya s'accrocha de toutes ses forces à celui qui le tenait. La personne était solide, glaciale comme la mort mais elle l'ancrait dans la réalité.
Petit à petit, il se calma et reprit conscience de ce qui se passait autour de lui.
"- Boya Daren ? Vous m'entendez ?" Il hocha lentement la tête. "Vous avez fait une crise d'angoisse. Ça arrive."
Boya réalisa soudain que qui que soit la personne qui le tenait, c'était un démon.
Il se raidit une fois de plus mais la voix d'outre-tombe qui fit vibrer le torse contre lequel il était accroché comme le ronron d'un gros chat était aussi douce qu'une plume.
"- Calmez-vous Boya Daren. Vous avez failli faire une déviation."
"- Vraiment ?"
"- Xue Mao à raison. S'il n'avait pas réussi à calmer vos méridiens, vous auriez pu mourir."
"- …ho…"
Un démon venait de lui sauver la vie ?
"- Je suis… Désolé." S'excusa Boya.
Le démon le remis gentiment sur ses pieds.
"- Ce n'est rien. Je vais vous laisser aux bon soins de votre guérisseur, Zhong Xing Zongzhu m'attends."
"- HA ! Merci pour votre aide, Xue Mao." Remercia frénétiquement Yin RenShu
Boya ne le voyait pas mais tous les disciples s'étaient profondément inclinés devant le démon. L'énorme créature mi humaine mi tigre des neiges dépassait les trois mètres. Il exsudait un calme tranquille qui faisait des merveilles avec les enfants les plus jeunes. Ou les crises de panique.
Xue Mao salua les disciples pour apporter le document qu'il était venu livrer à Zhong Xing de la part de son maître, le Seigneur du Domaine Démoniaque. Le renard-démon que Boya n'avait pas encore côtoyé mais qui avait failli le tuer juste par sa seule existence. N'était-ce pas ridicule ?
"- Xue Mao est l'un des quatre généraux de notre voisin. Il n'est pas rare que l'un ou l'autre vienne ici pour apporter les missives de leur seigneur à notre Zongzhu. Un simple messager ferait bien l'affaire, mais qui peut savoir ce qui passe dans le crâne du Seigneur Anbei. Il est bizarre. Et il aime qu'on lui dise qu'il est bizarre." Riait le guérisseur.
Boya était trop épuisé pour refaire une crise d'angoisse mais l'idée d'avoir été touché par un démon le mettait dans une évidente détresse.
Un petit gémissement lui échappa. Il se sentait submergé par les sensations autant que par les émotions et aurait voulu pouvoir retourner se cacher quelque part. On ne lui en laissa pas latitude.
Le guérisseur continua à la guider gentiment jusqu'à la grande salle commune.
"- S'il vous plait..."
"- Boya Daren. Vous avez besoin de présence autour de vous. Pas d'isolation. Faites-moi confiance voulez-vous ?"
Boya protesta encore, à deux doigts de supplier. Il se sentait tellement dépassé, tellement submergé. S'il continuait, il ne savait pas s'il allait fondre en larmes, hurler ou...
Entrer dans la salle commune fut comme un baume apaisant sur les nerfs de Boya. Le guérisseur avait eu raison de le forcer à le suivre même si le chasseur ne comprenait pas la cause de son soulagement soudain. Jusqu'à ce qu'il les entendent et comprenne ce qu'il percevait.
C'était des cris aigus, des voix d'enfants très jeunes qui hurlaient de rire, se courraient après en tous sens et se jetaient dans les jambes de tous les adultes qu'ils rencontraient pour leur dire bonjour. C'était comme à la maison. Comme lorsqu'il était le Da-Shixiong de tous les jeunes disciples et qu'ils se ruaient sur lui pour lui dire bonjour lorsqu'il revenait d'une chasse. C'était des bruits connus, chaleureux et apaisant pour lui. Des bruits d'enfants avant qu'ils ne soient pervertis par les pires travers de JingYun.
"- Yin RenShu Daren ! Yin RenShu Daren ! C'est un nouveau gege ?"
