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''Interlude : Un choix''

La voiture file à tout allure dans la nuit. Les lumières des lampadaires défilent à une vitesse folle avant de disparaître, engloutis par la noirceur. Je me recroqueville sur mon siège, les yeux perdus dans le paysage. La forêt si sombre paraît si calme. Tout paraît si calme. Comme à la fin d'un film. Est-ce que c'est la fin ?

Il est mort. Mon père est mort.

Dans la périphérie de mon champ de vision j'aperçois Ace qui me jette des coups d'œil inquiets. À l'arrière, ses amis sont silencieux. À vrai dire, tout le véhicule est silencieux. On se croirait à la fin du monde, quand tout est si calme que le temps s'arrête enfin. Un moment d'éternité.

Je pense à Usopp. À Kaya aussi. J'espère qu'il vont s'en sortir. Si tout se passe comme Ace l'a prévu ils iront bien. J'ignore comment il a fait pour pondre un plan parfait dans la panique. À croire que l'adrénaline le stimule. Je suis sûr que ce n'est pas son premier plan d'évasion. Je n'ai pas envie d'y penser.

J'ignore pourquoi je l'ai suivi. C'est sans doute un peu stupide de ma part. Peu importe. Je veux juste partir le plus loin possible de cet endroit maudit. Je veux oublier. Je serre mes genoux contre mon torse et ferme les yeux.

Le noir m'enveloppe aussi doucement que la nuit le fait avec la voiture. Si doux, si calme. Juste le silence et moi. Plus de questions, plus de douleur, plus rien. Ce serait mieux je crois. Ce serait bien, ce serait juste. Juste fermer les yeux. Et ne jamais plus se réveiller.

Je pense à ma mère aussi. Et je ne sais plus quoi penser. Est-ce qu'elle savait ? Sûrement pas, non. Qu'est-ce qui va lui arriver ? Est-ce que les policiers vont la harceler de questions ? Sûrement, oui. Les journalistes aussi. Mon père était une sommité dans le monde de la médecine, tous les journaux ne parleront que de lui. Tous des charognards.

Ils auront pitié. Ils auront peur. Ils ne comprendront pas. Ils ne comprennent jamais. Ils ne veulent pas comprendre. Je rouvre les yeux. La nuit est toujours là. Plus pour longtemps. Déjà l'horizon s'illumine d'une teinte plus claire. Et je me surprends à avoir peur du soleil.

Quand il va se lever cette nuit prendra fin. Quand il va se lever la vie va reprendre son cours. Les gens vont constater, réaliser ce qu'il s'est passé. Et tout deviendra réel. Alors je souhaite que la nuit dure à jamais. Et que je puisse imaginer que mon père est endormi dans son lit.

Oui c'est ça. Il dort paisiblement. Et la nuit va durer à jamais. Et il ne se réveillera pas. Et tout ira bien. Tout ira bien.

S'il te plaît Dieu, si tu existes, fait que tout cela ne soit qu'un cauchemar.

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Dire que la nouvelle fut une surprise pour Makino serait un mensonge. Car elle l'attendait autant qu'elle la redoutait. Elle avait toujours su. Mais ce qui avait brisé le cœur de cette femme en cette douce nuit de mai ne fut pas la mort de son mari. Mais bel et bien la disparition de son fils.

Luffy était parti, disparu, envolé. Et Makino ne s'en remettait pas. La peur qu'elle ressentait à propos de son fils empêchait les larmes de couler. Et alors que l'on mettait en terre l'homme qu'elle aimait, la barmaid ne pensait qu'à son enfant.

Elle avait refusé de signaler la disparition lorsque les autorités le lui avaient proposé. Shanks lui avait caché beaucoup de choses mais elle avait confiance en lui. Et lui n'avait pas confiance en ce gouvernement. Où que soit Luffy, Makino ne pouvait que se réconforter en se disant qu'au moins il est loin d'eux.

Garp est venu à l'enterrement. Makino avait été soulagée en l'apercevant. Il se tient debout juste derrière elle depuis le début de la cérémonie. Un rocher en pleine tempête. Et elle se raccrochait à ce rocher de toutes ses forces.

Offrant son visage à la caresse des rayons du soleil, elle leva la tête vers le ciel, fermant les yeux. Elle ne pouvait qu'espérer que tout irait bien pour son fils, où qu'il soit. Et tandis que son regard se reportait sur le cercueil qui descendait lentement dans la cavité son cœur se serra.

Et Makino fondit en larmes pour son amour perdu.

Derrière elle, le roc se fissure. Derrière elle, Garp perd un fils pour la seconde fois. Un pressentiment le pousse à relever la tête et à détacher son regard de la femme en larmes à ses pieds. Scrutant la foule, il repère vite le responsable du frisson que son sixième sens lui a insufflé.