Maintenant qu'un des gosses avait découvert qu'un nouvel adulte était entré dans leur tanière, la masse entière allait se diriger sur lui comme un seul homme.
Le guérisseur accompagna Boya jusqu'à une petite table pour qu'il s'y assoit.
"- Je vais vous chercher de quoi manger. Occupez-vous des enfants voulez-vous ? D'ici quelques jours, vous saurez parfaitement vous débrouiller."
Boya était dubitatif, mais il était heureux qu'on lui laisse les gamins, même s'il était évident que c'était eux qui allaient veiller sur lui et non l'inverse.
"- Merci Yin RenShu Daren."
"- T'es qui ?" Ces gosses n'avaient aucune tenue.
"- Yuan Boya." Enfin, avait-il même encore le droit d'utiliser ce nom ? "J'appartenais au temple de JingYun.
"- Et t'es partit ?" Leur curiosité n'avait aucune pitié non plus.
"- On m'a vendu. Parce que je ne peux plus rien voir."
Le reniflement méprisant des gosses lui fit accuser le coup. Il savait qu'il était infirme mais...
"- Ils sont bêtes à JingYun. Comme si rien voir c'était plus servir à rien. Gyao-ge il voit rien non plus et ça l'empêche pas de tricoter les meilleures chaussettes de tout le temple."
"- Et Liu-ge, il voit que d'un œil et l'autre marche pas très bien, mais il sait toujours quand on fait une bêtise. Et c'est le meilleur cultivateur de champignon du domaine."
Boya était surpris. Il y avait d'autres infirmes ici ?
"- Mais... Comment font-ils sans rien voir ?"
"- Sais pas. Mais ils y arrivent. Et puis ils ont leur shishen pour les aider."
Boya retint une grimace. Capables mais pas indépendants, hein...
"- Et c'est qui ton Shifu alors?
"- Mon Shifu ?" Boya doutait que les gosses connaissent le nom de son maitre à JingYun.
"- Bah oui, le gege qui est ton professeur ici. Tout le monde a un plus grand qui s'occupe de lui. Même nous ! Moi mon didi il est encore en couches. Mais je serais là pour lui pour toute la vie !"
"- Je... Je ne sais pas. J'ai été acheté par Zhong Xing Zongzhu..." Il lui attribuerait sans doute quelqu'un à servir. A quoi pouvait-il servir d'autre ? Toutes ces informations le submergeaient un peu.
"- Acheté ?"
"- Oui, ils font ça dans le sud. Comme si les gens étaient des canards." Expliqua un des plus grands shidi avec un air pénétré de connaissances.
"- Pfff. Tous des tordus."
Boya sentit les gamins tous hocher la tête avec la même concentration. Leur jugement était définitif. Ils n'aimaient pas les gens du sud. On ne vendait pas les gens comme des canards. Leur réaction amusa visiblement Boya qui devait faire un effort pour ne pas leur rire au nez.
"- Tu seras mieux avec nous, gege. Ici, il fait froid mais les gens sont gentils. Et si on a de la chance et qu'on est assez sages et avec d'assez bon résultats, on a pleiiin de récompenses."
"- Des récompenses ?" A JingYun, la récompense pour avoir des bon résultats quand on était un petit shidi était surtout de ne pas se faire punir.
"- Oui ! On a des gâteaux. Ou des bonbons."
"- Et quand il fait beau, les maitres nous emmènent faire de la luge."
"- De la luge?" Boya butta un peu sur le mot. Même s'il avait grandi dans une montagne, il n'y neigeait que peu et les disciples avaient autre chose à faire que se distraire.
"- Oui ! C'est comme une planche en bois avec des bouts aiguisés dessous."
"- On le met sur une pente avec de la neige, on s'assois dessus et.. ZOUIIIIII!"
"- Zouiiiii ?"
"- Ouiiii ! On descend très très vite la pente sur la neige en glissant!"
"- C'est trop drôle!"
"- Mais ça fait peur la première fois."
"- Ca va vraiment vite."
"- Et faut pas en faire n'importe où, ça peut être dangereux."
"- Les adultes ils utilisent des skis, eux. C'est des planches de bois étroites assez longues. Ils attachent leurs pieds dessus, des bâtons longs pour tenir debout et ils glissent debout. Ils tombent beaucoup aussi."
"- C'est très drôle. Des fois ils roulent dans la neige et ils atterrissent en bas comme des grosses boules de neige."
Les gosses gloussèrent tous. C'était toujours extrêmement drôle.
"- Je suis sûr que ça fait beaucoup d'émotions tout ça."
"- Ha oui ! Mais on peut le faire que l'été. L'hiver il fait trop froid."
"- De toute façon, l'hiver, avec un peu de chance, on peut aller ailleurs."
"- Mais y a que les plus grands qui peuvent aller ailleurs !"
Boya tentait de faire le tri dans la masse d'informations, délivrées en plus avec un accent très fort qu'il peinait à comprendre.
"- Ils vont ailleurs ?" Qu'est-ce qu'on faisait aux enfants ici ?
"- Les meilleurs juniors, ils ont le droit d'aller chez le Seigneur Anbei pour quelques semaines. Souvent, ils ont leur shishen avec eux quand ils reviennent."
Les enfants eurent le même soupir un peu rêveur. Eux aussi il voulaient être assez grand pour avoir un shishen. Avoir un ami pour toute la vie qui resterait avec vous quoi qu'il se passe. Ils étaient tous ou presque des orphelins. La majorité d'entre eux avaient vu mourir leurs familles sous leurs yeux. Alors avoir quelqu'un d'assez fort pour ne pas mourir des aléa de la vie humaine ? Ils en rêvaient.
Boya était mal à l'aise. Si l'idée que des adules fassent les idiots sans complexe dans la neige l'amusait, cette hyperfixation sur leurs voisins démons le mettaient vraiment dans l'embarras.
Puis les enfants autour de lui se relevèrent précipitamment comme si quelqu'un d'important venait d'arriver. Boya chercha à se lever mais un petit rire doux et féminin le retint.
"- Restez assis, Boya Daren. Restez assis. Mon mari m'a prévenu que vous auriez besoin de repos mais je ne m'attendais pas à ce que vous soyez effectivement aussi ravagé."
Boya se sentit rougir de honte et d'embarras. Qui était cette femme ? Et comment osait-elle le traiter ainsi.
"- Pardonnez-moi, je ne me suis pas présentée. Je m'appelle Fangyue. Je suis l'épouse de Zhong Xing Zongzhu. Et vous ne tarderez sans doute pas à rencontrer notre fils He Shouyue. Il a à peu près votre âge. Tirant sur deux cent cinquante ans et plus coincé qu'une vieille porte mais avec la maturité d'un fromage de chèvre du matin.
"- MERE !"
"- Quand on parle du bébé."
"- MERE! ENFIN !"
"- C'est toi qui est bruyant mon fils."
Boya ne voyait pas le visage du jeune homme mais il sentait son irritation. Il ne devait pas être très vieux pour se comporter ainsi bien que sa mère le présente comme presque trentenaire. Un tout jeune homme probablement. Surement à peine vingt ans. Persuadé de tout savoir mais dont l'indulgence des parents le laissait libre d'apprendre lui-même que ce n'était pas le cas.
Boya s'inclina néanmoins de son mieux devant le jeune homme, sans doute l'héritier de la secte.
"- Cet humble fashi salue He Shouyue."
"- Fashi? Mon père t'a acheté sur un marché aux esclaves." Railla le jeune homme.
Boya ne montra aucun geste d'humeur. Ce n'était que l'exacte vérité après tout. Mais le bruit de gifle que sa mère colla au gamin fit quand même beaucoup de bien à l'égo du chasseur.
"- He Shouyue. Tu te présenteras au Premier Disciple pour ta punition. Tu copieras cent fois les préceptes de base de la secte." La voix de Fangyue était glacée.
"- QUOI ? A-NIAAAAANG ! !"
Boya revu son estimation de l'âge du jeune homme à la baisse. Maximum seize ans. Lorsqu'il l'entendit s'éloigner en trainant les pieds et en marmottant dans sa barbe, il baissa encore son estimation. Quatorze ans au mieux. Probablement même moins.