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Il est 11h et l'autoradio coupe brusquement Gainsbourg pour embrayer sur les nouvelles de la journée, Ace tend le bras pour couper court mais je l'arrête net. J'ai besoin d'entendre ce que la radio a à dire, j'ai besoin de réaliser, besoin de sortir de ce brouillard qui entoure tous mes gestes et mes pensées depuis que le jour s'est levé. Le jingle s'infiltre à peine dans mon cerveau et les mots du présentateur me semblent une litanie lointaine.

La voiture tremble et Ace emprunte la bretelle de sortie, une station se découpe au milieu du parking. Et le moteur s'arrête. J'entends les portières qui claquent, les bras et jambes qui s'étirent. Je ne bouge pas. Soudain, ma portière s'ouvre à son tour et un bras me saisi pour me sortir de force du véhicule. Je ne résiste pas. La main d'Ace dans la mienne me guide et je le suis à l'intérieur du magasin.

Kidd est à la caisse avec une bouteille de vodka et Sabo semble avoir trouvé son bonheur au milieu des barres chocolatés. Ace m'entraîne vers les toilettes et je sens des jets d'eau dans mon visage. Elle est froide. Je la sens qui dégouline de mes cheveux. C'est agréable. Je sais qu'il faudrait que je reprenne pied dans la réalité. Mais ce brouillard est si simple. C'est comme regarder un film. Un film ennuyeux mais au moins il n'y a rien à faire. Le film défile et moi j'attends. J'attends quoi ? Je ne sais même pas.

Ace me parle. Je devrais écouter. Je n'entends pas. Je suis sûre que c'est important. Ou pas après tout, c'est sûrement pas important. Je vais retourner dans le brouillard. On y était bien.

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''Alors ?''

Sabo m'interroge du regard. Je hoche négativement la tête. Des litres d'eau sur le visage de ce crétin et j'ai été obligé de me rendre à la raison et de le ramener à la voiture. Il n'est pas encore prêt à revenir avec nous.

''Il est en état de choc laisses-lui du temps.''

Je sais qu'il a raison. Mais je me sens quand même mal. C'est bizarre à ressentir, d'avoir peur pour quelqu'un. Je pense juste qu'en quelques mois j'ai commencé à voir Shanks comme une figure paternelle, pour ce que ça peut valoir. Alors je me sens responsable de Luffy, un peu comme un grand frère. Un sourire en coin étire les traits de Sabo.

''Tu l'aime bien le gosse.''

Ce n'était pas une question. Tant mieux, ça m'évite d'avoir à répondre.

Mais il a raison.

Et je n'aime pas ça.

''Tss, de la Vodka bas-de-gamme si vous voulez mon avis''

Kidd s'approche notre table, son cadavre de bouteille à la main.

''J'ai passé un coup de fil. Je n'ai pas beaucoup d'infos mais apparemment cette opération était prévue depuis plusieurs mois. Red Hair était sans doute même au courant que c'était pour ce soir.''

Ce mec m'étonnera toujours. Découvrir qu'il peut avoir des infos gouvernementales probablement classées secret défense me fait réaliser que j'ignore tout de lui. Et de son passé.

''Des infos sur Law et Teach ?''

Non pas que leur état de santé m'intéresse outre mesure mais j'ai un mauvais pressentiment. Quelque chose m'échappe alors j'enquête.

''Law aurait été transféré dans l'après-midi selon les rapports officiels et Teach s'est évanoui dans la nature.''

Son regard me confirme qu'il pense à la même chose que moi. Law était là avant notre départ en début de soirée. Le rapport ment. Alors Law était-il encore là quand l'unité à été investie ou était-il parti avant ? Et pourquoi ce faux rapport existe-t-il ?

Sabo n'est pas bête et sa façon de me regarder me fait comprendre qu'il aimerait une explication. Je la lui donnerai plus tard. Là maintenant mon instinct me dicte qu'on doit partir, tracer au plus vite le plus loin possible. J'avale le fond de mon café froid et on quitte la station sans demander notre reste.

Luffy est là où je l'ai laissé, affalé presque sans vie contre la vitre de la portière. Ses yeux semblent moins vitreux. Ou alors je me fais des idées. Je dois me faire des idées. J'allume le moteur et la radio crache les premières notes de Not a Damn Thing Changed tandis que la voiture repart à toute vitesse sur l'Interstate.

Le temps n'est plus à la réflexion, il va falloir agir et vite, la nouvelle va se répandre. Il nous faut un endroit, il nous faut un plan, il nous faut une porte de sortie. Il nous faut Rayleigh.

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''La fuite n'est qu'un détour.
Si le détour est parfois salutaire,
il est le plus souvent inutile.''

- Denis Bélanger

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