"- Je suis navrée, Boya Daren. He Shouyue est à cet âge bête où il croit tout savoir et s'estime lésé et humilié par la vie environ dix-huit fois avant d'avoir pris son petit déjeuner." C'était dit malgré tout avec tendresse autant qu'irritation désabusée.
Boya eut un petit sourire un peu forcé quand même.
"- Ne vous en faites pas. J'ai eu mon lot de shidi en guerre contre l'adolescence. Votre fils à quel âge ? Treize ? Quatorze ans ?"
Fangyue soupira plus fort.
"- Vingt-huit."
Boya en resta bête.
"-... Ho..."
"- Comme vous dites. Son père est un peu trop indulgent avec lui. Il a manqué d'une main ferme quand il était petit. Il était très fragile et son père l'a un peu surprotégé et gâté-pourrit. Moi aussi sans doute. Le résultat est... Disons que He Shouyue est un excellent cultivateur mais qu'il manque grandement de maturité"
"- A JingYun, on a tendance à dire que ce qui fait le plus grandir après la soupe, ce sont les coups de pieds aux culs. Qu'ils soient physique ou métaphoriques."
"- J'aime mon fils, Boya Daren. Profondément. Mais j'ai parfois envie de lui faire faire le tour de la secte à cloche pied au bout de ma botte. Et à son père aussi."
Le maitre guérisseur revint enfin avec un plateau surchargé.
"- Fangyue. Vous avez fait la connaissance de notre nouveau disciple je vois."
"- Et il a fait la connaissance de He Shouyue."
"- Le pauvre." Mais il était difficile de savoir pour qui le guérisseur avait de la pitié.
Fangyue avait pouffé. Elle aimait tendrement son fils mais contrairement à son époux, elle n'était pas aveugle à ses fautes.
Boya se retrouva avec son déjeuner positionné devant lui exactement comme à son précédent repas. Se nourrir seul, en toute autonomie sans en mettre partout fut un soulagement.
"- Je vais vous laisser manger tranquillement, Boya Daren. Bienvenue parmi nous. Prenez le temps de trouver vos marques. Nos guérisseurs feront du mieux possible pour vous. Une fois que vous vous sentirez bien, vous pourrez intégrer nos classes et devenir l'un des nôtres."
Elle lui tapota gentiment l'épaule puis laissa les deux hommes tranquilles pour retourner à ses propres devoirs. Si Zhong Xing était le chef de la secte, Fangyue s'occupait de toute l'intendance. C'était un prérequis tacite pour revenir chef de la secte, il fallait être marié ou au moins en couple et se partager le travail avec sa moitié. Quel que soit son sexe d'ailleurs. Il n'y avait pas que dans les loisirs que le Domaine démoniaque juste à côté de la secte avait infusé ses habitudes. Mais de ça, Boya n'en avait pas la connaissance. JingYun était bien plus restreint dans ce qui était considéré comme tolérable ou non. Prostituer ses membres pour qu'ils puissent manger à leur faim, pas de problème. Les laisser aimer qui ils voulaient… quelle vaste plaisanterie. Aimer ne rapportait pas d'argent après tout.
Boya finit lentement son repas. Il tâtonna derrière lui pour être sûr de ne gêner personne pour trouver le mur. Il s'y appuya pour profiter de l'ambiance chaleureuse, bien différente de celle de JingYun. Même lorsque tout allait bien, la discipline y était stricte et sévère. Ici, les enfants courraient entre les tables, les adultes leur jetaient des miettes en les grondant en riant et le mélange de qi humain, spirituel et démoniaque était étrange et bizarrement... équilibré.
Puis Boya réalisa ce que Fangyue avait dit.
"- Intégrer vos classes ?"
"- Plait-il ?"
"- Fangyue... ha..." quel terme devait-il utiliser pour elle ?
"- Juste Fangyue." Sourit le guérisseur. "Les enfants l'appellent Fangyue-gu"
"- Fangyue a dit que dès que j'aurais pris mes marques, je pourrais me joindre à vos classes."
"- Et bien... Oui ?"
"- Je suis aveugle."
"- J'ai vu vos dessins, Boya Daren. Vos yeux ne voient plus, mais vous êtes loin d'être aveugle. Ici, vous pourrez développer votre technique personnelle pour dépasser votre handicap. Mais il vous faudra aussi apprendre nos techniques. Vous êtes des nôtres à présent."
Boya en resta bête.
"- Mais… je ne suis qu'un esclave." Murmura-t-il doucement.
"- Même un esclave à de la valeur, Boya Daren. Et rien n'est immuable."
Une vague de fatigue le submergea.
Le guérisseur l'aida à se lever pour le raccompagner à l'infirmerie. Boya avait besoin de dormir.
Le cérémonie d'accueil dans la secte aurait dut avoir lieu immédiatement mais le guérisseur avait finalement repoussé la chose. Il était encore trop faible physiquement et psychologiquement trop instable.
Il avait encore besoin de repos.
Boya se réveilla une fois de plus avec la bouche en fond de cage à perroquet. Il ne savait pas d'où venait ce gout dégoutant le matin, mais il n'aimait pas ça du tout. Puisqu'il était toujours à l'infirmerie et qu'elle ne lui coutait rien, pourquoi pas l'utiliser vraiment pour une fois ?
L'assistante du guérisseur toqua à la porte avant d'entrer
"- Bonjour ! Vous avez encore dormit pendant deux jours. Vous avez vraiment besoin de vous reposer. Comment vous sentez vous ?"
"- J'ai l'impression qu'un furet malade m'a vomi dans la bouche."
"- Ha ! c'est en grande partie à cause des tisanes qu'on vous donne pour renforcer votre cultivation. Ne vous en faites pas. Vous avez de la chance que ça ne vous donne pas des gaz. La délicieuse brise qui vient de l'infirmerie des disciples lorsqu'elles leur sont distribuées en masse ferait fuir un sconse." Gloussa-t-elle. "Ça pue. Mais ça pue ! On pourrait en coller des fromages sur les murs." Boya avait un petit sourire en coin sans le vouloir. "Des fois, c'est même interdit d'approcher avec un chandelle." Souffla Yi Xiaolian comme si elle annonçait un secret. Boya se retrouva à glousser comme un môme. "Je vais vous donner de quoi soulager votre estomac. De toute façon, vous n'avez plus de médicaments après cette dernière tournée."
"- Je vais pouvoir quitter l'infirmerie ?"
"- Oui, Yin RenShu Shifu va vous conduire à Zhong Xing Zongzhu. Il vous attribuera une chambre dans ses appartements. Vous êtes son disciple personnel le temps que vous puissiez être considéré comme un junior du Bureau. Après, vous aurez votre propre appartement."
Boya était à la fois heureux et... un peu effrayé par la chose. Il se frotta les bras. Un froid certain lui remonta dans le dos.
Il avait peur.
Malgré toute la bonne volonté que sa nouvelle secte lui balançait à la figure, il avait peur de ce nouveau chapitre de sa vie. Ça avait été plus facile à JingYun finalement. Même si sa situation était bien plus difficile, il connaissait les lieux, il connaissait les gens, il connaissait les pierres et les habitudes. Il n'avait besoin que de décider pour lui-même du nouveau chemin qui était le sien.
Ici... Qu'allait-il faire ?
L'idée de changer de type de cultivation, de devoir laisser derrière lui son épée lui faisait mal. Elle avait été une partie de lui pendant si longtemps. Même si ce n'était pas une épée spirituelle, il n'avait pas les moyens financier pour en acheter une sans s'endetter jusqu'à la tombe, il saignait intérieurement de devoir la laisser derrière lui. Avec le temps et les chasses, à baigner dans le qi et le sang démoniaque, sa simple épée s'était lentement éveillée entre ses doigts. Et maintenant… S'il connaissait bien JingYun, elle avait déjà dû être fondue et jetée aux rebus avec les restes des armes de tous les autres disciples morts ou vendu hors de la secte.
JingYun ne souhaitait pas se souvenir des perdants.
"- Mangez, Boya Daren. Vous penserez plus tard."
Boya mangea lentement son petit déjeuner au lit. C'était vraiment décadent mais... Agréable. Il attrapa sa tasse de thé pour faire passer le goût dégoutant de ses médicaments. Il toucha quelque chose d'inattendu sur le plateau qu'il prit entre ses deux mains. C'était une grosse boule avec un trou sur le dessus et... une paille ?
"- Vous avez goûté ?"
"- Non, pas encore. Qu'est-ce que c'est ?"
"- Une nouveauté acheté du domaine Anbei. C'est une énorme graine qu'on casse sur le dessus. A l'intérieur, il y a une eau légèrement sucrée délicieuse. Buvez, buvez."
Boya obéit. C'était la première fois qu'il buvait de l'eau de coco. C'était étrange mais pas mauvais.
"- On peut l'utiliser aussi filtrée pour remplacer une partie du sang lors d'une grave hémorragie. Lorsque He Shouyue est né, Fangyue-gu a failli mourir il parait. C'est le seigneur Anbei qui a envoyé ses meilleurs guérisseurs au temple pour la sauver. Et ils ont utilisé le liquide dans les noix pour remplacer le sang dans ses veines."
Boya ne savait pas quelle tête il faisait mais elle devait être cocasse pour que la jeune guérisseuse éclate de rire
"- Ce sont des fruits démoniaques ?"
"- Ho non ! Pardonnez-moi, je me suis mal exprimée. On les obtient par le Domaine Anbei parce qu'ils ont plus de facilité que nous à aller un peu partout hors de l'Empire. Mais ce sont des fruits qui viennent de très loin au sud. Ça vient de petites iles perdues où elles poussent en quantité." Boya se détendit. Si ça venait du royaume humain, ça allait.
"- Ca a un gout... particulier."
"- Oui hein ! Il faut aimer. Je déteste ça mais ça sauve des vies. C'est parfait pour soulager les coliques d'un bébé ou la déshydratation et c'est remplit de bonnes choses pour les convalescents. Il y en a dans la tisane qu'on vous fait boire depuis votre arrivée. Mais comme on va vous lâcher aujourd'hui, je voulais vous faire gouter sortit de la noix au moins une fois." Sourit encore la jeune fille.
Même si Boya ne voyait pas son sourire, il l'entendait dans sa voix.
Une fois son repas terminé, Boya fut chassé vers les bains avec de nouvelles robes toujours aussi épaisses et chaudes pour lutter contre le froid ambiant. Son Node doré commençait à s'habituer de devoir lutter contre le froid.
Ce qui le fascinait toujours étaient les chaussettes à doigts. Ça aussi il commençait à s'habituer à les mettre
"- Vous êtes parfait !" Le maitre guérisseur était toujours aussi souriant que sa jeune élève. "Le blanc vous va bien. C'est la couleur des membres adultes de la secte."
"- Pourtant, je dois apprendre vos manières, ne devrais-je pas être de la même couleur que les disciples ?"
"- Vous allez avoir un professeur particulier, Boya Daren. Sinon, je crains que vous ne passiez plus de temps à materner les enfants qu'à apprendre."
Boya se sentit rougir. C'était un risque effectivement. Mais ce n'était pas sa faute ! Les plus jeunes étaient invariablement adorables.
"- Vous allez apprendre avec plusieurs maitres. Vous n'avez pas grand-chose à apprendre finalement. Juste nos secrets les plus personnels comme le Bouclier ou comment appeler un Shishen."
Boya fit la gueule.
"- Je ne sais pas si j'ai très envie d'avoir un shishen"
"- C'est une nécessité, Boya Daren. Et si ça peut vous rassurer, le shishen qui vous choisira sera celui qui vous convient. C'est toujours ainsi pour le premier."
L'assistante du guérisseur avait regroupé toutes les affaires de Boya et trottait derrière eux pour les porter. On avait refusé de laisser Boya porter ses affaires lui-même. Il n'avait que son dizi dans les mains. Le maitre guérisseur le guida pendant lui semblait-il des heures avant de s'arrêter enfin et de toquer à une porte. Il entra sans même attendre.
